Rôles des séquences cryptiques des précurseurs protéiques d’hormones Roles of tryptic sequences in precursors of peptide hormones A. Ladram*, P. Nicolas*, M. Bulant* points FORTS ▲ Les séquences cryptiques des précurseurs d’hormones peptidiques, encore appelées séquences de connexion, ont longtemps été considérées comme biologiquement inertes. ▲ Les séquences cryptiques jouent en fait un rôle majeur dans des processus biologiques, comme la maturation protéolytique des précurseurs d’hormones et leur routage intracellulaire. ▲ L’étude de la distribution cellulaire et tissulaire des produits cryptiques issus de la maturation protéolytique des précurseurs hormonaux a révélé qu’ils pouvaient avoir des fonctions d’hormones et/ou de neuromodulateurs. ▲ Des activités biologiques ont été attribuées à plusieurs peptides cryptiques du précurseur de la thyrolibérine (TRH), une hormone jouant un rôle de pivot dans la régulation de l’axe hypothalamohypophyso-thyroïdien. ▲ Le peptide cryptique Ps4 (prépro-TRH-[160-169]) est un peptide qui potentialise les fonctions hormonales et neuromodulatrices de la TRH. ▲ Le peptide Ps5 (prépro-TRH-[178-199]) est impliqué, entre autres, dans les réponses au stress en modulant la sécrétion de l’hormone corticotrope (ACTH). ▲ La fonction du peptide de connexion du précurseur de l’insuline, appelé peptide C, ne se limite pas au maintien de la structure secondaire et tertiaire de la pro-insuline. ▲ Le peptide C possède des effets cellulaires nombreux et complexes qui passent par plusieurs voies de signalisation impliquant, en particulier, le NO et une activité Na+, K+-ATPase. ▲ Le peptide C peut avoir des effets biologiques qui lui sont propres ou agir en synergie avec l’insuline. ▲ L’administration thérapeutique du peptide C, conjointement à celle de l’insuline, pourrait avoir des effets bénéfiques dans la prévention ou le retardement des complications rénales, nerveuses et circulatoires du diabète de type I. Mise au point Mise au point O n a longtemps considéré que les séquences cryptiques des précurseurs d’hormones peptidiques n’avaient aucun rôle et qu’elles étaient éliminées après maturation protéolytique des prohormones, à l’image des introns au niveau de l’ADN. Aujourd’hui, il est clair que leur signification biologique n’est pas dénuée de tout sens puisqu’elles semblent impliquées dans plusieurs processus physiologiques importants. Rappels sur la biosynthèse des hormones peptidiques Les hormones peptidiques, et de manière générale les protéines sécrétées, sont synthétisées sous la forme de précurseurs inactifs de plus haut poids moléculaire appelés préprohormones. Ces précurseurs contiennent un peptide signal N-terminal et une ou plusieurs séquences progénitrices d’hormones séparées par des séquences cryptiques. Le peptide signal permet l’adressage correct des préprohormones en cours de synthèse dans le réticulum endoplasmique (RE). Les séquences progénitrices correspondent à des séquences hormonales immatures et inactives. Les séquences cryptiques, encore appelées séquences de connexion, servent de peptides séparateurs dans le précurseur et sont considérées comme étant non hormonales. L’élimination cotraductionnelle du peptide signal, dans le RE, conduit à l’obtention de prohormones qui vont subir différentes modifications post-traductionnelles (formation de ponts disulfures, glycosylation, phosphorylation, etc.) au cours de leur acheminement jusqu’au trans-Golgi. C’est au niveau de ce dernier compartiment de l’appareil de Golgi que les prohormones sont dirigées spécifiquement vers la voie de sécrétion régulée et sont empaquetées dans des granules de sécrétion. Elles vont y subir une maturation protéolytique limitée ainsi que d’autres modifications post-traductionnelles qui aboutiront à l’obtention d’hormones pepti- * Institut Jacques-Monod, UMR 7592 CNRS/universités Paris-VI et VII, Paris. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 5, septembre/octobre 2005 191 Mise au point Mise au point Peptide signal Séquence progénitrice (inactive) Préprohormone Biosynthèse Séquence cryptique REG Prohormone Golgi Trans-Golgi Maturation des granules Voie de sécrétion régulée Figure 1. Représentation schématique de la maturation intracellulaire des précurseurs d’hormones peptidiques. Peptides matures (actifs) + diques actives, à partir des séquences progénitrices, et à la libération des séquences cryptiques du précurseur. En réponse à un stimulus, ces produits de maturation seront finalement libérés dans le milieu extracellulaire par exocytose (figure 1). La maturation protéolytique des prohormones permet d’obtenir un ou plusieurs peptides possédant des fonctions biologiques différentes à partir d’un même précurseur, augmentant ainsi la diversité biologique et fonctionnelle de la cellule. Le taux et la nature de ces peptides peuvent êtres modulés selon les cellules ou les tissus grâce à une protéolyse différentielle de la prohormone mettant en jeu des enzymes exprimées ou régulées de manière spécifique. La maturation protéolytique est un phénomène qui fait intervenir des endoprotéases, appelées proconvertases, capables de couper spécifiquement les liaisons peptidiques des prohormones au niveau de signaux basiques. Ces coupures ont lieu le plus souvent au niveau de doublets d’acides aminés basiques (Lys-Arg, Arg-Arg, ou plus rarement ArgLys). À ces endoprotéases sont associées des aminopeptidases et des carboxypeptidases qui permettent d’éliminer les résidus d’acides aminés basiques restant en bout de chaînes. Les hormones ainsi libérées à partir des précurseurs peuvent ensuite subir d’autres modifications post-traductionnelles, comme l’acétylation N-terminale, l’amidation C-terminale ou la formation de pyroglutamate, indispensables à leurs activités biologiques. 192 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 5, septembre/octobre 2005 Peptides cryptiques rôle(s) ? Rôles hypothétiques des séquences cryptiques L’analyse de la structure primaire de nombreux précurseurs polypeptidiques d’hormones indique de façon surprenante que les séquences cryptiques représentent, par rapport aux séquences hormonales, la plus grande partie de ces précurseurs (60 à 90 %). Plusieurs rôles hypothétiques leur ont été attribués. Les séquences cryptiques pourraient jouer un rôle dans le processus de maturation protéolytique en permettant aux prohormones d’adopter une structure conformationnelle qui autoriserait ou interdirait certains clivages enzymatiques. À titre d’exemple, allant dans ce sens, on peut citer le peptide de connexion du précurseur de l’insuline, appelé peptide C, qui joue un rôle structural majeur dans le repliement polypeptidique de la pro-insuline et dans la formation de ponts disulfures. Si des délétions sont réalisées dans le peptide C, on empêche toute maturation de la pro-insuline par les proconvertases (1). Les séquences cryptiques pourraient également intervenir dans le routage intracellulaire des hormones. Il existe dans les cellules sécrétrices spécialisées, comme les cellules nerveuses et endocrines, deux voies de sécrétion : ✓ une voie constitutive, permettant aux protéines d’être exportées à la surface de la cellule directement après leur synthèse ; ✓ une voie régulée, permettant aux hormones peptidiques et aux neuropeptides d’être dirigés dans des granules de sécrétion où ils sont stockés, puis libérés à la suite d’une stimulation par des sécrétagogues. Le mécanisme de triage au niveau du trans-Golgi permettant aux prohormones d’emprunter l’une ou l’autre voie de sécrétion reste encore mal connu. Les séquences cryptiques pourraient contenir l’information nécessaire à la séquestration des prohormones dans les granules de sécrétion. Cette hypothèse est suggérée par des expériences faisant intervenir des protéines chimères où la fusion de proséquences de protéines sécrétées de manière régulée à diverses protéines sécrétées constitutivement entraîne une réorientation des protéines hybrides vers la voie de sécrétion régulée. Cependant, la comparaison de la structure primaire de différentes prohormones n’a pas révélé, jusqu’à présent, de similitudes permettant de définir une séquence consensus responsable du routage des hormones vers la voie de sécrétion régulée. En revanche, l’analyse des structures secondaires de 15 proséquences hormonales a permis à Kizer et Tropsha d’identifier un motif commun qui pourrait servir de signal de tri au niveau du trans-Golgi (2). Comme le peptide signal, il serait peu conservé et organisé en une hélice α amphipatique. Ce motif ne serait pas retrouvé dans les séquences cryptiques qui ne sont pas nécessaires à une sécrétion ciblée, comme le peptide C de la pro-insuline. L’hypothèse d’une implication des séquences cryptiques des prohormones possédant une activité biologique, au sens propre du terme, n’est pas exclue, puisque des produits matures issus de ces séquences sont parfois libérés avec les hormones actives lors de la maturation protéolytique du précurseur. Pour exemple, il existe des protéines multifonctionnelles, comme la pro-opiomélanocortine (POMC), qui possèdent en elles plusieurs hormones différentes. L’analyse détaillée des profils d’activité des séquences de connexion est donc un moyen de choix pour la mise en évidence de nouveaux effecteurs peptidiques. Dans ce contexte, nous ferons le point, dans la suite de cet article, sur les rôles biologiques des séquences cryptiques issues de deux précurseurs d’hormones importantes : ✓ le précurseur de la thyrolibérine ou TRH (thyrotropinreleasing hormone), qui constitue un excellent modèle pour l’étude des séquences cryptiques dans la mesure où elles représentent 74 % des acides aminés du préproTRH ; ✓ le précurseur de l’insuline, dont l’unique peptide de connexion, le peptide C, pourrait avoir une application thérapeutique dans la prévention ou le retardement des complications à long terme du diabète de type I. Les séquences cryptiques du précurseur de la TRH : une source d’effecteurs peptidiques La TRH et son précurseur La TRH est la première neurohormone hypophysiotrope qui a été caractérisée chimiquement. Il s’agit d’un tripeptide de séquence pGlu-His-Pro-a (pGlu : acide pyroglutamique ; a : amidation C-terminale) dont la structure apparaît remarquablement bien conservée dans le règne animal. Chez les mammifères, la TRH joue un rôle de pivot dans la régulation hormonale de l’axe hypothalamohypophyso-thyroïdien. C’est en effet un puissant stimulateur de la sécrétion antéhypophysaire de thyrotropine (TSH : thyroid-stimulating hormone) qui régule, à son tour, la sécrétion des hormones thyroïdiennes T3 et T4. La TRH stimule également la sécrétion antéhypophysaire de prolactine et d’hormone de croissance (GH : growth hormone). Alors que l’isolement et la caractérisation de la TRH remontent à 1969, c’est seulement en 1986 que la structure primaire du prépro-TRH (ppTRH) a été élucidée pour la première fois chez le rat. Le ppTRH de rat est une protéine de 29 kDa constituée de 255 acides aminés qui contient cinq copies identiques de la séquence progénitrice de la TRH, Gln-His-Pro-Gly (figure 2). Ces copies sont encadrées par des doublets d’acides aminés basiques (Lys-Arg ou Arg-Arg) et sont libérées après action des proconvertases PC1 et PC2 au niveau de ces doublets. La formation de TRH mature est obtenue après la cyclisation du résidu Gln en pGlu par la pyroglutaminyl cyclase et l’amidation C-terminale du résidu Pro, grâce à la PAM (peptidyl glycine-α-amidating monooxygenase) qui remplace le résidu Gly par une fonction amide. Dans le précurseur, les séquences progénitrices de la TRH sont séparées les unes des autres par six séquences cryptiques (Ps1, Ps2, Ps3, Ps4, Ps5 et Ps6) ne possédant pas d’identité avec la TRH elle-même et représentant plus de 90 % de la masse totale du précurseur (figure 2). Mise au point Mise au point RR KR KR KR RR KR RR KR RR KR KR Ps1a Ps1b Ps2 Ps3 Ps4 Ps5 Ps6 ppTRH ppTRH 25-50 53-74 ppTRH 83-106 ppTRH 115-151 ppTRH 160-169 ppTRH 178-199 ppTRH 208-255 Peptide signal Peptide cryptique Ps4 : SFPWMESDVT Séquence progénitrice de la TRH Ps5 : FIDPELQRSWEEKEGEGVLMPE Figure 2. Représentation schématique du ppTRH de rat. Les doublets d’acides aminés basiques (R : Arg, K : Lys), la position des peptides cryptiques (ppTRHx-x) et la structure primaire des peptides Ps4 et Ps5 sont indiqués. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 5, septembre/octobre 2005 193 Mise au point Mise au point Il existe pour la plupart des précurseurs plurifonctionnels, comme la POMC par exemple, une maturation différentielle selon les tissus. Les produits peptidiques issus de cette maturation sont généralement libérés de manière coordonnée et peuvent soit exercer des activités biologiques distinctes, soit agir en synergie. C’est dans ce contexte que des efforts ont été réalisés pour déterminer la structure et la distribution des produits de maturation du ppTRH, à l’aide des techniques de dosages radio-immunologiques (RIA) et de chromatographie liquide haute performance en phase inverse (RP-HPLC) (3). Deux types de mécanismes de maturation ont été mis en évidence dans le cerveau. Dans l’hypothalamus et la moelle épinière, les fragments cryptiques sont avec la TRH les formes majeures de stockage, suggérant une maturation totale du ppTRH. Dans les lobes olfactifs, la situation est différente puisque la maturation du ppTRH est partielle et conduit à l’obtention, en quantité majeure, de peptides cryptiques allongés en N-terminal par une séquence TRH (TRH-Ps3, TRH-Ps4 et TRH-Ps5), à la suite d’un déficit de clivage au niveau des doublets d’acides aminés basiques Arg-Arg. Activités biologiques des peptides cryptiques du ppTRH Si les fonctions biologiques de la TRH sont bien connues, il n’en est pas de même pour les autres produits dérivés du ppTRH. Cela tient au fait que peu d’équipes se sont intéressées aux peptides cryptiques, contrairement à la TRH. L’examen de la distribution de ces peptides ou la mise en évidence de leur régulation, dans des conditions physiologiques ou pathologiques spécifiques, est indispensable pour mieux comprendre leurs rôles biologiques. Des études immunocytochimiques ont permis de montrer que les peptides de connexion sont colocalisés avec la TRH dans l’hypothalamus, et particulièrement au niveau des terminaisons nerveuses de la zone externe de l’éminence médiane (3) qui sont au contact du système sanguin porte hypothalamo-hypophysaire. Cela a laissé entrevoir, comme pour la TRH, une éventuelle implication des peptides cryptiques du ppTRH dans la régulation de l’hypophyse antérieure. Pour la première fois en 1990, il a été démontré que le décapeptide Ps4 (ppTRH-[160-169], figure 2) potentialise la sécrétion antéhypophysaire de TSH induite par la TRH, sans toutefois posséder des effets intrinsèques sur la libération basale de TSH (3). L’effet potentialisateur de Ps4 est un phénomène dépendant du calcium qui semble impliquer des canaux calciques de type L, directement ou indirectement régulés par une protéine G sensible à la toxine pertussis. Des récepteurs spécifiques de Ps4 ont été détectés dans l’hypophyse antérieure et les propriétés de liaison ont été caractérisées à l’aide du traceur 194 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 5, septembre/octobre 2005 [125I-Tyr0]Ps4 et d’analogues peptidiques (4). De manière surprenante, ces récepteurs ne sont pas présents sur les cellules à TSH, mais sont exclusivement localisés sur les cellules folliculo-stellaires qui sont connues pour jouer un rôle important dans la régulation de l’activité des cellules hypophysaires. Par exemple, l’effet inhibiteur de l’interféron γ, ou activateur du PACAP (pituitary adenylate activating polypeptide), passe par les cellules folliculostellaires. Cette localisation inattendue des récepteurs de Ps4 indique que le mécanisme d’action de Ps4, qui reste inconnu, semble plus complexe que prévu. Il est possible d’envisager que Ps4 puisse moduler, à partir des cellules folliculo-stellaires, la sécrétion d’un facteur paracrine qui serait responsable de la potentialisation de la réponse TSH induite par la TRH. L’intervention de facteurs diffusant par les gap junctions des cellules folliculostellaires est également possible. L’utilisation de lignées cellulaires tumorales capables d’exprimer des sites de liaison à haute affinité pour Ps4, comme la lignée gliale C6 ou la lignée neuronale BN1010, pourrait constituer une bonne approche expérimentale pour l’étude du mécanisme d’action de Ps4 au niveau moléculaire et le clonage de son récepteur (4). D’autres activités biologiques ont été découvertes pour le peptide de connexion Ps4, comme la stimulation de l’expression du gène de la TSH, la stimulation de la synthèse et de la sécrétion de prolactine, ou la potentialisation de la sécrétion d’acide gastrique induite par la TRH au niveau du système nerveux central (SNC). Ps4 pourrait également potentialiser les effets antidépresseurs de la TRH (3, 4). Ps5 (ppTRH-[178-199], figure 2) est le peptide de connexion qui a été le plus étudié après Ps4 et pour lequel plusieurs activités biologiques ont aussi été mises en évidence. Il inhibe la sécrétion de GH hypophysaire induite par la TRH, chez le rat, mais est sans effet sur la libération basale de GH. Ps5 inhibe également la synthèse et la sécrétion d’hormone corticotrope (ACTH : adrenocorticotropic hormone) et serait donc le CRIF (corticotropin release-inhibitory factor), dont l’existence a été postulée depuis plusieurs décennies (4). L’implication de Ps5 dans la modulation des réponses neuroendocrines et comportementales au stress a été démontrée par la suite. Une fonction supplémentaire a récemment été attribuée à Ps5 : l’inhibition de la sécrétion de prolactine antéhypophysaire (5). Cette fonction réside dans la partie C-terminale du peptide cryptique puisque le ppTRH-[186-199] possède la même propriété que Ps5. À ce jour, le récepteur de Ps5 n’a pas encore été caractérisé et aucun rôle biologique précis n’a été défini pour les autres peptides de connexion. La distribution large des peptides cryptiques du ppTRH et des récepteurs de Ps4, aussi bien en périphérie (pancréas, thyroïde, cœur, appareil urogénital) que dans le SNC, permet d’envisager l’implication de ces peptides dans des fonctions physiologiques spécifiques qu’il reste à définir. Le peptide C du précurseur de l’insuline La pro-insuline contient un seul peptide de connexion appelé peptide C (figure 3). La structure primaire du peptide C varie suivant les espèces. Il existe deux types de peptides C chez le rat (peptide C-1 et peptide C-2). Ils diffèrent l’un de l’autre par deux résidus d’acides aminés (figure 3) et proviennent de précurseurs distincts. Le peptide C est sécrété avec l’insuline dans la circulation sanguine en quantité équimolaire. Il joue un rôle essentiel dans le maintien de la structure secondaire et tertiaire de la pro-insuline. Après la découverte du mode de biosynthèse de l’insuline, la recherche d’un rôle éventuel du peptide C dans le métabolisme du glucose s’est révélée infructueuse chez l’homme. Cependant, chez le rat uniquement, des rôles inhibiteurs lui ont été attribués, comme l’inhibition de la sécrétion d’insuline induite par le glucose ou la sécrétion de glucagon induite par l’arginine. Malgré ces effets, on a longtemps considéré que le peptide C possédait peu ou pas d’activité biologique et que son rôle se limitait à la biosynthèse de l’insuline. Ces dernières années, le peptide C a fait l’objet d’une attention particulière et, aujourd’hui, il apparaît que son utilisation, conjointement à celle de l’insuline, pourrait avoir des effets thérapeutiques bénéfiques chez les patients atteints de diabète de type I. Chaîne B Humain Rat-1 Rat-2 Singe Bœuf Porc Mouton Cheval Peptide C ment des cellules ß sécrétrices d’insuline) (6). Par la suite, l’utilisation de peptide C humain couplé en N-terminal à un fluorophore (tétraméthyl-rhodamine) a permis de détecter des sites de liaison de haute affinité (environ nM) sur différentes cellules humaines en culture, comme des cellules de tubule rénal, des fibroblastes de peau et des cellules endothéliales de veine saphène. La liaison du peptide C est stéréospécifique et non déplaçable par l’insuline et inversement. L’existence d’un récepteur est renforcée par la capacité du peptide C à produire plusieurs effets cellulaires (6, 7) (figure 4). Chez le rat et l’homme, le peptide C homologue stimule l’activité Na+, K+-ATPase des cellules rénales. Cet effet est bloqué par la toxine pertussis et par l’absence de Ca2+ dans le milieu extracellulaire. La stimulation de l’activité Na+, K+-ATPase semble faire intervenir une protéine kinase Cα, ce qui, avec d’autres résultats, suggère l’implication d’un récepteur du peptide C couplé à une protéine G de type Gi/G0 qui stimule une voie de signalisation dépendante du Ca2+, aboutissant ainsi à l’augmentation de l’activité Na+, K+ATPase (figure 4). Des effets du peptide C sur la NOsynthase (NOS : nitric oxide synthase) ont été décrits (figure 4), aussi bien pour le type endothélial (eNOS) que pour le type inductible (iNOS) : par exemple, la stimulation de l’activité eNOS dans les cellules aortiques par une augmentation de la concentration intracellulaire de Ca2+ et la stimulation de l’expression de eNOS et iNOS dans les cellules musculaires de corps caverneux humain. L’effet sur l’expression des NOS est maximal quand le peptide C est incubé avec l’insuline (8). Le peptide C possède des propriétés vasodilatatrices et stimule l’utilisation de glucose par un mécanisme passant également Mise au point Mise au point Chaîne A EAEDLQVGQVELGGGPGAGSLQPLALEGSLQ EVEDPQVPQLELGGGPEAGDLQTLALEVARQ EVEDPQVAQLELGGGPGAGDLQTLALEVARQ EAEDPQVGQVELGGGPGAGSLQPLALEGSLQ EVEGPQVGALELAGGPGAGG-----LEGPPQ EAENPQAGAVELGGGLGG--LQALALEGPPQ EVEGPQVGALELAGGPG-----AGGLEGPPQ EAEDPQVGEVELGGGPGLGGLQPLALAGPQQ Figure 3. Représentation schématique de la pro-insuline indiquant la structure primaire des peptides C de plusieurs espèces. Les séquences sont alignées et les deux peptides C de rat sont indiqués. Peptide C Mécanisme d´action ? Ca2+ Voie de signalisation de l´insuline Gi/G0 RCPG eNOS iNOS + Augmentation Ca2+ intracellulaire MAP-kinase PI3-kinase + MAP-kinase + Facteurs de transcription Na+, K+-ATPase Effets cellulaires et moléculaires du peptide C L’aptitude du peptide C à interagir avec des membranes cellulaires a été démontrée, pour la première fois, par la liaison du peptide C-1 radio-iodé sur des cultures de cellules tumorales d’îlots pancréatiques de rat (essentielle- Figure 4. Voies de signalisation principales du peptide C (modifié d’après [7]). RCPG : récepteur couplé aux protéines G (Gi /G0 ). eNOS : NO-synthase endothéliale. L’effet sur iNOS (NOS inductible) est indiqué (8). En vert, effets passant par la voie de signalisation de l’insuline. PI3-kinase : phospho-inositide-3-kinase. MAPkinase : mitogen-activated protein kinase. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 5, septembre/octobre 2005 195 Mise au point Mise au point par le NO. Le signal de transduction du peptide C implique également la phosphorylation de kinases, comme MAP (mitogen-activated protein) ou ERK 1/2 (extracellular signal-regulated kinase), et la liaison de facteurs de transcription à l’ADN (7). Des résultats récents indiquent que, dans les myoblastes, le peptide C peut utiliser la voie de signalisation de l’insuline pour mimer ses effets et activer le récepteur tyrosine-kinase de l’insuline, la phospho-inositide-3-kinase et la MAPkinase (6, 7). Cependant, d’autres résultats indiquent une action indépendante du peptide C, comme la stimulation du transport de glucose dans le muscle squelettique humain qui n’implique pas l’activation du récepteur à l’insuline ou d’une tyrosine-kinase. Il apparaît donc que les effets cellulaires du peptide C sont complexes et semblent impliquer plusieurs voies de signalisation. La variation de la structure primaire du peptide C dans les différentes espèces, ainsi que la grande divergence des concentrations utilisées dans les différents systèmes expérimentaux, sont probablement des facteurs à prendre en compte dans cette diversité biologique du peptide C. Il est clair que le clonage moléculaire du récepteur du peptide C sera d’une aide précieuse dans la compréhension des mécanismes cellulaires. Plusieurs études, utilisant des fragments du peptide C, ont été entreprises pour définir les déterminants moléculaires du peptide C qui sont responsables des propriétés de liaison et des effets cellulaires (6). Chez le rat, les propriétés de stimulation maximale de l’activité Na+, K+ATPase, aussi bien dans le tubule rénal que dans les îlots pancréatiques, sont localisées dans les cinq derniers résidus d’acides aminés du peptide C de rat (EAVRQ). Chez l’homme, le fragment C-terminal du peptide C humain (EGSLQ) est capable de se lier aux sites de liaison du peptide C et d’induire, dans les cellules humaines du tubule rénal, l’augmentation de Ca2+ intracellulaire et la phosphorylation de MAP-kinases. Ainsi, la partie C-terminale du peptide C joue un rôle essentiel dans l’interaction avec le récepteur et dans l’activité biologique. Par ailleurs, il est intéressant de souligner que le fragment Tableau. Effets biologiques des peptides cryptiques Ps4 et Ps5. (+) : stimulation, (-) : inhibition. Peptide cryptique Fonctions Ps4 (ppTRH-[160-169], (+) sécrétions de TSH et d’acide encore nommé peptide gastrique induites par la TRH potentialisateur de la TRH) (+) expression du gène de la TSH (+) synthèse et sécrétion de prolactine Ps5 (ppTRH-[178-199], encore nommé CRIF) 196 (-) sécrétion de GH induite par la TRH (-) synthèse et sécrétion d’ACTH (-) sécrétion de prolactine (-) réponses neuroendocrines et comportementales induites par le stress Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 5, septembre/octobre 2005 central du peptide C possède des activités biologiques (6), bien qu’il soit incapable de se lier aux récepteurs du peptide C. Cela suggère pour le peptide C d’éventuelles interactions membranotropes, non chirales et non spécifiques (à l’instar des peptides antimicrobiens amphipatiques), en dehors de son action plus classique par l’intermédiaire d’un récepteur. Cependant, cette hypothèse reste à confirmer, car des résultats très récents montrent une incapacité de la région centrale du peptide C-2 de rat à stimuler l’utilisation du glucose, alors que le peptide C2 et les fragments C-terminaux (27-31 et 28-31) sont actifs. Peptide C et diabète de type I L’administration de peptide C chez des patients atteints de diabète de type I (DTI) ou chez des modèles de rats DTI, ne possédant donc pas ou très peu de peptide C, s’accompagne de plusieurs effets bénéfiques (6, 7, 9). Les patients DTI développent fréquemment une hyperfiltration et une hypertrophie glomérulaire, contrairement aux patients DTII, pour lesquels les concentrations plasmatiques d’insuline et de peptide C sont dans la normale ou au-dessus. Ces observations ont conduit à des études de l’effet du peptide C dans la fonction rénale. Les résultats obtenus indiquent que l’administration de peptide C diminue l’hyperfiltration glomérulaire et réduit l’excrétion urinaire d’albumine, dans les cas expérimentaux et cliniques de DTI (6, 7). Les mécanismes de ces effets bénéfiques du peptide C sur la fonction rénale ne sont pas connus. Cependant, étant donné les effets du peptide C sur l’activité Na+, K+-ATPase, il est possible qu’il influence la perméabilité membranaire et le transport glomérulaire, ainsi que le flux sanguin du rein. Des administrations à plus long terme seront nécessaires pour mettre en évidence un rôle éventuel du peptide C dans la prévention et le traitement de la néphropathie diabétique. La propriété de déformation des érythrocytes est altérée chez les patients DTI, ce qui peut entraîner des troubles potentiels de la microcirculation. Le peptide C diminue cette déformation en restaurant l’activité Na+, K+-ATPase des érythrocytes (6, 7). La neuropathie diabétique est un signe clinique important du DTI. Les dysfonctions nerveuses peuvent toucher aussi bien le système autonome que le système périphérique, ou les deux. L’administration chronique de peptide C prévient les changements structuraux et fonctionnels des nerfs périphériques dans des modèles de rats DTI, suggérant que la déficience de peptide C est un facteur qui participe aux complications diabétiques de type I (9). Les déficits de NO et d’activité Na+, K+-ATPase sont des facteurs pathogéniques importants dans la neuropathie diabétique. L’administration de peptide C a des effets bénéfiques significatifs sur ces dysfonctionnements. Il vient d’être démontré que ce peptide prévient partiellement, mais significativement, l’apoptose neuronale dans l’hippocampe de rats DTI (9). L’utilisation thérapeutique du peptide C, conjointement à celle de l’insuline, laisse entrevoir des perspectives intéressantes dans la prévention et le traitement des complications du DTI. Conclusion Les séquences cryptiques des précurseurs d’hormones peptidiques semblent jouer des rôles importants dans la maturation protéolytique et le routage intracellulaire des prohormones. Cependant, il est actuellement clair que les peptides cryptiques peuvent être considérés, dans certains cas, comme de véritables hormones ou neuromodulateurs et que l’appellation “séquence cryptique” n’a plus lieu d’être. Ces peptides peuvent posséder des effets synergiques avec d’autres hormones du même précurseur, mais également des effets qui leur sont propres. Leur implication dans des régulations neuroendocrinologiques importantes laisse entrevoir des perspectives thérapeutiques intéressantes pour pallier des dysfonctionnements physiologiques. Références 1. Gross DJ, Villa-Komaroff L, Kahn CR et al. Deletion of a highly conserved tetrapeptide sequence of the proinsulin connecting peptide (C-peptide) inhibits proinsulin to insulin conversion by transfected pituitary corticotroph (AtT20) cells. 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