Sauvegarder

publicité
critikat.com - le site de critique de films
le site de critique de films
http://www.critikat.com
La Consultation
Author : Romain Dubois
Date : 22 mai 2007
Rarement une caméra s’était glissée dans le cabinet médical pour mettre à nu les relations
entre un médecin et son patient. Hélène de Crécy, déjà auteur de plusieurs documentaires
(Désirs d’amour, Secrets d’hommes, la vie ou la prostate) s’est échinée à convaincre le
docteur Perino ainsi que le conseil de l’ordre des médecins que le projet était salutaire. De
cette longue observation (150 heures de rushes), la cinéaste extrait une heure et demie de
plongée au cœur d’une intimité qui force l’admiration.
La Consultation se construit sur plusieurs niveaux : tout d’abord la peinture sobre de la vie
professionnelle du docteur Perino et ses rapports à la maladie (imaginaire ou non) et, surtout, aux
« malades ». Puis, négatif logique de cette entreprise, le rapport des malades à leur médecin que
l’on perçoit sans peine. Enfin, et peut-être est-ce là que le documentaire s’envole vers une sphère
plus large, le dessin (d’une finesse inouïe) des maux de toute la société française (et plus
largement le désespoir de l’homme), en quasi-perdition. La présence de la caméra ne vient
paradoxalement jamais contrarier ces envolées de sincérité. Au contraire, à force d’oubli et
sûrement aussi parce que l’on vient chez le docteur pour parler de ses problèmes, pour s’écouter
et être écouté, la caméra rentre alors dans cette seconde perspective en tant qu’instrument
thérapeutique.
La vie rêvée des médecins
Le docteur Perino est bien sûr le point central du film puisqu’il en est acteur, quelque part un peu
auteur et surtout premier narrateur, doublant la fonction narratrice de la caméra. Il s’adresse
parfois au spectateur pour s’expliquer sur ce qu’il vient de prescrire, ou simplement déverser sa
rage (contenue) face à un jeune couple désireux d’avorter. Première fulgurance d’impuissance.
Le premier à se mettre à nu donc, et à participer à ce qu’Hélène de Crécy appelle sa maïeutique.
Car le chemin fut long, l’accord primordial du généraliste ne fut pas évident. La réalisatrice est
d’abord venue, seule, sans outil, faire des repérages. Puis elle a imposé un magnétophone,
premier pas vers la captation pour enfin laisser le temps au médecin de s’habituer à sa présence
ainsi que la présence jumelle de la caméra, deux étrangers muets et témoins privilégiés.
L’aboutissement de ce véritable travail méticuleux est l’éclatement d’une vérité lumineuse que
l’on retrouve autant dans les dires des patients que dans les actes du médecin. Toute cette
authenticité engendre une profonde empathie du spectateur autant vis-à-vis du médecin que vis-àvis de ses malades.
Nous voici donc dans cette salle simple, devant un défilé d’hommes et de femmes, autant d’êtres
« malades », qui vont se confier corps et âme (le documentaire semble donner un nouvel éclairage
© 2017 critikat.com - tous droits réservés
à l’expression) à un père, un sauveur, un ami… tout ce que l’on peut voir en son médecin.
La vie rêvée du médecin ? Ou plutôt un cauchemar hanté dès le départ par la Mort, puisque tout
commence par la fin. En l’occurrence, on atterrit sans crier garde chez un mourant en même
temps que le docteur Perino. Le vieil homme ne peut plus ni bouger, ni parler et on entre
directement dans le récit par le drame d’une fin de vie. Pour seul fond sonore, les râles du vieil
homme qui captent toute l’attention du spectateur et semblent ne pas émouvoir ses soignants. Le
médecin prodigue ses conseils à l’infirmier et nous voici déjà dans le vif du sujet, un travail pas
comme les autres, dans lequel on côtoie la mort avant de commencer sa journée…Les patients vont
alors défiler sous les yeux parfois impuissants du médecin, la construction du documentaire
semblant faire monter crescendo le drame humain tout en ménageant des instants plus légers,
véritable respiration à la fois pour le médecin et pour le spectateur.
Le vide
L’intervalle dans laquelle le film s’épanouit est dans ce rapport patient/médecin, qui nous parait
simple lorsque l’on voit le docteur Perino à l’œuvre, mais qui est infiniment plus complexe. On est
amené à faire notre propre diagnostic car la distance imposée par la mise en scène nous place
parfois dans le rôle délicat du médecin. Le recul est une des notions essentielles du film, le recul
fondamental pour ne pas violer l’intimité des patients, le recul des moyens de mise en scène ou
en espace et enfin le recul, synonyme du regard tendre et sensible d’Hélène de Crécy, que l’on
sent présente derrière son objectif mais pourtant éternellement absente de l’écran. Elle est une
ombre qui plane sur tout le film.
On peut voir dans la sélection d’extraits, une ébauche de fictionnalisation. Un cas notamment
s’articule en deux parties à l’intérieur du film, ce qui constituera le seul « arc » narratif. Dans le
premier segment on sourit devant l’incohérence des propos d’un homme. Dans la seconde partie,
c’est en même temps que sa mère que nous apprenons la « sentence ». On est abasourdi et on
rougit un peu aussi d’avoir souri devant la manifestation de la maladie, qui n’a en revanche pas
échappé au médecin. On est remis à notre place de spectateur, et le médecin qui, lui, a su garder
son calme authentifie son statut. Les larmes d’une mère aucunement feintes et presque hors
champ sont l’expression de cette pudeur de la captation.
La force du documentaire est d’éviter toute compassion ou au contraire admiration par son
absence de parti pris. Parfois la caméra d’Hélène de Crécy se rapproche des gens, de leurs
visages, de leurs corps non pour donner de la gravité aux propos et provoquer quelque
sentimentalisme mais tout simplement pour peser leur humanité. Cela n’empêche pas de rire de
bon cœur ou de pleurer, mais ici on réagit sans artifice préalable. Ce qui nous renvoie directement
au caractère neutre et impartial adopté par tous (bons) médecins qui pèsent leurs réactions et ne
dévoilent jamais leur implication émotionnelle. De ses paroles rassurantes, et rarement, un peu
plus dures, le docteur guérit. Il suffit de l’écouter.
© 2017 critikat.com - tous droits réservés
Et ils sont nombreux à défiler dans son cabinet, et à ne pas l’écouter justement. Tout le drame du
documentaire réside dans ce décalage entre ce qu’aimerait vivre le docteur Perino, dans un
monde idéal, utopique et ce qu’il voit chaque jour. Le Bonheur de l’homme, se joue aussi dans ce
cabinet médical, théâtre inconscient des dérives d’un monde en proie au doute. Lorsque la réalité
vient se mesurer à la philosophie de cette notion de bonheur, la présence de la caméra parait
évidente, naturelle comme si elle préexistait au récit. Mais ce qu’elle montre finalement, sans
jamais démontrer, c’est le vide. Vide d’une vie brisée par l’alcoolisme, enfermée dans la solitude,
ou dans l’angoisse d’une mort proche. C’est finalement cette angoisse, que le docteur Perino
aura le plus à combattre. Cela est frappant, dans la plupart des cas le problème vient d’un poids
extérieur (social, familial…) et non d’un corps problématique.
Hélène de Crécy signe un projet ambitieux, exigeant et touchant. Elle parvient à pénétrer l’intime,
à toucher au sublime. Rarement le cinéma n’a pénétré la singularité des rapports entre le médecin
et son patient avec autant de pudeur et de justesse. La jeune cinéaste dit s’intéresser beaucoup à
la réalité de notre quotidien. À travers cette tranche de vie, c’est de plein fouet qu’elle nous
frappe, cette réalité.
© 2017 critikat.com - tous droits réservés
Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)
Téléchargement