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dédiéàces expositions11. Les fondements raciologiques de l’anthropologie consti-
tuaient donc le réservoir dans lequel puisaient toutes les nations impériales de l’époque
pour justifier les inégalités entre les peuples. L’anthropologie a ainsi jouéun rôle
déterminant dansla formation d’une consciencenationale en Occident. En procédant
par discrimination, la nation dite civiliséerevivait ses contours ethniques en se mesu-
rant àla prétendue primitivitéafricaine considérée comme le degrézéro de la civilisa-
tion et du progrès technologique.
D’un nationalisme intellectuel doubléd’un racisme scientifique, les sociétés occi-
dentales basculaient vers un nationalisme et un racisme de masse. En Allemagne,les
organisations pour la défense de l’intérêt national telles que le Alldeutscher Verband
(1890)12 ou pour la propagande coloniale, comme la Deutsche Kolonialgesellschaft
(1882)13 firent leur credo de la lecture des différences, culturelle et biologique, entre
les peuples de la métropole et ceux de la colonie. La littératureet particulièrement la
littérature de jeunesse, la presse et les exhibitions coloniales se présentaient comme des
médias privilégiésàtravers lesquels ce racisme populairefut vulgarisé. Les program-
mes scolaires et universitaires (instituts coloniaux) n’étaient pas en reste, au moment
oùl’entreprisecoloniale était considérée comme vitale pour la survie de la nation.
Comme le rappelle si bien l’historien Eric Deroo, l’Europe sacralisait par ce fait
même la science dans la deuxième partie du XIXesiècle.Cette science était considérée
comme source de modernité, de progrèset de bienfaits sociaux. En mettant en place les
instruments pour lire et mesurer le monde, l’Occident avait installéune hiérarchie des
peuples fondéesur la modernité, sur l’état du développement. D’après la classification
hiérarchique, les peuples ›blancs‹étaient lesplus civilisés, puis venaient les peuples
anciennement civilisésmais qui avaient dégénéré, comme ceux d’Asie, puis les peu-
plesdifficiles àclasser, comme ceux du Maghreb par exemple, et enfin lespeuples
certes en marche vers le progrès, mais qui en étaient encoretrèsloin, àsavoir ceux
d’Afrique14. Dèslors que la hiérarchie raciale étaitthéoriquement acquise, il fallait la
documenter. C’est alors que toute la machine de monstration, de mensuration du primi-
tivisme se mettait en branle. La diffusion effrénée des images différentialistes et dépré-
ciatives de l’altéritéculturelle et biologique des indigènes d’Afrique dans l’espace
public allemand visait non seulement àrenforcer chez les Allemands le sentiment
d’appartenir àla race de privilégiésque la nation venait de consacrer, mais aussi àles
aligner sans réserve derrière l’entreprise coloniale considérée comme salvatrice pour
les indigènes.
Le champ de production du savoir racial sur les Camerounais en Allemagne est ca-
ractérisépar des institutions et des médiateurs. Comme institutions nous pouvons citer
11 Dans la deuxième partie du collectif dite scientifique, le professeur von Luschan signe l’article
sur l’anthropologie,cf. Graf VON SCHWEINITZ et al. (dir.), Deutschland und seine Kolonien im
Jahre 1896. Amtlicher Bericht über die erste deutsche Kolonialausstellung, Berlin 1897.
12 Alfred KRUCK,Geschichte des alldeutschen Verbandes, Wiesbaden 1954.
13 Fünfzig Jahre Deutsche Kolonialgesellschaft (1882–1932),publ. par Deutsche Kolonial-
gesellschaft, Berlin 1932.
14 Anonyme, Eric Deroo et la survivancedu mythe impérial. »L’image des colonies a tenulieu de
réalité«,dans: Le Monde 2, hors série (mai–juin 2007), p. 18–21, ici p.18.
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