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Cas clinique
C as clinique
Troubles du rythme et de la conduction après pontages
aorto-coronaires
#M.C. Iliou, T. Guedj, P. Cristofini*
M
onsieur Z, 68 ans, a été hospitalisé en 2004 dans le service de réadaptation cardiaque après pontage aortocoronaire. Ses principaux antécédents se résumaient
à une artériopathie des membres inférieurs et à une polypose
colique. Parmi ses facteurs de risque on notait une surcharge
pondérale (IMC à 30 kg/m2), une dyslipidémie traitée par statines, une hypertension artérielle traitée par bêtabloquant et
antagoniste calcique, et un tabagisme sevré depuis 2 ans.
Une scintigraphie myocardique d’effort réalisée en raison de
ses facteurs de risque et de l’atteinte artérielle périphérique lors
du bilan préopératoire d’une chirurgie digestive a révélé une
ischémie apico-latérale réversible. La coronarographie ayant
mis en évidence des lésions tritronculaires, avec bonne fonction
ventriculaire gauche, Monsieur Z a bénéficié d’un triple pontage
aorto-coronaire en juillet 2004 : mammaire interne gauche sur
interventriculaire antérieure, mammaire interne droite sur marginale et saphène sur interventriculaire postérieure. Les suites
postopératoires ont été simples, marquées uniquement par une
anémie à 8 g/dl. Le patient a été adressé à J10 postopératoire
pour réadaptation cardiaque. L’examen clinique, à son arrivée,
était sans particularité, en dehors de cicatrices de sternotomie et
de saphénectomie modérément inflammatoires. Le traitement
comportait : aspirine, bêtabloquant, statine, antalgiques et supplémentation martiale. L’électrocardiogramme s’inscrivait en
rythme sinusal à 80 battements/min, avec intervalle PR à 160 ms,
ondes T négatives dans le territoire latéral. La radiographie
pulmonaire ne retrouvait qu’un épanchement pleural du tiers
inférieur de la base gauche. L’échocardiographie retrouvait un
ventricule gauche non dilaté, non hypertrophié, de cinétiques
globale et segmentaire normales, hormis un septum postopératoire. Les pressions pulmonaires étaient normales, il n’y avait
pas de valvulopathie significative ni d’épanchement péricardique.
L’épreuve d’effort réalisée à J15 postopératoire était négative à
70 watts, à 80 % de la fréquence maximale théorique (FMT),
sans aucun trouble du rythme et de la conduction ; le profil
tensionnel était normal.
Un holter ECG est systématiquement réalisé à J15 postopératoire. La courbe de fréquence cardiaque montre une augmentation de la variabilité vers 3 heures et vers 5 heures du matin
(figure 1). L’analyse des tracés durant ces périodes montre
des épisodes de bloc auriculo-ventriculaire (BAV) du troisième
degré suivis rapidement du démarrage d’une fibrillation auriculaire (figure 2). Devant cet enregistrement, le bêtabloquant est
arrêté, un traitement anticoagulant est commencé et le patient
* Service de réadaptation cardiaque, hôpital Broussais-HEGP, Paris.
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Figure 1. Courbe de tendance de la fréquence cardiaque.
Figure 2. Tracé ECG enregistré à 3 h 09. Aspect de BAV III et
démarrage d’une fibrillation auriculaire.
est mis sous surveillance télémétrique. Les épisodes de BAV
nocturnes et les passages en fibrillation auriculaire persistent.
Les contrôles par holter confirment la persistance de passages en
BAV en rythme sinusal ou en fibrillation (figure 3). Durant la
journée, et en particulier durant l’entraînement physique, aucun
trouble du rythme ou de la conduction n’est observé. Compte
tenu de la survenue exclusivement nocturne de ces épisodes, le
patient et son voisin de chambre sont interrogés sur d’éventuels
symptômes et ronflements : le patient signale une fatigabilité
matinale, des épisodes d’endormissement dans l’après-midi
et son voisin confirme quelques ronflements nocturnes. Un
enregistrement polygraphique du sommeil est réalisé : celuici retrouve un syndrome d’apnée du sommeil de type mixte
avec un index d’apnée-hypopnée à 64/h, avec d’importantes
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
Cas clinique
C as clinique
par une équipe spécialisée dans le traitement des apnées du
sommeil. Deux ans après le pontage aorto-coronaire le patient va
bien sur le plan cardiologique ; ses épreuves d’effort de contrôle
sont négatives. Il n’a ni stimulateur cardiaque, ni traitement
anticoagulant, ni traitement antiarythmique. Ses facteurs de
risque sont contrôlés, en dehors du poids…
DISCUSSION
Figure 3. Persistance de BAV III nocturne, sur rythme sinusal (en
haut) et en fibrillation auriculaire (en bas).
Figure 4. Enregistrement polygraphique du sommeil. On remarque
des apnées sur la première courbe (analyse du flux respiratoire),
avec une morphologie de la courbe analysant les mouvements
thoraciques et abdominaux (courbes en bleu et en jaune) en faveur
d’apnées mixtes. Ces apnées ont pour conséquence d’importants
épisodes de désaturation (courbe en rouge) et une forte
désorganisation du rythme cardiaque (courbe en noir, en bas).
désaturations (jusqu’à 75 %) [figure 4]. Le patient bénéficie
d’un appareillage par pression positive continue nocturne avec
un masque facial. La réadaptation cardiaque s’est déroulée sans
autre problème cardiologique. Les bêtabloquants sont réintroduits. La surveillance télémétrique montre une réduction
des événements rythmiques et conductifs autorisant le retour
du patient au domicile. Un mois après sa sortie, un contrôle
par holter montre la disparition de tout épisode de BAV et la
persistance de quelques brefs passages en fibrillation atriale. À
trois mois, sans aucun traitement antiarythmique autre que les
bêtabloquants, mais avec une bonne observance du traitement
par pression positive continue (avec un index d’apnée-hypopnée
à 1/h), le holter ECG ne montre plus aucun trouble du rythme
ou de la conduction. Trois mois plus tard, le patient bénéficie
d’une colectomie partielle, sans aucune complication. Il est suivi
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
Cette observation est particulièrement originale et démonstrative sur le rôle de la réadaptation cardiaque et sur les risques
rythmiques et conductifs des troubles respiratoires du sommeil.
En effet, les troubles respiratoires du sommeil (TRS) sont fréquents et souvent méconnus. Ils peuvent induire des troubles
de conduction et du rythme. Il s’agit d’une comorbidité et probablement d’un facteur de risque supplémentaire qu’il convient
parfois de traiter. La réadaptation cardiaque permet une prise
en charge globale incluant la prévention secondaire ; à ce titre,
elle devrait permettre de dépister et de traiter si besoin ces
TRS. En postopératoire de chirurgie cardiaque, si la survenue
de troubles du rythme est fréquente, les troubles de conduction
sont plus rares et nécessitent une prise en charge particulière.
Dans ce cas, la survenue exclusivement nocturne a orienté les
investigations et a motivé la réalisation d’une polygraphie du
sommeil avant même la réalisation d’une exploration électrophysiologique (cette dernière exploration n’a d’ailleurs pas été
réalisée). Par ailleurs, l’absence de chirurgie valvulaire aortique
et de troubles de conduction en postopératoire immédiat ou au
cours de l’effort a conforté notre choix.
La prévalence des troubles respiratoires du sommeil est relativement élevée en cas de maladie cardiovasculaire : elle va de 25 %
dans la fibrillation auriculaire (1) à 50 % en cas d’insuffisance
cardiaque (2). Schématiquement, on distingue deux types d’apnée : obstructive et centrale. Les apnées obstructives sont les
plus fréquemment étudiées. Elles provoquent non seulement
une hypoxie, mais également des micro-éveils et une stimulation
adrénergique responsables d’une augmentation des contraintes
intrathoraciques, d’une élévation de la pression artérielle et de
la survenue de troubles du rythme. Elles peuvent maintenant
être considérées comme un facteur de risque cardiovasculaire
indépendant. Le traitement du syndrome d’apnées obstructives
par pression positive continue réduit la morbimortalité cardiovasculaire. Les apnées centrales ou mixtes, associées souvent à
une respiration de type Cheyne-Stokes, sont le plus souvent associées à l’insuffisance cardiaque. Leur physiopathologie semble
être en rapport avec une hypersensibilité des chémorécepteurs
aux modifications de la capnie induite par l’hyperventilation.
La survenue de ces troubles respiratoires au cours du sommeil
s’accompagne d’une élévation de l’activité sympathique, d’une
augmentation de la postcharge et de la pression intraventriculaire gauche. Le traitement par ventilation adaptée des apnées
centrales dans l’insuffisance cardiaque permet d’améliorer la
qualité de vie et la fonction ventriculaire, mais n’a pas démontré
de réduction de la morbimortalité.
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C as clinique
Les conséquences rythmologiques des troubles respiratoires du
sommeil sont relativement moins connues. Toutefois, les troubles
du rythme et de la conduction induits par les TRS pourraient
expliquer, pour une part, le surrisque de mort subite nocturne
(3, 4). Dès 1983, Guilleminault et al. (5) ont montré que 48 % des
patients atteints de syndrome d’apnées du sommeil avaient des
arythmies nocturnes dont 10,7 % des troubles de conduction
sino-auriculaires et 7,7 % des troubles de la conduction auriculoventriculaires du second degré. Pour l’équipe de Lazarus et al.
(6), le mécanisme est caractérisé par une bradycardie parasympathico-dépendante (inhibée par l’atropine, probablement en
réponse à la stimulation des chémorécepteurs à l’hypoxémie)
souvent suivie de tachycardie attribuée à l’arrêt de la stimulation
vagale et à l’hypertonie sympathique. Notre cas clinique illustre
parfaitement ce type de mécanisme avec le déclenchement d’une
arythmie supraventriculaire lors du passage en BAV. Enfin, plus
récemment, les données concernant les troubles du rythme et
de la conduction issues de la Sleep Heart Health Study (7) ont
été publiées. Dans cette étude comparant les résultats de deux
populations, avec et sans TRS, les patients avec TRS ont significativement plus d’arythmies ventriculaires et supraventriculaires
que les sujets sans TRS. En revanche, il n’existe qu’une tendance
non statistiquement significative à une plus forte prévalence des
troubles de la conduction chez les sujets avec TRS. Dans toutes les
séries, les troubles de conduction décrits sont soit sino-auriculaires,
soit des BAV du premier et du second degrés (LW et Mobitz II).
Nous n’avons pas retrouvé dans la littérature de description de
BAV du troisième degré, comme dans notre cas clinique. La correction sous traitement par la ventilation mécanique des anomalies
de conduction et du rythme chez ce patient, et la notion que
les troubles de conduction sont fonctionnels en cas d’apnée du
sommeil (8) justifient l’absence d’exploration électrophysiologique
et l’inutilité d’une stimulation cardiaque permanente.
Enfin, l’équipe de Bordeaux (9) avait émis le postulat qu’une
stimulation cardiaque permanente permettrait de réduire le
nombre d’apnées. Cette alternative thérapeutique n’a cependant
pas été confirmée par d’autres équipes (10).
En conclusion, les anomalies nocturnes relevées lors du holter
ECG doivent faire évoquer le diagnostic de TRS et conduire à
des explorations complémentaires.
O
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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sleep-disordered breathing. The Sleep Heart Health Study. Am J Respir Crit Care
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for the obstructive sleep apnea-hypopnea syndrome. N Engl J Med 2005;353:
2568-77.
N o u ve l l e s d e l ’i n d u s t r i e p h a r m a ce u t i q u e
Premiers résultats
de l’enquête FAST-MI
La Société française de cardiologie annonce les premiers résultats de
l’enquête FAST-MI qu’elle a menée, soutenue par les laboratoires Pfizer et Servier et par la CNAM, évaluant la prise
en charge et le devenir de 3 000 patients
hospitalisés en France pour cause d’infarctus du myocarde (IDM) au cours
du dernier trimestre 2005 : une baisse
30
majeure de la mortalité est constatée au
cours des dix dernières années chez les
patients hospitalisés pour IDM, malgré
des circuits de prise en charge encore
imparfaits.
Après un infarctus, la mortalité relevée
des premiers jours a considérablement
baissé, passant de 8,3 % en 1995 à 6,6 %
en 2000 et à 4,3 % en 2005. Ces résultats
sont liés à l’augmentation de l’utilisation
des traitements de reperfusion destinés à
déboucher l’artère, maintenant employés
dans 60 % des cas, et aux progrès accomplis dans la prescription des médicaments
destinés à freiner l’évolution de la maladie
coronaire après l’IDM. En revanche, des
efforts restent à faire dans les circuits de
prise en charge des malades et dans l’information du public pour gagner encore
du temps dès l’apparition des premiers
symptômes.
A. Lavergne
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
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