La valse des pronostics conjoncturels

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La récession n’aura pas lieu si l’économie américaine reste performante
La valse des pronostics
conjoncturels
L’économie suisse devrait poursuivre sur
sa lancée pour les deux prochaines
années, c’est du moins ce qu’affirment les
économistes et instituts conjoncturels qui
ont présenté leurs pronostics au cours des
dernières semaines. Mais le marché du
travail menace toutefois de prendre l’eau
aux Etats-Unis et les prévisions pour la
conjoncture mondiale sont pour l’heure
sujettes à des incertitudes inhabituelles.
Nick Manouk
Si l’apogée a sans doute déjà été atteint
après les records de l’an 2000 avec une croissance économique de 3,4% (cf. encadré),
l’optimisme reste néanmoins de mise,
comme s’accordent généralement à le dire
les professionnels ès conjoncture qui ont récemment publié leurs prévisions: les chiffres
attendus pour cette année varient entre 2 et
2,2%.
Encore deux ans de chômage réduit
Les économistes interrogés semblent ne pas
être impressionnés outre mesure par les
nuages assombrissant actuellement le ciel
de la conjoncture mondiale. Certes, les
craintes d’une récession sont de plus en plus
exprimées aux Etats-Unis, le Japon se traîne
tandis que de nombreux marchés boursiers
font grise mine. Dans l’ensemble toutefois,
le bémol planant sur la conjoncture internationale ne devrait pas avoir d’effets trop radicaux sur notre économie – à condition cependant que les Etats-Unis ne soient pas
frappés de plein fouet par une crise. Dans le
détail, les experts ont ainsi prévu les développements suivants:
Les économistes suisses de renom regroupés au sein de la Business Economists’
Consensus (BEC) attendent pour cette année
AGENDA MT 6/2001
une croissance de 2,1%, puis 2,2% en 2002. Le
taux de chômage se situera selon eux à 1,9%
cette année et à 1,8% l’an prochain. La conjoncture à certes un peu perdu de sa superbe, mais la croissance reste solide et on
ne voit pas encore la fin de l’euphorie conjoncturelle qui dure depuis quatre ans:
l’humeur des consommateurs a atteint un
niveau record et le marché du travail est
quelque peu tendu. La croissance plus lente
des exportations du fait de la conjoncture
américaine fortement rafraîchie pourrait
être compensée par une robuste envie de
consommation. Même le refus clair et net
d’une adhésion rapide de la Suisse à l’Union
européenne ne devrait pas avoir d’effets sur
la conjoncture.
Les experts de la K o n j u n k t u r f o rschungsstelle (KOF) de l’EPFZ nous prédisent de leur côté des taux d’intérêt plus bas,
des augmentations de salaires et une dimi-
Les plus grands pourvoyeurs
d’emploi en l’an 2000
1. Alsthom Suisse
2. Credit Suisse Group
3. Banques Raiffeisen
4. Dosenbach/Ochsner
5. Sunrise/Diax
6. La Poste
7. SAir
8. Huber+Suhner
9. Planzer
10.Cablecom
11.McDonald´s
12.Esec
13.IBM
14.Banque cantonale de Zurich
15.Hotelplan
16.Ikea
650
623
399
326
323
316
305
304
290
255
245
200
200
198
189
186
Source: Blick, AZ
11
nution du nombre des chômeurs, le tout associé cependant à une croissance moindre.
Pour eux, les exportations sont le moteur de
la croissance, et l’économie helvétique devrait progresser de 2,1% cette année et de
1,6% l’an prochain, soit nettement moins que
l’année précédente. Le responsable de la
KOF Bernd Schips explique ainsi pourquoi
la Suisse n’a pas davantage le vent en poupe:
«Désormais, la main-d’œuvre est rare dans
pratiquement tous les secteurs». Quant au
taux de chômage, il devrait continuer à baisser, passant de 1,5% cette année à 1,3% en
2002. L’offre de nouveaux bras peu importante a également une incidence sur les salaires, et les employés auront cette année
ainsi que l’année prochaine trois pour cent
d’argent en plus dans leur porte-monnaie –
alors que la KOF ne décèle pour l’heure pas
de risque immédiat d’inflation.
Le ralentissement que l’on peut attendre
est expliqué par des influences extérieures.
Par rapport à ce que l’on prévoyait jusqu’à
présent, les perspectives pour les USA et le
Japon sont ainsi nettement plus mauvaises
et celles de l’UE plus mitigées, poursuivent
les experts de la KOF. En Amérique, le cycle
des gros investissements dans les équipements et la technique a pris fin de façon
abrupte, la croissance économique passant
de cinq pour cent pour la première moitié de
l’an 2000 à zéro pour cent à la fin de l’année.
L’Institut d’études conjoncturelles de l’Université de Lausanne (Créa) ne prédit un
rythme à nouveau plus soutenu que pour la
fin de l’année 2002. Selon ses estimations, le
produit intérieur brut (PIB) devrait progresser de 2% cette année et de 1,7% l’année prochaine.
L’an dernier, le PIB avait atteint une progression de 3,4%, ce qui n’avait plus été le cas
depuis 1990. Le coup de frein à la croissance
peut selon le Créa être relativisé par trois
Démantèlements de postes
prévus aux USA pour 2001
DaimlerChrysler
Motorola
Nortel Network
Lucent Technologies
Ericsson
Delphi Aut. Systems
Verizon
Procter & Gamble
Cisco Systems
Solectron
Philips Electronics
Wachovia
Sara Lee
Honeywell
ADC Telecom
Whirlpool
J.C. Penney
Compaq
Intel
Supervalu
Xerox
Walt Disney
26 000
22 000
20 000
16 000
15 300
11 500
10 000
9600
8500
8200
7000
7000
7000
6500
6000
6000
5300
5000
5000
4500
4300
4000
Source: 24 heures
Les hauts et les bas des cycles conjonturels suscitent certaines craintes aux Etats-Unis.
L’économie suisse au plus haut depuis dix ans
Le zénith a été atteint. L’an 2000 a été une
année par ticulière à bien des égards pour la conjoncture helvétique, et elle a notamment dépassé les années 90. Il faut maintenant se résoudre à ne plus atteindre aussi facilement de tels
résultats pour les années à venir. La croissance
économique réelle, corrigée des données de l’inflation, s’est montée l’an dernier à 3,4% selon
les calculs du Secrétariat d’Etat à l’économie
(seco). En comparaison, la moyenne des taux de
croissance de 1991 à 1999 se situe autour de
0,6%, et même les trois années d’essor de 1997
à 1999 ont atteint en moyenne tout juste deux
pour cent.
Deux causes expliquent essentiellement cette
poussée conjoncturelle remarquable, tout
d’abord l’économie mondiale florissante dans le
sillage des USA – et qui s’est rapidement remise
de la crise asiatique de 1997 – puis le besoin de
rattrapage accumulé dans notre pays dans la
phase de stagnation du début des années 90.
Les pronostiqueurs sont également d’accord
pour dire que cet essor a d’ores et déjà atteint
son zénith, et on ne prévoit pour cette année
qu’une progression variant entre 2 et 2,2%. On
émettra néanmoins certaines réserves d’usage,
car une détérioration flagrante de la conjoncture
mondiale suite à une récession aux Etats-Unis
pourrait sortir rapidement l’économie suisse de
sa sérénité actuelle.
Le chômage descend à 1,7%
Impulsions saisonnières et conjoncturelles. Le
chômage continue de baisser en Suisse, passant de 1,8% en mars à 1,7% au mois d’avril. Selon le seco, 63 032 personnes étaient enregistrées comme sans-emploi auprès des Offices du
travail, soit 2593 de moins que le mois précédent. Le nombre des demandeurs d’emploi à lui
diminué pratiquement deux fois plus, avec une
baisse de 4258 pour se fixer à 105 857.
Pour Jean-Luc Nordmann, directeur de la Division
du travail au sein du seco, il est particulièrement
réjouissant de voir que la proportion des chômeurs de longue durée est passée d’un tiers
l’année précédente à un sixième aujourd’hui. Le
nombre des chômeurs en fin de droits a en outre
pratiquement diminué de moitié depuis 1999. Le
recul permanent du chômage n’est pas seulement lié aux conditions saisonnières, et il est, selon notre interlocuteur, également favorisé par la
croissance économique. Etant donné que notre
économie devrait connaître une croissance de
l’ordre de deux pour cent l’année prochaine, on
peut d’ores et déjà s’attendre à un nouveau recul du chômage pour 2002.
Le revers de la médaille, c’est que le marché du
travail continue de s’assécher, selon l’expression consacrée. Et Jean-Luc Nordmann d’ajouter
que différents secteurs économiques tels que la
construction, l’industrie des machines, l’informatique ou encore le secteur de la santé et celui
de l’éducation ont beaucoup de mal à trouver une
main-d’œuvre qualifiée.
12
facteurs. Un «effet de base» joue ainsi un
rôle important après 2000, l’année de tous
les records. En outre, une croissance plus
faible du PIB ne doit pas toujours être assimilée à une situation conjoncturelle moins
favorable, car deux pour cent constituent
une croissance tout à fait acceptable vu sur
le long terme. En 2003 déjà, le PIB augmentera à nouveau d’environ 2,2%.
Les observateurs lausannois de la conjoncture considèrent le marché du travail
comme asséché, en particulier en ce qui
concerne le personnel qualifié. Malgré un léger affaiblissement de la conjoncture, le
taux de chômage oscillera en moyenne annuelle aux alentours de 1,8% en 2001, soit le
niveau le plus bas depuis neuf ans. Pour
2002 et 2003, on prévoit également des taux
similaires.
Selon la Konjunkturforschung Basel
(BAK), l’affaiblissement de la croissance aux
Etats-Unis freine aussi l’économie suisse,
mais on s’attend cependant à une embellie
dès l’année prochaine. Ces pronostics sont
plus optimistes que ceux émis par les instituts KOF et Créa, car selon la BAK, la croissance du PIB va certes se ralentir pour
l’année en cours, mais elle conservera un niveau correct avec 2,2%. Dès 2002 et 2003, le
rythme de l’expansion devrait à nouveau
s’accélérer avec 2,4%. Les économistes de la
BAK attirent également l’attention sur les
risques de récession – notamment si les
cours de la bourse continuent à chuter et en
AGENDA MT 6/2001
raison de surcapacités qu’il convient de diminuer, mais ils n’accordent qu’une probabilité minime à ce scénario du pire.
USA: les emplois paient un lourd
tribut à la récession
Les indications varient et sont souvent contradictoires concernant l’évolution conjoncturelle aux Etats-Unis: le responsable toutpuissant de la Banque centrale Alan
Greespan a ainsi déjà par deux fois abaissé
les taux directeurs au cours des quatre derniers mois, arguant d’un contexte économique défavorable. Depuis dix ans, le nombre
de chômeurs n’avait plus connu aux USA
une hausse aussi rapide que celle essuyé au
mois de mars dernier. Le nombre de postes
(agriculture non comprise) a diminué de 86
000 en mars, ce qui constitue le revers le
plus conséquent depuis novembre 1992. Le
taux de chômage est encore bas en comparaison historique, mais il a augmenté – pour
la première fois depuis des années – de 4,2
à 4,3%. L’industrie américaine a démantelé
ces derniers temps un nombre massif de
postes de travail (cf. encadré). Selon le cabinet de chasseurs de têtes Challenger de
Chicago, 400 000 licenciements ou suppressions d’emplois ont été annoncés depuis le début du mois de janvier. L’industrie
manufacturière – avec à sa tête les entreprises high-tech – est clairement plongée
dans une phase de récession, et on a supprimé des postes à tour de bras pendant
huit mois de suite. La saignée semble
s’étendre maintenant jusqu’au tertiaire:
«Le fait qu’on ne crée plus de nouveaux
emplois dans le secteur des services indique qu’on va au-devant d’une récession
généralisée», a déclaré par exemple Bill
Sullivan, expert du cabinet de courtiers
Morgan Stanley Dean Witter. Autre signe
inquiétant selon la responsable de l’Office
des statistiques de l’emploi, le fait que les
travailleurs récemment licenciés ne
croient plus retrouver un poste dans des
délais raisonnables.
Il n’est pas aisé de savoir si l’économie
américaine va à nouveau aller de l’avant.
En tout cas, les données du mois d’avril sur
la croissance n’ont pas manqué de susciter
un certain effet de surprise: alors qu’un
nombre croissant d’économistes sentaient
un danger aigu de récession et que la banque centrale abaissait les taux d’intérêt de
façon agressive au vu de la «crise des
investissements» et d’une ambiance de
plus en plus morose, l’économie américaine a effectivement repris du poil de la tête.
La croissance en termes réels s’est
accélérée à deux pour cent durant le premier trimestre 2001 après avoir été de un
AGENDA MT 6/2001
Des carnets de commande bien remplis impliquent aussi un certain nombre d’heures supplémentaires.
pour cent pour le dernier trimestre de
l’année 2000. Et dire que les rares optimistes invétérés n’auraient eux-mêmes pas
osé prédire que l’économie américaine allait pouvoir renouer avec de tels chiffres
dès le premier trimestre.
La plupart des observateurs craignent
cependant que la demande d’équipements
technologiques – en particulier au niveau
des télécommunications – et de logiciels
pourrait se tasser pour un certain temps.
Au vu des résultats moins importants sur le
plan des bénéfices, les entreprises cherchent à économiser, ce qui pourrait impliquer de nouveaux démantèlements de personnel. Et les pessimistes considèrent du
reste que le danger de récession n’est en
aucun cas écarté, et que la consommation
pourrait malgré tout diminuer si le chômage devait augmenter.
Les avis divergents
du FMI et de la Banque mondiale
De nombreux observateurs internationaux
ne se fient pas non plus au nouvel élan qui se
manifeste. Le Fonds monétaire international
(FMI) et la Banque mondiale ont siégé ce
printemps dans un climat de forte incertitude quant à l’évolution de la conjoncture
mondiale, laquelle est fortement marquée
par ce qui se passe aux Etats-Unis. Deux hypothèses différentes se sont ainsi exprimées.
D’aucuns s’attendent pour la première moitié
de l’année à un nouveau frémissement de la
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conjoncture américaine, alors que d’autres
ne croient pas à un redressement rapide. S’il
est difficile de prévoir l’avenir, on se consolera néanmoins en se rappelant que l’économie mondiale peut aujourd’hui davantage
résister à la crise que ce n’était le cas les
années précédentes, car les économies les
plus importantes sont devenues nettement
plus solidaires.
Les points d’interrogation les plus récents sur l’économie américaine sont la
hausse des prix de l’essence et de l’énergie,
la fragilité des consommateurs et la confiance des entrepreneurs décidément mise à
mal. La «Business Confidence», c’est-àdire la confiance de l’économie et des entrepreneurs, n’est pas très reluisante pour le
moment. Le sondage le plus récent de la
National Association of Purchasing Management (NAPM) a montré que 38% des entrepreneurs sont pessimistes pour les douze
prochains mois, alors que ce chiffre était de
5% seulement lors du sondage du mois de
décembre. Depuis 1962, soit depuis près de
quarante ans, les managers pessimistes
n’avaient même jamais été aussi nombreux!
L’humeur des entrepreneurs est décisive car, comme rarement auparavant,
l’économie américaine repose aujourd’hui
sur les investissements et non plus sur la
demande – les investissements des entreprises ayant, notamment dans les années
90, contribué pour près d’un tiers à la
croissance économique américaine.
p
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