de voisinage

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n° 105 03.2004
le magazine de l’environnement sonore
g
Echo Bruit
Dossier “Chronique juridique”
Quand le bruit devient
un inconvénient anormal
de voisinage
Panorama de jurisprudences civiles
Par Jean-Marc JACOB, Avocat à la Cour
ÇNul ne doit causer
ˆ autrui un trouble
de voisinageÈ.
D
epuis plusieurs décennies, ce principe
prétorien sert de fondement aux applications
jurisprudentielles des litiges portant sur le
bruit, du moins lorsque la perception du
bruit est évoquée comme une nuisance sonore constitutive
d’inconvénient anormal de voisinage.
Il ne sera pas question ici de l’application de la réglementation
pénale, constituée notamment par les contraventions de
tapage nocturne (article R 623-2 du Code Pénal), de bruit
de voisinage selon le décret du 18 avril 1995 (codifié aux
articles 1336-6 et suivants du Code de la Santé Publique) et
d’absence d’étude d’impact selon le décret «lieux musicaux»
de décembre 1998.
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du voisinage extérieur provenant d’immeubles ou pavillons
voisins, ou d’activités tels que commerces, usines …(II).
L’inconvénient anormal de voisinage est une notion qui part
du principe que notre Société doit tolérer un minimum de
bruit, et que c’est donc, en quelque sorte, l’excès de bruit
qui doit être sanctionné au titre d’un inconvénient anormal
de voisinage.
Longtemps la jurisprudence s’est appuyée sur :
Il sera uniquement traité de l’application de la théorie des
inconvénients anormaux de voisinage devant le Juge Civil.
- L’article 544 du Code Civil consacrant le droit de
propriété en stipulant : «la propriété et le droit de jouir et
disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu
qu’on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les
règlements».
Pour le voisinage, il sera distingué du voisinage dans un
immeuble collectif d’habitation, qu’il soit locatif ou en
copropriété, en traitant des bruits dans l’habitation (I), et
- L’article 1382 du Code Civil selon lequel «tout fait
quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer».
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Ce sont ces notions d’abus de droit et de faute qui permettaient
de sanctionner l’excès de bruit.
Ensuite, la théorie des inconvénients anormaux de voisinage
a progressé en prenant de l’autonomie au point de fonder
la responsabilité de l’auteur du bruit, non plus sur la faute,
mais sur la seule constatation de l’existence de l’inconvénient
anormal de voisinage, c’est-à-dire de l’excès de bruit.
I - Les bruits dans l’habitation
Lorsque les bruits en cause sont émis dans un immeuble en
copropriété, le Règlement de Copropriété rappelle toujours
l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 selon lequel chaque
copropriétaire «use et jouit librement des parties privatives et
des parties communes sous la condition de ne porter atteinte
ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de
l’immeuble».
Plus spécifiquement en matière de bruit, les Règlements de
Copropriété prévoient toujours l’obligation pour chaque
copropriétaire de ne causer aucun trouble notamment par
le bruit.
1) Les troubles causés par le bruit entre voisins, qu’ils soient
copropriétaires ou locataires, seront le plus souvent des bruits
de comportement dont des cris, des excès qui font que le
Juge Civil à savoir le Tribunal d’Instance et/ou de Grande
Instance aura à qualifier ces bruits comme «excédant les
inconvénients normaux du voisinage» :
- Arrêt de la Cour d’Appel de Bordeaux Chambre 1 B du 4
juin 1992 (Juris Data 042869) :
Ici la Cour confirmait un jugement du Tribunal d’Instance
de Bordeaux du 9 janvier 1990 qui avait caractérisé par des
cris et excès l’inconvénient anormal de voisinage, bien que
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l’environnement général bruyant du quartier était allégué, les
victimes s’étant vues allouer 2.000 Francs de dommages et
intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance.
2) Dans les difficultés entre voisins liées au bruit, l’instrument
de musique est souvent problématique : son usage n’en est
pas interdit par le Règlement de Copropriété mais peut
engendrer des perceptions mal ressenties par le voisinage,
selon son intensité sa répétition, sa durée …
Le piano est un exemple récurrent du fait, sans doute, de la
richesse de son spectre sonore, si bien qu’une isolation acoustique
moyenne entre logements ne sera pas assez protectrice.
Le plus souvent, le Juge Civil, pour apprécier si la perception
des bruits de piano est excessive, s’appuiera sur les constatations
d’un expert acousticien désigné à cet effet.
Généralement, les experts acousticiens considèrent que le
bruit de piano va constituer un trouble anormal de voisinage
lorsque l’émergence de bruit, c’est-à-dire la différence entre
le bruit de piano, et le bruit résiduel sans piano, dépasse 5
dB(A) le jour :
- Jugement du Tribunal d’Instance du 3ème arrondissement
de Paris du 11 décembre 1997 AFF. Roux C/Mathé : les
émergences atteignaient 10 décibels, le Tribunal considéra
le pianiste «responsable des nuisances sonores anormales» et
indemnisait le préjudice à hauteur de 8.000 Francs.
En sens contraire :
- Jugement du Tribunal d’Instance du 15ème arrondissement
de Paris du 3 décembre 1992, n° 2102/92, AFF. Cange : ici
l’Expert judiciaire ne se référa pas à l’émergence de bruit
provoqué par le piano mais au niveau de bruit engendré par
ce piano dans le domicile des plaignants, les époux Cange,
qui était de l’ordre de 36 et 37 dB(A), en le comparant aux
niveaux de bruit qui pouvaient être parfois perçus par d’autres
sources, tels ici des rires, qui atteignaient 40 dB(A) ;
Comme l’Expert en avait déduit que le piano en conséquence
ne créait pas de trouble particulier, le Tribunal avait suivi en
considérant «que l’utilisation du piano entraîne une élévation
du niveau sonore inférieure aux rires, et inférieur à 40 dB(A).
Attendu que ce niveau sonore ne peut, à lui seul, constituer
un trouble de voisinage pour des citadins habitant en HLM,
et donc particulièrement exposés à toutes sortes de bruits» ; le
Tribunal attribuait en fait les troubles des époux Cange non pas
à une faute de la pianiste mais à un défaut d’isolation sonore
des appartements.
Cette décision peut paraître critiquable car le Tribunal
en évoquant les insuffisances de l’isolation acoustique de
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l’immeuble aurait pu, selon une jurisprudence dominante,
considérer qu’il appartient à chaque occupant d’adapter son
comportement à la sonorité de l’immeuble et donc limiter
son activité pianistique, tant dans son intensité que dans sa
durée, en retenant l’existence d’un inconvénient anormal de
voisinage.
3) La responsabilité d’un propriétaire d’immeuble locatif n’est
pas toujours écartée par les Tribunaux :
- Jugement du Tribunal d’Instance du 12ème arrondissement
de Paris du 27 avril 2000 AFF. Ortiz:
La Société Anonyme d’H.L.M. La Sablière louait son rezde-chaussée pour une activité de Boulangerie-Traiteur,
et l’appartement du 1er étage situé au-dessus pour de
l’habitation.
L’Expert judiciaire concluait «que l’exploitation de la
Boulangerie causait une gêne sonore incontestable qui
dépassait les inconvénients normaux du voisinage», et le
Tribunal fit application de l’article 1719 du Code Civil en
considérant que le bailleur, la SA d’H.L.M. La Sablière
devait garantir à son locataire, les époux Ortiz, une jouissance
paisible des lieux, se voyant condamnée à réparer le préjudice
de ses locataires à hauteur de 20.000 Francs.
4) C’est justement, pour éviter que sa responsabilité ne soit
recherchée qu’un propriétaire d’immeuble locatif décide
parfois d’agir directement contre son locataire bruyant, aux
fins d’obtenir la résiliation anticipée du bail et l’expulsion :
- Arrêt de la Cour d’Appel de Paris 6ème chambre Section B
du 28 janvier 1999 (Juris Data 020356) AFF. Vasiljkovic
C/L’O.P.A.C. de l’Yonne : la Cour confirmait un jugement
du Tribunal d’Instance de Joigny du 11 juin 1997 qui avait
prononcé la résiliation du bail et ordonné l’expulsion du
locataire, Monsieur Vasiljkovic, en raison de l’écoute d’une
chaîne HI-FI à un niveau sonore anormalement élevé ; le
Tribunal ne s’est pas fondé sur des mesures acoustiques
et des appréciations d’expert, mais sur un autre élément
de preuve usuel en la matière, à savoir celui résultant
d’attestations ; le Tribunal puis la Cour ont considéré
que preuve était rapportée, notamment, que les voisins ne
pouvaient ouvrir leurs portes et fenêtres ni même écouter la
télévision de jour comme de nuit en raison de l’importance
de l’écoute de la chaîne HI-FI et qu’en conséquence,
Monsieur Vasiljokvic n’avait pas usé paisiblement et en
bon père de famille des lieux loués.
C’était une autre manière d’apprécier que l’écoute de cette
chaîne HI-FI constituait un inconvénient anormal de
voisinage.
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5) Un copropriétaire peut aussi voir sa responsabilité engagée
du seul fait d’émission de bruits excessifs par son locataire
sous l’approche de l’insuffisance de l’isolation acoustique :
- Jugement de la 3ème Chambre du TGI de Versailles du 11
décembre 2001, et arrêt confirmatif de la 1ère Chambre 1ère
Section de la Cour d’Appel de Versailles du 27 mai 2003 : AFF.
Camuset C/Gommier : le Tribunal et la Cour ont considéré que
les consorts Gommier, en louant en l’état leur appartement, ont
créé des inconvénients anormaux de voisinage dont ils doivent
répondre sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil,
au détriment des époux Camuset, copropriétaires, à l’étage
inférieur ; il s’agissait d’une transmission excessive de bruits
aériens et d’impacts ; le Tribunal et la Cour se sont appuyés
sur les valeurs de l’isolation acoustique, tant aux bruits
aériens que d’impacts, mesurés par un expert acousticien
et les considéraient comme insuffisantes pour offrir un
confort minimum ; en outre de nombreux témoignages
confirmaient les troubles subis par les époux Camuset
dans la vie quotidienne, l’impossibilité de se reposer de
jour comme de nuit et de recevoir dans des conditions
normales leurs amis, si bien que les copropriétaires de l’étage
supérieur ont été condamnés à leur verser 84.500 Francs de
dommages et intérêts, outre des indemnités pour les frais
de l’article 700.
Cette décision retient l’attention car l’inconvénient anormal
de voisinage dont le copropriétaire est rendu responsable
se fonde sur des références d’insuffisances de l’isolation
acoustique pourtant courantes en habitat ancien.
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Enfin, il est à noter que le Tribunal de Versailles avait fondé la
responsabilité des copropriétaires, les consorts Gommier, sur
le fondement de l’article 1382 du Code Civil c’est-à-dire sur
la faute; la Cour rectifia en «considérant que la responsabilité
encourue par le propriétaire est étrangère à la notion de faute,
de telle sorte que les époux Camuset n’ont pas à prouver la
faute des consorts Gommier» ; la Cour se fonda uniquement
sur la théorie des inconvénients anormaux de voisinage en
«considérant que la réalité des troubles est établie par le
rapport de l’expert judiciaire ainsi que leur caractère anormal
justifiant l’action engagée par les époux Camuset».
une clause spécifique n’autorisant à modifier les revêtements
de sols des appartements qu’à la condition que le nouveau
matériau employé assure une isolation acoustique au moins
égale à celle d’origine.
Mais c’est principalement en habitat plus récent que les
insuffisances de l’isolation acoustique vont générer un
contentieux, particulièrement en cas de modification de
revêtements de sols :
- Jugement du TGI de Nanterre 1ère Chambre du 5 juin 1998,
AFF. Consorts de Laigue C/Bernard-Bruls : ici la moquette
avait été remplacée par du parquet ; le Tribunal s’est assuré
par une expertise acoustique de l’importance de la diminution
de l’isolation acoustique qui en est résultée, 20 dB(A), et
qu’il y avait bien à l’origine de la moquette, selon les notices
descriptives sommaires d’usage ; le Tribunal en considérera
en conséquence rapportée la preuve d’un trouble anormal
de voisinage au motif qu’il «ressort suffisamment dans le cas
d’espèce de la différence importante de 20 dB(A) relevée
entre les appartements ici en cause par rapport aux autres
appartements de l’immeuble» ; le copropriétaire qui avait
modifié son revêtement se voyait donc déclaré «responsable
des préjudices et des inconvénients anormaux de voisinage
subis par les époux Ortoli», et condamné à faire poser de la
moquette, ainsi qu’à des dommages et intérêts à hauteur de
30.000 Francs.
6) A partir des années 1970, les constructions neuves
d’immeubles d’habitation allaient se composer d’appartements
livrés avec des moquettes dans les pièces principales,
permettant ainsi aux constructeurs d’assurer une isolation
acoustique aux bruits d’impact conforme aux normes qui
venaient d’être créées le 14 juin 1969, mais même au-delà,
assurant ainsi une isolation acoustique de qualité ; au fil
des années, la moquette devint moins à la mode, pour des
raisons souvent invoquées d’hygiène, de présence d’acariens.
De plus en plus de copropriétaires ou occupants modifièrent
alors leurs revêtements de sols en enlevant leur moquette
au profit de ces revêtements de sols durs :parquet, carrelage,
marbre …
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Dans les Règlements Intérieurs plus anciens, cette clause n’y
figure pas.
En ce cas, les Tribunaux évoquent les clauses plus classiques des
Règlements de Copropriété sur l’abus de droit pour appliquer
la théorie des inconvénients anormaux de voisinage :
Un grand nombre de décisions semblables ont été
rendues ces 20 dernières années. Toutefois, une tendance
minoritaire est apparue ou, contrairement à cette espèce,
lorsqu’il veut qualifier la réalité de l’inconvénient anormal
de voisinage, le Tribunal ne se satisfait pas uniquement
de la diminution de l’isolation acoustique, souhaitant des
éléments complémentaires sur l’occupation réelle des lieux
et la perception réelle des bruits d’impacts.
La jurisprudence est plus stable lorsque le Règlement de
Copropriété stipule la clause spécifique précitée :
Quelles que soient les précautions techniques prises lors de
la pose, il en résulte le plus souvent une diminution sensible
de l’isolement acoustique initial apporté par la moquette, et
donc une perception des bruits de chocs aggravée pour les
proches voisins, particulièrement ceux de l’étage inférieur.
Pour tenter de prévenir les méfaits de la vogue des parquets,
marbres, les Règlements de Copropriété intègrent souvent
- Jugement du TGI de Nanterre 5ème Chambre du 3 juin 2003
AFF. Brunissen C/Mahier.
Toujours après avoir vérifié de la réalité de la présence d’une
moquette d’origine grâce à la notice descriptive sommaire,
et la diminution de l’isolation acoustique acquise par les
mesures de l’Expert judiciaire, le Tribunal a recours à la clause
du Règlement de Copropriété pour rendre le copropriétaire
responsable des inconvénients anormaux de voisinage en
résultant :
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«Il s’ensuit, et il n’est d’ailleurs pas contesté, que Monsieur
Mahier a, en contravention aux stipulations du Règlement
de Copropriété, procédé, hormis dans deux chambres, au
remplacement du revêtement existant par un revêtement
présentant des qualités d’isolation phonique inférieure,
engendrant une dégradation de l’isolement acoustique aux
bruits d’impacts, et rendant ce copropriétaire responsable
des inconvénients anormaux de voisinage en résultant».
Le copropriétaire se voyait en conséquence condamner à
poser de la moquette et à réparer le préjudice à hauteur de
2.500 Euros.
Ici les bruits de musique engendraient une émergence de
8 dB(A), l’insuffisance de la structure du bâtiment avait
été observée et la Cour n’avait pas été influencée par le fait
que le Bar Café Restaurant se trouvait dans une rue de la
ville de Rennes qui comportait de nombreux autres bars
en ces termes :
«L’exploitant ne saurait se prévaloir du fait que la rue dans
laquelle est situé l’immeuble, comporte de nombreux bars.
L’exploitant doit donc être condamné à effectuer les travaux
destinés à limiter la propagation du bruit, par le renforcement
du plafond et des murs et le traitement des ouvertures et de
la ventilation».
Dans de nombreuses décisions similaires l’infraction à une
clause du Règlement de Copropriété fonde l’existence des
inconvénients anormaux de voisinage.
Les inconvénients anormaux de voisinage proviennent aussi
souvent de l’extérieur, que ce soit de pavillons mitoyens,
voisins, ou de commerces :
7) Un autre contentieux important : les nuisances sonores
engendrées par les bars, restaurants… :
II - Les bruits extérieurs
En dehors des bruits engendrés dans les locaux d’un même
immeuble, le voisinage extérieur produit aussi des bruits
constitutifs d’inconvénients anormaux de voisinage émanant
de pavillons mitoyens ou non, d’immeubles et cours voisins,
de commerces, d’usines …
1) Les pavillons mitoyens
La construction et/ou la transformation, avec surélévation,
d’un pavillon mitoyen peut donner lieu à une perception
nouvelle de bruit pour le pavillon antérieurement implanté.
- Arrêt de la Cour d’Appel de Paris 23ème Chambre Section
B du 15 janvier 1993 AFF. SARL Self La Motte Picquet
C/Badery (Juris Data 020203).
Les lots commerciaux d’immeubles en copropriété sont
parfois exploités par des restaurants.
C’est ici les bruits diurnes et nocturnes d’un compresseur,
considéré comme dépassant le seuil de tolérance, qui
a été sanctionné pour une durée reconnue de 16 ans par
l’allocation de 150.000 Francs de dommages et intérêts au
motif que «l’exploitant d’un restaurant est responsable des
troubles excessifs dépassant les inconvénients normaux de
voisinage émanant de son commerce».
Le plus souvent, en matière de nuisances, ce sont des travaux
de renforcement de l’isolation acoustique qui sont obtenus
par les victimes :
- Arrêt de la Cour d’Appel de Rennes 1ère Chambre du 27
janvier 1999 AFF. SCI Sigort C/Syndicat d’immeuble 19 Rue
Saint Michel à Rennes (Juris Data 040271).
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Comme souvent la conjonction dommageable d’insuffisance
de l’isolation acoustique et de comportement peu
précautionneux de l’occupant favorise la perception
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excessive de bruit qui sera considérée comme constitutive
d’inconvénient anormal de voisinage :
- Jugement du TGI de Nanterre du 30 juin 1993 confirmé
par un arrêt de la Cour d’Appel de Versailles 1ère Chambre
du 24 avril 1995 AFF. Forlini C/Vincenti.
Par leurs travaux modificatifs et de surélévation de leur
pavillon, les époux Vincenti ont donné lieu à une perception
excessive de bruit pour le pavillon mitoyen voisin des époux
Forlini.
L’expertise judiciaire avait révélé que ces travaux avaient
dégradé l’isolement acoustique initial, notamment par des
dispositions malheureuses ; fort de ces constatations, le
Tribunal puis la Cour considérèrent d’autant plus rapportée
la preuve d’un trouble anormal de voisinage du fait que les
époux Forlini percevaient des bruits de voix, d’aspirateur,
de télévision, de chocs, de meubles traînés, de billes et de
bricolage ; en conséquence, les époux Vincenti se voyaient
condamnés à effectuer des travaux de pose de moquette et de
doublement de parois séparatives, ainsi qu’à des dommages
et intérêts à hauteur de 20.000 Francs.
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faire considérer que cet aboiement excède les inconvénients
normaux de tout voisinage en zone pavillonnaire.
Parfois seules, les attestations de quelques proches et/ou
voisins de la victime devront suffire à convaincre de la réalité
de l’inconvénient anormal de voisinage.
La Cour de Cassation a admis de longue date la force probante
des témoignages en cette matière :
- Arrêt Cassation 2ème Chambre Civile 21 mars 1984 :
«Mais Attendu que le jugement relève qu’un témoin certifie
avoir été très fortement gêné par les aboiements des chiens,
qu’un autre témoin déclare qu’ayant été incommodé par
le bruit causé par ces chiens, il avait dû écourter son
séjour chez des voisins de Monsieur Tostain ; que de ces
constatations il résulte que le Tribunal a estimé que les
troubles allégués avaient dépassé les inconvénients normaux
de voisinage».
Ceci étant le Juge doit être convaincu de l’importance des
aboiements pour considérer qu’il en résulte un inconvénient
anormal de voisinage, par exemple en les qualifiant de violents
et renouvelés :
- Arrêt de la Cour d’Appel de Paris 7ème Chambre B du 11
juin 1992 AFF. Markarian C/Epoux N’Guyen, et allouait
20.000 Francs à titre de dommages et intérêts en réparation
du préjudice.
Nécessairement la part subjective inhérente à toute
appréciation de la frontière entre l’inconvénient normal
ou anormal de voisinage est plus importante ici que pour
d’autres sources de bruit.
Un exemple de cette divergence d’appréciation dans l’affaire
Pinateau C/Bigard :
- Le jugement du Tribunal d’Instance de Saint-Germainen-Laye du 28 mars 1996 déboute les époux Pinateau de
leur demande de dommages et intérêts en réparation du
préjudice causé par les aboiements de chien, malgré la
présence d’importants éléments de preuve constitués par
de nombreuses attestations et plusieurs constats d’huissier
de justice, au motif d’un comportement fautif des époux
Pinateau qui exciteraient le chien aux fins de le faire aboyer
pour les besoins de constitution de ces éléments de preuve.
2) Les aboiements de chien
Engendré et perçu, le plus souvent, en zone pavillonnaire,
l’aboiement de chien est d’autant plus mal supporté qu’il
dépend de la bonne volonté du propriétaire de l’animal à
prendre des précautions ou des mesures appropriées pour
faire cesser l’aboiement. En outre il peut s’avérer difficile de
- Par son arrêt du 12 juin 1998, la 1ère Chambre 2ème Section
de la Cour d’Appel de Versailles rectifia cette interprétation
critiquable du fait de l’importance des éléments de preuve
rapportés quant à ces aboiements et considérant qu’il
s’agissait bien d’un trouble anormal de voisinage en allouant
aux victimes 15.000 Francs de dommages et intérêts.
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3) Les cours et jardins d’immeubles peuvent aussi engendrer
des bruits dépassant les inconvénients normaux d’un tel
voisinage.
Un immeuble locatif avait transformé ses jardins de terre par
la pose de bitume, ce qui avait favorisé un changement de
destination du fait que cette cour, ainsi bitumée, était devenue
une véritable aire de jeux spontanée, notamment de ballon, par
les enfants des résidents locataires de cet immeuble ; il en était
résulté des résonances de bruit importantes pour l’immeuble
situé en face, appartenant à la Société Civile Immobilière
Baudin Wilson, également donné en location :
- Jugement du Tribunal d’Instance de Levallois-Perret du 2
juillet 1998 : SCI Baudin Wilson C/SA Sonacotra.
Sur la base des constatations d’un expert judiciaire, et de
nombreuses attestations, le Tribunal considéra que cet
espace de jeux n’était pas conforme à sa destination initiale
et considéra que la Sonacotra faisait de ce fait subir à la SCI
propriétaire de l’immeuble et sa gérante occupante Madame
Gilbert des troubles anormaux du voisinage du fait de ces
nuisances sonores.
4) Les commerces
Les commerces exploités dans un proche voisinage, tout
comme ceux installés dans les immeubles locatifs ou en
copropriété, peuvent engendrer des nuisances sonores.
Ainsi, un atelier de serrurerie :
- Jugement du TGI de Versailles du 5 février 1996 et arrêt de
la Cour d’Appel de Versailles 1ère Chambre A du 8 octobre
1998 AFF. Carpentier C/Dogimont.
Les activités d’ébarbage et de tronçonnage de l’atelier de
serrurerie exploité par Monsieur Carpentier en face du
pavillon avec jardin des époux Dogimont, généraient des
émergences de 5 à 14 dB(A) ; l’expert, pour mieux qualifier
la gêne ajouta à cette notion d’émergence le fait que ces
bruits étaient «à tonalité très marquée, à fréquences élevées,
ce qui les rend désagréables dans ce quartier relativement
calme»; il s’agissait d’une perception de bruits dans le jardin
et le pavillon des époux Dogimont mais fenêtres ouvertes
seulement ; le Tribunal considéra néanmoins que cette gêne
était «née du bruit occasionné par une partie des activités de
l’atelier de serrurerie, dépassant les inconvénients normaux
du voisinage», et allouait 36.000 Francs d’indemnisation,
sans ordonner de travaux car il était établi que préalablement
Monsieur Carpentier avait effectué les travaux préconisés par
l’expert judiciaire dont la pose d’une porte-écran mise en
place à l’entrée de l’atelier de serrurerie.
Mais il faut observer que l’atelier de serrurerie avait réduit
quasiment à néant l’efficacité de ces travaux car, par la suite,
il travailla souvent en ne fermant pas la porte-écran laissant
donc échapper les bruits d’exploitation des activités de
meulage ; il en était de même de l’appentis dont la porte
n’était pas fermée, laissant passer les bruits de l’activité de
tronçonnage ;
Dans le cadre de l’appel les époux Dogimont purent obtenir
que ces deux portes restent fermées, sous peine d’astreinte de
2.000 Francs par infraction constatée.
Cette décision illustre les difficultés, parfois d’obtenir en
justice des travaux à la fois efficaces et pérennes.
Lorsqu’en cours d’expertise judiciaire les parties ne proposent
pas de devis descriptif sur les travaux sommairement
préconisés par l’expert judiciaire pour remédier aux nuisances
sonores, c’est ce dernier qui doit alors préciser la nature des
travaux à entreprendre.
Le Tribunal peut ensuite reprendre les préconisations de
l’expert, permettant ainsi de vaincre la résistance de l’auteur
des bruits, redevable de l’exécution de ces travaux.
Ce fut le cas dans l’affaire suivante :
- Jugement du TGI de Fontainebleau du 24 janvier 2001
confirmé par un arrêt de la Cour d’Appel de Paris 2ème
Chambre, section B du 14 novembre 2002 AFF. Gueganton
C/Société Haras des Grands Champs.
Un haras avec sonorisation, à l’occasion de manifestations
hippiques ou autres, un bar-salon, un restaurant avec terrasse
généraient des nuisances importantes par les bruits de voix,
de sonorisation, de va-et-vient de la clientèle en voiture…
jusqu’à des heures tardives, auxquels s’ajoutaient, le jour, les
bruits de fonctionnement d’un tracteur pour l’entretien du
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haras. Après expertise, les sociétés exploitant le haras, le bar et
le restaurant furent déclarées responsables du fait des troubles
anormaux de voisinage, après que le Tribunal ait rappelé tout
à la fois l’article 1382 du Code Civil et le fait que nul ne doit
causer à autrui un trouble de voisinage ; plus remarquable est
que le Tribunal ordonna des travaux détaillés en reprenant
les préconisations de l’expert pour le traitement du haras,
de la salle de bar restaurant, de la terrasse du restaurant qui
devait réaliser une toiture, des parkings à réaménager…; ces
travaux étaient assortis d’une astreinte de 250 Francs par jour
de retard à compter du 120ème jour de la date à partir de
laquelle le jugement devenait définitif mais par précaution,
le Tribunal, dans l’attente de la réalisation de ces travaux,
interdisait l’exploitation du bar et du restaurant après 22
heures, sous peine d’astreinte de 1.000 Francs par infraction
constatée ; interdiction était également faite d’utiliser le
tracteur litigieux sous peine d’une astreinte, également de
1.000 Francs, par infraction constatée ; la Cour confirmait
ces travaux mais en ordonnant une nouvelle astreinte, et
confirmait aussi l’indemnisation à hauteur de 72.000 Francs
de dommages et intérêts.
5) Les usines et les installations classées
Les usines, les grosses entreprises commerciales ou agricoles,
peuvent générer des nuisances importantes, sonores, mais
parfois aussi d’odeur et de poussière, et ce malgré les
prescriptions d’exploitation qui leur sont imposées lorsque
ce sont des installations classées, conformément à la loi de
1976, qu’elles soient soumises à autorisation ou à simple
déclaration à la Préfecture.
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Le ou les riverains de ces installations classées ont, comme
pour les autres sources de bruit citées ci-dessus, à exciper et
démontrer qu’ils subissent des inconvénients anormaux de
voisinage du fait de ces nuisances, mais ils doivent en outre
faire face à l’argument de l’antériorité invoquée souvent par
ces entreprises généralement implantées de longue date.
Par application de l’article L 112-16 du Code de la
Construction et de l’Habitation, l’installation classée va
plaider son exonération de responsabilité dans les troubles
de voisinage du fait de cette antériorité de son implantation
par rapport à celle du plaignant.
Toutefois, encore faut-il que l’entreprise ou l’installation
classée puisse démontrer, conformément à cette loi, que son
activité respecte les réglementations en vigueur et s’exerce
dans des conditions identiques à celles qui existaient lors de
l’implantation des plaignants :
- Jugement du 16 février 1996 de la 2ème Chambre du TGI
de Versailles, et arrêt de la Cour d’Appel de Versailles 4ème
Chambre du 17 novembre 1998 AFF. Groues et autres C/
Iton-Seine.
Monsieur Groues et les autres riverains de la Fonderie
proche de leur pavillon, exploitée par la Société Iton-Seine
firent constater leurs nuisances de bruit, d’odeur et autres
par deux experts judiciaires ; la Société Iton-Seine allégua
son implantation depuis des décennies, qu’elle respectait
les réglementations en vigueur en bénéficiant de toutes
les autorisations requises, et qu’elle n’avait pas modifié ses
conditions d’exploitation.
19
n° 105 03.2004
le magazine de l’environnement sonore
g
Echo Bruit
Dossier “Chronique juridique”
Le Tribunal de Grande Instance de Versailles adopta
l’argumentation d’Iton-Seine qui avait insisté sur la prise de
risque des plaignants lorsqu’ils s’étaient installés à côté d’une
Fonderie et les débouta de leurs demandes d’indemnisation
et de travaux.
Sur appel des riverains, la Cour considéra, comme le
soutenaient les appelants, et à l’appui des constatations
d’expertise, que les niveaux de bruits émis par la Fonderie
dépassaient de façon importante et réitérée les niveaux prévus
par l’Arrêté Interministériel du 20 août 1985 applicable aux
installations classées ; en conséquence la Cour considéra
que la Société Iton-Seine ne respectait pas la réglementation
en vigueur et que les demandes en réparation des riverains
devaient être examinées du fait de ces nuisances sonores en
ordonnant une expertise complémentaire et en leur allouant
à chacun une provision de 10.000 Francs.
Les silos à grains sont des installations classées souvent
génératrices de bruits et d’odeurs constitutives d’inconvénients
anormaux de voisinage.
C’est l’augmentation de l’activité, c’est-à-dire les modifications
des conditions d’exploitation du silo qui ont permis de faire
échec à la notion d’antériorité dans l’affaire suivante :
- Cour d’Appel de Bourges arrêt du 30 janvier 2001 AFF. SA
établissements Renaud C/Madame Lacote.
«Attendu qu’en tout état de cause, les constatations des experts
relatives aux nuisances sonores dues au passage incessant de
camions ainsi qu’aux nuisances dues aux poussières et odeurs
engendrées par les chargements d’engrais sont suffisamment
édifiantes pour faire admettre l’existence de troubles anormaux
de voisinage dont l’intensité s’est incontestablement accrue
depuis 1991 avec l’essor des activités de la SA Renaud».
Généralement, comme en l’espèce, la réparation du
préjudice consiste à obtenir le transfert de l’activité, afin
de supprimer les causes de bruits et d’odeurs, ainsi que
l’indemnisation du préjudice, ici par 150.000 Francs de
dommages et intérêts.
En conclusion…
Ces nombreux exemples, tirés de la jurisprudence civile,
retiennent tous la constatation d’un trouble anormal de
voisinage comme fondement des condamnations prononcées
à l’encontre des bruiteurs.
La Cour de Cassation contrôle régulièrement l’application
de ce fondement :
- Cour de Cassation Chambre Civile 2 du 24 avril 1989
arrêt n° 893.
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La Cour d’Appel de Reims le 9 février 1987 n’avait pas
accueilli la demande de réparation des nuisances engendrées
par une menuiserie au motif qu’aucune faute du propriétaire
du local qui abritait la menuiserie ne pouvait être établie.
Comme la Cour d’Appel relevait par ailleurs que le préjudice
subi n’était pas contesté du fait du caractère anormal des
nuisances, la Cour de Cassation a considéré que la Cour
d’Appel n’avait pas fait les bonnes déductions sur les
conséquences de ses propres constatations à savoir celles
concernant la réalité du trouble anormal de voisinage.
Il en ressort explicitement que le fondement du traitement des
nuisances sonores est bien celui de la théorie des inconvénients
anormaux de voisinage et non pas celui de la faute.
Il en résulte que la réparation d’un préjudice causé par le
bruit, que ce soit en dommages et intérêts, en exécution de
travaux… ne pourra être obtenue qu’à condition de démontrer
la réalité de l’inconvénient anormal de voisinage par des
éléments de preuve susceptibles de retenir favorablement
l’appréciation du Juge Civil selon les divers paramètres qui
ont été évoqués dans les décisions de justice précitées, à savoir
essentiellement :
- L’intensité, soit par une appréciation objective selon des
mesures acoustiques révélant des niveaux de bruits excessifs ou
des émergences de bruits significatives, c’est-à-dire lorsqu’elles
dépassent 5 décibels de jour et 3 décibels la nuit.
Cette même intensité pourra être appréciée plus
subjectivement, notamment en cas d’absence de mesures
acoustiques, selon les témoignages recueillis, des circonstances
de fait, de lieu …
- La durée : des bruits trop épisodiques, surtout le jour,
pourront donner lieu à une appréciation subjective selon
laquelle ces bruits ne dépasseraient pas en conséquence les
inconvénients normaux du voisinage.
Les mesures acoustiques, les attestations, les correspondances,
les constats d’huissier, les circonstances de fait et de lieu sont
donc les éléments d’appréciation du Juge qui lui permettent
de déterminer si en définitive le bruit qu’on lui demande de
sanctionner dépasse l’inconvénient que chacun doit supporter
dans toute vie en Société pour devenir un inconvénient
anormal de voisinage.
Renseignements : [email protected]
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