FLORA SINENSIS

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FLORA SINENSIS.
OV TRAITE'
DES FLERVS , DES FRV ITS.
DES PLANTES, ET DES ANIMAVX
particuliers à la Chine.
Par
le
R.P.MICHEL
BOYM
Iefuifte.
AV LECTEVR.
A vérité mefme qui eft Iefus-Chrift dit dans fainct Matthieu, que l'on
connoift les faux ou les veritables Prophetes par leurs ouurages, comme l'on diftingue
les bons arbres d'auec les mauuais par leurs fruits.
Il femble que l'on doiue iuger de mefme de la bonté des pays , et que felon qu'ils
produ i fent de bons ou de mauuais arbres ,l’on ne se trompe
guieres a iuger par là de leurs qualitez, c'eft par cette raifon que ie prefente icy à mon
Lecteur les plus curieux fruits des Indes Orientales & de la Chine ; mais ie luy
dois faire remarquer que . la plufpart des arbres &
des plantes de noftre Europe, ne peuuent profiter dans les Indes, & degenerent
toufiours lors- que l’on les y tranfplante : les laitiuës mefme qui viennent fi
ayfément chez . nous, de generent à une autre plante; comme fi la force de cette partie de
la terre, qui eft entre les deux Tropiques étouffoit la vertu prolifique de la plante.
Mais la terre de la Chine a cet auantage que non feulement elle a des arbres qui
luy font particuliers, mais qu'elle produit auffi ceux des Indes,& auec cela beaucoup de
ceux de l'Europe. Ce qui vient de
la grande eftendue de cet Empire, compofé de quinze Royaumes : auffi ont
ils des fruits tout l’hyuer ; car dans ceux qui font les plus auancez vers le
Midy , les fruits meurent aux mois de Nouembre , de Decembre , de Ianuier & de
Feurier; l'on tranfporte ces fruits nouueaux . en grande dili- gence aux autres
Royaumes qui en manquent dans cette f aifon , & par un fèmblable commerce les
Chinois ont toute l'année des fruits nouueaux, la diuerfite de ces fruits me paroissoit
admirable, mais i'eftois encore plus efton- né de la differente maniere dont les arbres de
la Chine les portent ; dans l'Europe, ils les portent tous fur leurs brancbes & les
arbres qui nous font communs avec les Chinois, comme les prunier s, les abricotiers
,& les pechers, les portent de mefme : la Chine en a vn qui porte fon fruit au tronc de l'arbre,
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RELATION
fi pefant au reste que c’eft tout ce que peut faire un
homme que de le porter.
les Portugais l'appellent Giaka , à caufe des pointes dont il eft armé: les Chinois
l'appellent Po-lo-mie , il y en a qui au lieu de branches iettent de grandes f euilles du
haut de leurs tronc & des fruits d'vn gouft tres-agreables, femblables à nos melons : il
en croit vn autre dans l 'Ifle de Hay-nan dans la Prouince de Quam-tum,qui ne
porte point de fleurs , dont les fruits croiffent attachez à fa racine d'vne figure
femblable à nos figues , mais qui rougiffent quand ils commencent à meurir ;ie
n'en fçay point le nom, mais cette maniere de porter des fruits eft bien oppofée à celle
de tous nos arbres de l'Europe, comme auffi la maniere dont fe forme le noyau d'vn
arbre qu'ils appellent Ka-giu ; car il n'eft point enueloppé de la chair de fon
fruit, & il vient à vn des bouts du fruit : cette varieté fait voir la prefomption de nos
fçauants, qui ont voulu borner le pouuoir de la nature, & luy prefcrire des reigles
d'agir conformes aux obferuations qu'ils auoient faites fur vne auffi petite partie de
la nature qu’eft le pays qu'ils habitent; la confideration de cette grande varieté; qui
fait fi bien connoiftre la prefomption des hommes, leurs doit en mefme temps éleuer
l'efprit à la contemplation de la Toute-puiffance de Dieu, qui eft infiniment au deffus. de
tout ce que les hommes en peuuent penfer. Outre les manieres de multiplier les fruits que
nous auons ,les Chinois obferuent encores, lorsqu'ils les veulent femer, d'enterrer tout le
fruit qui contient la graine, & de replanter aprés les diuers jets qui en prouiennent :
pour le Papaya ils en plantent les feüilles, qui en peu de temps deuiennent de grands arbres ;
lorsqu'ils veulent multiplier les arbres, ils en couchent les branches en terre,comme l’on
prouigne le ferment des vignes ; ils obferuent foigneufement le temps auquel le Soleil
entre dans le quinziéme degré d'Aries , croyant que ce qui a été planté dans ce temps-là
profite mieux qu'en tout autre : ils le pratiquent ainfi lors qu'ils couchent en terre les
branches du Goyaua, qui profitent merueilleufement en peu de temps ; ils ont auffi vne
maniere d'anter les fleurs qui leur eft particuliere, & qui fait venir quelquefois trois ou
quatre differentes fleurs fur une mefme tige. I’ay crû deuoir inferer icy principalement les
figures des plantes qui font particulieres aux Indes & à la Chine, qui ne font point
décrites dans la plufpart des herbiers , & ie l'expofe icy à mon Lecteur, auquel ie
fouhaitte fort qu'elles puiffent plaire
Des Prouinces de la Chine & de l'excellence de ce pays par deffus
tous les autres.
L’Empereur Xun auoit autrefois diuifé toute la Chine en douze grandes Prouinces, elle a efté depuis
diuifée en quinze, fix desquelles touchent à la Mer, & font Peking, Xanting, Kiangan ou
Nanking, Chekiang, Fokien, Quantung, les Prouinces de *Quangfi, Huquang,
Honan , Xanfi, font vers le Nort, Xenfi, Suchuen, Queicheu, Yunnan, tirent plus
vers l’Occident, la Chine a encore le pays de *Leaotung, qui eft au couchant de la
Prouince de Peking, & c’eft dans cette partie de la Chine que commence cette
fameufe muraille,
DE LA CHINE.
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muraille, les Isles de Hainan, Lienlieu ou Ifle Formofe, Cheuxan , dependent auffi de la
Chine auec vn fi grand nombre d'autres petites i fles le long de fes coftes, qu'il femble
qu'elles ne foient point feparées les vnes des autres, & qu'elles faffent vn autre continent.
La Chine eft vn abregé du monde, car elle contient tout ce qu'il y a de plus beau dans le
refte de la terre habitée , elle a dans fes parties Meridionales tous les fruits & toutes les
delices des autres pays qui font vers le Midy, & dans les autres Prouinces qui font vers
le Nort , tous les auantages de ceux qui font dans cette fituation , fon ciel eft temperé ,
la terre par tout extrement fertile , la Mer & les riuieres femblent ne l'aroufer que pour
l'enrichir, elle doit infiniment à la nature ;mais d'ailleurs ces auantages ont efté fi bien
cultiuez, qu'il femble qu'elle ne doiue pas moins à l'efprit & à l'adreffe de ceux qui
l'habitent.
YAY-CV
La Palme de Perfe & celle de la Chine ou des Indes autrement
le Cocos.
LE
Palmier qui produit les dattes & qui vient efgalement bien en Perfe,
aux Indes & en la Chine, eft de deux fortes, le mafle & la femelle. Ils portent tous deux des
fleurs, mais celles de la femelle feules fe conuertiffent en fruits, pourueu qu'ils fe trouuent
plantez l'vn proche de l'autre,car autrement la femelle mefme ne floriroit point , ceux qui les
cultiuent iettent les fleures du mafle fur celles de la femelle & par là la rendent prolifique. On
appelle dattes les fruits que l'on cueille auparauant qu'il foient meurs,ils font plus durs que fes
autres qui ont demeuré plus long-temps fur les arbres, ils appellent les derniers Tamara. Les
Palmiers que nous aurons en Italie , ne portent point de fruits à caufe qu'on n'y apporte pas
cette diligence, & fi aprés quelques années quelqu'vn de ces arbres y a fleury, cela eft venu
de ce que l'arbre eft paruenu à vne certaine hauteur de laquelle il a pû découurir
quelqu'autre Palmier. Il n'y a point de cette forte de . Palmiers dedans la Chine , où ie crois
neantmoins qu'il viendroit fort bien : on tire du vin, du miel & du fuccre de ces fruits, qui
fervent auffi de medecine & purgent quand on en mange en abondance. Les Indes & les
Prouinces Auftrales de la Chine ont le Cocos, qui eft vne autre forte de Palmier : il eft
certain que l'on en pourroit faire venir ailleurs en les femant ; car cet arbre ne fe peut anter :
mais ie douterois fort qu'il portât du fruit hors du pays où il vient naturellement, il y a mefme
des endroits où il vient naturellement,fans toutefois porter du fruit, principalement dans
des pays de fable, dans les deferts & le long du bord de la Mer. Ces deux fortes de Palmiers
ont les feüilles de mefme figure , les racines femblables,& font toutes deux egalement hautes ;
le Cocos vient mieux quand il eft cultiué , principalement fi on luy met au pied,du fumier de
vache,ou quelque terre legere : ordinairement la feptiéme année qu'il a efté planté il porte
fruit; fi vous couppez les fleurs de cet arbre de la branche qui les portoit , & que vous y
attachiez à la pace vn vaiffeau pour receuoir ce qui en découle, vous en recueillerez vne
liqueur fort agreable au gouft qui diftille de cette branche, comme du bec d'vn al'ambic, ils
appellent cette liqueur furra , ils la diftillent & en tirent vn vin qui a beau coup de force , ce
vin brufle comme de l'eau de vie & fe.tranfporte par toutes les Indes ; mais ce Palmier dont
on a ainfi couppé les branches, ne porte plus de Cocos , & pour le diftinguer de l'autre, ils
l'appellent palma de fourra. Celuy auquel on laiffe porter le Cocos pouffe d'autres fruits ,
auffi-toft que l'on ofté ceux qui font murs, le fruit eft plus gros que la tefte d'vn homme :
l'efcorce en eft
Seconde Partie.
18
RELATION
verte, il n’eft .pas rond , mais à trois arreftes : fi vous le cueillez lors qu'il eft encor tendre, l'écorce
en eft verte , cette écorce a vne chair blanche , & au milieu vn noyau qui approche affez de la
grandeur & de la figure d'vn oeuf d'Auftruche : il eft plain d’vne eau fort douce , qui eft vne
boiffon d'un grand fecours dans les chaleurs exceffiues de ce pays-là. Les Portugais appellent ces
Cocos Lania, fi on laiffe meurir entierernent le fruit fur l'arbre , fa premiere écorce, qui eft verte au
commencement, comme nous auons dit, deuient de couleur de chataigne,& cette poulpe ou
chair qu'elle enferme , fe change en vn tiffu , que les Portugais appellent Cairo ; ils en font des
cables,qui feruent dans leur plus grands Vaiffeaus:pour ce qui eft du noyau, qui eft la partie du
fruit qu'ils appellent proprement Cocos, on trouue qu’il eft plain d'vne moüelle blanche
comme la neige, & douce comme des amandes,auec fort peu d'vne eau vn peu aigrette, dont'
ils fe feruent quelques-fois au lieu de vinaigre : de cette amande ils tirent de l'huile,vne efpece de.
fuccre qu'ils appellent giagra , & du vin qui prend feu comme l’eau de vie; ils font des cueilliers des
pieces du noyau. Dans l’ifle d'Aynam en la cofte de la Chine, ils en font des efcuelles aprés auoir
enchaffé d'or le bord de ce Noyau; aux Indes & principalement dans les Maldiues, ils font leurs
vaiffeaux de ces Palmiers, leurs feüilles leur feruent à faire des voilles , des paniers, & ils ne fe
feruent point d'autres tuilles pour couurir leurs maifons ; ainfi de toute cette plante il n'y a que
la feule racine dont on ne tire point d'vfage , & elles font la plus grande richeffe du pays; Au
Maldiues on trouue de petits Cocos, qu'ils difent eftre produits au fond de la Mer, mais il y a
plus d'apparence de croire qu'ils viennent de l'arbre que nous venons de defcrire , & qu'ayant
efté long-temps battus dans la Mer, ils acquierent cette dureté que n'ont pas les autres; quoy
qu'il en fois, c'eft la chofe du monde que ces peuples eftiment dauantage , perfuadés qu'ils
font que c'eft vn tres prefent remede contre toutes fortes de venins , & que c'eft le
plus grand cardiaque que l'on puiffe trouuer , fî on boit auec de l'eau ce qu'on en a rappé.
Je n'en mets point icy la figure à caufe qu’elle fe trouue dans tous les herbiers.
PIM-LAM
De l'Areca
&
du Betel
SI l'Areca n'auoit point les feuilles plus larges que le Palmier , & le tronc
plus haut & plus mince , il luy reffembleroit affez , car il pouffe comme le Palmier vne
branche chargée de fleurs du milieu de fes feüilles , le fruit a la figure d'un oeuf de couleur
verte , de la grandeur d'vne noifette ; la chair de cette noifette eft de la couleur de nos ongles, &
quand elle eft bien meure on y remarque des petites vaines rouges.
Pour le Betel fa feuïlle eft toute femblable à celle du poivre, elle eft aromatique & a la
proprieté de corriger les cruditez de l'eftomac : il rampe comme le ferment, & a befoin de
quelqu'autre plante fur laquelle il fe puiffe attacher. Aux Indes Orientales & aux quatre
Prouinces Auftrales de la Chine, le Betel meflé auec l'Areca, eft en grandiffime vfage : ils en
portent tous dans des petits facs & s'en prefentent les vus aux autres : aux Tunquin toute la
conuerfation commence par là, & on n'entre point en matiere que l'on n'ayt donné & rec eu
de l'Areca. Les plus riches qui craignent d'eftre empoifonnés par cette drogue, ce qui fe fait
affez fouuent , reçoiuent bien de celuy qu'on leur prefente ; mais ne mangent que de celuy qu'ils
ont fait preparer & mefler auec de la chaux viue , & des efcailles d'huitres bruflées :dans
l'Indoftan à Cochin ; & dans les Eftats du Mogol au lieu d'huitres , ils fe feruent de
perles calcinée, ils en frottent la feuille du Betel , ils en font vne enueloppe qu'ils empliffent
DE LA CHINE.
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d e l a m o ü e l l e d e l ’ A r e c a q u i e f t d u r e o u m o l l e , f e l o n qu’elle e f t f r a i f choment
cueillie ; ils tiennent dans leur bouche cette compofition qui fait vne de leur delices , d'abord il en
fort vn fuc rouge comme du fang qu'ils crachent, mais fur la fin ils aualent ce qu'ils en fuccent ,&.
quand ils n'en tirent plus de fuc, ils rejettent
l'Areca & la feüille : ils affeurent qu'il n'y a rien de plus propre pour fortifier l'eftomac, il eft
vray que ceux qui s'en font feruis quelque temps ne s'en fçauroient plus paffe . r , & que le iour
qu’ils en ont pris leurs levres paroiffent teintes d'vn rouge fort vif : les Medecins employent
auffi l'Areca dans leurs medecines; on en porte beaucoup au Iappon & en d'autres pays où
cette plante ne croît point : Ie n'en mettray point icy la figure à caufe qu'elle eft dans la
plufpart des herbiers.
•
FANYAY CV,ou le PAPAYA.
L Es fruits & l'arbre que les Indiens appellent Papaya , eft appelle Fan yay çu dans la Chine il y en
a vne grande abondance dans L’Ifle d'Haynam habitée p a r l e s C h i n o i s & d a n s c e l l e
d e I u n n a m , Q u a m - f y ; & d a n s l e s P r o u i n c e s d e Canton & de Focien qui font vers
le Midy : cet arbre porte beaucoup de fruits attachez à fon tronc , qui eft fort poreux, il n'y
a point de ces fruits qui ne foient plus grands qu'vn grand melon, la chair en eft rouffe , d'vn
gouft tres agreable , fi molle au refte , que l'on en peut prendre auec vne cuillier ; l'on croit
que la qualite de ce fruit eft froide , & qu'elle eft contraire à la generation & au plaifir des
femmes fi l'on en mange beaucoup ; il fe multiplie de la femance, de fon fruit lors qu'il
tombe , & des reietons qu'il pouffe à fes racines:l'on voit fouuent fur le mefme arbre des
fleurs ouuertes femblablesà nos Lis, des boutons, des fruits encore tous verds, & d'autres qui font
jaunes & tout à fait meurs: il a cela de particulier qu'il ne pouffe point de branches, mais
feulement des feuilles qui naiffent au haut de la tige , au mefme endroit d'où elle pouffe fes
fleurs blanches & fes fruits : elle meurit en tout temps, l'on en peut auoir des fruits meurs
tous les mois de l'année; il eft neantmoins vray que la plufpart des fruits des Indes meuriffent au
mois de Decembre & au mois de Ianuier : fi vous plantez vne feuille ou quelque partie de fon
tronc, il prend racine facilement, croit de mefme & deuient vn grand arbre en peu de temps; la
veuë de ces arbres, de leurs feuilles & de leurs fruits , eft tresagreable.
P A-CY A 0,
o u Figues des Indes & de laChine.
LE tronc de la figue des Indes eft vert & fort gros, n'eft point folide, ny baifeus come les autres,
mais femble compofé de plufieurs autres feuilles qui s'enuelopent les vnes fur les autres : il a
beaucoup de feue , fes feuilles font d'un vert clair, ont iufques à neuf palmes de long & deux &
demy de large ; ne pouffe qu'vne branche chargée de fleurs; du milieu de fes feuilles; il s'en forme
vue grappe, dans laquelle on contera quelquefois plus de mille figues,c'eft tout ce que peut faire vn
hôme de porter vne de fes branches; ces figues ont la figure d'un petit concombre,& font plus ou
moins groffes felon la force de la branche qui les a portées ; la peau en eft jaune, la chair en eft molle,
douce, blanche, auec quelque odeur, & ont le gouft de fraifes confites dans du fucre : fi l'on couppe
le fruit par fa largeur on y trouue vne croix femblable à celle qu'ont les concombres; ils couppent
fouuent fes branches auec les fruits encore tout verds & les pendent dans leur maifons où le
temps les fait meurir,& quelquefois ils les couurent de ris ; d'autres les font meurir en les
couurant de chaux; quand elles font cuittes dans du miel ou du fucre, & qu'on les
Seconde Partie.
20
RELATION
fait fecher après , elles font fort propres aux perfonnes coleriques & flegmati ques , les
feuilles feruent de remede à ceux qui font d'vn temperament adulte. Ce fruit fe trouue toute
l'année dans les Indes, dans les prouinces meridionales de la Chine ; car quoy qu'il croiffe auffi
dans celles qui font vers le Nord , il n'y porte point de fruit: l'arbre ne fleurit qu'vne.fois l'an ,
on le peut multiplier par le moyen de la graine, mais plus ayfément par les reiettons qu'il
pouffe de fon pied ; car au bout de fix mois ils portent du fruit : Au Brefil ils l'appellent Bananas, en Sirie & à Damas ils l'appellent Mufa,c'eft plutoft vn arbufte qu'un arbre; quand on a
couppé la branche qui porte le fruit, la plante fe feche , on l'arrache & on la donne
ordinairement aux Elephans : quoy qu'en fix mois de temps la plante produife fon fruit & qu'il
meuriffe , if y en a toufiours de meurs en toute faifon dans les Indes , à caufe qu'ils fe fuccedent les
vns aux autres.
KIA-GIV ou KAGIV.
LE Kia-giu ou Kagiu ne croit point dans la Chine, mais bien dans les pays qui autrefois
en
dependoient , ie ne doute point qu'il ne vint ayfément dans I u na n , da n s Q ua m - f i &
d a n s l e s I f le s d e l a C h i ne f i o n l ' y p la nt o i t : l' a r b re en eft grand , les feuilles fort
belles & toufiours vertes ; le fruit eft iaune
quelquefois rouge, a de l'odeur lorsqu'il meurit , mais le fuc de fon fruit eft acre, & prend au
gofier lors qu'on le mange : il donne deux fois fon fruit dans vne mefme année, & c'eft vne
curiofité de voir qu'après qu'il a pouffé fes fleurs, il pouffe fon noyau ou femance, & après fa
pomme , qui conforte l'eftomach, lors que l'on en mange auec du vin ou du fel : le noyau eft au
dehors de la pomme , vne pelure jaune enferme la chair de ce fruit, qui eft blanche , affez dure,
& a le gouft de chataigne ou d'amande , lors qu'on la fait roftir ; auffi les Indiens & les Portugais fe feruent-ils de ces noyaux au lieu d'amandes, lors qu'ils font des dragées. Les mois de
Feurier , de Mars , d'Aouft & de Septembre, font les temps de fa maturité.
L I - C I & LVM-YEN.
L'On ne trouue point ailleurs que dans les Prouinces Auftrales de la Chine, les fruits qu'ils
appellent Li-ci & Lum-ien ; la pelure du fruit appellé Li-ci reffemble à la pomme de pin; mais au
contraire la peau du Lurn-ien eft fort deliée & fort lice, l'un & l'autre de ces fruits a le gouft de
fraifes & de raifins. Les Chinois des Prouinces Auftrales font feicher ces fruits , & les tranfportent
durant l'Hiuer en d'autres Prouinces : il font auffi vn vin fort agreable de l'vn & de l'autre;
ils meuriffent au mois de Iuin & de Iuillet , la poudre de leurs noyaux eft en vfage dans
leur medecines ; fi ces fruits font fauuages, leurs noyaux font gros & ont fort peu de chair tresaigrette , mais au contraire lors que l'on les a tranfplantez , les noyaux par la culture en
deuiennent beaucoup plus petits , & ont dauantage de chair douce , qui eft de la couleur de nos
ongles : l'on les arrofe d'eau falée, lors qu'ils ont efté cueillis pour les faire durer plus long-temps ,
car eftant preparez de la forte, lors qu'on les pele après on leur trouue le mefme gouft que s'ils
venoient d'eftre cueillis : l'on tient que le Li-ci eft froid de fa nature, & que le Lu-mien cil d'vne
qualité plus temperée.
G I A M-B O.
IL y a deux fortes de Giambo , celuy qui porte fon fruit rouge ou blanc vient dans les Indes ; mais
celuy qui tire plus fur le jaune, & qui fent la rofe , croit à Malaca , à Macao , & dans l'Ifle de HiamXarn , qui depend de la Chine : la pre-
DE LA CHINE.
21
miere de ces efpeces,porte fes fleurs de couleur de pourpre,& la derniere les porte iaunes , tirant fur
le blanc; fon tronc & fes branches font de couleur de cendre, fes feuilles fort belles & lices, ont
huict poulces de long, & trois de large ;fon fruict eft de la grandeur de nos pommes,d'vne qualité
fort froide,& eft compofé d'vne chair blanche & fpongieufe , que l'on ne peut pas dire entierement
aigre, ny tout à fait douce :l'on voit en mefme temps , fur vne mefme branche des fleurs , des
fruits verts , & d'autres qui font tout à fait meurs : ils ont accouftumé de les manger au
commencement de leur repas, mais fur tout ils en trouuent l'vfage fort propre, pour efteindre
la foif, durant les chaleurs, qui font extraordinaires. ils font par la meme raifon fort
propres pour les fleures , & pour les maladies colériques: l'on en fait d'excellente conferue
dans les Indes ; au lieu du pepin , il a vn noyau rond, dont la chair eft verte, dure, & couuerte
d'une pelicule ; le fruit eft agreable à la veuë , celuy de la premiere efpece eft, ou tout à fait
rouge, ou tout à fait blanc, ou moitié blanc & moitié rouge; mais l'autre efpece, qui tire fur le
iaune enferme deux noyaux, ou plutoft vn noyau qui eft feparé en deux : outre cette difference, i1 a
encore vue couronne femblable à celle qui eft fur les Grenades, & l'odeur d'vne rofe : la chair en
eft fort douce,& fort poreufe , le iaune fe mange en quelques endroits au mois de Mars, & en
d'autres au mois de Juillet , pour ceux de la premiere efpece, leur vray temps eft le mois de
Nouembre & de Decembre.
F A N-P O-L O-M I E, ou l'ANANAS.
L’Ananas croift dans les Prouinces de Quam-tum, Quam- fy, Iunnan,Focien & dans l’ifle
d'Haynan , fi toutefois cette plante n'y eft point eftrangere , & n'y a été tranfportée du Brefil;
les feuilles & la rac ine reffemblent beaucoup à celles de l'artichaut : auparauant que fon fruit
meuriffe l'on y remarque vne grande diuerfité de couleurs, mais il eft d'un jaune meflé de
quelque rougeur lors qu'il eft meur ; il porte peu de graine, les grains en font noirs , ou pour
mieux dire les pepins ; car ils reffemblent beaucoup aux pepins d'une pome : il fe multiplie par
fa graine, par fa tige, par les reiettons qu'il pouffe de fa racine, & mefme il vient bien des
feuilles qui fe voyent au haut de fon tronc, car eftant plantées elles prennent racine & portent
fruit dés la mefme année : le fruit a vn palme & demi de longueur , la chair en eft jaune,
fpongieufe & pleine de fuc ; il fent fort bon lors qu'il eft meur, eft doux au gouft , mais d'vne
douceur qui eft meflée de quelque acide : ils difent que ce fruit eft extremement chaud, & fe
fondent fur ce que fon fuc corrode & mange le fer , comme fi le ius de citron, qui eft fi rafraichiffant , ne faifoit pas la meme chofe; pour moy ie crois tout le contraire, & i'ay éprouué que
l'on le donne auec fuccez dans les fievres : aux Indes & chez les Cafre; il eft meur dans les mois de
Feurier & de Mars, & en la Chine, en Juillet & en Aouft : l'on en fait vne excellente conferue ,
mais qui ne retient pas tout le gouft de fon fruit ,c'eft felon mon gouft & à mes yeux le plus beau
& le meilleur fruit des Indes.
MANKO ou le MANG A.
IL y a plufieurs efpeces de ce fruit dans Indes , le plus grand pefe quelquefois iufques à trois
liures, principalement s'il a efté greffé fur le cedre , qui luy donne fon odeur,& cette peau
froncée que l'on voit dans les poncirs : ils n'ont pas dans les Indes cette diuerfité d'antage qui fe
pratique chez nous, & ne connoiffent point d'autre maniere que de couper vne branche du
Manga, de la joindre contre vne autre du fauuageon , fur lequel ils le veulent anter , & de les
entourer de terre detrempée auec de l'eau : cette branche ainfi jointe porte fes fruits jaunes,
verts & rouges : ils en font de la conferue lors qu'ils ne font pas encores meurs :
Seconde Partie.
(?) c ii
22
RELATION
ils les . falent . quelquefois ; & eftant prerarez de la forte ils . ont le gouft du verjus : leur
chair eft douce lors qu'ils font meurs, & de couleur iaune & de pourpre : l'amande de fon
noyau eftfort amere & fpecifique pour faire mourir les vers aux enfans : on éprouue auffi
que c'eft vn bon remede contre le flux de ventre : il meurit aux mois d'Auril & de May , & fe
peut conferuer iufques en Nouembre; plufieurs le tiennent pour le meilleur fruit du monde. I1
croit en grande abodance aux pays Meridionaux.
P I-P A.
LE Pi-pa croit en la Chine, fa verdeur prend vne couleur jaune lors qu'il meurit, d'vn
gouft
femblable à celuy de nos prunes : l'arbre en eft fort beau tant à caufe de fes feuilles que de
fes fleurs: le noyau en eft dur & de la figure d'vn oeuf: ordinairement on le -cueille au mois
de Feurier & de Mars, il eft d'vn fort bon gouft & reffemble encores aux prunes par fa peau.
C I E V - K O , ou le G 0 YAVA.
LEs Indiens appellent Goyaua le fruit qui eft connu des Chinois fous le nom de Cieu-ko, ceux qui
n'y font pas accouftumez trouuent d'abord qu'il fent les punaifes ; mais auec le temps, on
trouue qu'il a quelque chofe d'aromatique & de fort,& au lieu de cette auerfion que l'on en auoit
au commencement on y prend gouft, il referre & eft fort propre à arrefter les flux de ventre & à
fortifier l’eftomac par fa chaleur; fes noyaux font durs comme du bois,il en a beaucoup,ils font
ronds & multiplient la plante ; mais elle fe prouigne ayférnent , & l'on en a pluftot du fruit par cette
voye:fes branches fe chargent de fruits,fes feüilles fentent bon; mais fi on les frotte trop longtemps, leur odeur fe change en vne fenteur peu agreable; fes fruits font bons pour les maladies
qui viennent d'vne intemperie chaude : les Portugais l'appellent Pera à caufe qu'elles ont la
figure d'vne poire ; aux Indes il meurit principalement aux mois de Nouembre & de
Decembre , miais il s'en trouue toute l'année: à la Chine, vers Macao, on le mange aux
mois de Iuin & de Iuillet.
PO-LO-MIE.
LEs Portugais appellent cet arbre Giacca , il a cela de remarquable qu'i l ne produit que deux
ou trois fruits , qui fortent de fon tronc de la figure d'vn œuf, mais qui furpaffent en
groffeur tous les autres fruits du monde, plus gros que les citroüilles , c'eft bien tout ce
qu'vn homme peut faire de porter vn de ces fruits, le fruit a des piquans , au dedans il
eft plain d'vne matiere vifqueufe , qui enueloppe des fruits iaunes : il y en a fi grand nombre
qu'ils peuuent fuffire à vingt perfonnes. Ie ne fçaurois mieux faire entendre la conformation fi
extraordinaire de ce fruit , qu'en difant que c'eft vn fac qui en enferme plufieurs autres pleins
de miel , dans lefquels il y a des chaftaignes ; le noyau qui eft reprefenté dans la figure a vne
amande du gouft d'vne chaftaigne : le fruit eft encores mellieur que nos melons, la poulpe ou
chair qui eft la plus dure paffe pour la mellieure; les Portugais l'appellent Cocobarca , ils
connoiffent quand le fruit eft meur par fon efcorce qui s'amollit, tant qu'elle eft dure ils le
laiffent fur l'arbre, ou s'ils le cueillent ils attendent qu'il s'amoliffe & foit meur ; l'arbre ne porte
point de fleur, & les fruits commencent à paroiftre au mois de May & de Iuin.
S V-P I M.
LA Chine feule produit ce fruit, il y en a de i aunes comme de l'or,& d'autres couleur de pourpre;
les plus gros font comme nos plus groffes pomes,la chair en eft
DE LA CHINE.
23
molle,rouge ;& fapeau de mefme elle enferme plufieurs petits noyaux ; ce fruit
reffemble aux figues de l'Europe, lors qu'on les feiche ils fe conferuent plufieurs
années & les Medecins Chinois s'en feruent dans leurs médecines ; dans les Prouinces de Quam tum & de Iunkin,il fe mange aux mois de Ianuier, de
Feurier & de Mars; mais dans celles qui font plus vers le Nort, comme à Xenfi. & à
Honan, il meurit aux mois de Iuin, Iuillet & Aouft ,i1 y a plaifir à voir cet arbre chargé
de fes beaux fruits; mais les oyfeaux en font fi friands qu'il le faut garder continuellement.
YA-T A.
IE mets cet arbre au rang de ceux de la Chine, quoy qu'il y ait efté tranfporté
de Malaca ; car le pays de Malaca a efté autrefois dependant de la Chine, fon fruit au
dehors a la figure d'vne pomme de pin ; mais l'écorce en eft verte, fa chair ou poulpe eft
blanche comme de la neige , & plus agréable au gouft que le blanc-manger dont les
Portugais font fi frians : ce fruit eft diuifé en plufieurs petites cellules qui enferment
chacun vn noyau noir , en des endroits il meurit aux mois d'Octobre & de
Nouembre , aux autres aux mois de Feurier & de Mars, plus le fruit eft gros & plus on
l'eftime pour, fa bonté.
D V-L IA M.
LE Du-liam croit à Iaua, Malaca , Macao & Siam , pays autrefois dependans de la Chine,
fon fruit & le tronc de l'arbre qui le porte, eft armé de piquans , la premiere fois que l'on en
mange il fent les oignons cuits ; mais ceux qui y font accouftumez ne trouuent rien de
meilleur , & le trouuent de bon gouft , tellement qu'il eft toufiours cher , quoy qu'il y en
ayt grande abondance : la chair en eft blanche, le fruit eft jaune quand il eft meur, le noyau
eft femblable à celuy du Giacca : on fait vn fort bon fauon des cendres de ce noyau , ils
remarquent que celuy de ces fruits qui à cinq cellules ou caiut font meilleurs que ceux
qui n'en ont que trois ; ordinairement on l'ouure auec les pieds quand il eft meur à
caufe des piquans de fon écorce , la feuille du Betel eft ennemie de ce fruit ; car fi
on les met enfemble , il fe gafte auffi-toft , ceux qui fe trouuent incommodez d'en
auoir trop mangé, fe gueriffent de la chaleur & inflamation qu'ils en fentent , s'ils prennent
feulement vne feüille de Betel : il meurit en Iuillet & en Aouft , on porte au loing la
poulpe ou chair de ce fruit , qui reffemble à du lait caillé , & enferme vn noyau, les
feuilles de l'arbre ont plus d'vne demy palme.
Fruit- A nomine.
I’Appelle àinfi ce fruit que ie vais defcrire , à caufe que ie ne me fouuiens pas de
celuy que luy donnent les Chinois , ie le vis la premiere fois dans lIfle d'Haynam &
aprés dans la Prouince de Quam-tum: cet arbre eft fort haut, fes feuilles fort grandes,
& qui couuriroient prefque tout vn homme : il a cela de particulier que fa principale racine
entrant profondement en terre , les autres racines qui paroiffent hors de la terre , portent
des fleurs rouges & des fruits femblables à nos,figues,qui prennent vne couleur rouge
quand ils meuriffent : les Chinois ont encores d'autres fruits fort extraordinaires ; mais
comme ie n'en pourrois pas donner la figure, & que ie ne les ay pas affez examinez , ie
n'ofe pas entreprendre d'en parler icy ; pour ce qui eft des autres fruits des Indes
Orientales, comme le Giangame , le Giamtelame, le Carambole, ils ne meritent pas
que ie rn'arrefte icy à les defcrire.
24
RELATION
LE POIVRE.
LEs Chinois appellent le poivre hucyao, il croit dans la Prouince d'Iunnan, & dans les Ifles
dependantes de la Chine; mais principalement dans l'Ifle de Iaua, dans celle de Borneo,& dans
les forefts de la cofte de Malabar, il rampe,& a fon ferment noueux comme celuy de la vigne : de
chaque cofté de ces noeuds fort vue feuïlle d'vn vert obfcur par deffous,& fort verte de l'autre cofté
: il pique quand on le met fur la langue : ceux qui le cultivent croyent auoir remarqué quelque
difference de fexe dans le poivre , & que celuy où les nerfs ou fibres des feuilles font egalement
éloignées les vnes des autres, font les feuilles de la femelle; que les feuilles du mafle au
contraire ont ces nerfs ou fibres inefgalement difperfez : cependant il eft vray que fur vne mefme
branche ou ferment de poivre , l'on voit de ces deux fortes de feuilles;celuy qui croit dans les
forefts eft different de l'autre que l'on cultiue dans les jardins, lors que l'on prend le foing de le
fumer de fiante de boeuf ou de cendre que l'on met au pied , il croit auffi haut que l'arbre que l'on
luy a donné pour le fouftenir.
La racine du poivre eft fort petite & n'entre pas bien auant en terre, chaque feuille pouffe
vne grappe ; la plus forte grappe porte cinquante grains,& les moindres en ont trente, lors que le
poivre eft vert il eft doux , & eft plain d'vn fuc. fort femblable a du miel ,les habitans le confifent
tout vert auec du fel & du vinaigre, & en font leurs delices. Le poivre long fert de contrepoifon &
guerit le mal des yeux, le noir eft different du blanc par la feuille, qui a vn gouft plus delicat : les
feuilles du poivre noir cuites dans l'huile font bonnes pour la colique, & pour toutes les autres
defluctions froides de l'eftomac. Il y a toufiours des grappes vertes fur le poivrier, elles
meuriffent aux mois de Decembre & de Ianuier, & les, ayant cueillis ils les tiennent au Soleil où
elles noirciffent ; fi l'on le cueille auparauant qu'il foit meur , il ne fe garde pas fi long-temps fans fe
corrompre, les grains des grappes du poivre font tout à fait femblables aux grains de
genieure. Le poivre eft chaud & prouoque l'vrine , il ayde à la digeftion, eft refolutif, il éclaircit
la veuë , eft bon pour la morfure des beftes fauuages. Il ayde aux femmes à fe deliurer de leur fruit
lors qu'il eft mort, & eftant meflé auec du miel, il guerit l'efquinancie , fi on le prend auec du miel ;
il arrefte la toux, meflé auec des feuilles de laurier ; il guerit des trenchées , pris auec des raifins
fecs; il purge doucement la pituite de la tefte ,& infufé dans du vinaigre , il guerit les apoftumes &
les duretez de la rate.
LA RVBARBE.
QVoy que la Rubarbe se trouue par toute la Chine, fi eft-ce
q u ’ e l l e v i e n t p l u s communement dans les Provinces de Sucinen,Xenfy ,& dans la ville de
Socieu, qui eft proche de la grande muraille que Marco Polo Venitien appelle Socuir ; elle croit dans
vne terre rouge & fort humide , les feuilles font plus ou moins selon la bonté du terroir où elle croit :
ordinairement elles font longues de deux palmes, & vont toufiours en étreffiffant iufques à l'endroit
où elles naiffent de la racine : les feuilles font bordées de petits poils par leurs bords, elles iauniffent & fe feichent à mefure que la plante meurit, & à la fin tombent à
terre. La tige de la plante s'éleue bien d'vn pied , eft foible & fe charge de fleurs femblables à des grandes fleurs de violette : fi on les preffe il
en fort vn fuc qui tire fur le blanc, l'odeur en eft forte & n'eft pas agreable au cerueau : la racine qui eft en terre fe trouue quelquefois longue de trois pieds, &
groffe comme le bras d'vn homme, elle iette de tous coftez de petites racines
que l'on couppe auparauant que de la diuifer par taleoles , la chair de la racine paroift iaune & femée de petites veines rouges, d'où il fort vn fuc iaune & rouge, qui
DE LA CHINE.
25
eft vn peu gluant. L'expérience leur a appris, que s'ils faifoient fecher au Soleil fes Taleoles lors
qu'elles font fraichement coupées que la vertu s'en perderoit auec ce fac gluant que nous venons de
dire , & qu'elles .demeureroient fort legeres , ils les eftendent par cette raifon fur de longues tables, les
retournent trois ou quatre fois par jour afin que le fuc s'incorpore mieux,& apres auoir continué cette
diligence trois ou quatre jours , ils les enfilent & les exposent au vent, mais dans vn lieu ou le Soleil ne
donne pas. L'Hyuer eft le temps plus propre pour faire la. récolte de la rubarbe , auparauant que les
feuilles commencent à pouffer , car alors toutes les vertus de la plante font enfermées dans la racine ;
elles commencent à pouffer au commencement du. mois de May; fi on arrache la racine en Efté, &
dans le temps que fes feuilles font encores vertes , comme elle n'eft pas encore meure , l'on n'y trouue
point ce fuc jaune, ny ces veines rouges, & toute la racine eft poreufe & fort legere, & n'approche
point de la perfection de celle qui a efté cueillie en temps d'hyuer. Vne chartée de Rubarbe
fraifchement cueillie ne fe vend qu'vn efcu & demy ; mais auffi, à peine fept liures de rubarbe
fraifchement cueillie donnent-elles 2 liures de Rubarbe feiche: lors qu'elle eft faifche & verte elle eft
fort amere & fort defagreable au gouft : les Chinois l'appellent Tayhuam , c'eft à dire en leur langue ,
fort jaune.
KVEIPI, la C A NE LLE
LA Canelle fe trouue dâs les Prouices de Quam-tum,de Quam-fy, & de Tunquin, ,mais encore en
plus gràde quantité & meilleure dans l’Ifle de Ceilan; nom que les Chinois luy ont doné, à caufe du
naufrage qu'y firent leurs vaiffeaux: La feuille de l'arbre qui porte la canelle a 3. nerfs ou fibres vertes,fes
fleurs font blanches & ont vu peu d'odeur. Son fruict & fon noyau reffemble affez à celuy de l’oliue :
lors qu'il noircit, i1 leur marque le temps de leuer l'efcorce de la canelle : Le fruit eft plein d'vne
liqueur graffe ou oncueufe, fent le laurier , picque la langue , & eft amer : l'arbre porte deux
efcorces, la feconde efcorce eft celle que nous appellons canelle, naturellement elle eft grife;mais lors
qu'on l'a ofté de l'arbre & qu'on l'a fechée au Soleil, elle prend cette couleur rouffaftre que nous luy
voyons ; trois ans apres, il vient vne nouuelle efcorce en la place de celle qu'on a oftée ; autrefois les
Chinois chargeoient la canelle de l’lfle de Ceilan & la portoient à Ormus , d'autres Marchands la
receuoient là, & la portoient en Alep & en Grece : on croyoit en ce temps-là qu'elle venoit d'Egypte
ou d'Éthiopie où elle ne croit point : on voyoit quelquefois dans le Golphe de Perfe quatre cent
Vaiffeaux Chinois chargés d'or, de foyries, de pierres precieuses,de mufc, de porcelaines., de cuiure ,
d'Alun , de noix mufcades , de cloud de girofle , & principalement de canelle : les Marchands auoient
donné à cette efcorce le nom de Cin-amomum , car ces deux mots fignifient bois de la Chine, doux &
qui fent bon ; à peine conferue-t-il fa vertu vn an durant, la racine de l'arbre eft fans gouft , fent le
canfre; on diftile de l'eau de l'efcorce pendant qu'elle eft verte & des fleurs auffi ; mais elle n'eft pas fi
aromatique ; elle guerit la colique & les ventofités , prouoque I'vrine, fortifie le coeur , le foye , la
ratte , les nerfs , le cerueau, & fert memne contre les morsures & le poifon des ferpents , excite
l'appetit , preferue du haut mal ; de fon fruict , ils font vu vnguent pour les fluctions froides , lors qu'on
le brufle , il rend vne odeur fort agreable : la poudre de canelle beüe auec de l'eau guerit les morfures
de viperes, efteint les inflammations internes des reins, & éftant employée auec des chofes qui:
amoliffent, elle ofte les taches du vifage
Seconde Partie
26
RELATION
LA RACINE DE LA CHINE.
LEs
Portugais appellent la racine de la Chine Pao de Cina, elle ne fe trouue que dans les
Prouinces de Yunnan ,Quanfi , Qantum Kaoli & Leaotum, c'eft vne plante efpineufe qui a
des efpines mefmes fur fes fueilles : les Chinois mettent dans leurs boüillons à la viande la poulpe
ou chair tendre de cette racine , elle eft medecinale , & fort bonne contre la Schyatique , les v1ceres
des reins , les obftructions, la paralyfie, l'hydropifie. Ils s'en feruent auffi pour .deffeicher toutes
fortes d'humeurs, elle guerit les douleurs du Periofte: on tient meilleure celle qui pefe dauantage, &
on eftime plus la blanche que la rouge : Ils croyent que la poudre de cette racine auec du fucre eft
bonne pour la poitrine:& que fa conferue fait le mefme effect. Les Portugais ont efté les premiers
qui en ont apporté l'vfage & la connoiffance dans les Indes & dans l'Europe l'an 1535. les
Chinois l'appellent P E-F O-L I M.
SEM-KIAM, le GINGEMBRE.
LEs feuilles du Gingembre reffemblent à vne plante que les arboriftes appellent
Litofpermon, ou à vne efpece d'Afphodelle nommée Haftula Regia , ou pour les comparer à
vne chofe plus conuë , elle reffemble affez aux rofeaux les plus communs, il s'en trouue par toutes
les Indes, & dans l'Amerique, mais le meilleur vient en la Chine:on eftime dauantage celui qui eft
vert toute l’année, fa racine fe conferue plus longtemps fi on la cueille au mois de Decembre & de
lanuier, & fi on la couure de terre detrempée; car cet enduit empéche que fon humidité ne s'euapore,
outre que fi on n'y apporte cette diligence fes pores fe rempliffent de vers : Ils n'eftiment pas
celle qui eft amere, & qui a beaucoup de feuilles, ils s'en feruent dans leur .medecine, & quand ils
veulent faire fuer leurs malades , ils leur donnent vne decoction fort chaude de cette racine:ils
croyent mefme que de la porter fur foy c'eft vn remede contre la goutte, & que ceux qui en ont
pris le matin à jeun, ne peuuent point eftre empoisonnez ce four-là. Ils en font communément de
la conferue , qui eft vn remede éprouvé contre les fluxions froides du ventricule.
F VM-H0AM , ou l'OYSEAV DV ROY.
LEs Chinois ont vn oifeau d'vne rare beauté, quand ils font long-temps fans le voir
ils apprehendent quelque fafcheux euenement dans la famille Royalle , le mafle s'appelle Fum , la
femelle Hoam : il fait fon nid dans les montagnes du Royaume de Tan, que l'on appelle maintenant
Leaottum , il a la tefte femblable au Paon : les Poë tes Chinois fe font imaginez que fon dos
reprefente les Vertus, fes aîles la Iuftice, fes coftes l'Obeïffance , & que tout fon corps eftoit vn
fymbole de la fidelité. Qu’il porte le deuant de fon corps comme le Rhinoceros , le derriere comme
le cerf, & la tefte comme le dragon.
Les Magiftrats du pays ont leurs habits ornez des figures de ces oifeaux, releuées or ; cet
oyfeau n'a pas tout à fait vn pied & demy de long.
DE LA CHINE.
27
YE-KI
C'Est ainfi que les Chinois appellent vne Poulle fauuage ; elle eft d'vn fort bon
gouft , a le plumage fort beau, & eft fort grande. Ils ont auffi d'autres poulles qu'ils appellent
Ciam-ui-ki , celles-là ont vne queue longue de quatre pieds, elles fe trouuent en Cauli, autrement
la Corée : il y en a d'autres qu'ils appellent Toki , c'eft à dire la poulle chameau, à caufe d'vne
boffe qu'elle a fur le dos, femblable à celle de cet animal, la tefte en eft grande.
HIAM,le MVSC.
L’Animal qui porte le mufc eft femblable à un cerf, & a auffi quelque chofe du tygre , fon poil
eft de couleur d'airain , & tire vn peu fur le noir; ce que nous appellons mufc eft la chair des reins de cet animal, & de ce que la nature a caché au deffous ; mais les
marchands hachent toute fa chair auec fon fang, & l'enfermant dans vn petit fac qu'ils font de fa
peau, ils le vendent apres comme fi c'eftoient les tefticules de cet animal ; c'eft bien du mufc , mais
il n'eft pas fi parfait que celuy que nous auons décrit le premier : il y en a vue troifiefme forte qu'ils
font en y meflant du fang de dragon ; & ainfi d'vn des facs du veritable mufc , ils en font 2 ou 3.
Entre autres manieres qu'ils ont de le connoiftre , ils le mettent fur le feu, & le tiennent pour
veritable s'il euapore tout a fait ; & en ont mauuaife opinion, s'il en refte quelque chofe de
femblable a du charbon : ils s'en feruent dans la medecine , croyent qu'il facilite l'accouchement
des femmes, qu'il eft bon pour la poitrine, & qu’il nettoye le corps des rnauuaifes humeurs. I'ay
tiré ces proprietez & ce que i'en dis icy des liures mefmes des Chinois & de leurs Dictionnaires.
SVM-XV
LEs Chinois apriuoifent cet animal, luy mettent des colliers d'argent, il prend les fouris dans leurs
maifons , on le vend iufques à 8. ou 9 . efcus , il a le poil fauue & noir en quelques endroits, il eft fort beau &
fort agreable à la veue.
LO-MEO-QVEI
DAns quelques prouinces de la Chine, principalement dans celle de Ho-nan,l'on y void des tortües
vertes, qui ont quelquefois des ailes bleues à leurs pieds ; elles marchent fort lentement , mais elles
s'aident en faifant quelques fauts & en eftendant leurs ailes , les Chinois eftiment les pieds aîlés de ces
tortues à caufe de leur rareté. Ie vis dans vn petit lac d'eau douce & peu profond de l'Ifle d'Hainan des
cancres , lefquels auffi- toft qu'on les auoit tirés de l'eau, perdoient en vn moment la vie & le mouuement , fe petrifioient fans qu'il parut rien de changé dans la figure exterieure ou interieure de leur
corps. Il eft certain que la poudre de ces cancres beuë auec du vin arrefte le flux de ventre & le flux de
fang lors qu'on la boit auec du vinaigre ; ils gueriffent le mal des yeux, en oftent les nuages & les taches
foulagent ceux qui ont la fievre & font d'vn grand fecours contre le poifon.
LE CHEVAL MARIN.
LOrsque i'eftois au Mofambique ie vis plufieurs fois des harats de cheuaux marins qui fe
roulaient au bord de la Mer : l'Oidor ou le Iuge de la ville m'enuoya vn iour la tefte d'vn pour
me la faire voir :ie trouuay qu'il y auoit trois coudées depuis fa
Seconde Partie
28
RELATION
bouche iufques au garot ou efpaules : Ie remarquay dans la partie inferieure de la machoire les dents
fort grandes & recourbées & d'autres dans la partie fuperieure qui refpondoient à-celles-là, & qui
eftoient plus petites,auec deux autres dents, dans la partie inferieure fur lefquelles fa langue eftoit
couchée. Vn iour qu'un gentil-homme Portugais me voulut faire voir le pays, qui eft à l'oppofite de
l'Ifle de Mofanbique , comme nous rafions la cofte dans vne galiotte à 20. rames, nous vifmes à vn
jet de pierre de nous 50. chevaux marins qui hannifoient , tantoft fe plongeoient dans l'eau , tantoft
venoient au deffus. Le plaifir que nous auions à les voir eftoit troublé de la peur qu'ils
n'attaquaffent noftre galiotte , quoy que nous euffions trente hommes. Vn de nos efclaues tira vn
coup de fufil à celuy de ces cheuaux qui efloit le plus proche , & le frappa entre les yeux , la befte
tomba; & comme fur le midy nous vifmes que les autres chevaux ne paroiffoient plus & que
celuy-là
• ne remuoit point ;
cét efclaue en approcha auec fes camarades, & le trouua. mort ; ils le traifnererent à la tente ou
nous eftions, & me prefenterent fes dents: la peau en efloit fi dure qu'ils ne la pouuoient percer de
leurs lances. Il n'a point de crins, fi ce n'eft à l'extrémité de la queue : ceux qu'il a en cet endroit font
noirs, luifans & flexibles comme de la corne de la groffeur d'vne plume : d'vn feul crin ils s'en font vn
braffelet : ces Caffres , car c'eft ainsi qu'on appelle les habitans de cette partie du monde , s'en parent,
auffi bien les hommes que les femmes, ce qu'ils font auffi des poils de l'Elefant, perfuadez qu'ils font
que cela les preferue de la paralifie.
Aux Indes,& principalemeut à Goa,ils font des chappelets & des crucifix des dents de cet animal: ils
croyent que ces chappelets arreftent le flux de fang, mais l'experience fait voir que toutes les dents
de cheual marin n'ont pas cette vertu, & defpend en partie du temps auquel on les arrache. Lors
qu'on feigne quelqu'vn on les applique fur l'ouuerture de la veine, & c'eft l'épreuue dont ils fe feruent
pour connoiftre fi elles ont la propriété d'arrefter le fang : Dans l'Hofpital Royal de Goa qui eft fous
la direction des Peres de notre Compagnie , où il y a quelquefois iusques à deux cens malades,
on garde vne de ces dents, qui fait voir tous les jours vne experience auffi furprenante ; Il ne fe paffe
point de jour qu'on ne faffe plusieurs feignées, & ils ont accouftumé d'arrefter le fang en appliquant
cette dent. Ie me fouuiens d'auoir leu dans l'Hiftoire des Indes , que les Portugais ayant pris vn
jour vn paro ou petit vaiffeau de Malabar, ils trouuerent entre les corps morts des ennemis, le corps de
celuy, qui commandoit le vaiffcau, percé de coups d'efpées & de moufqueta, des fans qu'il peût fortir
vne goutte de fang de fes bleffures ; mais dés qu'ils l'eurent defpoüillé, & qu'ils luy eurent ofté vn
petit os, qu'il auoit pendu à fon col, qui eftoit fans doute de dents de cheual marin, le fang commença
à fortir auec violence de toutes fes playes , n'eftant plus arrefté par la qualité de ces dents , qui le
tenoient comme glacé.
LE SERPENT GEN-TO .
C’Eft le plus grand ferpent qui fe trouue dans l'Ifle Hay.-nan , & dans la prouince
de Quam-tum , Quam-fi & autres, i1 deuore des cerfs entiers, il n'est pas fort venimeux, eft couleur de
cendre, & quelquefois long de vingt-quatre pieds : Quand la faim le preffe , il fort des bois, & s'aidant
de fa queue , il faute & attaque les hommes & les beftes; quelquefois de deffus vn arbre il fe jette fur
les hommes, & les tue en les ferrant de fes plits : fon fiel eft vne chofe precieufe aux Chinois, ils s'en
feruent pour le mal des yeux.. Aux Indes & dans le Royaume de Quam_fy on trouue vne pierre dans
la tefte de certains ferpens qu'ils appellent ferpens cheuelus, laquelle guérit les morfures de ce mefme
ferpent, qui autrement tueroit dans vingt-quatre heures : cette pierre eft ronde , blanche au milieu, &
autour eft bleue on verdaftre : lors q u ' o n l ' a p p l i q u e f u r l a m o r f u r e , e l l e f ' y a t t a c h e
d ’ e l l e m e f m e , & e l l e n e t o m b e point qu'elle n'ait fuccé le venin. On la laue apres dans du
laict, & on l'y laiffe
DE LA CHINE
29
quelque temps pour luy faire reprendre fon eftat naturel ; cette pierre eft rare, fi on la prefente vne
feconde fois à la morfure, & qu'elle f'y attache, elle n'a pas fuccé tout le venin dés la premiere ; fi elle
ne s'y attache point, c'eft vne marque que tout le vemin eft hors , & on s'en réfiouït auec le malade :
Ils fe feruent contre le mefme venin d'vne racine que les Portugais appellent Rais de Cobra, qu'ils
font macher à ceux qui font mordus ; iufques à ce qu'elle leur ait fait venir deux ou trois rapports à la
bouche.
Les Chinois ont vn autre ferpent qui eft fort venimeux; car ceux qui en font mordus meurent en
peu de temps, mais ils ne laiffent pas de l'eftimer beaucoup à caufe du grand remede qu'ils en
tirent. Ils le mettent viuant dans vn vaiffeau plain de bon vin, en forte que la tefte feule foit dehors
pour faire euaporer tout le venin, & que le refle du corps demeure enfermé dedans : On fait bouillir
ce vin , ils en feparent apres la tefte , & fa chair leur tient lieu d'vne tres excellente theriaque.
HIVEN-PAO
HIuen-Pao et vne efpece de Leopard ou de Panthere que l'on void dans la Prouince de Pekim ; il
n'eft pas neantmoins fi feroce que les tigres ordinaires , les Chinois en font grand cas.
Une Croix trouuée l'an 1625. dans la Prouince de Xenfi.
COmme on jettoit les fondemens d'vne nouuelle muraille dans la ville de San-xuen (ou Sancyuen)
en la prouince de Xenfi : on trouua vne Croix taillée dans vne pierre auec des caracteres
Cyriaques & Chinois, qui explique comme noftre religion a efté tranfportée dans le Royaume de la
Chine par les fucceffeurs des Apoftres : L'on y mit les noms des Preftres & des Euefques de ce
temps-là , & mefmes quelques priuileges que les Empereurs de la Chine auoient fait aux Chreftiens.
Le Gouuerneur du lieu en ayant efté aduerty , comme les Chinois eftiment beaucoup tout ce qui
eft antique , il fit courir vn efcrit à la loüange de cette antiquité, & fit grauer fur vne autre pierre les
rnefmes lettres & les mefmes figures, & l'erigea cornme vn monument venerable dans vn hermitage
de la ville de Sigan , qui eft la Capitale de la contrée &4 de la Prouince : nos Peres qui font à la Chine en
ont enuoyé vne copie à Rome, qu'on garde à la Maifon Profeffe.
La pierre à cinq empans de large , vn d'efpoiffeur, & dix de longueur : fur le deuant eft vne croix qui
approche celle des Cheualliers de Malthe : voicy comme le Pere Kircher explique dans fon prodome
de la langue Coptique, les neuf caractereres Chinois qui y font graués.
Pierre
dreffée
à
la
memoire
eternelle de la loy de lumiere
a efié portée de la Iudée en la Chine.
&,
de
vérité,
LE refte qui a efté graué en caracteres Chinois contient ces myfteres de noftre reilgion,
efcris d’vn ftile Chinois, qui en perlent comme on voit en fuite.
De la Creation du Monde.
CElüy qui a tonfiours efté veritable, immuable, fans principe , d'vne connoiffance très profonde ,
qui n'aura point de fin , a creé toutes chofes par fa puiffance admirable; & a fait les Saincts par fon
infinie Majefté & Sainfteté.
Seconde Partie.
qui
30
RELATION
Cette Effence diuine trine en perfonnes & vne en fubftance , noftre vray Seigneur, qui eft fans
commencement la Oyu ( qui en langue Chaldée rft le mefme que Eloha ) a fait les quatre parties
du Monde , & du Chaos a fait deux Kis, c'eft à dire, deux vertus, a changé les tenebres , a fait le
Ciel & la terre , a fait que le Soleil & la Lune nous donnaffent par leurs mouuemens le iour & la
nuift , enfin a creé toutes chofes.
Mais en creant le premier homme il luy a donné la, iuftice originelle , & le conftituant chef fur
toute la terre, &c.
De la cheute d'Adam.
MAis depuis que Satan eut trompé Adam , & luy eut fait corrompre ce qui eftoit parfait de fa
nature , la malice s'empara de fon ame pour en troubler la paix , & y mit la difcorde qui mina
cette egalité d'esprit, dont il jouïffoit auparavant.
Du Myftere de l'Incarnation.
ALors vne des Diuines Perfonnes de la Tres-faincte Trinité qu'on nomme le Meffie , refferrant &
cachant fa Majefté , s'accommodant à noftre nature , fe fit homme ; & ayant enuoyé vn Ange pour
annoncer aux hommes leur bon-heur, cette joye nafquit en Iudée d' vne Vierge : Vne eftoille fit auffi
connoiftre ce bon-heur ; les Roys l'ayant apperceüe le vinrent reconnoiftre par des prefens , afin que
la loy & les propheties des vingt-quatre Prophetes fuffent accomplies: II gouuerna le monde fous
vne loy merueilleufe & toute diuine , qu'il eftablit par la vraye foy , confomma la fpirituelle qui
s'accomplit fans le bruit des paroles : Il propofa les huict beatitudes, & changea les chofes du monde en
eternelles : Il fit entrée aux trois vertus ( Theologales ) & donna la vie en deftruifant la mort. Il defcendit
en propre perfonne aux Enfers , & confondit tous les demons :il conduifit par fa pieté les bons au
Ciel, & affeura le falut aux iuftes. Enfin apres auoir accomply ces chofes , il monta au Ciel, &
inftitua le Baptefme en eau & au S. Efprit pour nettoyer les pechez , en rendant la pureté aux
hommes : Il fe fert de la Croix pour embraffer tous les hommes fans en excepter aucun, & les excite
par la voix de fa Charité , &c.
.
On lit fur cette pierre plufieurs autres chofes de la. vie & dignité des Apoftres , des Preftres, & des
Ministres de Iefus-Chrift : mefme de l'excellence de la loy Chreftienne, qu'un homme de grand
merite venu de Iudée nommé Olopuen propofe aux Chinois l'an de Chrift 636. fous le regne du
tres-vertueux Prince le Roy Tai, qui la fit incontinent publier par tout fon Royaume , parce qu'il
fut iugé par les fauans que cette loy eftoit faincte & immaculée.
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