N°117 - Fonds Français pour l`Alimentation et la Santé

LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 2007
LETTRE SCIENTIFIQUE
de
l’Institut Français pour la Nutrition
FEVRIER 2007 - N° 117
Les édulcorants intenses :
considérations toxicologiques et pondérales
I - Aspects toxicologiques : mythes et réalités
Dominique Parent-Massin, Laboratoire de toxicologie alimentaire, URF Sciences / UBO, EA 3880, 6 avenue Le Gorgeu,
CS 93837, 29238 Brest cedex 03
II - Quelle incidence sur l’appétit et le poids ?
France Bellisle, CRNH Ile-de-France, UMR 1125INRA/U5571INSERM/CNAM/Paris 13, SMBH Université Paris 13, 64 rue
Marcel Cachin, 93017 Bobigny
ISSN 1629-0119
Dominique Parent-Massin est biologiste de formation, docteur es sciences, spécialité toxicologie.
Elle est professeur de toxicologie alimentaire à l'Ecole supérieure de microbiologie et sécurité alimentaire de Brest (ESMISAB), et directrice du
laboratoire de toxicologie alimentaire et cellulaire, EA 3880 à l'UFR Sciences de Brest, université de Bretagne Occidentale.
Elle a commencé l'expertise publique en 1993 en participant au groupe de travail additifs alimentaires du CSHPF, puis au groupe de travail bio-
technologie (1997) et au groupe de travail risque pour l'homme de la commission des toxiques (Pesticides, 1998). Elle a présidé le comité d'expert
spécialisé de l'Afssa pendant deux mandats (2000-2003; 2003-2006). Elle est expert invité à l'EFSA dans le groupe de travail Additifs. Elle est
secrétaire générale de la Société française de toxicologie.
France Bellisle est directeur de recherche INRA au Centre de recherche en nutrition humaine d’Ile-de-France. Elle est spécialisée dans l'étude expé-
rimentale des comportements alimentaires humains.
Ses travaux portent sur la motivation à manger chez l'homme, la quantification de divers aspects des comportements alimentaires, l'importance de
nombreux déterminants externes et internes.
Conférence du 15 février 2007
La Lettre Scientifique de l’IFN engage la seule responsabilité de ses auteurs.
I - ASPECTS TOXICOLOGIQUES : MYTHES ET
REALITES,par Dominique Parent-Massin
1 - Généralités
1.1 - Définition
Un édulcorant est une substance possédant une saveur sucrée
qui est utilisée pour son action sucrante. Les substances douées
d'une saveur sucrée peuvent être regroupées en deux catégo-
ries :
Les édulcorants nutritifs dont le pouvoir sucrant est inférieur
ou voisin de celui du sucre. Parmi eux on distingue les
"sucres" comme le saccharose, le fructose, le glucose, l'iso-
glucose, etc. qui sont des denrées alimentaires et les polyols
ou sucres-alcool comme le sorbitol, le xylitol, l'isomalt, le
maltilol, le mannitol et le lactitol qui sont des additifs alimen-
taires.
Les édulcorants intenses (non nutritifs) qui, compte tenu de
leur haut pouvoir sucrant, ne présentent qu'une charge pondé-
rale infime dans la denrée alimentaire sont des additifs ali-
mentaires.
1.2 - Evaluation du risque et notion de DJA
Les édulcorants, comme tous les additifs alimentaires, font l'ob-
jet d'une évaluation du risque pour le consommateur avant d'ob-
tenir une autorisation de mise sur le marché. L’étape ultime de
la caractérisation du danger est la détermination de la Dose
Journalière Admissible ou DJA (Acceptable Daily Intake, ou
ADI en anglais) qui est la quantité qu’un individu peut consom-
mer tous les jours de sa vie sans courir de risque pour sa santé.
Elle est déterminée à partir de la Dose Sans Effet ou DSE (No
Observed Adverse Effect Level ou NOAEL) chez l’animal de
laboratoire le plus sensible affectée de 2 facteurs de sécurité,
l'un inter-spécifique (10) et l'autre intra-spécifique (10).
1.3 - Réglementation
Les édulcorants sont régis par la directive euroenne
94/35/CE. Cette réglementation repose sur le principe de la liste
positive, c'est-à-dire que toute molécule qui n’est pas autorisée
est interdite.
2 - Les polyols édulcorants autorisés dans l’UE
Les édulcorants de "charge" ont un pouvoir sucrant proche de
celui du sucre. Tous ceux autorisés dans l'UE bénéficient d'une
DJA non spécifiée. En conséquence, la dose maximale de cha-
cun de ces édulcorants repose sur le principe du quantum satis,
c'est-à-dire de la dose strictement nécessaire pour obtenir l'effet
recherché.
Ces édulcorants bénéficiant d'une DJA non spécifiée, leur utili-
sation ne fait pas courir de risque aux consommateurs, ils ne
présentent donc pas de risques toxicologiques.
Tableau 1 :Pouvoir sucrant, DJA et dose d'emploi des édulcorants
de charge autorisés dans l'UE
3 - Les édulcorants intenses autorisés dans l’UE
3.1 - DJA et pouvoir sucrant des édulcorants intenses
Les édulcorants intenses autorisés dans l'UE bénéficient tous
d'une DJA spécifiée, à l'exception de la thaumatine. Ils font
donc l'objet d'autorisations denrée alimentaire par denrée ali-
mentaire assortie de dose d'emploi maximale dans chaque den-
rée alimentaire. Ils ont un pouvoir sucrant qui peut être très lar-
gement supérieur à celui du sucre.
Le fait que tous ces édulcorants (à l'exception de la thaumatine)
bénéficient d'une DJA spécifiée et de dose maximale d'utilisa-
tion amène à penser qu'ils ne présentent pas de risques toxico-
logiques pour l'homme. Cependant, l'innocuité d'un certain
nombre d'édulcorants intenses fait l'objet à la fois d'attaque dans
les médias mais aussi de réévaluation par les agences de sécu-
rité alimentaire, parmi eux l'aspartame est le plus concerné.
En cours d’autorisation, en cours d’évaluation par UE
Tableau 2 :Pouvoir sucrant, DJA des édulcorants intenses
autorisés dans l'UE
3.2 - L'aspartame
L'aspartame a été découvert en 1965. L'innocuité de l'aspartame
a été évaluée par le JECFA et SCF. La DJA a été fixée à
40 mg/kg pc/j à partir d'une dose sans effet de 4 g/kg pc/j, cor-
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Edulcorant Pouvoir sucrant DJA Dose maximale
E 420 Sorbitol 0,5-0,6 Non Spécifiée Quantum Satis
E 421 Mannitol 0,5-0,6 Non Spécifiée Quantum Satis
E 953 Isomalt 0,5-0,6 Non Spécifiée Quantum Satis
E 965 Maltitol 0,8-0,9 Non Spécifiée Quantum Satis
E 966 Lactitol 0,3-0,4 Non Spécifiée Quantum Satis
E 967 Xylitol 0,4-0,7 Non Spécifiée Quantum Satis
Edulcorant Pouvoir sucrant DJA mg/kg pc/j
E 950 Acésulfame K 200 15 (JECFA 1991)
9 (SCF 2000)
E 951 Aspartame 200 40
E 952 Acide cyclamique
et ses sels (Ca et Na)
35 7
E 954 Saccharine
et ses sels (Na, K et Ca)
300-500 2,5
E 957 Thaumatine 2 000-3 000 Non Spécifiée
E 959 Néohespéridine
Dihydrochalcone
1 000 5
E 955 Sucralose 400-600 15
E 962
Sel Aspartame/
Acésulfame
40
15
Néotame 2 000 0,3 (FDA 2002)
0,6 (Afssa 2004)
2 (JECFA 2003)
respondant à la dose la plus forte utilisée au cours des études de
cancérogenèse chez le rat, divisé par un facteur de 100. Elle a
été confirmée après réévaluation par le SCF en 2002. Il est auto-
risé dans l'UE par la directive 94/35/CE.
Le débat autour d'un éventuel effet cancérigène de l'aspartame
a été relancé en juillet 2005. Il a pour origine une étude réalisée
par une équipe italienne de la Fondation Ramazzini publiée
dans un premier temps dans l'European Journal of Oncology
(revue propre à la fondation Ramazzini). La même étude avec
des éléments complémentaires a été ensuite publiée dans l'En-
vironnemental Health Perspectives revue reconnue par la com-
munauté scientifique des toxicologues. Selon les travaux décrits
dans ses publications, l’aspartame induirait de façon dose
dépendante et à de faibles doses proches de la DJA une aug-
mentation de l’incidence d’hémopathies malignes (lym-
phomes/leucémies), une augmentation de l’incidence de lésions
prénéoplasiques et néoplasiques de la vessie et voies urinaires,
une augmentation de l’incidence de schwannomes malins.
Quel crédit accorder à cette étude ? C'est la question que tous
les toxicologues se sont posée au vu de ces publications. Les
agences internationales (EFSA, FDA) ou nationales (Afssa)
d'évaluation du risque ont souhaité examiner les protocoles et
les résultats de cette étude avant d'envisager la moindre mesure
concernant l'aspartame. Pourquoi ces agences, très soucieuses
de la sécurité du consommateur, ont-elles pris leur temps pour
statuer et ont-elles exigé les études complètes ?
La raison principale est due au fait que l'étude menée par la fon-
dation Ramazzini ne répond pas aux normes extrêmement
strictes selon lesquelles les études toxicologiques chez l'animal
doivent être menées pour être utilisables dans l'évaluation du
risque pour le consommateur avant de délivrer une autorisation
de mise sur le marché. Ces règles, utilisées et reconnues sur le
plan international permettent d'éviter l'interférence de para-
mètres extérieurs dans l'apparition d'effets toxiques qui peuvent
alors, s'ils apparaissent, être attribués à la molécule testée. Si
l'étude menée par la fondation Ramazzini avait été présentée
par un industriel pour une autorisation de mise sur le marché,
elle aurait été refusée en raison des nombreux biais méthodolo-
giques qu'elle présente. Le principal de ces biais est du au fait
que l'expérience est menée jusqu'à la mort des animaux. Ce
choix est propre à la fondation Ramazzini, mais n'est pas en
accord avec les lignes directrices de l'OCDE sur les études de
cancérogenèse qui recommandent d'arrêter les expériences à
104 semaines, de façon à éviter l'apparition de résultats diffici-
lement interprétables en raison des signes de vieillesse des ani-
maux (modification du métabolisme hépatique, de l'excré-
tion…).
Une augmentation de l'incidence des hémopathies malignes est
observée chez les femelles. Cette augmentation est statistique-
ment significative pour les doses allant de 20 mg/kg de poids
corporel/j à 5 000 mg/kg de poids corporel/j. Cette observation
n'est pas faite chez les mâles. Cependant, il faut noter que l'aug-
mentation de l'incidence est mesurée par comparaison au
groupe témoin. Le groupe témoin femelle présente une valeur
très basse si on la compare aux mâles 8,7 % versus 20,7 %. Si
l'on considère l'ensemble des animaux on constate que cette
augmentation de l'incidence n'apparaît pas. Les valeurs histo-
riques indiquées par les auteurs concernant l'incidence des leu-
cémies chez les témoins sont très différentes de celles observées
dans cette étude pour le groupe femelle, 13,4 % versus 8,7 %
alors quelles sont très proches pour les groupes témoins mâles
21,8 % versus 20,7 %. On peut donc s'interroger sur le groupe
témoin femelle de cette étude. Les auteurs annoncent un effet
dose-dépendant (augmentation du nombre de leucémies et lym-
phomes en fonction de la dose) qui n'apparaît pas évident au vu
des résultats présentés.
Un autre fait troublant est au fait que la survie des animaux
est identique quels que soient les groupes, témoins ou soumis à
l'aspartame quelles que soient les doses. Il est connu des toxi-
cologues que le rat ne meurt pas de leucémie, cependant, les
auteurs n'ayant, comme cela est demandé dans les protocoles
habituels, sacrifié en cours d'étude des animaux, il est impos-
sible de savoir à quel moment au cours de l'étude qui dure 3 ans,
les leucémies sont apparues.
Les conclusions et extrapolations paraissent également abu-
sives. En effet, attribuer l'augmentation de l'incidence des
pathologies hématologiques cancéreuses au méthanol ou au for-
maldéhyde, produits issus du métabolisme de l'aspartame est
très hasardeux voire faux. En effet, la quantité de méthanol
issue du métabolisme de l'aspartame représente au maximum
10 % de la quantité ingérée. Selon l'étude issue du même centre
de recherche, c'est à des doses beaucoup plus fortes que les
hémopathies malignes (pathologies hématologiques cancé-
reuses) apparaîtraient. Le formaldéhyde a, certes, été classé en
groupe 1 par IARC (Centre International de Recherche contre le
Cancer) c'est-à-dire cancérigène pour l'homme mais c'est en rai-
son de sa génotoxicité, c'est-à-dire les interactions qu'il est
capable d'avoir avec l'ADN induisant en conséquence des muta-
tions. Cet effet n'est pas dose dépendant. Or, il est reconnu que
l'aspartame, même en présence de système de métabolisation
n'est pas génotoxique. De plus, les auteurs indiquent que l'effet
observé est dose dépendant. Il y a donc incohérence.
L'Afssa a montré en 2002, dans le rapport publié sur l'aspartame
que la consommation d'aspartame en France est très inférieure
à la Dose Journalière Admissible puisque la consommation
moyenne chez l'adulte se situe entre 0,05 et 0,4 mg/kg pc/j et les
valeurs maximales entre 1 et 2,75 mg/kg pc/j, et chez l'enfant
entre 0,13 et 2,8 mg/kg pc/j aux valeurs maximales. Chez les
enfants diabétiques, elles se situent, sur la base d'une étude fran-
çaise de 2001 à 1,9 mg/kg pc/j en moyenne et 15,6 mg/kg pc/j
en consommation maximale.
Il est important de noter également une étude récente a été
menée par le National Toxicology Program (2003) sur des sou-
ris transgéniques, particulièrement sensibles aux effets cancéri-
gènes. Trois souches de souris transgéniques différentes (Défi-
cient en p53, Déficient en Cdkn2a, TgAC hemizygous) ont été
soumises pendant 9 mois à des doses quotidiennes d'aspartame
de 500 à 9 500 mg/kg pc/j. Aucune augmentation de l’incidence
de tumeur n'a été retrouvée dans cette étude.
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LET.SC.IFN. N° 117, FEVRIER 20074
Les publications de la fondation Ramazzini sont très ambiguës
dans la mesure elles montrent à partir d'une méthodologie
critiquable, principalement une augmentation de l'incidence des
hémopathies malignes chez les rats femelles soumis à une
consommation d'aspartame. C'est la raison pour laquelle les
agences ont jugé indispensable de disposer de l'étude complète
et des résultats animaux par animaux pour évaluer sa perti-
nence. Les éléments suivants ont été pris en considération, date
de la survenue des leucémies chez les animaux et âges des ani-
maux atteints, données sur l'état de santé général des animaux
atteints et de leurs capacités métaboliques.
L'avis de l'autorité européenne de sécurité alimentaire ou EFSA
(mai 2006) : les données brutes ont été fournies fin décembre
2005 à l'EFSA qui a immédiatement constitué un groupe de tra-
vail en janvier 2006. Ce groupe de travail a examiné très en
détail toutes les données fournies sur cette étude. Il est intéres-
sant de noter que l'EFSA a également demandé aux agences
nationales européennes comme l'Afssa d'examiner les données
pour apporter leurs contributions à cette analyse méticuleuse.
L'avis de l'EFSA été publié le 5 mai 2006. L'EFSA n'a pas
retenu comme pertinente au vu des données l'affirmation que
l'augmentation de l'incidence des lymphomes/leucémies était
induite par l’aspartame. Les animaux présentaient une inci-
dence importante de pneumopathies accompagnées d'hyperpla-
sie lymphocytaire importante au niveau des poumons chez les
animaux atteints de pathologies respiratoires chroniques. Or, il
est connu des toxicologues que des lymphomes et/ou des leucé-
mies pulmonaires telles que ceux observés dans l'étude de Sof-
fritti peuvent survenir dans les colonies de rats atteintes de ce
type de pneumopathie.
Les observations de cancer de la vessie et des voies urinaires
sont considérées par l’EFSA comme spécifique du rat exposé à
des acides aminés et comme non pertinente pour être extrapo-
lées à l’homme.
Au vu de cette analyse, l'EFSA juge également comme non per-
tinente l'affirmation selon laquelle l'aspartame induirait des can-
cers. L’agrégation de toutes les tumeurs recensées ne semble
pas justifiée à l’EFSA pour les études statistiques. L'EFSA
considère que les cancers de la vessie et des voies urinaires et
les lymphomes et leucémies devraient en être exclus.
Concernant les schwannomes malins dont l'incidence est basse
et qui présente un effet dose faible, l'EFSA constate que lors
d'une relecture de quelques lames histopathologiques, le Natio-
nal Toxicological Program ne confirma pas ce diagnostic dans
un certain nombre de cas. L'EFSA insiste sur la nécessité d'une
relecture de toutes les lames concernées.
L'EFSA conclue que cette étude ne peut être retenue et qu'au-
cune nouvelle donnée significative sur d'éventuels effets
toxiques de l'aspartame n'a été publiée depuis l'avis du SCF de
2002. L'EFSA confirme dans cet avis la DJA de l'aspartame à
40 mg/kg pc/j.
Références bibliographiques
AFSSA (2002). Assessment Report: Opinion on a possible link
between exposition to aspartame and the incidence of brain
tumours in humans. Agence Française de Sécurité Sanitaire des
Aliments, Maisons-Alfort. http://www.afssa.fr.
EFSA (2006). Opinion of the Scientific Panel on Food Addi-
tives, Flavourings, Processing Aids and Materials in contact
with Food (AFC) on a request from the Commission related to
a new long-term carcinogenicity study on aspartame. Question
number EFSA-Q-2005-122. The EFSA Journal 356, 1-44.
http://www.efsa.europa.eu
NTP (2003). NTP Technical Report. Toxicity studies of aspar-
tame in FVB/N-TgN(v-Haras) Led (Tg.AC) hemizygous mice
and carcinogenicity studies of aspartame in B6.129-
Trp53tm&Brd (N5) haploinsufficient mice. NTP GMM 1,
2003.
SCF (2002). Opinion of the Scientific Committee on Food:
Update on the Safety of Aspartame (expressed on 4 December
2002). http://europa.eu.int/comm/food/fs/sc/scf/out155_en.pdf
SOFFRITTTI M et al., Aspartame induces lymphomas and leu-
kemia in rats. Eur. J. Oncology, 2005, 10, 107-116.
SOFFRITTTI M et al. First experimental demonstration of the
multipotential carcinogenic effects of aspartame administrated
in the feed to Sprague Dawleys rats. Env. Health Perspect., 114,
379-385.
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II - QUELLE INCIDENCE SUR L’APPETIT ET LE
POIDS ?,par France Bellisle
(Ce texte a été publié dans “Les entretiens de Bichat” sous le
titre “Quelles nouvelles dans le domaine des édulcorants
intenses ? Leur action sur le cerveau et leur rôle dans le
contrôle pondéral” et reproduit ici avec leur aimable autorisa -
tion)
1 - Introduction : problématique
Les édulcorants intenses sont des substances de natures phy-
sico-chimiques très diverses qui possèdent un pouvoir sucrant
très élevé en comparaison de celui du saccharose. Alors que les
sucres contenus dans les aliments et boissons apportent 4 kilo-
calories par gramme, l’ajout de quelques milligrammes d’édul-
corant intense permet de conférer à l’aliment un goût sucré
agréable sans y apporter de calories (ou très peu). Les édulco-
rants intenses pourraient donc être des substances capables de
remplacer les sucres, en préservant le plaisir associé au goût
sucré tout en éliminant les calories apportées par les sucres, ce
qui pourrait entraîner une diminution des apports énergétiques
et, par voie de conséquence, favoriser le contrôle du poids et
même l’amaigrissement.
A priori, c’est une bonne idée. Cependant, les travaux qui ont
porté sur les effets des édulcorants intenses depuis plus de
20 ans ont montré que les choses ne sont pas si simples (1).
2 - Que sont les édulcorants intenses, comment peuvent-ils
être utilisés ?
Plusieurs édulcorants intenses sont autorisés dans de nombreux
pays pour la consommation humaine (acésulfame-K, aspar-
tame, néotame, saccharine, sucralose, néotame). Ils peuvent être
utilisés soit comme substances sucrantes dans des produits
industriels, soit comme édulcorants de table. Leur pouvoir
sucrant est très supérieur (100 à 13 000 fois) à celui du saccha-
rose. On peut donc théoriquement enlever le sucre d’un produit
et le remplacer par une quantité infime de l’un de ces édulco-
rants qui donnera un goût sucré sans apporter d’énergie. Cepen-
dant, en pratique, cette manipulation n’aboutit pas forcément à
réduire la densité énergétique du produit.
Dans les sodas, on peut effectivement enlever tout le sucre et le
remplacer par un édulcorant intense, pour aboutir à un produit
dont le contenu énergétique est nul. Dans des produits semi-
liquides comme les glaces ou les yaourts et dans les aliments
solides, le sucre non seulement confère le goût sucré mais il
constitue aussi une partie de la masse glucidique de l’aliment.
Remplacer le sucre par un édulcorant peut affecter la densité
énergétique de manière très différente selon que l’aliment est
essentiellement composé d’eau (différence potentiellement
importante), de protides ou de glucides (peu de différence) ou
de lipides (la densité énergétique peut augmenter). Les biscuits,
les céréales prêtes à manger ou les chocolats allégés en sucre ne
sont pas nécessairement moins riches en énergie que leurs pro-
duits de référence ; ils peuvent parfois même être plus calo-
riques.
Il est donc très important que le consommateur consulte les éti-
quettes et vérifie le contenu énergétique de tout produit "allégé
en sucre", ou "sans sucre". L’utilisation d’édulcorants intenses
en remplacement du sucre ne peut favoriser la diminution des
apports énergétiques que dans la mesure une différence
significative de densité énergétique existe bien entre le produit
standard et sa version édulcorée.
3 - Edulcorants intenses et appétit : quels bénéfices et dans
quelles conditions ?
Dès l’introduction des édulcorants intenses dans l’alimentation
humane, les nutritionnistes se sont interrogés sur leurs bénéfices
potentiels. La question posée était la suivante : est-ce que le
bénéfice énergétique (la réduction du contenu calorique)
apporté par la consommation d’aliments édulcorés va effective-
ment faciliter la diminution des apports énergétiques totaux, ou
bien est-ce que le mangeur va "compenser" pour ces calories
manquantes en mangeant plus à la prochaine occasion ?
Beaucoup d’études ont constaté une réduction de l’énergie
totale ingérée par les utilisateurs d’édulcorants, même si une
partie des calories manquantes est compensée par une certaine
augmentation de la consommation au cours du repas suivant. La
capacité de compenser plus ou moins précisément pour les calo-
ries manquantes dépend de très multiples facteurs : sexe et âge
du mangeur, nature de l’aliment ou de la boisson édulcoré,
nature de l’édulcorant utilisé, délai entre la pré-charge et le
repas, différentiel de calories entre le produit édulcoré et le pro-
duit sucré, etc. Alors que la majorité des études indique un cer-
tain bénéfice (réduction des apports énergétiques), certains tra-
vaux ont rapporté une stimulation paradoxale de l’appétit et de
la prise alimentaire après ingestion de produits édulcorés (sur-
tout à la saccharine) (2). Une intense controverse a sévi pendant
de nombreuses années, permettant une large diffusion dans le
public de la notion selon laquelle les édulcorants stimulent l’ap-
pétit, font manger excessivement, et favorisent la prise de poids.
Une récente étude (3) réalisée chez quelques animaux de labo-
ratoire a relancé la controverse.
En dépit de ces résultats énigmatiques, un large consensus s’est
mis en place à la suite des très nombreux travaux réalisés depuis
plus de 25 ans, et surtout à partir de l’expérience de millions de
consommateurs de ces produits. Il est admis aujourd’hui que,
pour autant que la présence d’édulcorants intenses dans un pro-
duit crée effectivement une réduction de sa densité énergétique,
la consommation de ce produit peut favoriser une diminution
des apports énergétiques totaux dans certaines conditions.
Même si une "compensation" énergétique est observée, elle est
généralement partielle, ce qui permet d’observer une réduction
nette des apports. Un autre effet de la substitution des sucres par
des édulcorants intenses est la modification de la nature des glu-
cides contenus dans les aliments : même si la différence en
termes de contenu énergétique n’est pas très large entre un ali-
ment sucré et le même aliment édulcoré, il n’en demeure pas
moins que le second peut apporter moins de glucides simples,
ce que certains nutritionnistes considèrent en soi comme un
bénéfice nutritionnel.
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