Journal Identification = IPE Article Identification = 1174 Date: March 14, 2014 Time: 1:44 pm
S. Zygart
La notion de handicap, telle qu’elle est conc¸ue d’un point
de vue médical et médicolégal, est basée sur une approche
fonctionnelle des existences. Ce type d’approche est celle
que promeut la notion de handicap psychique pour l’analyse
et le traitement des troubles mentaux. On peut la caractériser
par trois traits principaux. Est affirmée d’abord la possibilité
d’une distinction stricte entre ce qui revient aux individus
et ce qui revient à leur environnement, social ou autre, pour
répartir les différents facteurs des pathologies et mettre en
place, à partir de là, les remédiations les plus efficaces. Sont
définies ensuite dans les handicaps, psychiques ou non, des
capacités séparables les unes des autres et clairement déli-
mitées, qui permettent de circonscrire par contraste autant
d’incapacités précises et de juger de leur gravité. Est enfin
requise une base biologique des pathologies, afin que toute
incapacité ne puisse pas rentrer dans le champ du handi-
cap et que celui-ci reste avant tout une notion médicale.
Il existe une identification nette des facteurs de troubles,
du type de trouble et de l’origine biologique des troubles :
ces trois axes sont constitutifs de toute analyse en termes
de handicap, depuis les propositions de Wood en 1980 [7],
et doivent servir de guide à toute évaluation de l’idée de
handicap psychique.
Il n’est pas sûr que ces trois axes soient appropriés
au diagnostic et au traitement des maladies mentales. Le
découpage de l’individuel et du social, la caractérisation de
capacités séparables les unes des autres et la présence avérée
d’étiologies biologiques semblent être délicats, pour ne pas
dire impossibles à faire en psychiatrie, à moins d’amputer,
parfois caricaturalement, notre vie mentale d’une part de
ses processus et manifestations. C’est ce que nous montre-
rons au travers de l’exemple de la conscience de soi et des
relations avec autrui, tel qu’il est analysé dans la dernière
classification internationale en date pour les handicaps,
la CIF (classification internationale du fonctionnement,
du handicap et de la santé) [5], promulguée en 2001 par
l’OMS.
Les approches des maladies mentales en termes de han-
dicap psychique n’auraient ainsi qu’une validité limitée,
dont on peut penser qu’elle est, à l’heure actuelle, plus
théorique que pratique, et qu’elle est plus justifiée par ce
qu’elle nous permet de faire que par ce que nous savons.
Quelles que soient les difficultés théoriques en effet, le
handicap psychique a l’incontestable avantage de démys-
tifier les maladies mentales auprès des malades et de leurs
proches, et de permettre la mise au point d’une prise en
charge quotidienne, pragmatique et individualisée des per-
sonnes souffrantes. On le verra, dans un second temps, au
travers d’un outil d’évaluation et de remédiation au handi-
cap, le PPH (processus de production du handicap, élaboré
au Québec) [3] qui, couplé avec la CIF, sert actuellement
de matrice aux principales méthodes d’évaluation des han-
dicaps psychique (le G-MAP, grille de mesure de l’activité
et de la participation, et l’EPHP, échelle d’évaluation des
processus du handicap psychique).
Cependant, et ce sera le dernier aspect que nous aborde-
rons ici, même sur ce plan pratique, la notion de handicap
psychique n’est pas dénuée d’inconvénients et même de
dangers. Une analyse en termes de handicap implique de
dégager des constantes et de se tourner vers l’activité et la
participation sociale des malades jugées en termes de réus-
site ou d’échec, suivant en cela les critères des invalidités
physiques qui furent à l’origine de la notion de handicap.
Dès lors, agir avec les personnes atteintes de troubles men-
taux par le prisme du handicap, au nom de ce qu’elles sont
et de leurs performances sociales, pourrait nous faire négli-
ger d’autres formes de soin, d’action et de réflexion, et
perdre de vue certaines formes de souffrances ou de conflits
thérapeutiques spécifiques aux troubles mentaux. Certaines
impossibilités ou volontés irréalistes des malades peuvent
en effet être considérées comme résiduelles ou accessoires
par rapport à tout ce qu’il est possible de faire, désormais,
avec une pathologie mentale, même lourde. Mais il se pour-
rait qu’au travers de la prise en compte de ces souffrances et
insatisfactions se jouent les modes de vie et les libertés que
nous accordons aux malades mentaux, ainsi que la manière
dont nous concevons, pour nous, nos modes de vie et notre
liberté.
Partons d’abord d’un exemple tiré de la CIF, celui de la
conscience de soi et des rapports avec autrui. Il en est initia-
lement question au travers de « l’expérience de soi-même
et les fonctions du temps » [5, p 47] : la conscience de soi
n’appartient ainsi qu’à l’individu, puisque cette expérience
n’est citée que dans le chapitre I des fonctions, consacré au
cerveau. Les relations avec autrui apparaissent quant à elles
au chapitre VII des activités qu’il est souhaitable que nous
puissions mener à bien, et valent même comme « activités
et tâches nécessaires » dont il faut s’interroger sur la réus-
site ou l’échec [5, p. 126 et sq.]. On retrouve ces relations à
autrui au chapitre III des facteurs environnementaux, inti-
tulé « soutiens et relations », où il est expliqué que « le
facteur environnemental décrit dans ce chapitre n’est pas la
personne ou l’animal considéré, mais représente la quantité
de soutien physique et affectif qui est fourni » [5, p. 148].
Ce cas est exemplaire des grilles d’analyse en matière
de handicap. La CIF pose un soi isolé et cérébral fixé,
séparable de ses déterminations environnementales et bio-
logiquement indexé. Les relations avec autrui sont conc¸ues
comme des activités sociales réussies ou ratées. Autrui,
enfin, est considéré comme un élément environnemental
parmi d’autres, parfaitement extérieur à la conscience, de
telle sorte qu’il puisse y être jugé comme un objet utili-
taire, secours ou obstacle. Même dans ce cas où, plus que
jamais, la miction entre soi et son entourage, la singularité
affective des relations, la différence entre autrui et un objet
de l’environnement semblent incontournables, les catégo-
ries du handicap introduisent des divisions et des jugements
binaires sur les processus à l’œuvre.
Il y a dans le handicap un ensemble d’ambitions qui
ne semble pas pouvoir être satisfait dans le domaine du
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