Journal Identification = IPE Article Identification = 1174 Date: March 14, 2014 Time: 1:44 pm
L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 177–81
HANDICAP PSYCHIQUE NO1
La notion de handicap psychique :
continuités, possibilités, dangers
Stéphane Zygart
RÉSUMÉ
La notion de handicap psychique repose sur une approche fonctionnelle, qui est celle des handicaps en général : les
classifications des handicaps supposent une division nette entre les individus et les environnements, la distinction de
capacités précises, et des rapports simples entre le social et le vital. Cette approche n’est pas adaptée à la complexité des
maladies mentales. Enrichie de la prise en compte des habitudes des patients, elle permet certes de démystifier les folies
et de les soigner au quotidien. Mais elle risque de réduire, en négligeant la question de leur signification, la liberté des
malades mentaux et la nôtre, et de négliger l’importance du conflit dans nos relations, thérapeutiques ou autres, avec eux.
Mots clés : handicap psychique, nosologie, pathologie psychiatrique
ABSTRACT
The notion of psychological disability: continuities, possibilities, hazards. The concept of psychological disability is
built on a functional approach, which is the one of disabilities in general: i.e. the classifications of disabilities need a sharp
division between individuals and their environment, the distinction of precise abilities, and simple relationships between
the social and the vital. This approach does not fit into the complexity of mental diseases. Enriched with the behaviour
of patients, it can indeed become demystifying about madness, and make us able to cure these patients in everyday life.
By neglecting the question of their meaning the risk is to reduce the freedom of mentally ill individuals and to neglect the
importance of conflicts in our relationships, therapeutic or otherwise.
Key words: psychological disability, nosology, psychiatric pathology
RESUMEN
La noción de deficiencia psíquica: continuidades, posibilidades, peligros. La noción de deficiencia psíquica descansa
en un enfoque funcional, el de las deficiencias en general: las clasificaciones de las deficiencias suponen una división clara
entre los individuos y los entornos, la distinción de las capacidades precisas, y de las relaciones sencillas entre lo social y lo
vital. Este enfoque no está adaptado a la complejidad de las enfermedades mentales. Enriquecida al incluir los hábitos de
los pacientes, permite por cierto desmistificar las locuras y atenderlas a nivel cotidiano. Pero encierra el riesgo de reducir,
al descuidar la cuestión de su significado, la libertad de los enfermos mentales y la nuestra, y descuidar la importancia del
conflicto en nuestras relaciones, terapéuticas un otras, con ellos.
Palabras claves : deficiencia psíquica, nosología, patología psiquiátrica
Doctorant contractuel en philosophie, allocataire moniteur de recherche, UMR STL, Lille 3, 3, rue du Barreau, 59650 Villeneuve-d’Ascq, France
Tirés à part : S. Zygart
doi:10.1684/ipe.2014.1174
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N3 - MARS 2014 177
Pour citer cet article : Zygart S. La notion de handicap psychique : continuités, possibilités, dangers. L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 177-81
doi:10.1684/ipe.2014.1174
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S. Zygart
La notion de handicap, telle qu’elle est conc¸ue d’un point
de vue médical et médicolégal, est basée sur une approche
fonctionnelle des existences. Ce type d’approche est celle
que promeut la notion de handicap psychique pour l’analyse
et le traitement des troubles mentaux. On peut la caractériser
par trois traits principaux. Est affirmée d’abord la possibilité
d’une distinction stricte entre ce qui revient aux individus
et ce qui revient à leur environnement, social ou autre, pour
répartir les différents facteurs des pathologies et mettre en
place, à partir de là, les remédiations les plus efficaces. Sont
définies ensuite dans les handicaps, psychiques ou non, des
capacités séparables les unes des autres et clairement déli-
mitées, qui permettent de circonscrire par contraste autant
d’incapacités précises et de juger de leur gravité. Est enfin
requise une base biologique des pathologies, afin que toute
incapacité ne puisse pas rentrer dans le champ du handi-
cap et que celui-ci reste avant tout une notion médicale.
Il existe une identification nette des facteurs de troubles,
du type de trouble et de l’origine biologique des troubles :
ces trois axes sont constitutifs de toute analyse en termes
de handicap, depuis les propositions de Wood en 1980 [7],
et doivent servir de guide à toute évaluation de l’idée de
handicap psychique.
Il n’est pas sûr que ces trois axes soient appropriés
au diagnostic et au traitement des maladies mentales. Le
découpage de l’individuel et du social, la caractérisation de
capacités séparables les unes des autres et la présence avérée
d’étiologies biologiques semblent être délicats, pour ne pas
dire impossibles à faire en psychiatrie, à moins d’amputer,
parfois caricaturalement, notre vie mentale d’une part de
ses processus et manifestations. C’est ce que nous montre-
rons au travers de l’exemple de la conscience de soi et des
relations avec autrui, tel qu’il est analysé dans la dernière
classification internationale en date pour les handicaps,
la CIF (classification internationale du fonctionnement,
du handicap et de la santé) [5], promulguée en 2001 par
l’OMS.
Les approches des maladies mentales en termes de han-
dicap psychique n’auraient ainsi qu’une validité limitée,
dont on peut penser qu’elle est, à l’heure actuelle, plus
théorique que pratique, et qu’elle est plus justifiée par ce
qu’elle nous permet de faire que par ce que nous savons.
Quelles que soient les difficultés théoriques en effet, le
handicap psychique a l’incontestable avantage de démys-
tifier les maladies mentales auprès des malades et de leurs
proches, et de permettre la mise au point d’une prise en
charge quotidienne, pragmatique et individualisée des per-
sonnes souffrantes. On le verra, dans un second temps, au
travers d’un outil d’évaluation et de remédiation au handi-
cap, le PPH (processus de production du handicap, élaboré
au Québec) [3] qui, couplé avec la CIF, sert actuellement
de matrice aux principales méthodes d’évaluation des han-
dicaps psychique (le G-MAP, grille de mesure de l’activité
et de la participation, et l’EPHP, échelle d’évaluation des
processus du handicap psychique).
Cependant, et ce sera le dernier aspect que nous aborde-
rons ici, même sur ce plan pratique, la notion de handicap
psychique n’est pas dénuée d’inconvénients et même de
dangers. Une analyse en termes de handicap implique de
dégager des constantes et de se tourner vers l’activité et la
participation sociale des malades jugées en termes de réus-
site ou d’échec, suivant en cela les critères des invalidités
physiques qui furent à l’origine de la notion de handicap.
Dès lors, agir avec les personnes atteintes de troubles men-
taux par le prisme du handicap, au nom de ce qu’elles sont
et de leurs performances sociales, pourrait nous faire négli-
ger d’autres formes de soin, d’action et de réflexion, et
perdre de vue certaines formes de souffrances ou de conflits
thérapeutiques spécifiques aux troubles mentaux. Certaines
impossibilités ou volontés irréalistes des malades peuvent
en effet être considérées comme résiduelles ou accessoires
par rapport à tout ce qu’il est possible de faire, désormais,
avec une pathologie mentale, même lourde. Mais il se pour-
rait qu’au travers de la prise en compte de ces souffrances et
insatisfactions se jouent les modes de vie et les libertés que
nous accordons aux malades mentaux, ainsi que la manière
dont nous concevons, pour nous, nos modes de vie et notre
liberté.
Partons d’abord d’un exemple tiré de la CIF, celui de la
conscience de soi et des rapports avec autrui. Il en est initia-
lement question au travers de « l’expérience de soi-même
et les fonctions du temps » [5, p 47] : la conscience de soi
n’appartient ainsi qu’à l’individu, puisque cette expérience
n’est citée que dans le chapitre I des fonctions, consacré au
cerveau. Les relations avec autrui apparaissent quant à elles
au chapitre VII des activités qu’il est souhaitable que nous
puissions mener à bien, et valent même comme « activités
et tâches nécessaires » dont il faut s’interroger sur la réus-
site ou l’échec [5, p. 126 et sq.]. On retrouve ces relations à
autrui au chapitre III des facteurs environnementaux, inti-
tulé « soutiens et relations », où il est expliqué que « le
facteur environnemental décrit dans ce chapitre n’est pas la
personne ou l’animal considéré, mais représente la quantité
de soutien physique et affectif qui est fourni » [5, p. 148].
Ce cas est exemplaire des grilles d’analyse en matière
de handicap. La CIF pose un soi isolé et cérébral fixé,
séparable de ses déterminations environnementales et bio-
logiquement indexé. Les relations avec autrui sont conc¸ues
comme des activités sociales réussies ou ratées. Autrui,
enfin, est considéré comme un élément environnemental
parmi d’autres, parfaitement extérieur à la conscience, de
telle sorte qu’il puisse y être jugé comme un objet utili-
taire, secours ou obstacle. Même dans ce cas où, plus que
jamais, la miction entre soi et son entourage, la singularité
affective des relations, la différence entre autrui et un objet
de l’environnement semblent incontournables, les catégo-
ries du handicap introduisent des divisions et des jugements
binaires sur les processus à l’œuvre.
Il y a dans le handicap un ensemble d’ambitions qui
ne semble pas pouvoir être satisfait dans le domaine du
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La notion de handicap psychique : continuités, possibilités, dangers
psychisme, quelle que soit par ailleurs la pertinence de ces
techniques d’analyse en médecine physique et de réadap-
tation. Les études actuelles de psychologie cognitive, par
exemple, parviennent certes à pointer une même inten-
sité des déficits de la capacité des schizophrènes à agir de
manière organisée avec d’autres. Cependant les profils cog-
nitifs que l’on parvient à établir ne sont pas les mêmes d’un
individu à l’autre [4]. Les pathologies mentales semblent
engager une totalité mentale, affective, existentielle, ou
autre, qui ne semble pas saisissable dans son organisation
par des approches fonctionnelles. Nous pouvons saisir des
séries partielles, les multiplier et les faire varier, soigner par
leur intermédiaire, mais pas atteindre la série des séries.
Nos méthodes d’analyse du psychique ne semblent ainsi
pas nous permettre de formuler les variables nécessaires à
une approche en termes de handicap. Il peut s’agir de diffi-
cultés temporaires. Néanmoins, au-delà de l’échec ou de la
réussite de programmes de recherche possibles, l’usage de
la notion de handicap dans le champ des pathologies men-
tales implique également d’adopter certaines hypothèses,
extrêmement tranchées et fortes, au sujet de l’étiologie de
ces maladies. En effet, leur biologisation est nécessaire si
l’on veut pouvoir les interpréter en termes de handicap.
Cela n’est pas seulement dû à la dimension d’incurabilité
que doit comporter par définition tout handicap, en dehors
des objectifs de guérison qui avaient conduit les psychiatres
à s’opposer à la loi de 1975 sur le handicap. Cette biolo-
gisation est, plus profondément, nécessaire pour délimiter
la notion de handicap et ne pas l’étendre à la totalité des
problèmes sociaux et politiques.
Au sein de la CIF, par exemple, les analyses ont en
effet pour principe de prendre non seulement en compte
les conséquences sociales des incapacités, mais aussi leurs
causes. Leur problème est alors de ne pas déborder de
l’analyse des handicaps vers celle de la santé, en basculant
dans l’hygiène et l’étude des causes sociales des incapaci-
tés ; plus encore, de ne pas sortir du champ de la santé et de
s’étendre à la politique, si l’on considère que les sociétés
sont toujours plus ou moins favorables aux différentes acti-
vités et capacités humaines possibles. C’est pourquoi les
rédacteurs de la CIF excluent explicitement la religion, le
sexe, ou les autres « facteurs socio-économiques » de leurs
études [5, p. 5], sauf lorsque les personnes sont atteintes
d’une maladie : par exemple, un individu séropostitif peut
être handicapé par la religion, non une personne en bonne
santé [5, pp. 13-14]. La limitation (et donc la définition) des
handicaps doit se faire par un resserrement sur l’organique
individuel, y compris pour les troubles mentaux auxquels
sont assignés explicitement et systématiquement une ori-
gine organique [5, p. 10].
Or, il est loin d’être sûr que l’origine des troubles men-
taux puisse être située dans un déficit biologique. Nos fonc-
tions mentales sont-elles des fonctions vitales ? La question
est d’une étendue terrible, mais fait même problème pour
l’analyse des handicaps psychiques eux-mêmes. À terme,
indissociablement, tout handicap est vital et social, et on
peut à la fois penser que ce sont des capacités vitales diffé-
rentes qui ferment l’entrée du social ou que l’uniformité de
celui-ci rejette une partie du vital. Individus et sociétés sont
des formes de vie, et les handicaps posent la question de ce
qu’est cette forme. Mais peut-être les handicaps physiques
s’expliquent-ils d’abord par un décrochage des possibilités
de vivre au sens biologique du terme, à partir de quoi se
posent les questions de la participation, de l’action et de la
compensation sociale, chacune susceptible d’étendre consi-
dérablement le champ de la thérapeutique. Le chemin pour-
rait être inversé pour les handicaps psychiques, ou du moins
certains d’entre eux : ce seraient des possibilités réduites de
vie sociale qui menaceraient à terme la vie. Au final, le résul-
tat est le même ; mais il s’agirait pour les handicaps psy-
chiques de ne pas s’éloigner du social pour ne pas s’éloigner
du vital, et non pas de parvenir à une autonomie vitale
pour pouvoir appartenir au social. Cette différence d’origine
n’appelle sans doute pas les mêmes analyses : le rapport au
social, s’il est à comprendre en premier lieu dans le cas des
handicaps psychiques, est-il lisible en termes de fonctions ?
Malgré ces difficultés, on le voit, la cohérence forte de
la notion de handicap peut incliner la psychiatrie à adopter
tout un ensemble d’hypothèses liées les unes aux autres, du
fonctionnalisme des processus psychiques à leur biologi-
sation, indépendamment de nos incertitudes. Comme nous
allons le voir maintenant, c’est sans doute par ses innova-
tions thérapeutiques que la notion de handicap psychique
s’impose plus que par ses étayages scientifiques.
C’est sans aucun doute le PPH qui exprime le mieux ces
innovations possibles. Inspirateur de la CIF qui en a repris
les principaux traits, la principale innovation du PPH a été
de considérer les habitudes des personnes handicapées, et
pas seulement de juger de leurs capacités au coup par coup
[3].
Cette prise en compte des habitudes permet essentiel-
lement trois choses. Tout d’abord, de saisir concrètement
en quoi consiste l’interaction entre les individus et leurs
environnements, dans la manière dont l’expérience intime
et individuelle des personnes se joint à leur milieu
d’existence singulier, en tant qu’une habitude est répétition
d’agencement. Puis l’observation des habitudes garantit à
la fois de comprendre les séquences de notre agir dans toute
leur complexité tout en accédant aux différentes capacités,
distinctes, qui y sont mises en œuvre. Enfin, parce qu’elle
permet de saisir la continuité dynamique d’une existence,
l’habitude permet de moduler les catégories de la réussite et
de l’échec, en nous montrant partiellement puissants dans
certains milieux types.
De ce point de vue, les nomenclatures à la fois
foisonnantes et simplificatrices qu’on trouve dans les clas-
sifications des handicaps (plus de 100 pages dans la CIF)
permettent en fait le travail des équipes pluridisciplinaires et
la mise en place des aides pratiques requises, en s’ordonnant
aux habitudes et à leurs composantes, unies par l’agir des
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S. Zygart
individus. Réciproquement, l’attention à la pluralité des fac-
teurs de l’agir permet, en fragmentant les difficultés de telle
sorte qu’elles s’annoncent surmontables, de démystifier les
maladies mentales et les peurs massives que celles-ci provo-
quaient lorsqu’on ne les envisageait qu’au travers de leurs
jaillissements d’étrangeté. En faire des maladies comme les
autres, sans signification particulière pour les malades ou
pour leurs proches, garantit aux malades la possibilité d’une
existence sociale, peut-être diminuée, mais qui n’est plus
jetée dans l’altérité et la mise à distance.
Aussi différents qu’ils puissent être, la CIF et le PPH
présentent ainsi des traits que l’on peut croire constitutifs
de toutes nos méthodes d’évaluation des handicaps. Sur une
base quelconque, organique ou habituelle, il s’agit toujours
de fixer ce que font les individus, de saisir des séquences
d’actions précises, et de les juger en termes de réussite ou
d’échec par rapport à des normes vitales, entendues en un
sens indissociablement biologique et individuel. Fixations,
séquences d’actions, réussite ou échec, normes vitales,
autant de notions qui ne cessent de former le commun du
handicap et de ses questions : comment les individus fonc-
tionnent (comment ils mettent en série les éléments de leurs
environnements et existences) et s’ils fonctionnent (s’ils
parviennent à accomplir telle ou telle tâche).
Ce fonctionnalisme, comme on vient de le voir avec le
PPH, peut n’être pas synonyme de désingularisation, de
désincarnation ou de déshumanisation. Ce seraient en fait
– et là est l’essentiel à comprendre maintenant – les troubles
et non pas les malades qui seraient désingularisés dans les
handicaps : les thérapies des maladies mentales comme han-
dicaps psychiques reposeraient bien sur la particularité de
l’existence quotidienne et pragmatique des malades, mais
en abandonnant la singularité des processus pathologiques
en tant que tels.
L’attention portée dans les handicaps aux effets des
pathologies plutôt qu’à leur origine exprime en effet une
inversion générale. On ne traite plus des maladies à par-
tir de ce qu’elles sont pour les abolir, mais à partir de ce
qu’elles provoquent, pour permettre aux individus de faire
ce qui est désirable malgré leur pathologie. La signification
de la folie, ce qu’elle signale de possible par son apparition,
même sous la forme de la douleur et de l’échec, n’est plus
centrale, mais seulement ce qu’elle rend impossible.
Ce déplacement est crucial. Actuellement, l’attribution
d’une qualité exclusivement somatique, fonctionnelle et
cognitive à notre esprit est moins un savoir bien consti-
tué qu’une hypothèse de recherche et de traitement. On
peut penser qu’elle s’impose par sa réussite pratique. Mais
celle-ci suppose sans aucun doute un changement tout aussi
pratique que théorique : cet abandon de la question de la
signification de la folie, cet arrêt de la volonté paradoxale de
rendre raison de la folie et de la soigner tout en la compre-
nant, de la dissoudre et de lutter contre elle par la raison
qu’il lui reste et qui peut accéder à elle, suivant Gladys
Swain [6].
Indépendamment de la question des racines, théoriques
et pratiques, de ce changement, il faut s’interroger sur sa
valeur. Par lui, nous échappons certainement à certaines
impasses. Mais en partant, dans notre mise en place des
soins, d’un modèle de vie centré sur l’efficience et la
participation sociale, en prenant acte de la fragilité incom-
plètement effacée des malades mentaux de telle sorte que
compterait avant tout le maintien de leurs capacités et des
conquêtes prudentes, sans cesse assistées, nous courrons
deux risques, celui de promouvoir une conception étriquée
de la liberté et de réduire la nôtre. Ne pas s’interroger, par
moments, sur la signification et les causes des folies peut
être très utile d’un point de vue thérapeutique et quotidien.
Cependant, les habitudes comme les fonctions sont toujours
prédéterminées et, par elles, les évaluations n’ouvrent pas
l’avenir, mais le tracent. Le premier risque est ainsi, en se
concentrant sur l’autonomie comme efficience à long terme
ou à longue distance, telle qu’elle est définie par exemple
dans les guides barèmes de la législation franc¸aise [1],
d’empêcher le sens premier de l’autonomie comme liberté,
possibilité de faire n’importe quoi ou de courir un danger.
Précisément dira-t-on, c’est tout ce qu’on ne peut pas accor-
der aux fous. Mais si l’attention que nous pouvons porter
à leur autonomie comme efficience doit aussi passer par
l’oubli de ce que peut avoir de relationnel la folie, cette
attention risque non plus d’exprimer un progrès thérapeu-
tique, mais un dogmatisme beaucoup plus général sur ce
qu’est une vie bonne. Nous risquons de réduire notre liberté
en l’utilisant comme modèle pour l’appliquer aux fous,
si seule la vie quotidienne des fous nous importe et nous
interroge, sans grande possibilité, alors, de remise en cause.
Loin de signifier que les troubles des fous et de ce qu’ils
entrevoient sont souhaitables, il faut sans doute avoir ce
problème à l’esprit pour ne pas reproduire par le handicap
psychique la fixité des rôles et des existences qui se produi-
sait dans les asiles, fixité dans laquelle Franco Basaglia [2]
voyait un de leur principal effet et défaut. Peut-être faut-il
laisser place au conflit entre le malade et les autres, en ne
cherchant pas à effacer systématiquement les relations disy-
métriques qui peuvent exister sur les plans thérapeutiques
et sociaux entre les soignants et les malades mentaux. Juge-
ments, mensonges, empathie et rejets des uns et des autres
doivent assurer des mouvements possibles qui assurent le
soin et la liberté des uns et des autres, malades, proches et
médecins.
Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien
d’intérêt en rapport avec l’article.
Références
1. Annexe no1 au décret no2007-1574 du 6 novembre 2007 modi-
fiant l’annexe 2-4 du code de l’action sociale et des familles
« établissant le guide barème pour l’évaluation des déficiences
et incapacités des personnes handicapées ».
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La notion de handicap psychique : continuités, possibilités, dangers
2. Basaglia F. L’Institution en négation. Paris : Seuil, 1970.
3. Fougeyrollas P, Cloutier R, Bergeron H, et al. Classifi-
cation québécoise Processus de production du handicap.
Québec : Réseau international sur le processus de production
du handicap, 1998.
4. Levaux MN, Van der Linden M, Larøi F, Danion JM. Carac-
térisation des difficultés dans la vie quotidienne de personnes
souffrant de schizophrénie en rapport avec les facteurs cognitifs
et cliniques. ALTER, European Journal of Disability Research
2012;6:267-78.
5. OMS, Classification internationale du fonctionnement, du
handicap et de la santé, Projet final, Version complète. Genève,
OMS : 2000, 226 pages (non destiné initialement à être dif-
fusé en dehors de l’OMS, ce projet est disponible, entre autres,
à l’adresse internet http://dcalin.fr/fichiers/cif.pdf, et sa ratifi-
cation à l’adresse www.who.int/entity/classifications/icf/wha-
fr.pdf.
6. Swain G, Gauchet M. La pratique de l’esprit humain :
l’institution asilaire et la révolution démocratique. Paris :
Gallimard, 1980.
7. Word Health Organization (1980), « International Classifica-
tion of Impairments, Disabilities and Handicaps ». In: Manual
of classification relating to the consequences of disease.
Genève: WHO, sous la supervision de Philip Wood.
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