FLORA SINENSIS.
O V T R A I T E '
DES FLERVS
,
DES FRVITS.
DES PLANTES, ET DES ANIMAVX
particuliers à la Chine.
P a r l e R . P.MIC H E L BOYM Iefuif t e.
A V L E C T E V R .
A vérité mefme qui eft Iefus-Chrift dit dans fainct Matthieu, que l'on
connoift les faux ou les veritables Prophetes par leurs ouurages, comme l'on diftingue
les bons arbres d'auec les mauuais par leurs fruits.
Il femble que l'on doiue iuger de mefme de la bonté des pays , et que felon qu'ils
produifent de bons ou de mauuais arbres ,lon ne se trompe
guieres a iuger par de leurs qualitez, c'eft par cette raifon que
ie prefente icy à mon
Lecteur les plus curieux fruits des Indes Orientales & de la Chine ; mais ie luy
dois faire remarquer que. la plufpart des arbres &
des plantes de noftre Europe, ne peuuent profiter dans les Indes, & degenerent
toufiours lors- que lon les y tranfplante : les laitis mefme qui viennent fi
ayfément chez. nous, degenerent à une autre plante; comme fi la force de cette partie de
la terre, qui eft entre les deux Tropiques étouffoit la vertu prolifique de la plante.
Mais la terre de la Chine a cet auantage que non feulement elle a des arbres qui
luy font particuliers, mais qu'elle produit auffi ceux des Indes,& auec cela beaucoup de
ceux de l'Europe. Ce qui vient de
la grande eftendue de cet Empire, compofé de quinze Royaumes : auffi ont
ils des fruits tout l’hyuer ; car dans ceux qui font les plus auancez vers le
Midy , les fruits meurent aux mois de Nouembre , de Decembre , de Ianuier & de
Feurier; l'on tranfporte ces fruits nouueaux. en grande dili- gence aux autres
Royaumes qui en manquent dans cette faifon , & par un mblable commerce les
Chinois ont toute l'année des fruits nouueaux, la diuerfite de ces fruits me paroissoit
admirable, mais i'eftois encore plus efton- de la differente maniere dont les arbres de
la Chine les portent ; dans l'Europe, ils les portent tous fur leurs brancbes & les
arbres qui nous font communs avec les Chinois, comme les pruniers, les abricotiers
,& les pechers, les portent de mefme : la Chine en a vn qui porte fon fruit au tronc de l'arbre,
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R E L A T I O N
f i p e f a n t a u r e s t e q u e c e f t t o u t c e q u e p e u t f a i r e un
h o m m e q u e d e l e p o r t e r .
les Portugais l'appellent Giaka , à caufe des pointes dont il eft armé: les Chinois
l'appellent Po-lo-mie , il y en a qui au lieu de branches iettent de grandes feuilles du
haut de leurs tronc & des fruits d'vn gouft tres-agreables, femblables à nos melons : il
en croit vn autre dans l 'Ifle de Hay-nan dans la Prouince de Quam-tum,qui ne
porte point de fleurs , dont les fruits croiffent attachez à fa racine d'vne figure
femblable à nos figues , mais qui rougiffent quand ils commencent à meurir ;ie
n'en fçay point le nom, mais cette maniere de porter des fruits eft bien oppofée à celle
de tous nos arbres de l'Europe, comme auffi la maniere dont fe forme le noyau d'vn
arbre qu'ils appellent Ka-giu ; car il n'eft point enueloppé de la chair de fon
fruit, & il vient à vn des bouts du fruit : cette varie fait voir la prefomption de nos
fçauants, qui ont voulu borner le pouuoir de la nature, & luy prefcrire des reigles
d'agir conformes aux obferuations qu'ils auoient faites fur vne auffi petite partie de
la nature qu’eft le pays qu'ils habitent; la confideration de cette grande varieté; qui
fait fi bien connoiftre la prefomption des hommes, leurs doit en mefme temps éleuer
l'efprit à la contemplation de la Toute-puiffance de Dieu, qui eft infiniment au deffus. de
tout ce que les hommes en peuuent penfer. Outre les manieres de multiplier les fruits que
nous auons ,les Chinois obferuent encores, lorsqu'ils les veulent femer, d'enterrer tout le
fruit qui contient la graine, & de replanter aprés les diuers jets qui en prouiennent :
pour le Papaya ils en plantent les feüilles, qui en peu de temps deuiennent de grands arbres ;
lorsqu'ils veulent multiplier les arbres, ils en couchent les branches en terre,comme lon
prouigne le ferment des vignes ; ils obferuent foigneufement le temps auquel le Soleil
entre dans le quinzme degré d'Aries , croyant que ce qui a é planté dans ce temps-là
profite mieux qu'en tout autre : ils le pratiquent ainfi lors qu'ils couchent en terre les
branches du Goyaua, qui profitent merueilleufement en peu de temps ; ils ont auffi vne
maniere d'anter les fleurs qui leur eft particuliere, & qui fait venir quelquefois trois ou
quatre differentes fleurs fur une mefme tige. Iay crû deuoir inferer icy principalement les
figures des plantes qui font particulieres aux Indes & à la Chine, qui ne font point
décrites dans la plufpart des herbiers , & ie l'expofe icy à mon Lecteur, auquel ie
fouhaitte fort qu'elles puiffent plaire
Des Prouinces de la Chine & de l'excellence de ce pays par deffus
tous les autres.
L’Empereur Xun auoit autrefois diuifé toute la Chine en douze grandes Prouinces, elle a efté depuis
diuifée en quinze, fix desquelles touchent à la Mer, & font Peking, Xanting, Kiangan ou
Nanking, Chekiang, Fokien, Quantung, les Prouinces de *Quangfi, Huquang,
Honan , Xanfi, font vers le Nort, Xenfi, Suchuen, Queicheu, Yunnan, tirent plus
vers lOccident, la Chine a encore le pays de *Leaotung, qui eft au couchant de la
Prouince de Peking, & ceft dans cette partie de la Chine que commence cette
fameufe muraille,
D E L A C H INE . 17
muraille, les Isles de Hainan, Lienlieu ou Ifle Formofe, Cheuxan , dependent auffi de la
Chine auec vn fi grand nombre d'autres petites ifles le long de fes coftes, qu'il femble
qu'elles ne foient point feparées les vnes des autres, & qu'elles faffent vn autre continent.
La Chine eft vn abregé du monde, car elle contient tout ce qu'il y a de plus beau dans le
refte de la terre habitée , elle a dans fes parties Meridionales tous les fruits & toutes les
delices des autres pays qui font vers le Midy, & dans les autres Prouinces qui font vers
le Nort , tous les auantages de ceux qui font dans cette fituation , fon ciel eft temperé ,
la terre par tout extrement fertile , la Mer & les riuieres femblent ne l'aroufer que pour
l'enrichir, elle doit infiniment à la nature ;mais d'ailleurs ces auantages ont efté fi bien
cultiuez, qu'il femble qu'elle ne doiue pas moins à l'efprit & à l'adreffe de ceux qui
l'habitent.
YAY-CV
La Palme de Perfe & celle de la Chine ou des Indes autrement
le Cocos.
LE Palmier qui produit les dattes & qui vient efgalement bien en Perfe,
aux Indes & en la Chine, eft de deux fortes, le mafle & la femelle. Ils portent tous deux des
fleurs, mais celles de la femelle feules fe conuertiffent en fruits, pourueu qu'ils fe trouuent
plantez l'vn proche de l'autre,car autrement la femelle mefme ne floriroit point , ceux qui les
cultiuent iettent les fleures du mafle fur celles de la femelle & par là la rendent prolifique. On
appelle dattes les fruits que l'on cueille auparauant qu'il foient meurs,ils font plus durs que fes
autres qui ont demeuré plus long-temps fur les arbres, ils appellent les derniers Tamara. Les
Palmiers que nous aurons en Italie , ne portent point de fruits à caufe qu'on n'y apporte pas
cette diligence, & fi aprés quelques années quelqu'vn de ces arbres y a fleury, cela eft venu
de ce que l'arbre eft paruenu à vne certaine hauteur de laquelle il a pû découurir
quelqu'autre Palmier. Il n'y a point de cette forte de. Palmiers dedans la Chine , où ie crois
neantmoins qu'il viendroit fort bien : on tire du vin, du miel & du fuccre de ces fruits, qui
fervent auffi de medecine & purgent quand on en mange en abondance. Les Indes & les
Prouinces Auftrales de la Chine ont le Cocos, qui eft vne autre forte de Palmier : il eft
certain que l'on en pourroit faire venir ailleurs en les femant ; car cet arbre ne fe peut anter :
mais ie douterois fort qu'il portât du fruit hors du pays où il vient naturellement, il y a mefme
des endroits où il vient naturellement,fans toutefois porter du fruit, principalement dans
des pays de fable, dans les deferts & le long du bord de la Mer. Ces deux fortes de Palmiers
ont les feüilles de mefme figure , les racines femblables,& font toutes deux egalement hautes ;
le Cocos vient mieux quand il eft cultiué , principalement fi on luy met au pied,du fumier de
vache,ou quelque terre legere : ordinairement la feptiéme année qu'il a efté planté il porte
fruit; fi vous couppez les fleurs de cet arbre de la branche qui les portoit , & que vous y
attachiez à la pace vn vaiffeau pour receuoir ce qui en découle, vous en recueillerez vne
liqueur fort agreable au gouft qui diftille de cette branche, comme du bec d'vn al'ambic, ils
appellent cette liqueur furra , ils la diftillent & en tirent vn vin qui a beaucoup de force , ce
vin brufle comme de l'eau de vie & fe.tranfporte par toutes les Indes ; mais ce Palmier dont
on a ainfi couppé les branches, ne porte plus de Cocos , & pour le diftinguer de l'autre, ils
l'appellent palma de fourra. Celuy auquel on laiffe porter le Cocos pouffe d'autres fruits ,
auffi-toft que l'on ofté ceux qui font murs, le fruit eft plus gros que la tefte d'vn homme :
l'efcorce en eft
Seconde Partie.
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verte, il n’eft .pas rond , mais à trois arreftes : fi vous le cueillez lors qu'il eft encor tendre, l'écorce
en eft verte , cette écorce a vne chair blanche , & au milieu vn noyau qui approche affez de la
grandeur & de la figure d'vn oeuf d'Auftruche : il eft plain d’vne eau fort douce , qui eft vne
boiffon d'un grand fecours dans les chaleurs exceffiues de ce pays-là. Les Portugais appellent ces
Cocos Lania, fi on laiffe meurir entierernent le fruit fur l'arbre , fa premiere écorce, qui eft verte au
commencement, comme nous auons dit, deuient de couleur de chataigne,& cette poulpe ou
chair qu'elle enferme , fe change en vn tiffu , que les Portugais appellent Cairo ; ils en font des
cables,qui feruent dans leur plus grands Vaiffeaus:pour ce qui eft du noyau, qui eft la partie du
fruit qu'ils appellent proprement Cocos, on trouue quil eft plain d'vne moüelle blanche
comme la neige, & douce comme des amandes,auec fort peu d'vne eau vn peu aigrette, dont'
ils fe feruent quelques-fois au lieu de vinaigre : de cette amande ils tirent de l'huile,vne efpece de.
fuccre qu'ils appellent giagra , & du vin qui prend feu comme l’eau de vie; ils font des cueilliers des
pieces du noyau. Dans l’ifle d'Aynam en la cofte de la Chine, ils en font des efcuelles aprés auoir
enchaffé d'or le bord de ce Noyau; aux Indes & principalement dans les Maldiues, ils font leurs
vaiffeaux de ces Palmiers, leurs feüilles leur feruent à faire des voilles , des paniers, & ils ne fe
feruent point d'autres tuilles pour couurir leurs maifons ; ainfi de toute cette plante il n'y a que
la feule racine dont on ne tire point d'vfage , & elles font la plus grande richeffe du pays; Au
Maldiues on trouue de petits Cocos, qu'ils difent eftre produits au fond de la Mer, mais il y a
plus d'apparence de croire qu'ils viennent de l'arbre que nous venons de defcrire , & qu'ayant
eflong-temps battus dans la Mer, ils acquierent cette dureté que n'ont pas les autres; quoy
qu'il en fois, c'eft la chofe du monde que ces peuples eftiment dauantage , perfuadés qu'ils
font que c'eft vn tres prefent remede contre toutes fortes de venins , & que c'eft le
plus grand cardiaque que l'on puiffe trouuer , fî on boit auec de l'eau ce qu'on en a rappé.
Je n'en mets point icy la figure à caufe qu’elle fe trouue dans tous les herbiers.
P I M - L A M
De l'Areca & du Betel
SI l'Areca n'auoit point les feuilles plus larges que le Palmier , & le tronc
plus haut & plus mince , il luy reffembleroit affez , car il pouffe comme le Palmier vne
branche chargée de fleurs du milieu de fes feüilles , le fruit a la figure d'un oeuf de couleur
verte , de la grandeur d'vne noifette ; la chair de cette noifette eft de la couleur de nos ongles, &
quand elle eft bien meure on y remarque des petites vaines rouges.
Pour le Betel fa feuïlle eft toute femblable à celle du poivre, elle eft aromatique & a la
proprieté de corriger les cruditez de l'eftomac : il rampe comme le ferment, & a befoin de
quelqu'autre plante fur laquelle il fe puiffe attacher. Aux Indes Orientales & aux quatre
Prouinces Auftrales de la Chine, le Betel meflé auec l'Areca, eft en grandiffime vfage : ils en
portent tous dans des petits facs & s'en prefentent les vus aux autres : aux Tunquin toute la
conuerfation commence par là, & on n'entre point en matiere que l'on n'ayt donné & receu
de l'Areca. Les plus riches qui craignent d'eftre empoifons par cette drogue, ce qui fe fait
affez fouuent , reçoiuent bien de celuy qu'on leur prefente ; mais ne mangent que de celuy qu'ils
ont fait preparer & mefler auec de la chaux viue , & des efcailles d'huitres bruflées :dans
l'Indoftan à Cochin ; & dans les Eftats du Mogol au lieu d'huitres , ils fe feruent de
perles calcinée, ils en frottent la feuille du Betel , ils en font vne enueloppe qu'ils empliffent
DE LA CHINE. 19
de la moüelle de l Areca qui eft dure ou molle , felon quelle eft fraifchoment
cueillie ; ils tiennent dans leur bouche cette compofition qui fait vne de leur delices , d'abord il en
fort vn fuc rouge comme du fang qu'ils crachent, mais fur la fin ils aualent ce qu'ils en fuccent ,&.
quand ils n'en tirent plus de fuc, ils rejettent
l'Areca & la feüille : ils affeurent qu'il n'y a rien de plus propre pour fortifier l'eftomac, il eft
vray que ceux qui s'en font feruis quelque temps ne s'en auroient plus paffe.r , & que le iour
quils en ont pris leurs levres paroiffent teintes d'vn rouge fort vif : les Medecins employent
auffi l'Areca dans leurs medecines; on en porte beaucoup au Iappon & en d'autres pays où
cette plante ne croît point : Ie n'en mettray point icy la figure à caufe qu'elle eft dans la
plufpart des herbiers.
F A N YAY C V , o u l e P A P A Y A .
LEs fruits & l'arbre que les Indiens appellent Papaya , eft appelle Fan yay çu dans la Chine il y en
a vne grande abondance dans LIfle d'Haynam habitée pa r l e s C h i n o i s & d a n s c e l le
d e I un na m , Q u a m - fy ; & d a ns l e s P r o u i n c e s d e Canton & de Focien qui font vers
le Midy : cet arbre porte beaucoup de fruits attachez à fon tronc , qui eft fort poreux, il n'y
a point de ces fruits qui ne foient plus grands qu'vn grand melon, la chair en eft rouffe , d'vn
gouft tres agreable , fi molle au refte , que l'on en peut prendre auec vne cuillier ; l'on croit
que la qualite de ce fruit eft froide , & qu'elle eft contraire à la generation & au plaifir des
femmes fi l'on en mange beaucoup ; il fe multiplie de la femance, de fon fruit lors qu'il
tombe , & des reietons qu'il pouffe à fes racines:l'on voit fouuent fur le mefme arbre des
fleurs ouuertes femblablenos Lis, des boutons, des fruits encore tous verds, & d'autres qui font
jaunes & tout à fait meurs: il a cela de particulier qu'il ne pouffe point de branches, mais
feulement des feuilles qui naiffent au haut de la tige , au mefme endroit d'où elle pouffe fes
fleurs blanches & fes fruits : elle meurit en tout temps, l'on en peut auoir des fruits meurs
tous les mois de l'année; il eft neantmoins vray que la plufpart des fruits des Indes meuriffent au
mois de Decembre & au mois de Ianuier : fi vous plantez vne feuille ou quelque partie de fon
tronc, il prend racine facilement, croit de mefme & deuient vn grand arbre en peu de temps; la
veuë de ces arbres, de leurs feuilles & de leurs fruits , eft tresagreable.
P A - C Y A 0 ,
o u Figues des Indes & de laChine.
LE tronc de la figue des Indes eft vert & fort gros, n'eft point folide, ny baifeus come les autres,
mais femble compofé de plufieurs autres feuilles qui s'enuelopent les vnes fur les autres : il a
beaucoup de feue , fes feuilles font d'un vert clair, ont iufques à neuf palmes de long & deux &
demy de large ; ne pouffe qu'vne branche chargée de fleurs; du milieu de fes feuilles; il s'en forme
vue grappe, dans laquelle on contera quelquefois plus de mille figues,c'eft tout ce que peut faire vn
hôme de porter vne de fes branches; ces figues ont la figure d'un petit concombre,& font plus ou
moins groffes felon la force de la branche qui les a portées ; la peau en eft jaune, la chair en eft molle,
douce, blanche, auec quelque odeur, & ont le gouft de fraifes confites dans du fucre : fi l'on couppe
le fruit par fa largeur on y trouue vne croix femblable à celle qu'ont les concombres; ils couppent
fouuent fes branches auec les fruits encore tout verds & les pendent dans leur maifons le
temps les fait meurir,& quelquefois ils les couurent de ris ; d'autres les font meurir en les
couurant de chaux; quand elles font cuittes dans du miel ou du fucre, & qu'on les
Seconde Partie.
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