L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 177–81 HANDICAP PSYCHIQUE NO 1 La notion de handicap psychique : continuités, possibilités, dangers Stéphane Zygart Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. RÉSUMÉ La notion de handicap psychique repose sur une approche fonctionnelle, qui est celle des handicaps en général : les classifications des handicaps supposent une division nette entre les individus et les environnements, la distinction de capacités précises, et des rapports simples entre le social et le vital. Cette approche n’est pas adaptée à la complexité des maladies mentales. Enrichie de la prise en compte des habitudes des patients, elle permet certes de démystifier les folies et de les soigner au quotidien. Mais elle risque de réduire, en négligeant la question de leur signification, la liberté des malades mentaux et la nôtre, et de négliger l’importance du conflit dans nos relations, thérapeutiques ou autres, avec eux. Mots clés : handicap psychique, nosologie, pathologie psychiatrique ABSTRACT The notion of psychological disability: continuities, possibilities, hazards. The concept of psychological disability is built on a functional approach, which is the one of disabilities in general: i.e. the classifications of disabilities need a sharp division between individuals and their environment, the distinction of precise abilities, and simple relationships between the social and the vital. This approach does not fit into the complexity of mental diseases. Enriched with the behaviour of patients, it can indeed become demystifying about madness, and make us able to cure these patients in everyday life. By neglecting the question of their meaning the risk is to reduce the freedom of mentally ill individuals and to neglect the importance of conflicts in our relationships, therapeutic or otherwise. Key words: psychological disability, nosology, psychiatric pathology RESUMEN La noción de deficiencia psíquica: continuidades, posibilidades, peligros. La noción de deficiencia psíquica descansa en un enfoque funcional, el de las deficiencias en general: las clasificaciones de las deficiencias suponen una división clara entre los individuos y los entornos, la distinción de las capacidades precisas, y de las relaciones sencillas entre lo social y lo vital. Este enfoque no está adaptado a la complejidad de las enfermedades mentales. Enriquecida al incluir los hábitos de los pacientes, permite por cierto desmistificar las locuras y atenderlas a nivel cotidiano. Pero encierra el riesgo de reducir, al descuidar la cuestión de su significado, la libertad de los enfermos mentales y la nuestra, y descuidar la importancia del conflicto en nuestras relaciones, terapéuticas un otras, con ellos. doi:10.1684/ipe.2014.1174 Palabras claves : deficiencia psíquica, nosología, patología psiquiátrica Doctorant contractuel en philosophie, allocataire moniteur de recherche, UMR STL, Lille 3, 3, rue du Barreau, 59650 Villeneuve-d’Ascq, France <[email protected]> Tirés à part : S. Zygart L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 3 - MARS 2014 177 Pour citer cet article : Zygart S. La notion de handicap psychique : continuités, possibilités, dangers. L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 177-81 doi:10.1684/ipe.2014.1174 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. S. Zygart La notion de handicap, telle qu’elle est conçue d’un point de vue médical et médicolégal, est basée sur une approche fonctionnelle des existences. Ce type d’approche est celle que promeut la notion de handicap psychique pour l’analyse et le traitement des troubles mentaux. On peut la caractériser par trois traits principaux. Est affirmée d’abord la possibilité d’une distinction stricte entre ce qui revient aux individus et ce qui revient à leur environnement, social ou autre, pour répartir les différents facteurs des pathologies et mettre en place, à partir de là, les remédiations les plus efficaces. Sont définies ensuite dans les handicaps, psychiques ou non, des capacités séparables les unes des autres et clairement délimitées, qui permettent de circonscrire par contraste autant d’incapacités précises et de juger de leur gravité. Est enfin requise une base biologique des pathologies, afin que toute incapacité ne puisse pas rentrer dans le champ du handicap et que celui-ci reste avant tout une notion médicale. Il existe une identification nette des facteurs de troubles, du type de trouble et de l’origine biologique des troubles : ces trois axes sont constitutifs de toute analyse en termes de handicap, depuis les propositions de Wood en 1980 [7], et doivent servir de guide à toute évaluation de l’idée de handicap psychique. Il n’est pas sûr que ces trois axes soient appropriés au diagnostic et au traitement des maladies mentales. Le découpage de l’individuel et du social, la caractérisation de capacités séparables les unes des autres et la présence avérée d’étiologies biologiques semblent être délicats, pour ne pas dire impossibles à faire en psychiatrie, à moins d’amputer, parfois caricaturalement, notre vie mentale d’une part de ses processus et manifestations. C’est ce que nous montrerons au travers de l’exemple de la conscience de soi et des relations avec autrui, tel qu’il est analysé dans la dernière classification internationale en date pour les handicaps, la CIF (classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé) [5], promulguée en 2001 par l’OMS. Les approches des maladies mentales en termes de handicap psychique n’auraient ainsi qu’une validité limitée, dont on peut penser qu’elle est, à l’heure actuelle, plus théorique que pratique, et qu’elle est plus justifiée par ce qu’elle nous permet de faire que par ce que nous savons. Quelles que soient les difficultés théoriques en effet, le handicap psychique a l’incontestable avantage de démystifier les maladies mentales auprès des malades et de leurs proches, et de permettre la mise au point d’une prise en charge quotidienne, pragmatique et individualisée des personnes souffrantes. On le verra, dans un second temps, au travers d’un outil d’évaluation et de remédiation au handicap, le PPH (processus de production du handicap, élaboré au Québec) [3] qui, couplé avec la CIF, sert actuellement de matrice aux principales méthodes d’évaluation des handicaps psychique (le G-MAP, grille de mesure de l’activité et de la participation, et l’EPHP, échelle d’évaluation des processus du handicap psychique). 178 Cependant, et ce sera le dernier aspect que nous aborderons ici, même sur ce plan pratique, la notion de handicap psychique n’est pas dénuée d’inconvénients et même de dangers. Une analyse en termes de handicap implique de dégager des constantes et de se tourner vers l’activité et la participation sociale des malades jugées en termes de réussite ou d’échec, suivant en cela les critères des invalidités physiques qui furent à l’origine de la notion de handicap. Dès lors, agir avec les personnes atteintes de troubles mentaux par le prisme du handicap, au nom de ce qu’elles sont et de leurs performances sociales, pourrait nous faire négliger d’autres formes de soin, d’action et de réflexion, et perdre de vue certaines formes de souffrances ou de conflits thérapeutiques spécifiques aux troubles mentaux. Certaines impossibilités ou volontés irréalistes des malades peuvent en effet être considérées comme résiduelles ou accessoires par rapport à tout ce qu’il est possible de faire, désormais, avec une pathologie mentale, même lourde. Mais il se pourrait qu’au travers de la prise en compte de ces souffrances et insatisfactions se jouent les modes de vie et les libertés que nous accordons aux malades mentaux, ainsi que la manière dont nous concevons, pour nous, nos modes de vie et notre liberté. Partons d’abord d’un exemple tiré de la CIF, celui de la conscience de soi et des rapports avec autrui. Il en est initialement question au travers de « l’expérience de soi-même et les fonctions du temps » [5, p 47] : la conscience de soi n’appartient ainsi qu’à l’individu, puisque cette expérience n’est citée que dans le chapitre I des fonctions, consacré au cerveau. Les relations avec autrui apparaissent quant à elles au chapitre VII des activités qu’il est souhaitable que nous puissions mener à bien, et valent même comme « activités et tâches nécessaires » dont il faut s’interroger sur la réussite ou l’échec [5, p. 126 et sq.]. On retrouve ces relations à autrui au chapitre III des facteurs environnementaux, intitulé « soutiens et relations », où il est expliqué que « le facteur environnemental décrit dans ce chapitre n’est pas la personne ou l’animal considéré, mais représente la quantité de soutien physique et affectif qui est fourni » [5, p. 148]. Ce cas est exemplaire des grilles d’analyse en matière de handicap. La CIF pose un soi isolé et cérébral fixé, séparable de ses déterminations environnementales et biologiquement indexé. Les relations avec autrui sont conçues comme des activités sociales réussies ou ratées. Autrui, enfin, est considéré comme un élément environnemental parmi d’autres, parfaitement extérieur à la conscience, de telle sorte qu’il puisse y être jugé comme un objet utilitaire, secours ou obstacle. Même dans ce cas où, plus que jamais, la miction entre soi et son entourage, la singularité affective des relations, la différence entre autrui et un objet de l’environnement semblent incontournables, les catégories du handicap introduisent des divisions et des jugements binaires sur les processus à l’œuvre. Il y a dans le handicap un ensemble d’ambitions qui ne semble pas pouvoir être satisfait dans le domaine du L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 3 - MARS 2014 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. La notion de handicap psychique : continuités, possibilités, dangers psychisme, quelle que soit par ailleurs la pertinence de ces techniques d’analyse en médecine physique et de réadaptation. Les études actuelles de psychologie cognitive, par exemple, parviennent certes à pointer une même intensité des déficits de la capacité des schizophrènes à agir de manière organisée avec d’autres. Cependant les profils cognitifs que l’on parvient à établir ne sont pas les mêmes d’un individu à l’autre [4]. Les pathologies mentales semblent engager une totalité mentale, affective, existentielle, ou autre, qui ne semble pas saisissable dans son organisation par des approches fonctionnelles. Nous pouvons saisir des séries partielles, les multiplier et les faire varier, soigner par leur intermédiaire, mais pas atteindre la série des séries. Nos méthodes d’analyse du psychique ne semblent ainsi pas nous permettre de formuler les variables nécessaires à une approche en termes de handicap. Il peut s’agir de difficultés temporaires. Néanmoins, au-delà de l’échec ou de la réussite de programmes de recherche possibles, l’usage de la notion de handicap dans le champ des pathologies mentales implique également d’adopter certaines hypothèses, extrêmement tranchées et fortes, au sujet de l’étiologie de ces maladies. En effet, leur biologisation est nécessaire si l’on veut pouvoir les interpréter en termes de handicap. Cela n’est pas seulement dû à la dimension d’incurabilité que doit comporter par définition tout handicap, en dehors des objectifs de guérison qui avaient conduit les psychiatres à s’opposer à la loi de 1975 sur le handicap. Cette biologisation est, plus profondément, nécessaire pour délimiter la notion de handicap et ne pas l’étendre à la totalité des problèmes sociaux et politiques. Au sein de la CIF, par exemple, les analyses ont en effet pour principe de prendre non seulement en compte les conséquences sociales des incapacités, mais aussi leurs causes. Leur problème est alors de ne pas déborder de l’analyse des handicaps vers celle de la santé, en basculant dans l’hygiène et l’étude des causes sociales des incapacités ; plus encore, de ne pas sortir du champ de la santé et de s’étendre à la politique, si l’on considère que les sociétés sont toujours plus ou moins favorables aux différentes activités et capacités humaines possibles. C’est pourquoi les rédacteurs de la CIF excluent explicitement la religion, le sexe, ou les autres « facteurs socio-économiques » de leurs études [5, p. 5], sauf lorsque les personnes sont atteintes d’une maladie : par exemple, un individu séropostitif peut être handicapé par la religion, non une personne en bonne santé [5, pp. 13-14]. La limitation (et donc la définition) des handicaps doit se faire par un resserrement sur l’organique individuel, y compris pour les troubles mentaux auxquels sont assignés explicitement et systématiquement une origine organique [5, p. 10]. Or, il est loin d’être sûr que l’origine des troubles mentaux puisse être située dans un déficit biologique. Nos fonctions mentales sont-elles des fonctions vitales ? La question est d’une étendue terrible, mais fait même problème pour l’analyse des handicaps psychiques eux-mêmes. À terme, indissociablement, tout handicap est vital et social, et on peut à la fois penser que ce sont des capacités vitales différentes qui ferment l’entrée du social ou que l’uniformité de celui-ci rejette une partie du vital. Individus et sociétés sont des formes de vie, et les handicaps posent la question de ce qu’est cette forme. Mais peut-être les handicaps physiques s’expliquent-ils d’abord par un décrochage des possibilités de vivre au sens biologique du terme, à partir de quoi se posent les questions de la participation, de l’action et de la compensation sociale, chacune susceptible d’étendre considérablement le champ de la thérapeutique. Le chemin pourrait être inversé pour les handicaps psychiques, ou du moins certains d’entre eux : ce seraient des possibilités réduites de vie sociale qui menaceraient à terme la vie. Au final, le résultat est le même ; mais il s’agirait pour les handicaps psychiques de ne pas s’éloigner du social pour ne pas s’éloigner du vital, et non pas de parvenir à une autonomie vitale pour pouvoir appartenir au social. Cette différence d’origine n’appelle sans doute pas les mêmes analyses : le rapport au social, s’il est à comprendre en premier lieu dans le cas des handicaps psychiques, est-il lisible en termes de fonctions ? Malgré ces difficultés, on le voit, la cohérence forte de la notion de handicap peut incliner la psychiatrie à adopter tout un ensemble d’hypothèses liées les unes aux autres, du fonctionnalisme des processus psychiques à leur biologisation, indépendamment de nos incertitudes. Comme nous allons le voir maintenant, c’est sans doute par ses innovations thérapeutiques que la notion de handicap psychique s’impose plus que par ses étayages scientifiques. C’est sans aucun doute le PPH qui exprime le mieux ces innovations possibles. Inspirateur de la CIF qui en a repris les principaux traits, la principale innovation du PPH a été de considérer les habitudes des personnes handicapées, et pas seulement de juger de leurs capacités au coup par coup [3]. Cette prise en compte des habitudes permet essentiellement trois choses. Tout d’abord, de saisir concrètement en quoi consiste l’interaction entre les individus et leurs environnements, dans la manière dont l’expérience intime et individuelle des personnes se joint à leur milieu d’existence singulier, en tant qu’une habitude est répétition d’agencement. Puis l’observation des habitudes garantit à la fois de comprendre les séquences de notre agir dans toute leur complexité tout en accédant aux différentes capacités, distinctes, qui y sont mises en œuvre. Enfin, parce qu’elle permet de saisir la continuité dynamique d’une existence, l’habitude permet de moduler les catégories de la réussite et de l’échec, en nous montrant partiellement puissants dans certains milieux types. De ce point de vue, les nomenclatures à la fois foisonnantes et simplificatrices qu’on trouve dans les classifications des handicaps (plus de 100 pages dans la CIF) permettent en fait le travail des équipes pluridisciplinaires et la mise en place des aides pratiques requises, en s’ordonnant aux habitudes et à leurs composantes, unies par l’agir des L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 3 - MARS 2014 179 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. S. Zygart individus. Réciproquement, l’attention à la pluralité des facteurs de l’agir permet, en fragmentant les difficultés de telle sorte qu’elles s’annoncent surmontables, de démystifier les maladies mentales et les peurs massives que celles-ci provoquaient lorsqu’on ne les envisageait qu’au travers de leurs jaillissements d’étrangeté. En faire des maladies comme les autres, sans signification particulière pour les malades ou pour leurs proches, garantit aux malades la possibilité d’une existence sociale, peut-être diminuée, mais qui n’est plus jetée dans l’altérité et la mise à distance. Aussi différents qu’ils puissent être, la CIF et le PPH présentent ainsi des traits que l’on peut croire constitutifs de toutes nos méthodes d’évaluation des handicaps. Sur une base quelconque, organique ou habituelle, il s’agit toujours de fixer ce que font les individus, de saisir des séquences d’actions précises, et de les juger en termes de réussite ou d’échec par rapport à des normes vitales, entendues en un sens indissociablement biologique et individuel. Fixations, séquences d’actions, réussite ou échec, normes vitales, autant de notions qui ne cessent de former le commun du handicap et de ses questions : comment les individus fonctionnent (comment ils mettent en série les éléments de leurs environnements et existences) et s’ils fonctionnent (s’ils parviennent à accomplir telle ou telle tâche). Ce fonctionnalisme, comme on vient de le voir avec le PPH, peut n’être pas synonyme de désingularisation, de désincarnation ou de déshumanisation. Ce seraient en fait – et là est l’essentiel à comprendre maintenant – les troubles et non pas les malades qui seraient désingularisés dans les handicaps : les thérapies des maladies mentales comme handicaps psychiques reposeraient bien sur la particularité de l’existence quotidienne et pragmatique des malades, mais en abandonnant la singularité des processus pathologiques en tant que tels. L’attention portée dans les handicaps aux effets des pathologies plutôt qu’à leur origine exprime en effet une inversion générale. On ne traite plus des maladies à partir de ce qu’elles sont pour les abolir, mais à partir de ce qu’elles provoquent, pour permettre aux individus de faire ce qui est désirable malgré leur pathologie. La signification de la folie, ce qu’elle signale de possible par son apparition, même sous la forme de la douleur et de l’échec, n’est plus centrale, mais seulement ce qu’elle rend impossible. Ce déplacement est crucial. Actuellement, l’attribution d’une qualité exclusivement somatique, fonctionnelle et cognitive à notre esprit est moins un savoir bien constitué qu’une hypothèse de recherche et de traitement. On peut penser qu’elle s’impose par sa réussite pratique. Mais celle-ci suppose sans aucun doute un changement tout aussi pratique que théorique : cet abandon de la question de la signification de la folie, cet arrêt de la volonté paradoxale de rendre raison de la folie et de la soigner tout en la comprenant, de la dissoudre et de lutter contre elle par la raison qu’il lui reste et qui peut accéder à elle, suivant Gladys Swain [6]. 180 Indépendamment de la question des racines, théoriques et pratiques, de ce changement, il faut s’interroger sur sa valeur. Par lui, nous échappons certainement à certaines impasses. Mais en partant, dans notre mise en place des soins, d’un modèle de vie centré sur l’efficience et la participation sociale, en prenant acte de la fragilité incomplètement effacée des malades mentaux de telle sorte que compterait avant tout le maintien de leurs capacités et des conquêtes prudentes, sans cesse assistées, nous courrons deux risques, celui de promouvoir une conception étriquée de la liberté et de réduire la nôtre. Ne pas s’interroger, par moments, sur la signification et les causes des folies peut être très utile d’un point de vue thérapeutique et quotidien. Cependant, les habitudes comme les fonctions sont toujours prédéterminées et, par elles, les évaluations n’ouvrent pas l’avenir, mais le tracent. Le premier risque est ainsi, en se concentrant sur l’autonomie comme efficience à long terme ou à longue distance, telle qu’elle est définie par exemple dans les guides barèmes de la législation française [1], d’empêcher le sens premier de l’autonomie comme liberté, possibilité de faire n’importe quoi ou de courir un danger. Précisément dira-t-on, c’est tout ce qu’on ne peut pas accorder aux fous. Mais si l’attention que nous pouvons porter à leur autonomie comme efficience doit aussi passer par l’oubli de ce que peut avoir de relationnel la folie, cette attention risque non plus d’exprimer un progrès thérapeutique, mais un dogmatisme beaucoup plus général sur ce qu’est une vie bonne. Nous risquons de réduire notre liberté en l’utilisant comme modèle pour l’appliquer aux fous, si seule la vie quotidienne des fous nous importe et nous interroge, sans grande possibilité, alors, de remise en cause. Loin de signifier que les troubles des fous et de ce qu’ils entrevoient sont souhaitables, il faut sans doute avoir ce problème à l’esprit pour ne pas reproduire par le handicap psychique la fixité des rôles et des existences qui se produisait dans les asiles, fixité dans laquelle Franco Basaglia [2] voyait un de leur principal effet et défaut. Peut-être faut-il laisser place au conflit entre le malade et les autres, en ne cherchant pas à effacer systématiquement les relations disymétriques qui peuvent exister sur les plans thérapeutiques et sociaux entre les soignants et les malades mentaux. Jugements, mensonges, empathie et rejets des uns et des autres doivent assurer des mouvements possibles qui assurent le soin et la liberté des uns et des autres, malades, proches et médecins. Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. Références 1. Annexe no 1 au décret no 2007-1574 du 6 novembre 2007 modifiant l’annexe 2-4 du code de l’action sociale et des familles « établissant le guide barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées ». L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 3 - MARS 2014 La notion de handicap psychique : continuités, possibilités, dangers OMS : 2000, 226 pages (non destiné initialement à être diffusé en dehors de l’OMS, ce projet est disponible, entre autres, à l’adresse internet http://dcalin.fr/fichiers/cif.pdf, et sa ratification à l’adresse www.who.int/entity/classifications/icf/whafr.pdf. 6. Swain G, Gauchet M. La pratique de l’esprit humain : l’institution asilaire et la révolution démocratique. Paris : Gallimard, 1980. 7. Word Health Organization (1980), « International Classification of Impairments, Disabilities and Handicaps ». In: Manual of classification relating to the consequences of disease. Genève: WHO, sous la supervision de Philip Wood. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 2. Basaglia F. L’Institution en négation. Paris : Seuil, 1970. 3. Fougeyrollas P, Cloutier R, Bergeron H, et al. Classification québécoise Processus de production du handicap. Québec : Réseau international sur le processus de production du handicap, 1998. 4. Levaux MN, Van der Linden M, Larøi F, Danion JM. Caractérisation des difficultés dans la vie quotidienne de personnes souffrant de schizophrénie en rapport avec les facteurs cognitifs et cliniques. ALTER, European Journal of Disability Research 2012 ; 6 : 267-78. 5. OMS, Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé, Projet final, Version complète. Genève, L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 3 - MARS 2014 181