Prix Nobel de médecine 2005, un espoir pour tous les internes !

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Prix Nobel de médecine 2005,
un espoir pour tous les internes !
● M.A. Bigard*
e prix Nobel de médecine et de physiologie a été attribué
le lundi 30 octobre 2005 à deux chercheurs australiens,
Barry Marshall (né en 1951) et Robin Warren (né en 1937),
pour la découverte de Helicobacter pylori et la mise en évidence
de son rôle dans la gastrite et la maladie ulcéreuse.
L’histoire de cette découverte montre qu’il est quelquefois indispensable de savoir remettre en cause les dogmes scientifiques les
mieux établis et que le prix Nobel n’est pas réservé à des chercheurs
issus de grands et puissants laboratoires, mais qu’il peut être attribué à un tandem formé d’un interne en médecine et d’un anatomopathologiste “de terrain”.
L’estomac était en effet considéré au début des années 1980 comme
un milieu stérile, en raison du pH très bas qui y règne, censé tuer
toutes les bactéries. Des observations très anciennes (fin du XIXe siècle,
début du XXe siècle) avaient pourtant rapporté la présence incidente
de bactéries spiralées dans l’estomac de chiens, de rats, de chats
puis d’hommes atteints de cancer gastrique ou d’ulcère gastrique.
Dans les années 1930, la présence de bactéries spiralées était retrouvée dans 40 % des pièces en cas de cancer ou d’ulcère. Les travaux
sur ces bactéries allaient être stoppés après une publication de
Palmer en 1954. Cet auteur américain, “pape” de la gastroscopie
semi-rigide de l’époque, était amené après l’examen de 1 000 biopsies gastriques à conclure à l’absence de bactéries spiralées du genre
spirochète dans l’estomac humain.
Dans les années 1960 et 1970, les bactériologistes ne parvenaient
pas à cultiver des bactéries d’origine gastrique et ne faisaient pas
d’examens au microscope de la muqueuse gastrique. En 1974, Steer
et Colin Jones observaient une bactérie associée à une gastrite diffuse
dans 80 % des cas d’estomac réséqué pour ulcère gastrique. Ces travaux étaient ignorés, et c’est l’esprit frais que Marshall entre en scène
à Perth, en 1981. En seconde année de spécialisation en médecine
interne, Marshall, qui effectuait un stage en gastroentérologie, devait
réaliser un travail de recherche clinique. Son chef de service lui
conseille alors, plutôt comme une blague, de contacter Warren (le
“cinglé du rez-de-chaussée”) (1). Cet anatomopathologiste avait fait
de la microbiologie pendant sa formation et s’intéressait beaucoup
aux bactéries de l’estomac. Il avait observé, après coloration argentique, des bactéries spiralées dans l’estomac de sujets présentant une
gastrite chronique active. Tout le monde pensait que ces bactéries
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* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU de Nancy.
étaient mortes ou sans signification clinique. Marshall reprend 25 dossiers, mais ne trouve pas de corrélation entre les diagnostics cliniques
et la présence de la bactérie. Les tableaux cliniques allaient de l’ulcère à la dyspepsie fonctionnelle avec endoscopie normale.
Les deux chercheurs entreprenaient alors l’étude de 100 patients
consécutifs devant bénéficier d’une endoscopie. En plus de l’étude
anatomopathologique, Warren et Marshall entreprenaient de cultiver ces bactéries, qu’ils estimaient voisines des campylobacters
(campylobacter-like organisms ou CLO). Après échec de culture
de la bactérie sur 30 échantillons, celle-ci fut finalement obtenue
– en partie du fait du hasard – à l’issue du long week-end de
Pâques 1982. En effet, les boîtes de Pétri furent conservées 5 jours
au lieu d’être jetées au bout de 3 jours. S’il n’y avait pas de corrélation évidente avec les signes cliniques, la corrélation entre présence de la bactérie et gastrite était remarquable. Les patients non
infectés avaient une muqueuse normale alors que les sujets infectés
avaient presque toujours une gastrite. La bactérie était retrouvée
dans tous les cas d’ulcère duodénal, et dans 80 % des cas d’ulcère
gastrique. Un résumé envoyé à la Société australienne de gastroentérologie en janvier 1983 était refusé, et les résultats étaient présentés à un workshop international sur les campylobacters en septembre 1983, à Bruxelles. La première publication était une lettre
au Lancet en août 1983, suivie d’un article dans le même journal
en 1984 (2). Au cours des années suivantes, deux camps allaient
s’opposer : ceux qui y croyaient et les autres. Pour satisfaire le quatrième postulat de Koch sur les conditions à remplir pour considérer
une maladie comme infectieuse, Marshall, en 1984, absorbait une
suspension de H. pylori (3) [Warren était déjà infecté !]. Un syndrome dyspeptique aigu s’ensuivait, avec apparition d’une gastrite
aiguë sur les biopsies effectuées au 10e jour. Les bactéries observées
sur les biopsies étaient cultivées. Le tableau clinique s’amendait
et les biopsies s’amélioraient après prise de tinidazole. En 1988, la
démonstration que l’éradication de la bactérie faisait chuter de façon
très importante le taux de récidive de l’ulcère duodénal apportait
des éléments extrêmement forts pour la responsabilité de cette bactérie dans la maladie ulcéreuse (les arguments n’empêchaient pas
un spécialiste de la maladie ulcéreuse de qualifier H. pylori de
bactérie “commensale” de l’estomac en 1996 !). Le rôle majeur
de l’infection à H. pylori dans la carcinogenèse gastrique allait
ensuite être prouvé grâce à des études cas-témoins menées au sein
de cohortes prospectives.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005
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Quels enseignements tirer de cette histoire de la découverte de
H. pylori ?
– Les dogmes scientifiques peuvent être stérilisants. C’est grâce
à son esprit libre et novateur que Marshall s’est obstiné pour faire
triompher ses idées. Dès le début, il a vu cette association entre
l’infection à H. pylori et la pathologie digestive haute ulcéreuse
et cancéreuse. En contactant les investigateurs des épidémies de
gastrite hypochlorhydrique publiées dans le passé, il a pu relier
celles-ci à l’infection aiguë à H. pylori et définir le syndrome aigu
de l’infection à H. pylori.
– L’aphorisme de Schwartz, “pas d’acide, pas d’ulcère”, est toujours vrai, mais cette assertion doit être complétée par “pas d’acide,
pas d’Helicobacter pylori, pas de maladie ulcéreuse”. On peut
maintenant distinguer deux grandes causes d’ulcère : l’infection
à H. pylori, responsable de la maladie ulcéreuse gastroduodénale
à rechute, et les médicaments (AINS et aspirine), responsables
d’ulcères aigus. Si l’infection aiguë à H. pylori induit une hypochlorhydrie passagère passant le plus souvent inaperçue, l’infection chronique induit une hypergastrinémie souvent associée à
une hypersécrétion acide. Les différentes théories pathogéniques
peuvent donc être intégrées. La gastrite antrale isolée en relation
avec H. pylori aboutit à une hypersécrétion acide, à une métaplasie gastrique du bulbe duodénal, secondairement colonisée par
H. pylori, et ultérieurement à l’ulcère duodénal. Il n’y a pas de risque
de cancer. Si la gastrite liée à H. pylori est diffuse, en raison de
facteurs liés à l’hôte et/ou à la souche bactérienne, une hypochlorhydrie survient généralement. Le risque est alors celui du développement d’un ulcère gastrique et ultérieurement d’une dysplasie
aboutissant à l’adénocarcinome de l’estomac. On voit donc le rôle
fondamental de l’interaction bactérie-hôte, les lésions histologiques
pouvant être très diverses et de gravité variable.
– On ne trouve que ce que l’on cherche, et des milliers d’anatomopathologistes ont vu H. pylori dans l’optique de leur microscope,
avec une simple coloration standard, sans y attacher d’importance.
La bactérie doit être recherchée à la surface de l’épithélium, dans
le mucus, et, en cas d’ulcère duodénal, les bactéries sont extrêmement nombreuses et aisées à voir !
– L’estomac est un milieu stérile en raison de l’acidité intense
(pH 1,5 pendant la nuit). Cette assertion est vraie, sauf pour H. pylori,
qui parvient à survivre 30 minutes en milieu acide et qui va pouvoir coloniser l’estomac en se protégeant. Ses moyens de protection comportent essentiellement la production d’ammoniaque grâce
à une uréase très puissante et le caractère très mobile de la bactérie
grâce à ses flagelles qui lui permettent de s’enfoncer dans le mucus
de l’épithélium et de se protéger de l’acidité. La bactérie nécessite
cependant un milieu acide pour survivre et, en cas de traitement
antisécrétoire, on observe fréquemment la migration des bactéries
de l’antre vers le corps gastrique. La découverte de l’activité uréasique de H. pylori a permis de rendre évidente l’origine de l’activité uréasique de l’estomac, connue depuis le début du XXe siècle.
Cette activité uréasique est à la base des tests de diagnostic rapide
de l’infection à H. pylori sur biopsies et des tests respiratoires non
invasifs utilisant l’urée marquée au 13C.
– Le rôle de H. pylori dans cette gastrite a fait l’objet d’une publication en 1983, et les conséquences de l’éradication bactérienne
sur l’histoire naturelle de la maladie ulcéreuse en 1988, mais les
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modifications des habitudes thérapeutiques ont été beaucoup plus
lentes. Au cours des années 1980, la maladie ulcéreuse avait été
considérée comme une maladie chronique nécessitant un traitement
au long cours comme l’HTA ou le diabète. Il avait été démontré que
la prise quotidienne d’un antisécrétoire (anti-H2 essentiellement)
permettait de diminuer le taux de récidives symptomatiques pendant les années de traitement, et la conséquence logique était un
traitement d’entretien, si possible à vie. L’histoire naturelle de la
maladie n’était cependant pas modifiée, puisque, en cas d’arrêt de
la thérapeutique, les récidives survenaient dans les mois suivants,
cette stratégie thérapeutique au long cours faisant le bonheur des
laboratoires commercialisant les anti-H2. Passer d’un traitement
au long cours, voire à vie, à un traitement de 1 à 2 semaines, et
d’une maladie acidodépendante à une maladie infectieuse, représentait un changement conceptuel considérable, et les laboratoires
bénéficiaires du concept du traitement d’entretien n’ont certainement pas œuvré à ce changement ! En France, la tenue d’une conférence de consensus intitulée “Ulcères et gastrites à l’heure de Helicobacter pylori”, sous l’égide de la Société nationale française de
gastroentérologie et de l’ANDEM (actuel ANAES), en 1995, allait
puissamment contribuer à bouleverser les habitudes thérapeutiques
et faire admettre l’éradication de H. pylori comme traitement de
référence de la maladie ulcéreuse. Ce traitement par éradication
n’est cependant logique qu’en raison du faible taux de réinfection
chez l’adulte. H. pylori s’implante chez l’enfant dès les toutes premières années de vie, et l’infection survient rarement à l’âge adulte
(Marshall avait dû prendre un antisécrétoire pour réussir à s’infecter !). Une éradication réussie de H. pylori débarrasse le malade
ulcéreux de sa maladie pour le restant de sa vie. En revanche,
comme toutes les bactéries, H. pylori développe des résistances à
nos traitements antibiotiques, particulièrement à la clarithromycine, ce qui explique le taux d’échec d’environ 30 % rencontré après
le traitement initial de 7 jours associant inhibiteur de la pompe à
protons et deux antibiotiques.
Cette belle histoire de H. pylori nous rappelle donc que la chance
sourit aux audacieux et qu’il faut savoir persévérer. Warren, interrogé sur le fait de savoir si cette découverte était le triomphe du
génie, d’un travail intensif ou de la chance, a répondu modestement qu’il s’agissait d’un “heureux hasard” (serendipity) [1].
Dans le cas de Marshall, un travail scientifique effectué pendant
son internat a débouché sur l’attribution d’un prix Nobel, 22 ans
plus tard.
À noter : on peut avoir un prix Nobel avec un nombre limité de
publications (78 références pour Marshall sur Pub Med au
23 octobre 2005).
Un grand merci à Marshall et à Warren, qui ont transformé la vie
de millions d’ulcéreux.
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10 questions for Robin Warren. Time;17 octobre 2005:p. 18.
Marshall BJ, Warren JR. Unidentified curved bacilli in the stomach of
patients with gastritis and peptic ulceration. Lancet 1984;16:1311-5.
3. Marshall BJ, Armstrong JA, McGechie DB, Glancy RJ. Attempt to fulfil
Koch’s postulates for pyloric campylobacter. Med J Aust 1985;142:436-9.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005
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