ÉDITORIAL
Quels enseignements tirer de cette histoire de la découverte de
H. pylori ?
–Les dogmes scientifiques peuvent être stérilisants. C’est grâce
à son esprit libre et novateur que Marshall s’est obstiné pour faire
triompher ses idées. Dès le début, il a vu cette association entre
l’infection à H. pylori et la pathologie digestive haute ulcéreuse
et cancéreuse. En contactant les investigateurs des épidémies de
gastrite hypochlorhydrique publiées dans le passé, il a pu relier
celles-ci à l’infection aiguë à H. pyloriet définir le syndrome aigu
de l’infection à H. pylori.
–L’aphorisme de Schwartz, “pas d’acide, pas d’ulcère”,est tou-
jours vrai, mais cette assertion doit être complétée par “pas d’acide,
pas d’Helicobacter pylori,pas de maladie ulcéreuse”. On peut
maintenant distinguer deux grandes causes d’ulcère : l’infection
à H. pylori,responsable de la maladie ulcéreuse gastroduodénale
à rechute, et les médicaments (AINS et aspirine), responsables
d’ulcères aigus. Si l’infection aiguë à H. pylori induit une hypo-
chlorhydrie passagère passant le plus souvent inaperçue, l’infec-
tion chronique induit une hypergastrinémie souvent associée à
une hypersécrétion acide. Les différentes théories pathogéniques
peuvent donc être intégrées. La gastrite antrale isolée en relation
avec H. pylori aboutit à une hypersécrétion acide, à une méta-
plasie gastrique du bulbe duodénal, secondairement colonisée par
H. pylori,et ultérieurement à l’ulcère duodénal. Il n’y a pas de risque
de cancer. Si la gastrite liée à H. pylori est diffuse, en raison de
facteurs liés à l’hôte et/ou à la souche bactérienne, une hypochlorhy-
drie survient généralement. Le risque est alors celui du dévelop-
pement d’un ulcère gastrique et ultérieurement d’une dysplasie
aboutissant à l’adénocarcinome de l’estomac. On voit donc le rôle
fondamental de l’interaction bactérie-hôte, les lésions histologiques
pouvant être très diverses et de gravité variable.
–On ne trouve que ce que l’on cherche, et des milliers d’anatomo-
pathologistes ont vu H. pylori dans l’optique de leur microscope,
avec une simple coloration standard, sans y attacher d’importance.
La bactérie doit être recherchée à la surface de l’épithélium, dans
le mucus, et, en cas d’ulcère duodénal, les bactéries sont extrême-
ment nombreuses et aisées à voir !
–L’estomac est un milieu stérile en raison de l’acidité intense
(pH 1,5 pendant la nuit). Cette assertion est vraie, sauf pour H. pylori,
qui parvient à survivre 30 minutes en milieu acide et qui va pou-
voir coloniser l’estomac en se protégeant. Ses moyens de protec-
tion comportent essentiellement la production d’ammoniaque grâce
à une uréase très puissante et le caractère très mobile de la bactérie
grâce à ses flagelles qui lui permettent de s’enfoncer dans le mucus
de l’épithélium et de se protéger de l’acidité. La bactérie nécessite
cependant un milieu acide pour survivre et, en cas de traitement
antisécrétoire, on observe fréquemment la migration des bactéries
de l’antre vers le corps gastrique. La découverte de l’activité uréa-
sique de H. pylori a permis de rendre évidente l’origine de l’acti-
vité uréasique de l’estomac, connue depuis le début du XXesiècle.
Cette activité uréasique est à la base des tests de diagnostic rapide
de l’infection à H. pylorisur biopsies et des tests respiratoires non
invasifs utilisant l’urée marquée au 13C.
–Le rôle de H. pyloridans cette gastrite a fait l’objet d’une publi-
cation en 1983, et les conséquences de l’éradication bactérienne
sur l’histoire naturelle de la maladie ulcéreuse en 1988, mais les
modifications des habitudes thérapeutiques ont été beaucoup plus
lentes. Au cours des années 1980, la maladie ulcéreuse avait été
considérée comme une maladie chronique nécessitant un traitement
au long cours comme l’HTA ou le diabète. Il avait été démontré que
la prise quotidienne d’un antisécrétoire (anti-H2 essentiellement)
permettait de diminuer le taux de récidives symptomatiques pen-
dant les années de traitement, et la conséquence logique était un
traitement d’entretien, si possible à vie. L’histoire naturelle de la
maladie n’était cependant pas modifiée, puisque, en cas d’arrêt de
la thérapeutique, les récidives survenaient dans les mois suivants,
cette stratégie thérapeutique au long cours faisant le bonheur des
laboratoires commercialisant les anti-H2. Passer d’un traitement
au long cours, voire à vie, à un traitement de 1 à 2 semaines, et
d’une maladie acidodépendante à une maladie infectieuse, repré-
sentait un changement conceptuel considérable, et les laboratoires
bénéficiaires du concept du traitement d’entretien n’ont certaine-
ment pas œuvré à ce changement ! En France, la tenue d’une confé-
rence de consensus intitulée “Ulcères et gastrites à l’heure de Heli-
cobacter pylori”, sous l’égide de la Société nationale française de
gastroentérologie et de l’ANDEM (actuel ANAES), en 1995, allait
puissamment contribuer à bouleverser les habitudes thérapeutiques
et faire admettre l’éradication de H. pylori comme traitement de
référence de la maladie ulcéreuse. Ce traitement par éradication
n’est cependant logique qu’en raison du faible taux de réinfection
chez l’adulte. H. pyloris’implante chez l’enfant dès les toutes pre-
mières années de vie, et l’infection survient rarement à l’âge adulte
(Marshall avait dû prendre un antisécrétoire pour réussir à s’in-
fecter !). Une éradication réussie de H. pylori débarrasse le malade
ulcéreux de sa maladie pour le restant de sa vie. En revanche,
comme toutes les bactéries, H. pylori développe des résistances à
nos traitements antibiotiques, particulièrement à la clarithromy-
cine, ce qui explique le taux d’échec d’environ 30 % rencontré après
le traitement initial de 7 jours associant inhibiteur de la pompe à
protons et deux antibiotiques.
Cette belle histoire de H. pylori nous rappelle donc que la chance
sourit aux audacieux et qu’il faut savoir persévérer. Warren, inter-
rogé sur le fait de savoir si cette découverte était le triomphe du
génie, d’un travail intensif ou de la chance, a répondu modes-
tement qu’il s’agissait d’un “heureux hasard” (serendipity) [1].
Dans le cas de Marshall, un travail scientifique effectué pendant
son internat a débouché sur l’attribution d’un prix Nobel, 22 ans
plus tard.
À noter : on peut avoir un prix Nobel avec un nombre limité de
publications (78 références pour Marshall sur Pub Med au
23 octobre 2005).
Un grand merci à Marshall et à Warren, qui ont transformé la vie
de millions d’ulcéreux. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. 10 questions for Robin Warren. Time;17 octobre 2005:p. 18.
2. Marshall BJ, Warren JR. Unidentified curved bacilli in the stomach of
patients with gastritis and peptic ulceration. Lancet 1984;16:1311-5.
3. Marshall BJ, Armstrong JA, McGechie DB, Glancy RJ. Attempt to fulfil
Koch’s postulates for pyloric campylobacter. Med J Aust 1985;142:436-9.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005
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