268 Paediatr Child Health Vol 3 No 4 July/August 1998
GUIDE DE
PRATIQUE
CLINIQUE DE
LA SOCIÉTÉ
CANADIENNE
DE PÉDIATRIE L’antibiothérapie de l’otite
moyenne aiguë
L’otite moyenne est l’infection de l’enfance contre laquelle on prescrit le plus d’antibiotiques.
On s’interroge pourtant sur le traitement idéal de l’otite moyenne aiguë (OMA), et les avis
sont partagés au sein du corps médical quant à plusieurs notions fondamentales. Le présent
guide porte sur plusieurs points controversés au sujet du traitement antimicrobien de l’OMA et
présente un avis consensuel à l’égard de chacun d’eux. Il convient de souligner qu’il reste beau-
coup à apprendre sur la prise en charge de ce problème courant de l’enfance et que les recher-
ches en cours imposeront peut-être la révision de ces avis dans un avenir rapproché. Ces
recommandations doivent donc être perçues comme provisoires et tributaires de l’état actuel
des connaissances.
Il est difficile d’établir si l’antibiothérapie, par l’interprétation des études publiées, influence
l’issue de l’OMA en raison du taux élevé de guérison spontanée chez les enfants atteints (1). Par
ailleurs, de nombreuses études sont conçues pour démontrer si de nouveaux antimicrobiens
sont aussi efficaces que le traitement conventionnel mais font appel à de petits échantillons.
Pourtant, étant donné le taux élevé de guérison spontanée, seules des études sur vastes échan-
tillons peuvent véritablement prouver que deux interventions différentes sont bel et bien com-
parables. Ainsi, la documentation publiée ne permet pas vraiment de déterminer la supériorité
d’un antimicrobien par rapport à un autre.
Pour les besoins de ce guide, l’OMA désigne une inflammation soudaine de l’oreille moyenne
associée à un épanchement et à au moins l’un des symptômes suivants : douleur, fièvre et irrita-
bilité. Le diagnostic doit être posé après une otoscopie pneumatique consciencieuse.
LES ANTIBIOTIQUES DEVRAIENT-ILS SERVIR AU TRAITEMENT DE L’OMA?
Le traitement antimicrobien représente l’une des pierres angulaires du traitement de l’OMA,
mais certaines études portent à croire que son utilisation systématique n’est pas indiquée (2-4).
Puisque la majorité des cas d’OMA guérissent spontanément (1), les antimicrobiens peuvent en
effet sembler inutiles. Néanmoins, avant l’ère des antibiotiques, des complications de l’OMA,
telles que la mastoïdite, étaient beaucoup plus courantes qu’elles ne le sont de nos jours (5,6);
cette différence s’explique peut-être par le recours systématique aux antibiotiques. Une métaa-
nalyse récente de 5 400 enfants atteints d’OMA révèle que le traitement antimicrobien accroît le
‹‹ contrôle primaire ›› de 13,7 %, malgré une guérison spontanée dans 81 % des cas (1). Selon
toutes probabilités, il est impossible de prévoir les cas d’OMA qui provoqueront des complica-
tions purulentes, et il est tout aussi impossible de distinguer les cas qui nécessitent un traite-
ment antimicrobien de ceux qui guériront spontanément. Il semble donc prudent de soumettre
tous les cas d’OMA à un traitement antimicrobien afin de réduire au minimum les risques de
complications. Il s’agit sans conteste d’un domaine où des recherches plus approfondies s’im-
posent si l’on veut identifier les patients atteints d’OMA qui ont besoin d’un traitement et ceux
dont l’état s’améliorera spontanément. Certains spécialistes recommandent d’observer l’enfant
de 48 h à 72 h avant d’entreprendre l’antibiothérapie (4). Cette méthode peut être réalisable
chez les enfants de plus de deux ans lorsqu’il est possible de garantir un suivi convenable. La
décision de ne pas prescrire d’antibiotiques dès le départ doit alors être prise de manière ponc-
tuelle.
QUEL ANTIBIOTIQUE REPRÉSENTE LE TRAITEMENT DE CHOIX CONTRE L’OMA?
Les bactéries sont responsables de la majorité des cas d’OMA, et les agents étiologiques les
plus souvent en cause sont le Streptococcus pneumoniae, l’Haemophilus influenzae non typé,
le Moraxella catarrhalis, les streptocoques du groupe A et le Staphylococcus aureus. Les virus
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continuent de déclencher une minorité non négligeable de
cas (7), et l’antibiothérapie ne devrait alors pas influencer
l’issue de la maladie. Étant donné la prévalence crois-
sante de souches productrices de bétalactamase (résis-
tant à la pénicilline) d’H. influenzae et de M catarrhalis,
on s’est interrogé sur l’utilisation systématique d’amino-
pénicilline (telle que l’amoxicilline) comme antimicrobien
de choix standard en cas d’OMA sans complication. Mal-
gré les préoccupations théoriques au sujet de l’utilité dé-
croissante de l’amoxicilline, ce médicament continue
d’être tout aussi efficace que les autres antimicrobiens
contre l’OMA de l’enfance. En fait, il fonctionne aussi bien
que les agents oraux à large spectre résistant aux pénicil-
linases contre l’otite moyenne causée par des bactéries
susceptibles ou résistantes à la pénicilline (1). La plupart
des essais comparatifs sur les divers traitements antimi-
crobiens contre l’OMA n’ont pu démontrer la différence
d’efficacité entre l’amoxicilline et les autres agents. En ou-
tre, les antimicrobiens à large spectre stables vis-à-vis des
pénicillinases, plus récents, sont beaucoup plus chers
que l’amoxicilline (tableau 1). Leur utilisation peut égale-
ment s’associer à un taux relativement élevé d’effets se-
condaires et favoriser l’émergence des souches de
bactéries aux antibiorésistances multiples. Ainsi, en rai-
son de son excellente ‹‹ performance ›› (contre les infec-
tions imputables à des bactéries susceptibles ou
résistantes aux pénicillinases), de son faible prix, de son
innocuité et de son acceptabilité par les patients, l’amoxi-
cilline demeure le médicament de choix contre l’OMA
sans complication.
QUE CONSTITUE UNE RÉACTION RAISONNABLE
AU TRAITEMENT?
Il est raisonnable de prévoir que les symptômes
d’OMA (fièvre, irritabilité et douleur à l’oreille) disparaî-
tront dans les 72 h suivant le début du traitement antimi-
crobien. Si les symptômes persistent après cette période,
il faut réévaluer l’enfant afin de déterminer si l’infection
perdure ou s’est compliquée de suppuration. Si le patient
a respecté le traitement prescrit et que les symptômes,
comme la douleur et la fièvre, demeurent, il convient
d’adopter un autre antimicrobien. Les divers agents de
deuxième ligne sont énumérés au tableau 1. Même si les
symptômes d’OMA déjà précisés se résorbent rapidement
grâce au traitement antimicrobien, l’épanchement de
l’oreille moyenne peut se poursuivre jusqu’à trois mois,
malgré la guérison bactériologique (8). Ainsi, la présence
de liquide dans l’oreille moyenne après une antibiothéra-
pie complète ne justifie pas la prolongation ou la reprise
du traitement à l’aide d’un médicament de deuxième ligne.
QUELLE EST LA DURÉE OPTIMALE DU TRAITEMENT
ORAL CONTRE L’OMA?
Étant donné le taux très élevé de guérison spontanée
de l’OMA, il est difficile d’établir la durée optimale du trai-
tement antimicrobien. Par ailleurs, sans évaluation bacté-
riologique (9) et un suivi (accompagné de paracentèses
répétées) convenables, il est impossible d’estimer la réac-
tion au traitement. Il s’est donc révélé difficile d’effectuer
des études assez solides et bien conçues pour établir l’ef-
ficacité d’un bref traitement. Les études qui tendent à dé-
montrer une amélioration après cinq ou dix jours de
traitement (10,11) indiquent peut-être simplement que
l’état de la plupart des patients s’améliorera, avec ou sans
traitement. Tant qu’on ne pourra pas prouver sans équi-
voque l’efficacité d’un bref traitement, les patients de-
vraient être traités pendant 10 jours. L’azithromycine
constitue l’exception à cette directive; en raison de ses ca-
ractéristiques pharmacocinétiques uniques, on préco-
nise en effet un traitement de cinq jours.
QUEL EST LE RÔLE DU TRAITEMENT PAR VOIE PAR-
ENTÉRALE CONTRE L’OMA?
Depuis la découverte des céphalosporines à large spec-
tre à demi-vie prolongée (p. ex. la ceftriaxone), il est possi-
ble d’administrer une unidose par voie parentérale. Pour
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TABLEAU1:Leprix d’une antibiothérapie de 10 jours pour un enfant de 10 kg atteint l’otite moyenne aiguë
Coût selon le lieu (en dollars)
Antibiotique Dose Fréquence Vancouver BC Québec QC
Amoxicilline 125 mg tid 10,13 11,99
Amoxicilline-clavulanate 125 mg tid 23,25 27,25
Trimethoprime-sulfaméthoxazole 5 cc bid 9,07 9,43
Érythromicyne-sulfisoxazole 2,5 cc qid 19,31 25,72
Suspension de céfaclor 125 mg tid 25,32 30,53
Céfixime 100 mg od 25,59 25,07
Céfuroxime axétil 125 ou 250 mg bid 23,46 23,45
Suspension de cefprozil 125 mg bid 22,37 22,30
Suspension de clarithromycine 75 mg bid 33,70 24,37
AzithromycineJour 1 : 100 mg
Jours2à5:50mg
od 24,42 23,85
*Prix total pour le patient, y compris les frais d’ordonnance; prix obtenus dans des pharmacies privées de Vancouver et de Québec; On recommande une antibiothérapie de
cinq jours dans le cas de l’azithromycine en raison de sa pharmacocinétique unique.
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l’instant, peu de données publiées laissent supposer que
le traitement par voie parentérale comporterait un quel-
conque avantage par rapport au traitement oral conven-
tionnel de dix jours. En outre, l’utilisation de ces agents à
large spectre peut hâter l’émergence d’organismes anti-
biorésistants. Sauf dans des situations exceptionnelles, il
faut donc éviter le traitement par voie parentérale en cas
d’OMA de l’enfance sans complication. Si l’enfant semble
trop malade pour respecter le traitement oral normal, il
faut envisager la possibilité d’un autre diagnostic et son-
ger à une hospitalisation.
QUELLE EST LE MEILLEUR ANTIMICROBIEN
EN CAS D’ÉCHEC DU TRAITEMENT?
Comme on l’a déjà précisé, les symptômes d’OMA (fiè-
vre, irritabilité et otalgie) devraient disparaître dans les
72 h suivant le début du traitement antimicrobien. L’ab-
sence de réaction symptomatique à un traitement conve-
nable (avec preuve de compliance) représente un échec
du traitement. La prise en charge optimale de ces patients
est controversée, et on a préconisé plusieurs métho-
des (12). On doit envisager une paracentèse, à la fois pour
des considérations thérapeutiques (soulagement de la
pression et de la douleur) et diagnostiques (récupération
de l’agent étiologique). S’il est impossible de procéder à
une paracentèse, on doit envisager l’administration
d’amoxicilline-clavulanate ou d’un des agents énumérés
au tableau 1. Si l’on procède à une paracentèse, le choix
de l’antibiotique dépend alors de l’agent étiologique et de
la susceptibilité antimicrobienne.
QUEL EST LE MEILLEUR TRAITEMENT CONTRE
L’OMA POUR LES ENFANTS ALLERGIQUES À
LA PÉNICILLINE?
Chez les enfants dont l’allergie à la pénicilline est dé-
montrée, il faut prescrire autre chose que de l’amoxicil-
line. Il existe un risque de réaction croisée à d’autres
bétalactamines, mais cette réaction se produit rarement,
et le traitement à la céphalosporine constitue générale-
ment une solution sécuritaire. Les agents, ainsi que leur
prix, sont énumérés au tableau 1. Le choix doit dépendre
de divers facteurs, dont le prix, la fréquence des effets se-
condaires et la tolérance du patient. La triméthoprime-
sulfaméthoxazole ou l’érythromicyne-sulfisoxazole repré-
sentent de bons choix.
RÉFÉRENCES
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otitis media: A double-blind placebo-controlled trial. Clin
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managed care. Adv Pediatr Infect Dis 1996;12:351-86.
COMITÉ DES MALADIES INFECTIEUSES ET D’IMMUNISATION
Membres : Docteurs Gilles Delage, directeur scientifique, Laboratoire de santé publique du Québec, Sainte-Anne-de-Bellevue (Québec) (président);
François Boucher, département de pédiatrie, Centre hospitalier universitaire de Québec, Pavillon CHUL, Québec (Québec); Joanne Embree, Winnipeg
(Manitoba); Elizabeth Ford-Jones, unité des maladies infectieuses, The Hospital for Sick Children, Toronto (Ontario); David Speert, chef, unité des
maladies infectieuses et immunologiques, université de la Colombie-Britannique, Vancouver (Colombie-Britannique) (auteur principal); Ben Tan, unité
des maladies infectieuses, Royal University Hospital, université de la Saskatchewan, Saskatoon (Saskatchewan)
Conseillers : Docteurs Noni MacDonald, unité des maladies infectieuses, Hôpital pour enfants de l’est de l’Ontario, Ottawa (Ontario); Victor
Marchessault, Cumberland (Ontario)
Représentants : Docteurs Neal Halsey, université Johns Hopkins, Baltimore (Maryland) (American Academy of Pediatrics); Susan King, unité des
maladies infectieuses, The Hospital for Sick Children, Toronto (Ontario) (Canadian Paediatric AIDS Research Group); David Scheifele, unité des maladies
infectieuses, BC’s Children Hospital, Vancouver (Colombie-Britannique) (Centre d’évaluation des vaccins); Susan Tamblyn, conseil régional de santé de
Perth, Stratford (Ontario) (Santé publique); John Waters, agent de santé provincial, Santé Alberta, Edmonton (Alberta) (Épidémiologie)
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Les recommandations du présent guide de pratique clinique ne constituent pas une démarche ou un mode de traitement ex-
clusif. Des variations tenant compte de la situation du patient peuvent se révéler pertinentes.
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