Physiopathologie de la défaillance cardiaque
C. Rabuel, B. Tavernier et A. Mebazaa
La dysfonction myocardique au cours du sepsis est une entité maintenant
largement reconnue. Elle débute dans les vingt-quatre heures ou dans les
premiers jours du début du sepsis. Elle atteint les deux ventricules et se carac-
térise classiquement par une dépression de la fonction systolique (diminution
de la fraction d’éjection) et une dilatation bi-ventriculaire surtout en cas d’ap-
ports liquidiens excessifs. Son expression clinique est variable d’un sujet à
l’autre et d’un moment à l’autre de l’évolution du choc septique. Chez les
survivants, la dysfonction cardiaque évolue vers une restitution ad integrum au
bout de cinq à sept jours. Son diagnostic reste difficile, bien que l’apport de
l’échocardiographie, surtout par voie transœsophagienne, le facilite.
Ses mécanismes physiopathologiques demeurent encore mal connus car ils
sont complexes, souvent intriqués. On peut tout de même distinguer des méca-
nismes extrinsèques aux myocytes cardiaques (surtout plasmatiques et/ou
endothéliaux) à effet immédiat, et d’autres purement intramyocytaires à effet
plus retardé.
Ce chapitre tente de faire le point sur des concepts proposés il y a déjà
plusieurs années, mais aussi sur des données très récentes abordant la
complexité des mécanismes impliqués dans la myocardiopathie septique.
Certaines données ouvrent la voie au développement de nouvelles thérapeu-
tiques spécifiques de la dysfonction myocardique au cours du choc septique.
Fonction cardiaque au cours du choc septique
De nombreuses études expérimentales animales ont clairement démontré que
la contractilité myocardique était altérée au cours du sepsis. Cependant, en
clinique humaine, cette dysfonction est plus difficile à montrer, car le débit
cardiaque est souvent, après remplissage, normal ou augmenté. Si le patient est
porteur d’un cathéter artériel pulmonaire de type Swan-Ganz, l’évaluation de
la contractilité ventriculaire gauche reste difficile mais possible par l’étude de la
relation pression capillaire pulmonaire (PCAP)-Travail indexé du ventricule
gauche (VG) au cours d’un remplissage (1, 2). Cependant, le travail cardiaque
n’est pas un bon indicateur de la performance cardiaque car il dépend de la
pression artérielle ; de plus, la PAPO (pression artérielle pulmonaire d’occlu-
sion) est un indice assez médiocre de précharge. Finalement, l’évaluation
hémodynamique par cathéter de Swan-Ganz permet essentiellement le
diagnostic des atteintes myocardiques sévères (débit cardiaque effondré,
réponse au remplissage altérée) qui ne touchent finalement qu’une faible part
des patients en choc septique. Par contre, l’échocardiographie, surtout par voie
transœsophagienne, est un outil précieux pour l’évaluation et le diagnostic de
la dysfonction myocardique au cours du choc septique (3, 4). Elle permet l’éva-
luation de la fonction systolique et de la fonction diastolique, la mesure des
surfaces des cavités cardiaques et celle du débit cardiaque ; elle permet aussi
d’apprécier plus précisément la précharge, surtout au cours de la ventilation
mécanique (5) et, enfin, d’étudier la fonction ventriculaire droite.
Typiquement, la dysfonction myocardique, selon les résultats expérimen-
taux obtenus chez le chien septique (fig. 1) et confirmés chez l’homme (6), se
caractérise par :
– une réduction de la fraction d’éjection des deux ventricules ;
– une dilatation télédiastolique bi-ventriculaire ;
52 Sepsis sévère et choc septique
Fig. 1 – Chronologie de la défaillance myocardique au cours du sepsis.
La dysfonction myocardique survient dans les quarante-huit heures suivant le début du choc
septique. Elle se caractérise par une diminution de la fraction d’éjection et une dilatation
ventriculaire, surtout en cas de remplissage important. Elle évolue vers une récupération
complète de la fonction cardiaque en cinq à sept jours. D’après Natanson (2) (avec permission).
une augmentation de la fréquence cardiaque et du débit cardiaque ;
une baisse des résistances systémiques.
Le plus souvent, cette dysfonction myocardique débute précocement dans
l’histoire du sepsis (dans les vingt-quatre à quarante-huit premières heures) et
est réversible en cinq à dix jours chez les patients qui survivent (7).
L’association d’une diminution de la fraction d’éjection du VG et d’une dimi-
nution des résistances vasculaires systémiques suggère fortement la présence
d’une véritable dépression myocardique intrinsèque. La dépression systolique a
été retrouvée, qu’elle soit évaluée par techniques isotopiques, par la relation
pression capillaire pulmonaire-travail indexé du VG ou par fraction d’éjection
mesurée par échocardiographie, chez de nombreux patients (tableau I).
La dilatation aiguë bi-ventriculaire au cours du choc septique reste contro-
versée. Ainsi, Jardin et al. (4, 8-9) n’ont pas retrouvé cette dilatation aiguë,
évaluée en échocardiographie, chez leurs patients en choc septique dont le
débit cardiaque n’était pas optimisé. En revanche, ils confirmaient une dimi-
nution importante de la fonction systolique du VG à la phase initiale du choc
septique. Il semble bien que le rôle du remplissage soit majeur pour démasquer
la dilatation du VG, et probablement du ventricule droit (VD). En effet, dans
l’étude de Tavernier (5), où la surface télédiastolique du VG a été mesurée par
Physiopathologie de la défaillance cardiaque 53
Tableau I – Fonction ventriculaire gauche dans le choc septique chez l’homme.
PAPO : pression artérielle pulmonaire occluse ; FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche ; VTDVG : volume télé-
diastolique du ventricule gauche ; m : moyenne ; TI : techniques isotopiques ; EV : expansion volémique ; TD : thermodi-
lution ; ETT : échocardiographie transthoracique ; S : survivants ; NS : non survivants ; aexpansion volémique avec 500 ml
de plasma ; bmesuré à J2 ; cdébit cardiaque optimisé par expansion volémique.
Étude Méthodes Patients (n) PAPO Index FEVG VTDVG
(mm Hg) cardiaque (%) (ml/m
2
)
(l min/m
2
)
Parker et TI + TD S = 13 13,7 ± 1,6 4,1 ± 0,4 32 ± 4 156 ± 29
Shelhamer, 1984 NS = 7 10,6 ± 1,5 5,4 ± 0,7 55 ± 5 81 ± 9
(valeur : m ± SEM)
Parker, 1989 TI + EV S = 33 11,7 ± 0,8 4,4 ± 0,3 40 ± 3 124 ± 8
(valeur : m ± SEM) NS = 21 12,8 ± 1,0 5,4 ± 0,4 47 ± 4 99 ± 9
Ellrodt, 1985 TI + EV 35 dont 15 16 ± 6 3,2 ± 1,2 44 ± 15 84 ± 50
(valeur : m ± SD) avec maladie
cardiaque
Schneider, 1988 TI + EV 18 10,0 ± 0,9 5,4 ± 0,4 53 ± 3 95 ± 5,8
(valeur : m ± SEM) +500 mla: 13,6 ± 0,9 5,9 ± 0,5 53 ± 3 107 ± 6,8
Jardin, 1994 ETT + TD 32 13 ± 3 4,4 ± 1,6 50 ± 17 66 ± 18
(valeurs : m ± SD)
Jardin, 1999 ETT S = 34 42 ± 11 80 ± 21
(valeursb: m ± SD) NS = 56 46 ± 16 62 ± 15
Tavernier, 1998 ETT + TD 15 Basal : 9 ± 4 3,7 ± 1,1 74 ± 33
(valeurs m ± SD) EVc: 15 ± 3 4,9 ± 1,6 106 ± 36
échocardiographie transœsophagienne, le remplissage (optimisation du débit
cardiaque) a permis d’augmenter la surface télédiastolique du VG de
9,6 ± 3,6 cm2/m2à 12,8 ± 3,7 cm2/m2, suggérant une augmentation de 30 à
40% de la surface télédiastolique du VG au cours du choc septique.
La fonction diastolique est aussi affectée au cours du sepsis. Ainsi, les alté-
rations de la relaxation du VG sont courantes, voire plus fréquentes que les
altérations de la fonction systolique (10). De plus, il semble que, chez un
certain nombre de patients, il y ait un continuum entre une dysfonction dias-
tolique isolée et une insuffisance ventriculaire à la fois systolique et diastolique
(3). Ces anomalies de la relaxation pourraient être un facteur pronostique
majeur du choc septique (3, 11).
L’évaluation de la dysfonction cardiaque au cours du choc septique pourrait
bénéficier du dosage de marqueurs sériques comme la troponine I cardiaque
(TnIc). La TnIc semble être un marqueur très spécifique de lésions des cardio-
myocytes. De nombreuses études ont montré que le taux sérique de TnIc était
augmenté chez plus de la moitié des patients en choc septique (12-13). De
plus, l’augmentation du taux de TnIc est reliée à la dysfonction ventriculaire
gauche, à la mortalité, au score APACHE II, et au besoin en inotropes (12-14).
Les lésions des cardiomyocytes semblent donc fréquentes au cours du sepsis et
sont plus marquées encore en cas de maladie coronarienne préexistante (15).
Bien que les taux de TnIc soient reliés positivement avec la dysfonction du VG
(évaluée par la fraction d’éjection du VG en échocardiographie) (13), l’aug-
mentation des taux de TnIc au cours du sepsis reste modérée et
l’électrocardiogramme, la coronarographie ou les constatations autopsiques
révèlent rarement la présence concomitante d’une ischémie myocardique (3).
Cette élévation des taux de TnIc pourrait cependant, au moins partiellement,
avoir une origine ischémique. En effet, au cours du choc septique, il existe une
dysfonction micro-vasculaire qui pourrait entraîner une oxygénation tissulaire
insuffisante et des foyers de micronécrose. De plus, des épisodes d’hypotension
prolongés, une diminution de la perfusion coronarienne et une diminution du
transport myocardique en oxygène peuvent survenir au cours du sepsis, ce qui
peut favoriser et aggraver ces lésions ischémiques, surtout en cas d’anomalies
microvasculaires. Ver Elst a retrouvé sur des biopsies de cœur de patients
décédés de choc septique une nécrose de certaines bandes de contraction (14).
Bien qu’une origine ischémique soit possible, d’autres phénomènes, comme
une augmentation de la concentration des catécholamines endogènes et/ou
exogènes ou des phénomènes d’ischémie-reperfusion, peuvent également être
impliqués dans le développement de telles lésions. En effet, la dysfonction
micro-vasculaire liée au sepsis et l’utilisation dans le traitement du choc
septique de thérapeutiques qui augmentent la consommation d’oxygène du
myocarde peuvent induire des lésions d’ischémie-reperfusion. Le processus
infectieux lui-même, en activant les leucocytes, les macrophages et les cellules
endothéliales qui libèrent alors des espèces radicalaires de l’oxygène (anion
superoxyde, hydroxide, peroxyde d’hydrogène), peut induire des phénomènes
d’ischémie-reperfusion (16). La sécrétion de cytokines, comme le tumor
54 Sepsis sévère et choc septique
necrosis factor
α
(TNFα), par les cellules de l’inflammation, pourrait aussi
induire la libération par les cardiomyocytes de TnIc. En effet, le TNFαest
connu pour augmenter la perméabilité membranaire des cellules endothéliales
(17, 18) et pourrait augmenter aussi celle des cardiomyocytes permettant la
libération de macromolécules comme la TnIc (19) ou de fragments de TnIc
dégradés in situ dans le cardiomyocyte en cas d’hypoxie (20). Ainsi, la libéra-
tion de TnIc au cours du choc septique semble plus être secondaire à des
phénomènes inflammatoires voire toxiques pour le cardiomyocyte qu’à des
phénomènes ischémiques bien que l’implication de ces derniers ne puisse être
totalement écartée, surtout en cas de maladie coronarienne sous-jacente.
D’autres études sont nécessaires pour préciser l’implication exacte de ces diffé-
rents phénomènes.
Des études récentes semblent indiquer une élévation de la concentration
plasmatique de brain natriuretic peptide (BNP) dans le sepsis ; ceci demande à
être confirmé.
Facteurs extrinsèques aux myocytes cardiaques
Facteurs circulants
Depuis les années 70, la participation de facteurs circulants et de cytokines à la
dysfonction myocardique induite par le sepsis a été évoqué (21). Ainsi, la perfu-
sion de sérum de patients en choc septique à des cardiomyocytes de rat entraîne
une diminution de leurs performances contractiles (22). Cet effet inotrope
négatif était supposé être médié par un peptide circulant de faible poids molé-
culaire (< 2 000 daltons) nommé myocardial depressant factor (MDF).
L’endotoxine, constituant de la membrane des bactéries à Gram négatif
lysées par les leucocytes, peut mimer à elle seule l’ensemble des manifestations
cardio-vasculaires du choc septique, mais sans être toutefois indispensable à la
genèse de celles-ci. Le délai d’apparition de ces anomalies suggère qu’elles ne
résultent pas de l’effet instantané de l’endotoxine elle-même, à moins qu’elle
soit en quantité extrêmement importante, ce qui est peu probable en clinique
humaine (23). Ceci suggère que l’endotoxine agirait le plus souvent de façon
indirecte sur la contractilité myocardique par l’intermédiaire des cytokines
sécrétées par les macrophages. Néanmoins, récemment, une action directe du
LPS sur le myocarde a été suggérée. En effet, la présence de récepteurs Toll,
particulièrement le récepteur Toll-4 (TLR-4), qui est considéré comme le
récepteur du LPS, a été décrite à la surface du cardiomyocyte (24). L’utilisation
de souris déficiente en TLR-4 permet d’appréhender ses rôles. Chez ces souris,
l’injection d’endotoxine entraîne une sécrétion de TNF moindre et retardée,
une diminution de l’expression et de l’activité de la NO synthase inductible,
par non-activation de NFκB, suggérant que la voie de TLR-4 est en partie
responsable de l’induction de la synthèse de médiateurs pro-inflammatoires
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