La propagande

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La propagande:
Images, paroles et manipulation
Psychologie politique
Collection dirigée par Alexandre DORNA
La collection «Psychologie politique» répond à une attente: réhabiliter la dynamique de l'âme, du logos et de la cité, afin de
faire connaître et de réunir ce qui est épars dans ce domaine. En
conséquence, elle s'inscrit dans une méthodologie transversale
et pluridisciplinaire, contre l'esprit de chapelle et la
fragmentation de la connaissance.
Déjà parus:
Michèle
ANSART-DOURLEN,
Le Fanatisme.
Terreur
politique et violence psychologique, 2007.
Pierre ANSART et Claudine HAROCHE (sous la direction de),
Les sentiments et le politique, 2007.
Alexandre
DORNA
et
José
Manuel
SABUCEDO
(coordinateurs), Etudes et chantiers de Psychologie politique,
2006.
Alexandre DORNA et Jean QUELLIEN (coordinateurs),
Les
Propagandes:
actualisations et confrontations, 2006.
Benjamin MATALON, Face à nos différences, Universalisme
et relativisme, 2006.
Alexandre DORNA, De l'âme et de la cité, 2004.
Michel NIQUEUX et Alexandre DORNA (sous la dir.), Le
peuple, cœur de la Nation ?, 2004.
Constantin SALA V ASTRU, Rhétorique et politique, 2004.
Sous la direction de
Alexandre
DORNA,Jean
QUElLIEN,
Stéphane
SIMONNET
La propagande:
Images, paroles et manipulation
L'Harmattan
@ L'Harmattan,
2008
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN: 978-2-296-07017-2
EAN: 9782296070172
Sommaire
Préface, par Stéphane Grimaldi...
Avant-propos, par Alexandre Dorna, Jean Quellien et Stéphane Simonnet
9
11
Première partie: sources et usages de la propagande
Aux racines de la propagande: la figure de César,
par Catherine Bustany-Leca
19
L'iconoclasme protestant des années 1560 en France et dans les Pays-Bas,
par Alain Joblin
29
La propagande et l'usurpation de la démocratie,
par Stéphane Corbin et Emmanuel Romain
41
Deuxième partie: la propagande par l'image
Les dessins animés au service de la propagande
pendant la Seconde Guerre mondiale,
par Sébastien Roffat
57
Les mécanismes de persuasion par l'image dans les spots télévisés
des partis britanniques,
par David Haigron
71
Manipulation de l'histoire et réaction de la mémoire collective au travers
des affiches de propagande soviétique: mystification historique et mémoire
refoulée, par Jacques Lebourgeois
89
Troisième partie: la propagande par la parole
Le discours propagandiste. Essai de typologisation,
par Patrick Charaudeau
III
L'influence par la parole,
par Thierry Lefébure
127
Pourquoi la propagande a-t-elle de l'effet?
Le contre-exemple des « refusants »,
par Philippe Breton
141
Quatrième partie: la propagande et la manipulation
Les techniques de manipulation dans le discours de la propagande,
par Alexandre Dorna
155
Propagandes et manipulation glauques,
par Jean-Léon Beauvais et Claude Rainaudi
173
Peut-on échapper à la propagande?
par Patrick Troude-Chastenet
201
Préface
Le mémorialiste
et les sciences sociales
STÉPHANE GRIMALDII
Depuis Napoléon qui invente, avec les images d'EpinaI et l'asservissement
des arts, une forme de narration patriotique moderne de ses guerres et conquêtes
il est admis que la construction d'une opinion favorable fait partie des armes
nécessaires aux victoires ou aux résistances.
Le XXe siècle développe naturellement avec l'apparition du cinéma, des
journaux, de l'alphabétisation et de l'avènement de techniques publicitaires/
propagandistes une forme très aboutie de «lavage de cerveaux» à partir de
laquelle les guerres développent des objectifs ouvertement politiques ou moraux
qui réclament un assentiment populaire fût-il une pure construction de
l'imagination.
La Première Guerre mondiale sera un temps de prise de conscience très fort
de l'utilité coercitive des techniques de propagande. Il s'agit de «vendre la
guerre» à un nombre considérable de personnes, situation inédite dans
l'histoire, pour parvenir à une mobilisation sans précédent des énergies
militaires, économiques, sociales des pays en guerre.
Cette mobilisation de toutes ces forces qui complètent l'arsenal militaire
traditionnel, caractérise« la guerre totale» à laquelle plus rien n'échappe.
Ainsi dans tous les pays belligérants on déguise les enfants en soldats, on
enseigne la haine de l'ennemi à l'école comme à l'église ou au temple, on force
l'économie de guerre, on pense la guerre et on se bat, quel que soit son camp,
pour une cause évidemment juste qui appelle des justifications collectives
permanentes. A partir de là on construit des représentations propagandistes de
l'ennemi qui justifient un sacrifice humain de plus en plus effrayant.
De ce point de vue la propagande, dont l'objectif est bien la mobilisation des
sociétés et qui utilise, à peu de choses près, les mêmes techniques de chaque
coté, prend sa source dans l'idée fondamentale qu'une guerre moderne ne se
gagne pas sans le soutien «inconditionnel» des peuples, c'est-à-dire de
« l'arrière».
I
Directeur du Mémorial de Caen.
La propagande:
images, paroles et manipulation
La Seconde Guerre mondiale, livrée à une époque ou les « mass media» ont
pris une place plus déterminante encore, est notamment caractérisée par
l'incroyable sophistication de la propagande nazie qui dès 1933 tente de projeter
le peuple allemand dans une mystification démente de sa propre histoire.
Les questions que soulève l'insondable barbarie de cette époque restent
parfois sans réponses et dépassent évidemment la question de la propagande et
celle du conditionnement.
Ces questions évoquées sont au cœur de notre travail de mémorialiste et il
n'est pas concevable de tenter de dresser l'histoire du XXe siècle, de ses
enseignements, sans s'interroger sur les dimensions sociales et mentales des
conflits.
La propagande est devenue l'un des éléments clefs de la construction des
cultures de guen"e ou d'agression. C'est pourquoi ce colloque ouvre la voie
d'une collaboration, je l'espère active, entre les sciences sociales et le
Mémorial.
10
Avant-propos
Un programme d'étude sur la propagande sociétale
et les témoignages d'une rencontre pluridisciplinaire
ALEXANDRE DORNA, JEAN QUELLIEN, STÉPHANE SIMONNETI
La propagande n'est guère une discipline universitaire, mais une approche
technique multidimensionnelle à la recherche d'un cadre général d'explicitation
et d'explication scientifique à la fois transversal et pluridisciplinaire. D'un
certain point de vue, la notion de propagande politique sous-entend une relation
inégale, un échange déséquilibré entre les pouvoirs (économiques, idéologiques
ou politiques) de l'ensemble plurivalent des individus-cibles qui sont soumis,
dans les sociétés modernes, à un mitraillage de messages (paroles, écrits,
images) dont le caractère manipulateur est devenu de plus en plus fourbe.
Cela est loin de ne concerner que les sociétés du XXe siècle; bien avant
d'autres ont utilisé des ressources d'imagination et d'emprise pour développer
la propagande. Les pouvoirs, devenus de plus en plus concentrés, sont en
situation d'imposer aux citoyens une adhésion à leurs visions du monde par des
moyens fort détournés. Cette pratique de gouverner et d'imposer une pensée
unique ou dominante s'est fortement installée dans les régimes autant
totalitaires que démocratiques, au point qu'il reste difficile d'en élucider les
origines. Si, au départ, la propagande apportait des moyens aux forces
politiques afin de faire connaître les projets dont elles sont porteuses, il est
évident qu'à l'aune des expériences totalitaires, la perception de la propagande a
changé négativement.
La conception de la propagande sociétale renvoie à la rhétorique. En effet, la
tradition de l'étude de la propagande (en temps de paix et encore plus en temps
de guerre), suppose une source de pouvoir et une «foule» qui reçoit
passivement l'endoctrinement des maîtres. Il y a là une analogie avec l'ancienne
histoire des idées religieuses: le créateur est l'enchanteur des créatures qui
restent en position (apparemment) de passivité.
Aujourd'hui, nul besoin d'insister, les pouvoirs, en démocratie, usent et
abusent des médias, de la publicité et des nouveaux moyens de communication,
dont l'impact se révèle de plus en plus nuisible. Certes, les formes de la
I
Alexandre Dama et Jean Quellien, Université de Caen, Stéphane Simmonet, Mémorial
de Caen.
La propagande:
images, paroles et manipulation
propagande actuelle sont plus diffuses, néanmoins la visée reste la même:
maîtriser les opinions et dominer les comportements, tout en entretenant
l'illusion de la liberté individuelle. Dans ce contexte, les termes de marketing
ou de communication remplacent habilement celui trop connoté de propagande.
Une réflexion et une analyse critique se sont imposées, au point que la
sociologie des communications de masse et la psychologie de la persuasion se
sont construites à rebours des conceptions anciennes et de la passivité des
cibles. Ainsi, la question de la réception des messages est devenue le centre de
nouvelles recherches. II s'agit de repositionner la représentation cognitive de la
propagande en opposition au modèle de la psychologie behavioriste et du
conditionnement. C'est au nom des mécanismes de réception que les cibles sont
jugées « actives », dans la mesure où la réappropriation d'un discours permet la
création de sens.
II faut garder cela en mémoire si l'on s'intéresse à de nouvelles situations de
propagande, et admettre que les remarques précédentes exigent de porter une
attention prioritaire aux vecteurs du pouvoir et aux sources d'influence, tout
autant qu'à l'éclairage de leur degré d'autonomie, leur enracinement social et
l'étude des médiations, qui ne peuvent se réduire à de simples phénomènes de
transmission d'objets ou d'images.
Affiches, spots télévisés, films, clips, discours, slogans, manipulation. Voilà
la panoplie des formes et des outils de la propagande moderne. Mais c'est la
mise en scène des manifestations de masse qui reste encore puissante dans la
propagande politique. Parallèlement, loin d'être simplement illustrative,
l'iconographie participe à la transmission des messages. Ici la fonction est
d'ordre symbolique. Or, la désaffection de la politique dans les démocraties
occidentales pousse à se servir d'« images-symboles» qui appellent plus au
positionnement identitaire qu'à proposer et faire connaître un programme. La
stratégie des partis est escamotée au bénéfice des figures d'identification. À
travers la mise en scène de soi (décor, gestuelle, intonation, vie familiale, etc.),
les leaders politiques cherchent à s'attirer les faveurs d'un large électorat,
toujours volatil et de plus en plus voyeur.
A titre purement indicatif, aux USA, un candidat sérieux dont l'image ne
dégagerait pas un charisme certain serait immédiatement considéré comme
n'ayant aucune chance. En conséquence, il ne trouverait ni donateurs ni
conseillers performants. Peu importe que le candidat soit l'un des meilleurs
politiques possibles, honnête, compétent, réellement attaché à des valeurs, mais
s'il apparaît triste, terne et sans ce charme irrésistible de l'acteur de cinéma,
alors inutile de se présenter aux élections. A chaque présidentielle américaine le
facteur image joue un rôle dévastateur.
Certains critiques voient d'ailleurs dans l'hyper-médiatisation du politique et
des politiques, non seulement la présence d'une dérive «populiste », au
demeurant fortement visible, mais la naissance d'un style nouveau de
12
Avant-propos
propagande, plus décontracté et plus intime, au point que la mode « pipole »
s'impose. Si la propagande actuelle vise à séduire plus qu'à raisonner, l'appel à
l'émotion est au service d'une ambition politique de plus en plus narcissique.
C'est donc ce constat qui nous a conduit à bâtir un « programme
pluridisciplinaire sur les propagandes (3P)) dans le cadre de la MRSH à
l'Université de Caen,
Le programme pluridisciplinaire
sur les propagandes
La période de gestation de ce programme est aujourd'hui en voie de
consolidation. Une nouvelle étape est franchie à travers un séminaire de
réflexion et de recherche qui se veulent nécessaires et fécondes. Nécessaire
parce qu'elle doit permettre à des équipes et des enseignants-chercheurs qui
n'ont pas la pratique de travailler ensemble de mieux se connaître et de trouver
une méthodologie commune. Féconde pour travailler sur une nouvelle
problématique et se structurer autour d'un axe thématique porteur.
La volonté d'intégration des personnes venues d'autres disciplines a permis
de nouer des contacts avec des institutions étrangères et de consolider les
rapports avec le Mémorial de Caen. Les conditions sont donc réunies pour
assurer progressivement le caractère pluridisciplinaire et la qualité internationale de la recherche.
Les premiers pas visent les méthodologies d'étude des modes de propagande
par l'image fixe (affiches) et leur perception dans le temps de guerre. Depuis
quelques années, en effet, plusieurs étudiants en histoire, en collaboration avec
le Mémorial de Caen et avec le soutien matériel du CRHQ, ont réalisé des
travaux sur les affiches américaines, soviétiques, britanniques, allemandes et
espagnoles (guerre civile). Ces travaux ont permis d'établir des rapports entre
historiens et psychologues dans la perspective d'appréhender les effets de la
persuasion dans l'analyse des affiches. Ces études offrent d'ailleurs la
possibilité d'élargir la recherche aux sémiologues, aux sociologues et aux
techniciens de la communication.
Certaines études ont fait l'objet de publications récentes, notamment dans les
ouvrages collectifs dirigés par Doma et Quellien (2006) et Dickason et Rivière
(2007), auxquels il faut ajouter cet ouvrage issu d'un colloque réalisé au
Mémorial de Caen en novembre 2007, sous les auspices de la MRSH, de
l'Université de Caen et du CNRS de la région Basse-Normandie. Il s'agit bien
d'un effort soutenu et de longue haleine dans une perspective ouverte. Ainsi
l'élargissement interdisciplinaire et la consolidation des relais institutionnels
pourraient rendre envisageable la création d'un centre d'études sur la
propagande et les médias.
13
La propagande:
images, paroles et manipulation
La propagande:
images, paroles et manipulation
C'est avec ce titre qu'un colloque fut réalisé les 22, 23 et 24 novembre de
l'année dernière au Mémorial de Caen sous la direction d'Alexandre Dorna,
Jean Quellien (Université de Caen) et Stéphane Simmonet (Mémorial de Caen)
avec la collaboration des membres du « 3 P» et des doctorants. Nous en
profitons, ici, pour remercier les responsables des institutions universitaires qui
l'on rendu possible, ainsi que la précieuse aide logistique apportée par le
Mémorial de Caen, son personnel et son directeur, M. Stéphane Grimaldi. Nous
remercions également nos collègues membres du comité d'organisation: O.
Camus, S. Corbin, R. Dickason, P. Georget, J.-L. Leleu, N. Mettelet, F. Passera,
D. Perrot, G. Sellier, J. Lebreuilly, M. Tostain, D. Toulorge, G. Valency.
Les divers textes de cet ouvrage
La plupart
communications
ici, devant une
unique mais un
propagande: les
des textes inclus dans cet ouvrage correspondent aux
rendues publiques à cette occasion. Le lecteur se trouvera,
problématique dont le fil conducteur n'est pas une théorie
ensemble critique des dispositifs et des objets utilisés par la
images et les paroles, les sons et les lumières.
L'enjeu est clair: il s'agit de répondre à une interrogation sociétale. La
cohésion sociale et la paix entre les peuples passent par la connaissance des
mécanismes de l'action et de la distorsion que la propagande exerce, comme une
"éritable arme létale, sur les sentiments et les émotions, les valeurs et les
principes de la société démocratique et de l'humanité toute entière.
Inutile de faire le résumé des textes qui composent cet ouvrage. Mais, en les
reliant en trois grandes rubriques, nous avons voulu rendre compte des origines,
des questions et des conséquences de la propagande.
La première séance, destinée à inspecter certains moments et personnages
historiques liés à la propagande, s'est ouverte par une présentation de Mme
Catherine Bustany (Université de Caen) sur la figure et les diverses formes de
propagande utilisées par Jules César. Ensuite, M. Alain Joblin (Université
d'Artois) évoque l'acte iconoclaste huguenot de brûler des « images» peintes et
sculptées au XVIe siècle. L'iconoclasme reste un révélateur d'une adhésion à une
nouvelle église et surtout d'un sens religieux de purification. Plus
contemporaine, l'intervention de M. Randal Marlin (Université de Charleton),
montre les diverses formes que la propagande assume au XXe siècle, au point
d'en arriver à une démesure inconnue aux époques précédentes.
Enfin, MM Stéphane Corbin (Université de Caen) et Emmanuel Romain
(programme propagande MRSH) essayent de donner une cohérence et une
articulation à la fois historique et socio-politique aux diverses tentatives de
définir la propagande. La question de l'image de propagande est mise en
lumière par les interventions de trois spécialistes: Sébastien Roffat (Université
14
Avant-propos
de Paris III) qui présente et analyse les dessins animés de propagande durant la
Seconde Guerre mondiale. David Haigron (Université de Caen), qui travaille
sur les spots télévisés des partis politiques britanniques, montre comment la
propagande politique britannique ne se prive d'aucun effet pour capter
l'attention des «téléspectateurs électeurs ». François Lebourgeois (Université
de Caen) expose un aspect de ses travaux sur l'affiche de propagande
soviétique, qui se caractérise comme un révélateur non seulement des intentions
des idéologues et des dirigeants, mais aussi des attentes d'un peuple. L'affiche
soviétique serait le miroir des mentalités d'une nation.
Les rapports entre propagande et discours sont examinés en détail par Patrick
Chareaudeau (Université de Paris III), Thierry Lefebure (Université de ParisDauphine) et Philippe Breton (Université de Strasbourg). Les deux premiers
intervenants démontrent l'utilisation des diverses logiques discursives
d'inspiration rhétorique, la place du discours de propagande et de ses avatars
dans un contexte politique, où les frontières entre persuasion et manipulation
sont poreuses. Le troisième, en revanche, se situe dans une perspective
inversée: grâce à quels principes et à quelles compétences, certaines cibles ne
se laissent pas prendre dans l'engrenage de la propagande.
Finalement, la propagande et la manipulation sont traitées, en fin de
colloque, avec les apports de MM. Alexandre Dorna (Université de Caen), JeanLéon Beauvois et Claude Rinaudi (Université de Nice) et Patrick TroudeChastenet (Université de Bordeaux). Dans sa réflexion, le dernier conférencier
pose la relation entre information et propagande dans les sociétés
démocratiques, en termes de manipulation, selon l'approche critique de J. Ellul,
qui, déjà, dans les années 50, dénonce le caractère ambivalent de la propagande
en démocratie. D'un autre côté, l'intervention de J.L. Beauvois et de C. Rinaudi
place la critique de la manipulation propagandiste, dite «glauque », comme
fàisant partie d'un système médiatique non pluraliste. Enfin, Alexandre Doma
s'interroge sur les éléments qui ont précipité les hommes politiques dans le
monde de la propagande « pipole ».
En somme, cet ouvrage marque un nouveau jalon dans la quête d'une
compréhension pluridisciplinaire d'un objet dont les aspérités idéologiques ne
sont pas sans répercussions sur le plan de la méthode. C'est ainsi que l'effort
des uns et des autres, pour trouver un chemin viable à travers la forêt des
propagandes, mérite, nous semble-t-il, la bienveillance des autorités scientifiques et des responsables politiques qui souhaitent un citoyen libre de toute
manipulation au nom de l'intérêt général.
15
Les auteurs:
Jean-Léon Beauvois, Université de Nice.
Philippe Breton, Université de Strasbourg.
Catherine Bustany-Leca,
Patrick Chareaudeau,
CRHQ, Université de Caen Basse-Normandie.
Université de Paris III.
Stéphane Corbin, Université de Caen.
Alexandre Doma, Université de Caen.
David Haigron, Université de Caen.
Alain Joblin, Université d'Artois.
François Lebourgeois,
Université de Caen.
Thierry Lefebure, Université de Paris-Dauphine.
Claude Rinaudi, Université de Nice.
Sébastien Roffat, Université de Paris III.
Emmanuel Romain, MRSH.
Patrick Troude-Chastenet,
Bordeaux IV.
Université
de Poitiers
et Université
Montesquieu
Premième partie
Sources et usages de la propagande
Aux racines de la propagande:
la figure de César
CATHERINE BUSTANY-LECA
Il m'incombe, au moment où s'ouvre ce colloque, de montrer que le concept
de propagande n'est pas l'apanage d'une réflexion sur des faits contemporains,
mais puise ses racines dans l'antiquité, dès lors que se constitue un État, incarné
par un « chef », soucieux de diffuser une image et une conception de l'exercice
de son pouvoir auprès de ses sujets. J'ai choisi pour exemple César, figure
emblématique du chef charismatique, qui semble avoir très tôt saisi les leviers
de la ferveur populaire pour emporter l'adhésion des foules. Il faut toutefois
mener une réflexion préalable sur cette notion de propagande et en saisir les
limites, du moins pour la période antique qui nous intéresse ici. En effet, si la
prise de conscience de l 'Imperator Caesar de la nécessité de construire une
idéologie de pouvoir susceptible de fonder sa popularité peut être démontrée, si
la source et les vecteurs de cette construction idéologique du pouvoir sont
établis, il reste qu'il nous est difficile de mesurer, à nous historiens de
l'antiquité, la part de la réceptivité de la « cible» de cette « propagande» en
fonction de critères objectifs.
P. Veyne s'était déjà interrogé naguère sur la « propagande» supposée de la
colonne Trajane, au début du second siècle avo J._c.l, colonne dressée sur le
forum de Trajan et porteuse d'un bas-relief historié sur un fût qui s'élève
jusqu'à 30 mètres du sol. Cette longue «bande dessinée », compte-rendu des
campagnes victorieuses de Trajan contre les Daces2 , est indiscernable au-delà
des deux premières spires, pour les touristes contemporains comme pour les
Romains du Il" siècle, quels que soient les artifices imaginés pour la rendre plus
lisible (notamment l'accès à sa partie médiane depuis les terrasses des
bibliothèques qui l'encadraient). Pour P. Veyne, « la colonne n'informe pas les
humains, n'essaie pas de les convaincre par sa rhétorique: elle les laisse
seulement constater qu'eIle proclame la gloire de Trajan à la face du ciel et du
temps ». Or, « la propagande est une rhétorique, elle s'adresse à autrui et affecte
d'agir sur sa conviction, en agissant sur sa raison ou sur sa sensibilité; elle est
« démocratique », son action se déguise en information ». En cela, parce qu'elle
ne cherche pas à convaincre, mais proclame seulement la gloire militaire d'un
empereur auquel il convient de se soumettre, elle n'est pas œuvre de
propagande, comme les historiens l'ont souvent présentée, ou du moins ne l'est
I
P. Veyne, Propagande expression roi, image idole oracle, dans P. Veyne, La Société romaine,
Paris,
Seuil,
1991 p.311-342.
2 Peuple barbare vivant sur le territoire de l'actuelle
Roumanie,
donc au-delà du limes danubien.
La propagande:
images, paroles et manipulation
qu'à moitié: «en tant que médium reçu, la colonne Trajane visait les
spectateurs, mais le message produit, à savoir le peu visible décor, n'avait pas,
lui, de destination politique ou sociale. »3
Cette incursion postérieure de deux siècles au sujet de notre propos initial
m'a paru nécessaire pour éclairer mon propos. La question de la finalité d'un
discours, qu'il soit proclamé, écrit ou imagé, est essentielle au sujet de réflexion
qui nous réunit.
S'agissant de César, figure charismatique et source d'imitatio dont j'histoire
contemporaine fourmille d'exemples fameux, il semble bien que le souci de
convaincre et de s'inscrire ainsi dans une logique de « propagande» soit plus
conscient. Nous prendrons ainsi trois exemples pour tenter de le démontrer. Le
premier est la très fameuse Guerre des Gaules. Ce récit, contemporain des
événements qu'il relate, et chronique d'une conquête orchestrée par son meneur
de jeu, est à ce titre un document unique: dans sa préface du texte, Paul-Marie
Duval insiste sur son caractère d'œuvre de propagande «composée à chaud
dans la foulée d'une marche au pouvoir qu'il s'agissait d'assurer. »4 Consul en
59 avo J.-c., César ne pouvait en effet briguer cette magistrature que dix ans
plus tard ( au tenne de la réfonne syllanienne sur les modalités de l' iteratio) et
devait pendant cette période se construire une popularité sans faille dont le
principal levier était ses légions. Ses commentarii de la guerre des Gaules se
devaient donc d'être publiés vite et, de fait, ils le furent dès avant la fin du
conflit. Que pouvait-on y lire? « Un récit, suivi de mois en mois, dans le cadre
annalistique des huit années» de campagne militaire, mais qui, subtilement et
sous apparence d'objectivité, verse vers l'apologie de son auteur. Citons à
l'appui de cette assertion le discours de Césars prononcé en 58 avo J.-c.,
consécutif à des rumeurs circulant dans l'armée sur l'invincibilité des Germains
que les soldats auraient à affronter6, génératrices de peurs irraisonnées et de
tentatives de désertion. « Voyant cela, César réunit le conseil, et il y convoqua
les centurions de toutes les cohortes; il commença par leur reprocher avec
véhémence leur prétention de savoir où on les menait, ce qu'on se proposait, et
de raisonner là-dessus. Arioviste avait, sous son consulat, recherché avec le
plus grand empressement l'amitié des Romains quelle raison de penser qu'il
"
manquerait avec tant de légèreté à son devoir? Pour
sa part, il était convaincu
que lorsque le Germain connaîtrait ce que César demande, et verrait combien
ses propositions sont équitables, il ne refuserait pas de vivre en bonne
intelligence avec lui et le peuple romain. Et si, obéissant à l'impulsion d'une
3
P. Veyne, ibid. p.339.
4
Jules César, La Guerre des Gaules, Gallimard, 1981, préface de P-M. Duval, p. 8.
5
Bellum
Gallicum.
1. 40
6 Bellum Gallicum, J, 39 : « Ils parlaient de la taille immense des Germains, de leur incroyable
valeur militaire, de leur merveilleux entraînement: « Bien des fois, disaient les Gaulois, nous
nous sommes mesurés avec eux, et le seul aspect de leur visage, le seul éclat de leurs regards nous
furent insoutenables. )}
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