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REVUE MÉDICALE SUISSE
Dermatologie
Happy drug survival : la clé pour assurer
une bonne réponse clinique à long terme
Dr MARAL SAHILa,b et Pr WOLF-HENNING BOEHNCKE a,b
Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 26-9
Depuis des années, l’évaluation du succès thérapeutique en
­médecine est basée sur l’efficacité et la sécurité du traitement.
Actuellement, les résultats subjectifs des patients sont de plus
en plus incorporés dans cette évaluation. Cette tendance met en
avant l’importance de l’adhésion thérapeutique des patients pour
le succès à long terme d’un traitement. Dans le domaine de la
dermatologie, à savoir, le psoriasis, les guidelines actuelles recom­
mandent déjà de baser les décisions thérapeutiques sur une com­
binaison de critères objectifs et subjectifs rapportés par les pa­
tients. Ces paramètres offrent la base du concept Happy drug
survival. Ceci met en évidence qu’une bonne qualité de vie notée
par le patient reflète le succès significatif d’un traitement, le mo­
tivant ainsi à continuer la thérapie.
Dermatology – the key to ensure a good
long term clinical response
After efficacy and safety have been used for many years to evaluate
therapies and treatment success in medicine, patient reported out­
comes are now increasingly being incorported in this process. This
trend acknowledges that patient adherence is a prerequisit for the
good long-term outcome of a treatment. In the field of dermatology,
namely for psoriasis, current guidelines already recommend to base
clinical decision-making on a combination of objective as well as
patient-reported outcomes. These parameters provide the basis for
the concept of happy drug survival, building on the belief that a
good quality of life reflects meaningful treatment success from the
patient’s point of view, motivating him to carry on with the therapy.
Introduction
Le choix de la décision thérapeutique est traditionnellement
déterminé sur l’évaluation de l’efficacité et sur la sécurité de
l’approche thérapeutique. La sécurité prend en compte les effets
secondaires rapportés par les patients, ainsi que les résultats
des analyses de laboratoire tandis que l’efficacité dépend de
l’évaluation du médecin traitant. Dès qu’il y a un consensus
sur les objectifs thérapeutiques, un système cohérent et complet existe, permettant de prendre des décisions rationnelles.
tement pour de nombreuses maladies importantes, le résultat
à long terme dans la prise en charge de ces maladies dépend
en grande partie d’une variable jusqu’ici sous-estimée, à savoir
l’adhésion thérapeutique du patient. Selon l’OMS,1 les patients
suivant exactement les instructions des médecins sont l’exception plutôt que la règle ; ceci est vrai pour toutes les spécialités médicales et indications thérapeutiques.
Concept d’adhésion thérapeutique
Les médecins sont familiers avec le concept de compliance
définie par l’atteinte des objectifs d’un traitement par les patients ayant suivi leurs recommandations. L’adhésion thérapeutique est un concept plus large qui définit comment et
combien de temps les patients prennent leurs médicaments ;
il comprend la compliance comme condition préalable pour
atteindre une cible thérapeutique (figure 1).
Le premier obstacle à l’adhésion thérapeutique est l’acceptation. Un bon exemple nous aidant à apprécier ce problème est
une étude sur près de 2000 patients atteints de maladie inflammatoire de l’intestin, dont seulement la moitié acceptent
vraiment le traitement qu’on leur propose.2 Ces derniers
pensent que le traitement est hautement efficace, et ils ont
peu de doutes. Les autres 40 % sont ambivalents, acceptant la
haute efficacité du traitement, mais tout en ayant de nombreux doutes. Les 10 % restants sont sceptiques (traitement
peu efficace, mais beaucoup de doutes), ou indifférents (traitement peu efficace, peu de doutes). En conclusion, ceci met
en évidence la difficulté d’assurer l’adhésion thérapeutique
pour la moitié des patients de cette population.
fig 1
Concept d’adhésion thérapeutique
Le terme d’adhésion thérapeutique définit comment et combien de temps
les patients prennent leurs médicaments.
Adhérence
Compliance
Persistance
La pratique quotidienne nous apprend quelque chose d’autre.
Malgré l’existence d’outils d’évaluation et d’objectifs de traia Service de dermatologie et vénéréologie, Département des spécialités de
médecine, HUG, 1211 Genève 14, b Département de pathologie et immunologie,
Initier le
traitement
Université de Genève, CMU, 1211 Genève 4
[email protected] | [email protected]
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Obtenir
l’objectif du
traitement
Maintenir
l’objectif du
traitement
Bon résultat à
long terme
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Prédicteurs de non-adhésion
thérapeutique
Tableau 1
Faible évidence
Forte évidence
•
Genre
Revenu
•Age
•Ethnie
•Personnalité
•
•
•
Crainte des effets secondaires du traitement
Connaissance de la maladie
• Coût de la thérapie
• Perception de la nécessité du traitement
• Perception de l’efficacité du médicament
Une étude de suivi sur un groupe de patients avec la maladie
de Crohn souligne la tournure dramatique des conséquences
à long terme : tandis qu’après trois mois de traitement (thioprine), plus de 90 % des participants ont déclaré avoir suivi la
thérapie (confirmé par le taux de métabolite de thioprine con­
tenu dans les érythrocytes),3 75 % ont admis ne plus être compliants après quatre ans.4
Ceci soulève la question de la possibilité d’identifier les patients
non compliants à l’avance. Contrairement aux croyances com­
munes, il n’y a qu’une faible évidence suggérant que le genre,
le revenu, l’âge ou l’ethnie soient de bons prédicteurs. Les paramètres les plus importants sont les effets secondaires, la représentation de la maladie, les coûts, la nécessité et l’efficacité
thérapeutique perçue par le patient (tableau 1).5
Point de vue du patient
Les convictions des patients sont cruciales pour l’adhérence
thérapeutique (figure 2). Ces dernières peuvent être cependant difficiles à établir en comparaison des paramètres objectifs. Les médecins ont une meilleure vision pour évaluer l’efficacité thérapeutique perçue par le patient. En dermatologie,
nous pouvons nous appuyer sur la pertinence des signes et
symptômes distincts dans le contexte d’une certaine maladie.
Par exemple, en ce qui concerne le psoriasis, le patient ressent
des troubles du sommeil liés à la maladie. Des études récentes
ont mis en évidence qu’une thérapie systémique permet non
seulement d’améliorer les mesures d’activité « objectives » du
psoriasis et de sa sévérité, mais également les troubles du
sommeil. L’amélioration de ce paramètre est associée à l’augmentation de la qualité de vie globale.6
Il a été proposé que l’évaluation objective du psoriasis est suffisamment proche des résultats subjectifs rapportés par les
fig 2
Acceptation du traitement : premier
pas vers l’adhésion thérapeutique
Celle-ci est influencée par les convictions du patient sur la nécessité et l’efficacité
du traitement.
Forte
nécessité
Acceptation
La prise du médicament est le marqueur du succès d’un traitement donné. L’objectif du médecin traitant est atteint lors­
que le traitement suivi reste inchangé, et ceci avec la conviction du patient de l’utilité du traitement. Afin de mieux refléter
le point de vue du patient, le concept de Happy Drug Survival
a été récemment introduit, permettant de combiner la compliance du patient pour son traitement simple drug survival,
avec les résultats rapportés par le patient, à savoir le DLQI.8
« La satisfaction du patient », définie par un DLQI < 5, ne montre
pas ou peu d’influence de la maladie sur la qualité de vie. Le
suivi d’une cohorte de 250 patients atteints de psoriasis, traités
avec un médicament biologique (adalimumab, étanercept ou
ustékinumab) pendant un an, a mis en évidence que le taux
d’adhésion thérapeutique était de 75 %. Au début de la thérapie,
une majorité (73 %) étaient « insatisfaits ». Cependant, après
une année, 79 % des patients suivant toujours le traitement
étaient « satisfaits » (DLQI < 5). En conclusion, « la satisfaction »
semble être un bon prédicteur de la survie du médicament.
Il est fort probable que l’efficacité objective d’un traitement
soit une des principales raisons de la satisfaction du patient,
motivant ainsi ce dernier à poursuivre son traitement au long
cours. Ceci ne peut cependant pas tout expliquer. Il est en effet
intéressant de noter que, dans cette étude, il n’y avait pas de
différence significative sur la « survie du médicament » entre
l’adalimumab et l’étanercept, bien que l’étanercept soit considéré comme étant le traitement le moins efficace du psoriasis.9
L’auteur a aussi noté une tendance vers une meilleure adhésion thérapeutique avec l’ustékinumab comparé à l’adalimumab,
sachant que les deux traitements sont tout aussi efficaces.9
Ceci suggère qu’il y a d’autres facteurs qui jouent un rôle dans
le choix de la poursuite de l’adhésion thérapeutique des patients. Un de ces facteurs peut être l’aspect pratique du traitement : l’ustékinumab étant administré seulement quatre fois
par an pendant le traitement d’entretien alors que l’adalimumab est donné toutes les deux semaines.
La notion d’inclure des résultats subjectifs, déterminés par le
patient dans la définition des objectifs du traitement a gagné
du terrain ces dernières années. En effet, on voit de plus en plus
d’exemples comprenant une évaluation subjective, notamment
dans l’arthrite psoriasiforme avec le concept « d’activité minimale de la maladie » qui comprend le HAQ (Health assessment
Scepticisme
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Concept de Happy Drug Survival
Perspectives
Ambivalence
Doute important
Indifférence
patients. Ainsi, des données objectives suffisent à évaluer cette
maladie. En effet, une bonne corrélation entre le PASI (Psoriasis
area and severity index) et le DLQI (Dermatology life quality index) a été observée. Le premier quantifie objectivement les
surfaces du corps touchées, le degré de l’érythème, les desqua­
mations et l’infiltration des lésions sur la peau. Le deuxième
est un questionnaire à remplir par le patient afin de compren­
dre à quel point la maladie affecte sa qualité de vie. Cependant, cette corrélation change au cours du temps, montrant
que l’expérience du patient et ses attentes influencent la perception de l’efficacité d’un traitement donné.7
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Nouveautés en
médecine 2015
questionnaire) en plus d’autres paramètres objectifs tels que le
nombre d’articulations douloureuses, ou le nombre d’articulations enflées ;10 on retrouve en outre, comme autre exemple
dans le psoriasis, la combinaison du PASI et du DLQI.11
Un aspect négatif du DLQI est le fait qu’il ne prend pas en
compte les convictions du patient ou ses préférences par rapport à son traitement. Comme cité auparavant, les convictions
du patient sont parfois difficiles à prendre en considération.
Cela devrait faire partie de n’importe quelle discussion entre
un patient et son médecin traitant. Essayer d’analyser ces pro­
blèmes par des questionnaires n’est pas toujours utile. Toutefois, comprendre les préférences individuelles du patient peut
être facilité par l’utilisation de questionnaires. Dans le con­
texte du psoriasis, l’Index de bénéfice du patient (PBI : Patient
Benefit Index) considère en priorité les objectifs des patients
eux-mêmes ; ceci démontre ce qui doit être considéré dans les
objectifs thérapeutiques futurs. Les convictions des patients
sont sélectionnées dans une liste d’items identifiés lors d’interviews.12 Actuellement, de nombreux projets internationaux
sont sur le point de mieux comprendre les perspectives du
patient sur les aspects liés à sa maladie ainsi qu’à ses thérapies.
Une meilleure adhésion thérapeutique est obtenue en intégrant
les convictions subjectives des patients aux constatations objectives des médecins.
1 WHO 2003. Adherence to long-term
therapies. www.who.int / chp / knowledge /
publications/adherence_report / en
2Horne R, Parham R, Driscoll R, et al.
Patients’ attitudes to medicines and adherence to maintenance treatment in inflammatory bowel disease. Inflamm Bowel
Dis 2009;15:837-44.
3 Bokemeyer B, Teml A, Roggel C, et al.
Adherence to thiopurine treatment in outpatients with Crohn’s disease. Aliment
Pharmacol Ther 2007;26:217-25.
4 Mantzaris GJ, Roussos A, Kalantzis C,
et al. How adherent to treatment with
azathioprine are patients with Crohn’s
disease in long-term remission ? Inflamm
Bowel Dis 2007;13:446-50.
5 * McHorney CA, Spain CV. Frequency
of and reasons for medication non-fulfillment and non-persistence among American
adults with chronic disease in 2008. Health
Expect 2011;14:307-20.
6Thaci D, Galimberti R, Amaya-Guerra M,
et al. Improvement in aspects of sleep with
etanercept and optional adjuntive topical
therapy in patients with moderate-to-severe psoriasis : Results from the PRISTINE
trial. JEADV 2014;28:900-6.
7 ** Poulin Y, Sheth P, Gu Y, et al. Healthrelated quality of life worsens dispropor-
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En conclusion, l’introduction de médicaments toujours plus
innovateurs et chers n’est pas le seul moyen d’obtenir une
meilleure médecine.
Conflits d’intérêt : Le Dr Maral Sahil n'a déclaré aucun conflit d'intérêts en relation
avec cet article. Le Pr Wolf-Henning Boehncke a reçu des honoraires comme
orateur et / ou conseiller par les entreprises suivantes : Abbvie, Pfizer et Janssen.
Implications pratiques
L’adhésion thérapeutique du patient est un prérequis pour un
bon résultat à long terme
Les médecins doivent comprendre la perception qu’ont les
patients de leur maladie et des traitements proposés, ceci permettant de donner de meilleures explications au patient sur son traitement, facilitant sa compliance thérapeutique
L’évaluation globale du succès d’un traitement est basée sur
des mesures objectives, associées aux résultats subjectifs
rapportés par le patient. Dans le domaine du psoriasis, le PASI
(Psoriasis area and severity index) pourrait être utilisé en
combinaison avec le DLQI (Dermatology life quality index)
Happy Drug Survival signifie qu’une bonne adhésion thérapeutique basée sur une bonne qualité de vie permettrait d’obtenir un
bon résultat clinique sur le long terme
tionately to objective signs of psoriasis
after withdrawal of adalimumab therapy.
Dermatol Ther (Heidelb) 2014;4:33-42.
8 * van den Reek JMPA, Zweegers J, Kievit
W, et al. « Happy » drug survival of adalimumab, etanercept and ustekinumab in
psoriasis in daily practise care : Results from
the BioCAPTURE network. Br J Dermatol
2014;171:1189-96.
9Nast A, Boehncke WH, Mrowietz U, et
al. S3-Leitlinie zur Therapie der Psoriasis
vulagaris. Update 2011. JDDG 2011;9
(Suppl. 2):S1-104.
10Coates LC. Treating to target in psoriatic
arthritis. Curr Opin Rheumatol 2015;27:
107-10.
11 Mrowietz U, Kragballe K, Reich K, et al.
Definition of treatment goals for moderate
to severe psoriasis : A European consensus.
Arch Dermatol Res 2011;303:1-10.
12Radtke MA, Schäfer I, Blome C, et al.
Patient benefit index (PBI) in the treatment
of psoriasis – results of the National Care
Study « PsoHealth ». Eur J Dermatol 2013;
23:212-7.
* à lire
**à lire absolument
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