Cas clinique
Cas clinique
28
Figure 1. Courbe de tendance de la fréquence cardiaque.
Figure 2. Tracé ECG enregistré à 3 h 09. Aspect de BAV III et
démarrage d’une  brillation auriculaire.
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
Troubles du rythme et de la conduction après pontages
aorto-coronaires
#M.C. Iliou, T. Guedj, P. Cristo ni*
* Service de réadaptation cardiaque, hôpital Broussais-HEGP, Paris.
Monsieur Z, 68 ans, a été hospitalisé en 2004 dans le ser-
vice de réadaptation cardiaque après pontage aorto-
coronaire. Ses principaux antécédents se résumaient
à une artériopathie des membres inférieurs et à une polypose
colique. Parmi ses facteurs de risque on notait une surcharge
pondérale (IMC à 30 kg/m2), une dyslipidémie traitée par sta-
tines, une hypertension artérielle traitée par bêtabloquant et
antagoniste calcique, et un tabagisme sevré depuis 2 ans.
Une scintigraphie myocardique d’eff ort réalisée en raison de
ses facteurs de risque et de l’atteinte artérielle périphérique lors
du bilan préopératoire d’une chirurgie digestive a révélé une
ischémie apico-latérale réversible. La coronarographie ayant
mis en évidence des lésions tritronculaires, avec bonne fonction
ventriculaire gauche, Monsieur Z a bénéfi cié d’un triple pontage
aorto-coronaire en juillet 2004 : mammaire interne gauche sur
interventriculaire antérieure, mammaire interne droite sur mar-
ginale et saphène sur interventriculaire postérieure. Les suites
postopératoires ont été simples, marquées uniquement par une
anémie à 8 g/dl. Le patient a été adressé à J10 postopératoire
pour réadaptation cardiaque. Lexamen clinique, à son arrivée,
était sans particularité, en dehors de cicatrices de sternotomie et
de saphénectomie modérément infl ammatoires. Le traitement
comportait : aspirine, bêtabloquant, statine, antalgiques et sup-
plémentation martiale. Lélectrocardiogramme s’inscrivait en
rythme sinusal à 80 battements/min, avec intervalle PR à 160 ms,
ondes T négatives dans le territoire latéral. La radiographie
pulmonaire ne retrouvait qu’un épanchement pleural du tiers
inférieur de la base gauche. Léchocardiographie retrouvait un
ventricule gauche non dilaté, non hypertrophié, de cinétiques
globale et segmentaire normales, hormis un septum postopé-
ratoire. Les pressions pulmonaires étaient normales, il n’y avait
pas de valvulopathie signifi cative ni d’épanchement péricardique.
Lépreuve d’eff ort réalisée à J15 postopératoire était négative à
70 watts, à 80 % de la fréquence maximale théorique (FMT),
sans aucun trouble du rythme et de la conduction ; le profi l
tensionnel était normal.
Un holter ECG est systématiquement réalisé à J15 postopéra-
toire. La courbe de fréquence cardiaque montre une augmen-
tation de la variabilité vers 3 heures et vers 5 heures du matin
(fi gure 1)
. Lanalyse des tracés durant ces périodes montre
des épisodes de bloc auriculo-ventriculaire (BAV) du troisième
degré suivis rapidement du démarrage d’une fi brillation auricu-
laire
(fi gure 2)
. Devant cet enregistrement, le bêtabloquant est
arrêté, un traitement anticoagulant est commencé et le patient
est mis sous surveillance télémétrique. Les épisodes de BAV
nocturnes et les passages en fi brillation auriculaire persistent.
Les contrôles par holter confi rment la persistance de passages en
BAV en rythme sinusal ou en fi brillation
(fi gure 3)
. Durant la
journée, et en particulier durant l’entraînement physique, aucun
trouble du rythme ou de la conduction nest observé. Compte
tenu de la survenue exclusivement nocturne de ces épisodes, le
patient et son voisin de chambre sont interrogés sur d’éventuels
symptômes et ronfl ements : le patient signale une fatigabilité
matinale, des épisodes d’endormissement dans l’après-midi
et son voisin confi rme quelques ronfl ements nocturnes. Un
enregistrement polygraphique du sommeil est réalisé : celui-
ci retrouve un syndrome d’apnée du sommeil de type mixte
avec un index d’apnée-hypopnée à 64/h, avec d’importantes
Cas clinique
Cas clinique
29
Figure 3. Persistance de BAV III nocturne, sur rythme sinusal (en
haut) et en  brillation auriculaire (en bas).
Figure 4. Enregistrement polygraphique du sommeil. On remarque
des apnées sur la première courbe (analyse du  ux respiratoire),
avec une morphologie de la courbe analysant les mouvements
thoraciques et abdominaux (courbes en bleu et en jaune) en faveur
d’apnées mixtes. Ces apnées ont pour conséquence d’importants
épisodes de désaturation (courbe en rouge) et une forte
désorganisation du rythme cardiaque (courbe en noir, en bas).
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
désaturations (jusqu’à 75 %)
[fi gure 4]
. Le patient bénéfi cie
d’un appareillage par pression positive continue nocturne avec
un masque facial. La réadaptation cardiaque s’est déroulée sans
autre problème cardiologique. Les bêtabloquants sont réin-
troduits. La surveillance télémétrique montre une réduction
des événements rythmiques et conductifs autorisant le retour
du patient au domicile. Un mois après sa sortie, un contrôle
par holter montre la disparition de tout épisode de BAV et la
persistance de quelques brefs passages en fi brillation atriale. À
trois mois, sans aucun traitement antiarythmique autre que les
bêtabloquants, mais avec une bonne observance du traitement
par pression positive continue (avec un index d’apnée-hypopnée
à 1/h), le holter ECG ne montre plus aucun trouble du rythme
ou de la conduction. Trois mois plus tard, le patient bénéfi cie
d’une colectomie partielle, sans aucune complication. Il est suivi
par une équipe spécialisée dans le traitement des apnées du
sommeil. Deux ans après le pontage aorto-coronaire le patient va
bien sur le plan cardiologique ; ses épreuves d’eff ort de contrôle
sont négatives. Il na ni stimulateur cardiaque, ni traitement
anticoagulant, ni traitement antiarythmique. Ses facteurs de
risque sont contrôlés, en dehors du poids…
DISCUSSION
Cette observation est particulièrement originale et démonstra-
tive sur le rôle de la réadaptation cardiaque et sur les risques
rythmiques et conductifs des troubles respiratoires du sommeil.
En eff et, les troubles respiratoires du sommeil (TRS) sont fré-
quents et souvent méconnus. Ils peuvent induire des troubles
de conduction et du rythme. Il s’agit d’une comorbidité et pro-
bablement d’un facteur de risque supplémentaire qu’il convient
parfois de traiter. La réadaptation cardiaque permet une prise
en charge globale incluant la prévention secondaire ; à ce titre,
elle devrait permettre de dépister et de traiter si besoin ces
TRS. En postopératoire de chirurgie cardiaque, si la survenue
de troubles du rythme est fréquente, les troubles de conduction
sont plus rares et nécessitent une prise en charge particulière.
Dans ce cas, la survenue exclusivement nocturne a orienté les
investigations et a motivé la réalisation d’une polygraphie du
sommeil avant même la réalisation d’une exploration électro-
physiologique (cette dernière exploration n’a dailleurs pas été
réalisée). Par ailleurs, l’absence de chirurgie valvulaire aortique
et de troubles de conduction en postopératoire immédiat ou au
cours de l’eff ort a conforté notre choix.
La prévalence des troubles respiratoires du sommeil est relative-
ment élevée en cas de maladie cardiovasculaire : elle va de 25 %
dans la fi brillation auriculaire (1) à 50 % en cas d’insuffi sance
cardiaque (2). Schématiquement, on distingue deux types d’ap-
née : obstructive et centrale. Les apnées obstructives sont les
plus fréquemment étudiées. Elles provoquent non seulement
une hypoxie, mais également des micro-éveils et une stimulation
adrénergique responsables d’une augmentation des contraintes
intrathoraciques, d’une élévation de la pression artérielle et de
la survenue de troubles du rythme. Elles peuvent maintenant
être considérées comme un facteur de risque cardiovasculaire
indépendant. Le traitement du syndrome d’apnées obstructives
par pression positive continue réduit la morbimortalité cardio-
vasculaire. Les apnées centrales ou mixtes, associées souvent à
une respiration de type Cheyne-Stokes, sont le plus souvent asso-
ciées à l’insuffi sance cardiaque. Leur physiopathologie semble
être en rapport avec une hypersensibilité des chémorécepteurs
aux modifi cations de la capnie induite par l’hyperventilation.
La survenue de ces troubles respiratoires au cours du sommeil
s’accompagne d’une élévation de l’activité sympathique, d’une
augmentation de la postcharge et de la pression intraventricu-
laire gauche. Le traitement par ventilation adaptée des apnées
centrales dans l’insuffi sance cardiaque permet d’améliorer la
qualité de vie et la fonction ventriculaire, mais n’a pas démontré
de réduction de la morbimortalité.
Cas clinique
Cas clinique
30
Nouvelles de l’industrie pharmaceutique
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
Les conséquences rythmologiques des troubles respiratoires du
sommeil sont relativement moins connues. Toutefois, les troubles
du rythme et de la conduction induits par les TRS pourraient
expliquer, pour une part, le surrisque de mort subite nocturne
(3, 4). Dès 1983, Guilleminault et al. (5) ont montré que 48 % des
patients atteints de syndrome d’apnées du sommeil avaient des
arythmies nocturnes dont 10,7 % des troubles de conduction
sino-auriculaires et 7,7 % des troubles de la conduction auriculo-
ventriculaires du second degré. Pour l’équipe de Lazarus et al.
(6), le mécanisme est caractérisé par une bradycardie parasym-
pathico-dépendante (inhibée par l’atropine, probablement en
réponse à la stimulation des chémorécepteurs à l’hypoxémie)
souvent suivie de tachycardie attribuée à l’arrêt de la stimulation
vagale et à l’hypertonie sympathique. Notre cas clinique illustre
parfaitement ce type de mécanisme avec le déclenchement d’une
arythmie supraventriculaire lors du passage en BAV. Enfi n, plus
récemment, les données concernant les troubles du rythme et
de la conduction issues de la Sleep Heart Health Study (7) ont
été publiées. Dans cette étude comparant les résultats de deux
populations, avec et sans TRS, les patients avec TRS ont signifi -
cativement plus d’arythmies ventriculaires et supraventriculaires
que les sujets sans TRS. En revanche, il n’existe qu’une tendance
non statistiquement signifi cative à une plus forte prévalence des
troubles de la conduction chez les sujets avec TRS. Dans toutes les
séries, les troubles de conduction décrits sont soit sino-auriculaires,
soit des BAV du premier et du second degrés (LW et Mobitz II).
Nous navons pas retrouvé dans la littérature de description de
BAV du troisième degré, comme dans notre cas clinique. La cor-
rection sous traitement par la ventilation mécanique des anomalies
de conduction et du rythme chez ce patient, et la notion que
les troubles de conduction sont fonctionnels en cas d’apnée du
sommeil (8) justifi ent l’absence d’exploration électrophysiologique
et l’inutilité d’une stimulation cardiaque permanente.
Enfi n, l’équipe de Bordeaux (9) avait émis le postulat qu’une
stimulation cardiaque permanente permettrait de réduire le
nombre d’apnées. Cette alternative thérapeutique na cependant
pas été confi rmée par d’autres équipes (10).
En conclusion, les anomalies nocturnes relevées lors du holter
ECG doivent faire évoquer le diagnostic de TRS et conduire à
des explorations complémentaires. O
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Gami AS, Pressman G, Caples S et al. Association of atrial fi brillation and
obstructive sleep apnea. Circulation 2004;110:364-7.
2. Sin DD, Fitzgerald F, Parker JD et al. Risk factors for central and obstructive
sleep apnea in 450 men and women with congestive heart failure. Am J Respir
Crit Care Med 1999;160:1101-6.
3. Gami AS, Howard DE, Olson EJ, Somers VK. Day-night pattern of sudden
death in obstructive sleep apnea. N Engl J Med 2005;352:1206-14.
4. Marin JM, Carrizo SJ, Vicente E, Augusti AG. Long-term cardiovascular out-
comes in men with obstructive sleep apnoea-hypopnoea with or without treat-
ment with continuous positive airway pressure: an observational study. Lancet
2005;365:1046-53.
5. Guilleminault C, Connolly SJ, Winkle RA. Cardiac arrythmia and conduc-
tion disturbances during sleep in 400 patients with sleep apnea syndrome. Am J
Cardiol 1983;52:490-4.
6. Lazarus A, Py A, Guerin F, Valty J, Le Heuzey. Arythmies et syndrome dap-
nées du sommeil chez les adultes. Arch Mal Cœur Vaiss 1993;86:1753-9.
7. Mehra R, Bejamin J, Shahar E et al. Association of nocturnal arrythmias with
sleep-disordered breathing.  e Sleep Heart Health Study. Am J Respir Crit Care
Med 2006;173:910-6.
8. Deedwania P, Swiryn S, Dhingra R, Rosen K. Nocturnal atrioventricular block
as a manifestation of sleep apnea syndrome. Chest 1979;76:319-21.
9. Garrigue S, Bordier P, Jaïs P et al. Benefi t of atrial pacing in sleep apnea syn-
drome. N Engl J Med 2002;346:404-12.
10. Simantirakis E, Schiza S, Chrysostomakis S et al. Atrial overdrive pacing
for the obstructive sleep apnea-hypopnea syndrome. N Engl J Med 2005;353:
2568-77.
Premiers résultats
de l’enquête FAST-MI
La Société française de cardio-
logie annonce les premiers résultats de
l’enquête FAST-MI qu’elle a menée, sou-
tenue par les laboratoires Pfizer et Ser-
vier et par la CNAM, évaluant la prise
en charge et le devenir de 3 000 patients
hospitalisés en France pour cause d’in-
farctus du myocarde (IDM) au cours
du dernier trimestre 2005 : une baisse
majeure de la mortalité est constatée au
cours des dix dernières années chez les
patients hospitalisés pour IDM, malgré
des circuits de prise en charge encore
imparfaits.
Après un infarctus, la mortalité relevée
des premiers jours a considérablement
baissé, passant de 8,3 % en 1995 à 6,6 %
en 2000 et à 4,3 % en 2005. Ces résultats
sont liés à l’augmentation de l’utilisation
des traitements de reperfusion destinés à
déboucher l’artère, maintenant employés
dans 60 % des cas, et aux progrès accom-
plis dans la prescription des médicaments
destinés à freiner l’évolution de la maladie
coronaire après l’IDM. En revanche, des
eff orts restent à faire dans les circuits de
prise en charge des malades et dans l’in-
formation du public pour gagner encore
du temps dès l’apparition des premiers
symptômes.
A. Lavergne
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !