
Thème du mois
10 La Vieéconomique Revue de politique économique 3-2014
du franc suisse entraînait une détérioration
desconditions monétaires. Elle répliqua, en
septembre2011 en fixant un coursplancher
vis-à-vis de l’euro. C’était le meilleur moyen
pour,d’une part, prévenir l’effondrementde
nombreuses entreprises et despertesimpor-
tantes en matièred’emplois et,d’autrepart,
atténuerles risques de déflation. Le cours
planchercomplétait ainsi l’instrumentairede
la BNS àunmomentoùl’outilclassique du
taux d’intérêt ne permettait plus d’assouplir
davantage la politique monétaire. Lesme-
suresnon conventionnelles poursuivent
donc les mêmes objectifsque la politique
monétaireanticyclique traditionnellequi re-
pose surles taux d’intérêt.
Les limites de la politique monétaire
Dans un cas normal,lemandat visant à
assurer la stabilité despriximplique tout na-
turellement quelabanque centrale utilise ses
instruments pour menerune politique mo-
nétaireanticyclique. Cependant, on peut
observerdes situations dans lesquelles l’évo-
lution conjoncturelle et celledurenchérisse-
ment requièrentdes mesures différentes. Ce-
la pourrait notamment être le cas lorsqu’une
récessionapparaîtsubitementaprès une
phase de surchauffe, mais queles anticipa-
tionsenmatièred’inflationcontinuentde
croîtreoudemeurent àunniveau élevé. Dans
ce cas, la politique monétairedoitrester res-
trictive plus longtemps quel’économie réelle
ne le demanderait, afin queles anticipations
redescendentàunniveau compatible avecla
stabilité desprix.
Même lorsqueles objectifspoursuivis ne
sont pas conflictuels, il est difficilement pos-
sible pour la politique monétairedeviserdes
objectifsprécis en matièreconjoncturelle, et
ce pour plusieursraisons.
Incertitudes liées au
mécanisme de transmission
En réalité, les relations économiques sont
beaucoup plus complexesque ne le suggère
le graphique 1.Iln’existeaucun lienméca-
nique entreune modificationdes taux d’in-
térêt, les différents canaux de transmissionet
un effetsur l’économie réelleetles prix. Ain-
si, aucune banque centrale ne sait précisé-
ment dans quelle mesureetàquelrythme
l’économie réelleetlerenchérissement réagi-
raient si les taux pratiqués surlemarchémo-
nétairevariaient d’un point de pourcentage.
De même, l’importancedes canaux de trans-
missiondiffèred’un pays àl’autre. Par
exemple, les fluctuations du taux de change
ontdavantage d’importancepour une petite
économie ouvertecomme la nôtre quepour
d’autres pays.Ainsi, en Suisse, 25,8% des
biensetservicesdupanierIPC sont impor-
tés, contre 6% environaux États-Unis. De
plus, les études empiriques révèlent quela
pertinencedechaque canal de transmission
peut changer au fil du temps en raisonde
changements structurelsetinstitutionnels.
Parexemple, si l’onexporte plus de biens
dont la demandeàl’étranger est relativement
inélastique par rapportauprix, les fluctua-
tionsduchangeexercent une influence
moindresur les volumes d’exportation. En-
fin, les décalages temporelsaveclesquels les
canaux de transmissionproduisent leursef-
fets sont incertains6.
Plus une économie estpetiteetouverte,
plus les chocs externes jouent un rôle important
Lesévènements desdernières années l’ont
clairementmontré: la crise des«subprimes»,
la faillitedeLehman Brothers,lagrave crise
économique et financièreetlacrise de l’euro
sont autant de chocsvenus de l’étranger.Ils
se sont principalement propagés en Suisse
sous la forme de dysfonctionnements du
marchémonétaire, d’une contractionno-
table de la demandeextérieureetd’une forte
appréciationdufranc suisse. En abaissant
résolument les taux d’intérêt, puis en intro-
duisant le coursplancher, la BNS est parve-
nueàatténuerces chocsetàécarterlerisque
d’un dommageéconomique majeur.Sapoli-
tiquemonétaireadébouché surdes mesures
quin’ont, cependant, pas empêché l’écartde
production de devenir négatif. La reprise
économique mondiale et le redressement de
la demandeextérieuresontdoncindispen-
sables pour assurer le retour au plein emploi
en Suisse, mais la BNS ne peut pas influersur
cesfacteurs.
Les écarts de production ne sont
pas identifiables précisément
En temps réel, l’incertitude règnesur le
niveau effectif de production,car les chiffres
du PIBsontpubliés avecundécalageetfont,
en outre, souvent l’objetderévisions lorsque
desinformations plus complètes sont dispo-
nibles. Parailleurs, pour identifierl’écartde
production,ilfautestimerlaproductionpo-
tentielle–une variable quin’est pas obser-
vable –et, par là même, desconditions opti-
males d’utilisationdes facteurs de produc-
tion.Ces estimations sont toujoursem-
preintesdegrandes incertitudes.
Encadré1
Bibliographie
–Boivin J., KileyM.T.etMishkin F. S., «How
Has theMonetary Transmission Mechanism
EvolvedOverTime?», dans B. M. Friedman
et M. Woodford (éd.), Handbook of Monetary
Economics,vol. 3, chap. 8, 2010,Elsevier.
–Friedman Benjamin M.. «Does Monetary
Policy Affect Real Economic Activity? Why
Do We Still Ask This Question?», NBER
Working Paper,n°5212,1995.
–Jordan Thomas J., PeytrignetMichel et
Rossi Enzo, «Ten Years’ Experience withthe
Swiss National Bank’sMonetary Policy
Strategy», Swiss Journal of Economics and
Statistics,vol. 146, n° 1, 2010.
–McCandless George T. Jr et Weber.Warren
E., «Some Monetary Facts», Federal Reserve
Bank of Minneapolis QuarterlyReview,vol.
19,n°3,1995.
–Mishkin Frederic S., «Monetary Policy
Strategy:Lessons from theCrisis», NBER
Working Paper, n° 6755, 2011.
–Mishkin Frederic S., The Economics of
Money, Banking and Financial Markets, 2007,
Pearson, chap. 23.
6Boivin et al. (2010).