Développement et mise en œuvre d`un SIG 3D environnemental

Revue Internationale de Géomatique. Volume 16 n° 1/2006, pages 71 à 91
Développement et mise en œuvre d’un SIG
3D environnemental urbain
D. Siret, M. Musy, F. Ramos, D. Groleau, P. Joanne
Laboratoire CERMA UMR CNRS 1563
École d’Architecture de Nantes
Rue Massenet, BP 81931, F-44319 Nantes Cedex 3
{daniel.siret, marjorie.musy}@cerma.archi.fr
RÉSUMÉ. Les systèmes d’information ographique ont un rôle important à jouer en matière
de développement durable urbain, tant pour ce qui concerne la collecte et l’analyse des
propriétés environnementales des constructions et des espaces urbains, qu’en matière de
communication et de concertation autour de ces enjeux dans les projets d’aménagement. À
cette fin, les SIG doivent savoir prendre en compte la troisième dimension et s’interfacer avec
des outils de simulation des phénomènes physiques urbains. Cet article présente une tentative
de réponse à ces objectifs. Nous exposons la structure d’un SIG 3D environnemental urbain,
actuellement développé et mis en œuvre dans des situations concrètes à Nantes, ainsi que les
modalités d’intégration des données environnementales urbaines dans ce système.
ABSTRACT. Geographic information systems have a primary role to play for sustainable urban
development, as tools for collecting and analyzing environmental properties of buildings and
urban spaces, either as a support for communication and public participation in urban
planning. To this end, GIS should take into account the third dimension and they should be
able to interoperate with existing simulation tools of urban physical phenomena. This paper
introduces an environmental urban 3D GIS system that aims at achieving these objectives.
We expose the structure of the system, currently experienced in real urban processes in the
city of Nantes, and we show the way environmental data is integrated to it.
MOTS-CLÉS : SIG 3D, Modélisation 3D, Simulation environnementale, Aménagement urbain,
Bâtiments.
KEYWORDS: 3D GIS, 3D Modelling, Environmental simulation, Urban planning, Buildings
1. Introduction
Les questions liées au développement durable urbain donnent lieu à un intense
foisonnement intellectuel depuis une dizaine d’années (cf. MEDD, 2002 pour une
analyse bibliographique). Les problématiques soulevées touchent aux questions
sociales et économiques, mais aussi aux problèmes liés à l’impact environnemental
des constructions et des aménagements urbains. Les bâtiments (secteurs résidentiel
et tertiaire) consomment actuellement plus de 40% de lénergie finale consommée
en France, et sont responsables de 20% des émissions de gaz à effet de serre 1. Par
ailleurs, on estime que 60% de la surface du parc de résidences principales projeté
en 2050 sont déjà construits aujourd’hui. On sait également qu’un grand nombre des
immeubles collectifs existants ont é construits dans les années 1962-1975
(notamment sous la forme de grands ensembles périurbains), cest-à-dire avant le
premier choc pétrolier et les premières réglementations concernant l’isolation
thermique des constructions.
Dans ce contexte, une gestion environnementale des projets urbains apparaît
aujourd’hui nécessaire. Elle implique une évaluation de l’impact environnemental
des projets de transformation urbaine, qu’il s’agisse d’actions incitatives de
réhabilitation, d’opérations de renouvellement urbain ou de projets d’extension.
Cette évaluation porte notamment sur les prélèvements qu’opèrent les timents et
infrastructures urbaines en matière de ressources naturelles non renouvelables
(espace, énergie), sur la production de déchets (gaz à effets de serre, pollution des
sols et des cours d’eau), ou sur les implications des phénomènes physiques en
matière d’ambiances urbaines et de confort intérieur des bâtiments (thermique,
sonore, visuel). De nombreuses recherches en cours tentent d’évaluer ces effets et
d’infléchir les projets urbains au moyen d’indicateurs environnementaux (cf. par
exemple Cherqui et al, 2004).
Les SIG peuvent jouer un rôle central dans l’accomplissement de ces objectifs.
Ils permettent de capitaliser et de croiser les données environnementales urbaines,
qu’elles soient issues d’observations ou de simulations de phénomènes physiques, à
de multiples échelles spatiales et temporelles. Les SIG deviennent alors les lieux de
construction et d’évaluation des indicateurs de durabilité urbaine, agrégeant les
dimensions physiques, économiques, sociales et culturelles. Les SIG peuvent
également faciliter le dialogue et la concertation entre les acteurs des projets urbains,
en produisant une information environnementale complète, claire et lisible par les
non-experts. De nombreuses études mettent ainsi l’accent sur le rôle central que
peuvent jouer les systèmes d’information dans les processus de communication et de
concertation en matière d’aménagement urbain (Laurini, 2001, Sten Hansen, 2004).
Il existe une nécessité fondamentale d’utilisation de la troisième dimension pour
les données environnementales caractérisant les bâtiments et les infrastructures
urbaines. Il est par exemple très réducteur de représenter l’ensoleillement d’un
1. Cf. Mission Interministérielle de l’Effet de Serre : http://www.effet-de-serre.gouv.fr/
immeuble par un attribut moyen sur la parcelle. Non seulement les valeurs
d’ensoleillement sont différentes suivant l'orientation des façades (qui peuvent avoir
elles-mes des formes et hauteurs différentes) mais de plus, par les effets de
masques propres aux milieux urbains denses, ces valeurs varient considérablement
entre les niveaux bas et haut d’un même immeuble. Il en va de me pour ce qui
concerne l’exposition au vent, aux bruits ou au regard. Dans tous ces cas, il est
nécessaire de moduler les données en fonction des différents niveaux des bâtiments,
c’est-à-dire d’affecter les données non pas aux entités géographiques représentées en
deux dimensions, mais aux éléments composant l’enveloppe des objets analysés.
Le développement de SIG 3D environnementaux urbains se situe ainsi à la
croisée de deux domaines de recherche :
Celui de l’analyse environnementale des milieux urbains, veloppé de longue
date dans de nombreux champs physiques (phénomènes sonores, pollution
atmosphérique, hydrologie, accessibilité visuelle, etc). Même si la simulation de ces
phénomènes est généralement alisée dans l’espace 3D en intégrant les effets des
bâtiments, les informations sont souvent produites dans une logique cartographique,
plaquées au sol ou sur un plan horizontal arbitraire. Ces représentations ne
renseignent pas sur les propriétés des bâtiments ; elles peuvent même s’avérer
trompeuses en laissant supposer que l’on peut inférer ces propriétés par simple
contiguïté spatiale.
Le domaine de la modélisation de l’information tridimensionnelle dans les
bases de données géographiques, qui connaît de fortes extensions depuis dix ans
(Cambray, 1994, De La Losa, 2000, Zlatanova, 2000, Ramos, 2003, Arens et al,
2003, Koehl, 2004). Ainsi, la troisième dimension fait progressivement son
apparition au sein des SIG urbains, avec une grande variété d’applications (Shiode,
2001). Cependant, les possibilités de représentation 3D des informations urbaines
sont souvent perçues comme un moyen de produire des images texturées
photoréalistes. La 3D est alors envisagée comme une forme supplémentaire de
visualisation interactive, sans interférer avec les modèles de données sous-jacents.
Peu de systèmes proposent aujourd’hui une synthèse de ces deux voies et ces
synthèses, lorsqu’elles existent, portent généralement sur une seule dimension de
l’environnement urbain (cf. DRAST, 2003 pour la représentation des niveaux
sonores sur les parois d’immeubles urbains, le long de voies de circulations, ou
Gomes Mendes et al, 2003 pour la détermination d’indicateurs ométriques
caractérisant les tissus urbains). Cet article propose une généralisation de ces
approches à tous types d’information environnementale concernant les constructions
et les espaces ouverts urbains. Nous y présentons un SIG 3D environnemental
urbain, actuellement développé dans notre laboratoire et mis en œuvre dans des
situations concrètes à Nantes.
La première section expose la structure générale du système, le modèle de
données et les méthodes proposées pour la reconstruction des fragments urbains
analysés. Nous proposons une modélisation hiérarchique des bâtiments permettant
de représenter les parois extérieures par niveaux. Nous mettons en œuvre une
technique de génération des bâtiments à partir dinformations sur leur façade,
permettant en particulier de générer le modèle 3D à la volée.
La section suivante présente les modalités d’intégration des données
environnementales dans le système. Ces données sont principalement produites au
moyen de systèmes de simulation numérique des phénomènes physiques. La grande
diversité des données ainsi produites ne facilite pas les traitements, c’est pourquoi
nous avons été amenés à proposer une nouvelle classification susceptible de
généraliser les méthodes. Nous distinguons ainsi les informations environnementales
de types attributaires, surfaciques, volumiques et illustratives. Nous détaillons ces
classes et nous montrons les possibilités de traitement permettant de transformer les
informations de type surfacique ou volumique en information attributaire.
La dernière section expose deux exemples d’application du système dans des
projets urbains récents à Nantes. Le premier concerne une opération incitative de
réhabilitation de logement dans laquelle le SIG est appeà jouer un rôle d’analyse
de l’état du parc de logement et d’outil de communication auprès des maîtres
d’ouvrage privés. Le second exemple montre l’usage du SIG dans une opération de
renouvellement urbain. Il s’agit là encore de montrer les potentialités des différentes
versions du projet urbain, et d’aider les acteurs dans la prise en compte des
dimensions environnementales.
2. Structure du système proposé
Notre objectif est de fournir un système d’information ographique, capable de
manipuler des entités tridimensionnelles représentant les objets urbains (bâtiments
décomposés en niveaux et parois, de formes a priori quelconques) et d’associer à ces
entités construites des informations physiques environnementales, variables dans le
temps et dans l’espace : ensoleillement, vent, son, etc. Pour ce faire, nous proposons
un sysme modulaire articulant des outils de représentation 3D des entités
construites et des outils de simulation des phénomènes physiques. Nous détaillons
dans cette première partie l’organisation nérale du système, le modèle de données
mis en œuvre (primitives constructives utilies et représentation ométrique 3D
associée), ainsi que les techniques utilisées pour la reconstruction 3D des fragments
urbains.
2.1. Organisation générale
Le système est organisé autour de trois principaux modules, comme le montre la
figure 1. Le module Simulation est constit des logiciels développés ou utilis par
le laboratoire pour lévaluation environnementale des constructions (cf. section 3).
Le module ArcGIS est la solution commerciale retenue pour visualiser et manipuler
l’information produite par le système, après étude des différentes options
disponibles sur le marché permettant la manipulation de scènes tridimensionnelles.
Le module SIG_CERMA constitue lapport principal en termes de développements
informatiques. Il porte le mole de données des primitives constructives et assure la
communication entre les différentes entités du système (par l’échange et la
conversion de fichiers principalement). Il fournit par ailleurs certaines
fonctionnalités complémentaires de celles disponibles dans la solution ArcGIS.
Le module SIG_CERMA interagit dune part avec une base de données externe,
dans laquelle la plupart des données et informations traies par le système sont
stockées, et d’autre part avec un ensemble de fichiers de formes, dans lesquels sont
définies les caractéristiques tridimensionnelles des entités manipulées (faute de
pouvoir les stocker efficacement dans la base de données). Ces formes, comme nous
le verrons, sont décrites suivant un modèle de type B-REP, c’est-à-dire comme un
ensemble de faces polygonales planes, avec une description topologique associée
(cf. § 2.2.2).
Figure 1. Organisation générale du système
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