Possibilités et limites d`une politique monétaire anticyclique face à la

Thème du mois
8La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
En tempsnormal, la BNS meteuvresapolitique en influençant les taux d’intérêtàcourtterme sur le marché
monétaire. Pendant la crise économique et financière, elle atoutefois dû faireusagedemoyens non conventtionnels.
Photo: Keystone
Le lienentre la politique monétaireetla
conjonctureest clairementexprimé dans la
loisur la Banque nationale, quidéfinit les
tâches de la Banque nationale suisse (BNS)
dans sonart.5.L’objectif principal de la poli-
tiquemonétairtant d’assurer la stabilité
desprix, la BNS doit tenir compte de l’évolu-
tion de la conjoncture. La stratégie adoptée
en matièredepolitique monétairedétermine
la façondontcemandat s’exécute1.Pour la
BNS, la stabilité desprixest garantie si la va-
riationdel’indicedes prix àlaconsomma-
tion (IPC) est inférieureà2%. Un recul pro-
longé desprixest aussi considéré comme
incompatible aveclastabilité desprix.
Un consensus international sur la
conception de la politique monétaire
Surleplan international, les stratégies des
principales banques centrales présententde
nombreux points communs. Lesconnais-
sances théoriques et empiriques actuelles
ont, en effet, abouti àunlargeconsensus sur
la conceptiondelapolitique monétaire2:
1. Àmoyen et àlongterme, la politique mo-
nétairenepeutagirque surdes variables
nominales, telles queles agrégats moné-
taires, les prix et les taux d’intérêt nomi-
naux3.Decefait, les banques centrales
contribuentaumieux àlaprospérité en
assurant un ancragenominal, àsavoir la
stabilité desprix.
2. Àcourtterme, la politique monétairein-
flue surl’économie réelle, autrementdit la
conjoncture4.
Cesdeuxaspects débouchent, cependant,
surunconflit fondamental: les banques cen-
trales peuventpoursuivre àcourtterme des
objectifsliés àl’économie réellequi seraient
incompatibles aveclastabilité despri
moyenterme. Pour prévenir les incohérences
de ce type,leconsensus international prévoit
un autrlément essentiel: les banques cen-
trales doivents’engager de manièreexplicite
et crédible àpoursuivre la stabilité desprix.
La politique monétaireentemps normal
Le graphique 1 présentedemanièresim-
plifiée le mécanisme de transmissiondela
Possibilités et limites dune politique
monétaireanticyclique face àlaconjoncture
Comment interagissent la
politique monétaire, la stabilité
des prix et la conjoncture? Quelles
sont les possibilités et les limites
de la politique monétairepour
stabiliser l’économie elle? Ces
questions sont cemment
revenues sur le devant de la
scène. La dégradation de la situa-
tion lorsdelacrise économique et
financière, la reprise hésitante
quis’estensuivie, le chômagle-
et la situation difficile des fi-
nances publiques dans de nom-
breux pays ont, notamment, ali-
mentéles discussions sur la
contribution de la politique mo-
nétaireauredressement de l’éco-
nomie elle.
Attilio Zanetti
Responsable de l’unité
d’organisation
Conjoncture, Banque
nationale suisse (BNS)
Thème du mois
9La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
politique monétaire. Àl’aidedeleurs instru-
ments, les banques centrales agissent surles
conditions monétaires dans le but ultime
d’assurer la stabilité desprix5.
En temps normal, la BNS meteuvre sa
politique en influençant les taux d’intérêt à
courtterme surlemarchémonétaire. Au ni-
veau opérationnel, elle fixeune margede
fluctuationpour le Libor àtrois mois. En
définissant les conditions pour les opérations
d’«openmarke–soitlevolume de liquidi-
tés proposé et le prix correspondant –pour
le système bancaire, la BNS peut influersur
les taux du marchéàlahausse ou àlabaisse.
Toutemodificationaffecte la courbe destaux
àpluslongterme. La politique monétaire
provoque ainsi desvariations destaux d’in-
térêt nominaux et réels surlemarchédes ca-
pitaux.
Le niveau destaux d’intérêt réels affecte le
comportement desentreprises et desmé-
nages. S’ils sont bas, ils stimulent l’octroi de
crédits, les investissements et les dépenses de
consommation. Unepolitique monétaireac-
commodantepousse également le prix des
actifs àlahausse. En effet, l’attrait desactions
est, en général, stimulé par une hausse antici-
pée de la demande, donc desbénéfices des
entreprises. Cettvolution desvaleurspa-
trimoniales stimule la demandeagrégée. Le
degréd’assouplissement de la politique mo-
nétairesereflètgalement dans les anticipa-
tionsd'inflation. En période de récession,
une politique monétaireexpansionnistetend
àprévenir un recul inopportun desanticipa-
tionsd’inflation. Ceci stimule la demande
agrégée, quiprofited’un taux d’intérêt réel
plus bas. Cesmêmes taux influencent, enfin,
le taux de changeetdonclevolume desex-
portations et desimportations.
Lesimpulsions de la politique monétaire
sont transmises par cesdifférents canaux àla
demandeagrégée et àlaproductiocono-
mique, ce quisetraduit par une augmenta-
tion de la demandedetravail.
Unepolitique monétaireanticyclique
L’écartdeproductionest un élément déci-
sif de ce mécanisme de transmission. Il me-
sure la différence quiexisteentre l’utilisation
effectivedes facteurs de production d’un
pays et celleoptimale (parfoisappelée situa-
tion de plein emploi) quipourrait en être
faite. Lors d’une récession, la demandeagré-
gée diminue, entraînant une contractionde
la production et de l’emploi. La sous-utilisa-
tion descapacités de production provoque
un écartnégatif de production,cequi ralen-
titlerenchérissement. Si ceteffet est suffi-
samment marquéets’accompagne –comme
entre2007 et 2011 –d’une forte appréciation
du taux de change, le renchérissement peut
devenir négatif; dans un cas extrême, une
spirale déflationnistepourrait même se
mettre en placel’inverse, pendant une
phase d’essorconjoncturel,l’écartdepro-
ductiondevient positif, ce quiimplique une
pressionàlahausse surlerenchérissement.
Parconséquent, la politique monétairedoit
stimulerl’économie lorsqu’ellefaiblit ou
entreenrécessionetlafreinerlorsquelade-
mandeetlaproductioncroissent trop forte-
ment.
Mesures non conventionnelles
Pendant la crise économique et finan-
cière, de nombreuses banques centrales ont
adopdesmesures de politique monétaire
nonconventionnelles. Malgré leursformes
diverses, cesdernières onttoutesune origine
commune. Elles onté introduites pour pal-
lierles limites de l’instrument traditionnel, le
taux d’intérêt. L’écartdeproductionforte-
ment négatif et les perspectives d’inflation
très faibles appelaient un nouvelassouplisse-
ment de la politique monétaire, mais les taux
surlemarchémonétairtaient déjà si
proches de zéroqu’ils ne pouvaient plus être
abaissés.
La BNS té, elle aussi, confrontée àce
problème, lorsque l’appréciation continue
Source: BNS /LaVie économique
Graphique 1
Mécanisme de transmission de la politique monétaire
1Jordan et al. (2010).
2Mishkin (2011).
3McCandless et Weber (1995)
4Friedman (1995).
5Pour des informations détaillées, se reràMishkin
(2007).
Instruments de la BNS:
Taux d'intérêt
du marché monétaire
Taux de change
(coursminimum)
Attentes en matière
d'inflation
Taux nominaux
du marché des capitaux
Formation des prix
et des salaires
Intérêts réels
Valeurspatrimoniales
Demande agrégée Production Écart de production
Renchérissement IPC
Marché du travail
Exportations Importations
Investissements en équipements
et dans la construction
Consommation
Conditions monétaires:
Conventionnels:
opérations d'«open market»
Non conventionnels:
interventions sur le marché des devises
Thème du mois
10 La Viconomique Revue de politique économique 3-2014
du franc suisse entraînait une détérioration
desconditions monétaires. Elle répliqua, en
septembre2011 en fixant un coursplancher
vis-à-vis de l’euro. C’était le meilleur moyen
pour,d’une part, prévenir l’effondrementde
nombreuses entreprises et despertesimpor-
tantes en matièred’emplois et,d’autrepart,
atténuerles risques de déflation. Le cours
planchercomplétait ainsi l’instrumentairede
la BNS àunmomentoùl’outilclassique du
taux d’intérêt ne permettait plus d’assouplir
davantage la politique monétaire. Lesme-
suresnon conventionnelles poursuivent
donc les mêmes objectifsque la politique
monétaireanticyclique traditionnellequi re-
pose surles taux d’intérêt.
Les limites de la politique monétaire
Dans un cas normal,lemandat visant à
assurer la stabilité despriximplique tout na-
turellement quelabanque centrale utilise ses
instruments pour menerune politique mo-
nétaireanticyclique. Cependant, on peut
observerdes situations dans lesquelles l’évo-
lution conjoncturelle et celledurenchérisse-
ment requièrentdes mesures différentes. Ce-
la pourrait notamment être le cas lorsqu’une
récessionapparaîtsubitementaprès une
phase de surchauffe, mais queles anticipa-
tionsenmatièred’inflationcontinuentde
croîtreoudemeurent àunniveau élevé. Dans
ce cas, la politique monétairedoitrester res-
trictive plus longtemps quel’économie réelle
ne le demanderait, afin queles anticipations
redescendentàunniveau compatible avecla
stabilité desprix.
Même lorsqueles objectifspoursuivis ne
sont pas conflictuels, il est difficilement pos-
sible pour la politique monétairedeviserdes
objectifsprécis en matièreconjoncturelle, et
ce pour plusieursraisons.
Incertitudes liées au
mécanisme de transmission
En réalité, les relations économiques sont
beaucoup plus complexesque ne le suggère
le graphique 1.Iln’existeaucun lienméca-
nique entreune modificationdes taux d’in-
térêt, les différents canaux de transmissionet
un effetsur l’économie réelleetles prix. Ain-
si, aucune banque centrale ne sait précisé-
ment dans quelle mesureetàquelrythme
l’économie réelleetlerenchérissement réagi-
raient si les taux pratiqués surlemarchémo-
nétairevariaient d’un point de pourcentage.
De même, l’importancedes canaux de trans-
missiondiffèred’un pays àl’autre. Par
exemple, les fluctuations du taux de change
ontdavantage d’importancepour une petite
économie ouvertecomme la nôtre quepour
d’autres pays.Ainsi, en Suisse, 25,8% des
biensetservicesdupanierIPC sont impor-
tés, contre 6% environaux États-Unis. De
plus, les études empiriques révèlent quela
pertinencedechaque canal de transmission
peut changer au fil du temps en raisonde
changements structurelsetinstitutionnels.
Parexemple, si l’onexporte plus de biens
dont la demandeàl’étranger est relativement
inélastique par rapportauprix, les fluctua-
tionsduchangeexercent une influence
moindresur les volumes d’exportation. En-
fin, les décalages temporelsaveclesquels les
canaux de transmissionproduisent leursef-
fets sont incertains6.
Plus une économie estpetiteetouverte,
plus les chocs externes jouent un le important
Levènements desdernières années l’ont
clairementmontré: la crise desubprimes»,
la faillitedeLehman Brothers,lagrave crise
économique et financièreetlacrise de l’euro
sont autant de chocsvenus de l’étranger.Ils
se sont principalement propagés en Suisse
sous la forme de dysfonctionnements du
marchémonétaire, d’une contractionno-
table de la demandeextérieureetd’une forte
appréciationdufranc suisse. En abaissant
résolument les taux d’intérêt, puis en intro-
duisant le coursplancher, la BNS est parve-
nueàatténuerces chocsetàécarterlerisque
d’un dommagconomique majeur.Sapoli-
tiquemonétaireadébouché surdes mesures
quin’ont, cependant, pas empêché l’écartde
production de devenir négatif. La reprise
économique mondiale et le redressement de
la demandeextérieuresontdoncindispen-
sables pour assurer le retour au plein emploi
en Suisse, mais la BNS ne peut pas influersur
cesfacteurs.
Les écarts de production ne sont
pas identifiables précisément
En temps réel, l’incertitude règnesur le
niveau effectif de production,car les chiffres
du PIBsontpubliés avecundécalageetfont,
en outre, souvent l’objetderévisions lorsque
desinformations plus complètes sont dispo-
nibles. Parailleurs, pour identifierl’écartde
production,ilfautestimerlaproductionpo-
tentielle–une variable quin’est pas obser-
vable –et, par même, desconditions opti-
males d’utilisationdes facteurs de produc-
tion.Ces estimations sont toujoursem-
preintesdegrandes incertitudes.
Encadré1
Bibliographie
–Boivin J., KileyM.T.etMishkin F. S., «How
Has theMonetary Transmission Mechanism
EvolvedOverTime?», dans B. M. Friedman
et M. Woodford (éd.), Handbook of Monetary
Economics,vol. 3, chap. 8, 2010,Elsevier.
–Friedman Benjamin M.. «Does Monetary
Policy Affect Real Economic Activity? Why
Do We Still Ask This Question?», NBER
Working Paper,n°5212,1995.
–Jordan Thomas J., PeytrignetMichel et
Rossi Enzo, «Ten Years’ Experience withthe
Swiss National Bank’sMonetary Policy
Strategy», Swiss Journal of Economics and
Statistics,vol. 146, n° 1, 2010.
–McCandless George T. Jr et Weber.Warren
E., «Some Monetary Facts», Federal Reserve
Bank of Minneapolis QuarterlyReview,vol.
19,n°3,1995.
–Mishkin Frederic S., «Monetary Policy
Strategy:Lessons from theCrisis», NBER
Working Paper, 6755, 2011.
–Mishkin Frederic S., The Economics of
Money, Banking and Financial Markets, 2007,
Pearson, chap. 23.
6Boivin et al. (2010).
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