10-a-Arrien_Mise en page 1 20/12/12 11:10 Page68 Penser sans Dieu, vivre avec Dieu : Heidegger lecteur d’Augustin Sophie-Jan Arrien* FOI et savoir, croyance et raison, religion et philosophie. Au sein de ces couples improbables, chaque terme semble s’opposer à l’autre en vertu de son mode même d’attestation : la conviction et l’adhésion d’un côté, la compréhension et l’analyse de l’autre. Dans le cas de la pensée du jeune Heidegger, qui nous occupera ici, si la tension subsiste entre les termes cités, elle n’est jamais exploitée comme simple opposition ou subordination entre eux. Son travail, tel qu’il s’élabore dans ses premiers enseignements donnés à Fribourg de 1919 à 1923 autour du projet d’une herméneutique phénoménologique de la vie, permet au contraire d’envisager dans une perspective renouvelée le rapport fécond que peut entretenir la réflexion philosophique à l’égard du phénomène de la foi chrétienne et de l’expérience de la vie religieuse à proprement parler. La chose semble paradoxale dans la mesure où, dès 1919, selon son propre témoignage, Heidegger a pris ses distances avec la foi catholique, considérant qu’« une recherche véritablement scientifique, libre de toute réserve et de tout lien dissimulé, n’est pas possible pour qui reste réellement attaché à la perspective de la foi catholique1 ». Qui plus est, il se réclame, en un sens qu’il reste à éclaircir, de ce qu’on pourrait appeler un « athéisme méthodologique », et affirme sans hésitation que « la philosophie est elle-même * Professeur à l’université de Laval (Québec), elle est l’auteur de l’Inquiétude de la pensée. L’herméneutique de la vie du jeune Heidegger, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », à paraître. 1. Martin Heidegger, Vita [1922], Gesamtausgabe [GA] 16 (Reden und andere Zeugnisse eines Lebensweges [1910-1976]), Francfort-sur-le-Main, V. Klostermann, 2000, p. 43. Janvier 2013 68