Prise en charge après chirurgie cardiaque des douleurs aiguës

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Mini-revue
Sang Thrombose Vaisseaux 2005 ;
17, n° 2 : 93-9
Prise en charge après chirurgie cardiaque
des douleurs aiguës, persistantes et chroniques
Stéphane Donnadieu
Unité d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital européen Georges Pompidou, 20 rue Leblanc, 75015 Paris
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La majorité des interventions de chirurgie cardiaque se pratiquent par sternotomie ou thoracotomie. Ces incisions, la mise
en tension des structures ostéoarticulaires en regard, la présence de drains sont à l’origine de la douleur aiguë postopératoire contrôlée par des antalgiques morphiniques en autoadministration, parfois associés à des anesthésies locorégionales
thoraciques. La persistance des douleurs au-delà du 5e jour
amène à envisager une complication locale ou générale, mais
les plus fréquentes sont les douleurs de la ceinture scapulaire en
association avec des douleurs myofasciales. La rééducation
associée à des infiltrations locales en est le traitement principal.
Les douleurs chroniques, évoluant depuis plus de 3 mois, touchent environ 15 % des opérés. Elles sont essentiellement d’origine neuropathique par lésion d’un nerf intercostal lors d’une
thoracotomie ou de la confection d’un greffon avec l’artère
mammaire interne. Elles entraînent un retentissement émotionnel et comportemental important, nécessitant pour leur soulagement des traitements par anticonvulsivants et antidépresseurs,
une psychothérapie et un projet de réinsertion sociale. Une
antalgie postopératoire efficace, des voies d’abord chirurgical
plus limitées, le dépistage des personnalités à risque sont
actuellement les moyens de prévention reconnus des douleurs
chroniques.
Mots clés : chirurgie cardiaque, douleur aiguë, douleur chronique,
antalgie
L
Correspondance et tirés à part :
S. Donnadieu
es douleurs postopératoires se rangent en trois catégories selon leur
durée :
– les douleurs aiguës postopératoires précoces de décroissance rapide, dépassant rarement les 5 premiers jours. Leur mécanisme est essentiellement nociceptif, lié à l’abord chirurgical,
– les douleurs persistantes au-delà de la période postopératoire immédiate,
pouvant atteindre plusieurs semaines, mais ne perdurant pas au-delà du troisième mois. Les séquelles ostéoarticulaires en représentent une part importante,
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Syndrome de Tietze
Myalgie intercostale
Syndrome du pectoral
Entorse chondrale
Luxation costale
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Fracture de côte
Traumatisme chondral
Figure 1. Étiologies des douleurs pariétales après thoracotomie.
– les douleurs chroniques présentes depuis au moins trois
mois, dont la description peut être très différente de la
douleur postopératoire initiale. Leur retentissement émotionnel est souvent important, avec risque d’autonomisation de cette douleur comme maladie à part entière. Une
participation neuropathique est fréquemment retrouvée, de
même qu’un terrain favorisant.
La chirurgie cardiovasculaire est pourvoyeuse de ces trois
types de douleurs [1]. Étant donné les grandes différences
dans les voies d’abord et les techniques chirurgicales, seules les douleurs liées à la chirurgie cardiaque sont abordées
dans cet article.
Douleurs précoces
Mécanismes
La principale incision pratiquée en chirurgie cardiaque
reste la sternotomie, qui induit des douleurs d’origines
osseuse, articulaire et musculaire. Les douleurs osseuses
sont provoquées par des fractures de côtes favorisées par
l’ostéoporose. Très douloureuses, entravant la ventilation et
la kinésithérapie précoce, elles sont diagnostiquées par la
palpation d’un point douloureux exquis, parfois la perception d’un craquement à la pression. Les signes sont parfois
difficiles à mettre en évidence sur une radiographie pratiquée « au lit ». Les contraintes appliquées aux cartilages
chondrocostaux par les écarteurs se traduisent au niveau de
la paroi thoracique antérieure au maximum par des luxa-
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tions chondrocostales, facilement palpables en parasternal,
mais le plus souvent uniquement par des douleurs bien
localisées. Cette souffrance positionnelle se rencontre aussi
sur les articulations costovertébrales, entraînant des dorsalgies avec parfois des irradiations basses empruntant le trajet
des nerfs articulaires postérieurs, d’autant plus qu’il existe
une hypertrophie dégénérative de ces massifs articulaires
(figure 1).
Les douleurs myofasciales sont fréquentes, touchant aussi
bien la paroi antérieure que postérieure ainsi que la région
scapulaire. Les muscles impliqués sont le pectoral, les
dentelés, le trapèze, l’élévateur de la scapula, le rhomboïde.
Ces muscles sont douloureux et contractés à la palpation.
Le mécanisme des douleurs myofasciales est complexe :
arc réflexe segmentaire déclenché par les influx nociceptifs, hyperalgésie secondaire, acidose locale des muscles
impliqués dans le geste opératoire.
Les drains médiastinaux et pleuraux participent aux douleurs postopératoires précoces, entraînant des douleurs postérieures augmentées par les mouvements ventilatoires amples et par la toux. Une traction sur les fils d’attache de ces
drains est une source de douleur facilement évitable par une
meilleure fixation.
Les douleurs thoraciques postopératoires précoces peuvent
être le premier signe d’une complication : épanchement
péricardique, pleural, pneumopathie, embolie pulmonaire,
infection pariétale, œsophagite dont le traitement est à la
fois étiologique et symptomatique.
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Évaluation
Après chirurgie cardiaque, les opérés sont dirigés directement en réanimation ou en salle de surveillance postinterventionnelle (SSPI). Si le patient est extubé et conscient, l’évaluation de la douleur se fait par une méthode
d’auto-évaluation, utilisant soit une réglette (Échelle Visuelle Analogique, EVA), soit plus souvent une échelle
numérique simple (0 = absence de douleur, 10 = douleur
maximale imaginable). Les valeurs doivent être notées sur
la pancarte de surveillance comme tout autre paramètre
vital, à intervalles réguliers et après chaque administration
d’antalgique. Le contrôle de la douleur est une des conditions de sortie de SSPI.
Lorsque le patient est encore sous l’effet de l’anesthésie,
l’évaluation est essentiellement comportementale : aspect
du visage, manifestation d’agitation, profil hémodynamique. Il n’existe pas encore d’outil parfaitement validé de
mesure de la douleur chez ces patients. La sédation est
poursuivie jusqu’au réchauffement du patient et à l’obtention d’une hémodynamique stable. L’apparition de la douleur est prévenue par l’administration de morphine souscutanée ou intraveineuse (IV).
Moyens antalgiques
Le soulagement de la douleur postopératoire ne se limite
pas à la prescription de médicaments antalgiques. Il comprend également les moyens non médicamenteux que sont
le confort de l’opéré par une bonne installation, un positionnement sans tension des sondes et drains, et la mobilisation
indolore précoce.
Trois méthodes sont pratiquées pour l’antalgie médicamenteuse postopératoire :
– l’administration d’antalgiques par voie intraveineuse et
particulièrement l’autoadministration de morphine par
voie IV,
– l’administration régionale d’anesthésiques locaux,
– l’antalgie par voie périmédullaire.
L’antalgie par voie IV est la plus commune. Elle associe
des antalgiques non morphiniques (paracétamol injectable,
Néfopam, Acupan®) à des morphiniques. Lorsque le patient est maintenu sédaté pour ventilation mécanique, les
morphiniques les plus utilisés sont le sufentanil et la morphine. Toutefois l’emploi, tout comme au bloc opératoire,
d’un morphinique rapidement métabolisé comme le rémifentanyl (Ultiva®), est proposé par certaines équipes en
veillant à un relais précoce par la morphine pour éviter un
état hyperalgique. Lorsque le patient est conscient, en ventilation spontanée, la méthode de choix est l’autoadministration de morphine (PCA) dont les réglages habituels sont
des bolus de 1 mg toutes les 5 minutes. La PCA est débutée
après une « titration » en morphine permettant d’atteindre
un taux de morphine suffisant pour obtenir une antalgie qui
sera ensuite auto-entretenue.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) injectables
utilisés dans ce cadre sont le kétoprofène (Profénid®) pour
les AINS non sélectifs et le parécoxib (Dynastat®) pour les
AINS inhibiteurs sélectifs de la cox-2. Leur emploi après
chirurgie cardiaque doit être très prudent du fait d’effets
délétères possibles sur la fonction rénale d’un patient à
l’hémodynamique instable.
L’administration régionale d’anesthésiques locaux est très
utile car n’ayant que peu de retentissement sympathicolytique et permettant de réduire les morphiniques par voie
systémique. Les deux techniques les plus employées sont
les blocs intercostaux réalisés en fin d’intervention et le
bloc paravertébral avec mise en place d’un cathéter qui peut
être placé chirurgicalement en fin d’intervention. Ce dernier bloc est particulièrement indiqué en cas de thoracotomie latérale. Le bloc intrapleural n’est plus recommandé du
fait de la présence des drains thoraciques modifiant la
résorption des anesthésiques locaux. L’anesthésique local
maintenant le plus répandu est la ropivacaïne (Naropeine®
à 0,2 %) de longue durée d’action (8 heures) et peu cardiotoxique aux posologies habituelles.
L’antalgie par voie périmédullaire correspond à l’administration de morphine intrathécale directement dans le liquide
céphalorachidien à la dose de 0,5-1 mg, procurant une
antalgie d’environ 20 heures. Les effets secondaires sont
une dépression respiratoire tardive (après la 12e heure) et
une rétention d’urines, qui sont de peu de conséquences
pour les patients séjournant en réanimation. Des nausées et
un prurit peuvent également survenir.
L’autre technique d’antalgie périmédullaire est la péridurale thoracique réalisée par ponction d’un espace entre T4
et T6 et introduction d’un cathéter dans l’espace péridural
pour une antalgie prolongée par l’administration d’anesthésiques locaux. Cette technique est la plus efficace pour la
réduction des douleurs postopératoires après thoracotomie.
Elle pose néanmoins le risque d’hématome périmédullaire
chez un patient ayant des troubles de la coagulation (anticoagulation, thrombopénie).
Quelques patients restent hyperalgiques en postopératoire
malgré une antalgie a priori bien conduite. Outre la présence d’une complication à rechercher systématiquement,
il existe des facteurs favorisants : douleur préopératoire
intense et prolongée, prise antérieure d’opiacés, addiction à
des stupéfiants ou au cannabis, pathologie psychiatrique.
Le médicament de choix est alors la kétamine (Kétalar®),
anesthésique général dissociatif utilisé pour son effet bloqueur de la transmission de la douleur à des doses beaucoup
plus réduites que pour l’anesthésie générale (0,3 mg/kg par
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voie intraveineuse et administration continue de 2 mg/kg/j).
La kétamine à cette posologie n’a pas de retentissement
hémodynamique particulier. La surveillance porte essentiellement sur l’apparition d’hallucinations.
En dehors de toute hypotension, l’administration de clonidine (Catapressan®) est utile pour réduire un état d’agitation ou atténuer des frissons intenses (300 lg/24 heures en
continu).
La cryoanalgésie des nerfs intercostaux a été une méthode
recommandée dès 1976 pour diminuer la douleur postthoracotomie, principalement en chirurgie pulmonaire.
L’application d’une température de -75 °C à l’extrémité
d’une aiguille positionnée par le chirurgien en fin d’intervention au contact des nerfs intercostaux laissait supposer
un blocage durable de la conduction nerveuse sans lésion
neurologique irréversible, source de désafférentation. Les
résultats ont été contradictoires [2] et cette méthode est
maintenant abandonnée.
La douleur lors de pansements et de l’ablation des drains
thoraciques peut être importante et représente une cause
d’anxiété chez nombre d’opérés. L’obtention du statut de
médicament par le mélange équimoléculaire d’oxygène et
de protoxyde d’azote (MEOPA, Kalinox®, Médimix®) et la
possibilité de son administration en inhalation dans le cadre
d’un protocole infirmier, sans présence médicale à proximité immédiate, permet la réalisation quasi sans douleur de
ces gestes. Son usage est donc à développer dans les services de chirurgie après une courte formation des personnels
amenés à manipuler ce mélange gazeux médicinal. Pour
certains patients, une prémédication à base d’anxiolytique
et de morphine à action rapide par voie orale (Actiskénan®,
Sevredol®) est donnée trois quarts d’heure avant le geste.
résume l’ensemble des causes de douleurs pariétales après
thoracotomie.
Une douleur de l’épaule peut évoluer vers un syndrome
d’épaule douloureuse bloquée, d’étiologie imprécise, évoluant sur plusieurs mois, dont la meilleure prise en charge
semble être la prescription d’antalgiques puissants pour
permettre une kinésithérapie précoce.
Une algodystrophie du membre supérieur est possible avec
d’abord une phase inflammatoire, suivie d’une phase d’enraidissement, principalement au niveau de l’articulation
scapulo-humérale. La scintigraphie osseuse à des temps
précoces et tardifs et l’IRM aident à poser le diagnostic. Le
traitement est semblable à celui de l’épaule douloureuse
bloquée mais comprend en plus la prescription de calcitonine.
Les douleurs myofasciales siègent principalement au niveau des muscles dorsaux paravertébraux et des trapèzes.
Une contracture douloureuse est constatée à leur palpation.
Des injections peu profondes de faibles volumes d’anesthésiques locaux dans les zones musculaires douloureuses
peuvent améliorer les douleurs en y ajoutant des benzodiazépines myorelaxantes. La physiothérapie, bien que d’efficacité non démontrée, est souvent utilisée. L’acupuncture
peut également être préconisée (figure 2).
Douleurs chroniques
Épidémiologie
La douleur chronique après chirurgie cardiaque se définit
comme une douleur intéressant le site chirurgical, différente de la douleur préopératoire, survenant dans des délais
variables et persistant plus de trois mois.
Douleurs persistantes
Les causes infectieuses sont exceptionnellement responsables de douleurs prolongées. L’observation de la cicatrice
et des téguments adjacents, la recherche de signes cliniques
d’infection, les bilans biologiques (numération formule
sanguine, protéine réactive C) ainsi que les examens d’imagerie permettent d’en faire rapidement le diagnostic, guidé
éventuellement par des prélèvements bactériologiques dirigés.
Les douleurs ostéoarticulaires sont beaucoup plus fréquentes. La constatation d’une consolidation insuffisante de la
sternotomie peut en expliquer certaines. Au niveau des
deuxième et troisième cartilages, une douleur parasternale
spontanée et provoquée par la palpation réalise le syndrome
de Tietze. Une injection loco dolenti d’anesthésiques locaux et de corticoïdes en est le traitement. La figure 1
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Figure 2. Traitement de douleurs myofasciales par acupuncture.
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Sur un groupe de 349 opérés en chirurgie cardiaque [3],
28 % des opérés se plaignaient un an après l’opération
d’une douleur thoracique. Cette douleur était qualifiée de
modérée pour 30 % d’entre eux (score sur l’échelle visuelle
analogique (EVA ≥ 30) et de forte (EVA ≥ 55) pour 4 %.
Sur le suivi d’une cohorte de 1080 opérés en chirurgie
cardiaque, Brice [4] rapportait une prévalence de douleurs
pour 39,3 % des opérés au 28e mois. La douleur pouvait
intéresser le thorax mais également être associée à une
douleur du membre inférieur, siège du prélèvement d’un
greffon saphène.
La possibilité de survenue d’une douleur chronique, du fait
de sa fréquence, fait partie de l’information du futur opéré.
Étiologies
Les douleurs neuropathiques représentent la majorité des
douleurs chroniques après thoracotomie [5]. Leur mécanisme principal est une lésion nerveuse intercostale par
section, contusion, coagulation, induisant, par un phénomène de désafférentation, une hyperexcitabilité neuronale
faite d’activités exagérées tant spontanées qu’induites.
Avec le temps, ces phénomènes s’étendent au niveau médullaire et probablement central. Le diagnostic repose sur
des signes cliniques très évocateurs. À l’interrogatoire, le
patient se plaint de douleurs sur le trajet de la cicatrice, et
dans son prolongement antérieur de douleurs continues à
type de « brûlures, de picotements », avec des douleurs plus
intenses qualifiées « de décharges électriques, parfois en
éclair » spontanées ou déclenchées par un simple frôlement. Une sensation de « gonflement » dans la région sousmammaire est souvent rapportée.
L’examen de la sensibilité superficielle dans le territoire
douloureux, par comparaison avec le côté non opéré, montre une allodynie (douleur induite par un stimulus non
douloureux), une hyperpathie (douleur intense provoquée
par un faible stimulus nociceptif) dans une zone où la
sensibilité discriminative est fortement diminuée. Ces douleurs seraient plus fréquentes en cas de pontage utilisant
l’artère mammaire interne par rapport à l’utilisation d’un
greffon saphène [6].
Toute autre est la douleur du névrome, diagnostiqué sur la
palpation d’un point très douloureux, limité, sur le trajet de
la cicatrice. La responsabilité des fils métalliques de la
contention sternale est souvent évoquée par les patients qui
voient sur la radiographie thoracique les « pointes » de ces
fils auxquels il est tentant de rattacher l’origine des douleurs. Toute décision d’ablation des fils doit être précédée
d’un test d’infiltration aux anesthésiques locaux et d’une
discussion avec l’opérateur sur l’opportunité de cette réintervention. Bien que non publiés, les résultats en paraissent
décevants et l’ablation doit s’insérer dans un traitement
plus large de la douleur chronique.
Évaluation
L’évaluation de la douleur chronique nécessite beaucoup
plus qu’une simple réglette de mesure de l’intensité de la
douleur. En effet, la douleur chronique comporte toujours
des composantes cognitives et émotionnelles dont l’appréciation peut se faire par l’emploi d’autoquestionnaires
comme le « questionnaire de la douleur de l’hôpital SaintAntoine », des questionnaires d’anxiété et de dépression et
des indicateurs de qualité de vie [7]. Cette évaluation ressemble à une expertise multidisciplinaire où le concours
d’un psychiatre ou d’un psychologue est souvent indispensable.
Traitements
Une douleur chronique peut rarement être soulagée par une
seule prescription thérapeutique du fait des retentissements
psychologiques induits, principalement à type d’anxiété et
de dépression. Cette douleur peut avoir également des
conséquences professionnelles, sociales et personnelles,
qui aggravent encore le handicap induit par la douleur et qui
sont à considérer chacune attentivement. De plus les différents mécanismes peuvent s’intriquer, impliquant des traitements spécifiques différents [8].
Techniques antalgiques
Parmi les diverses techniques antalgiques se trouvent :
– les infiltrations d’anesthésiques locaux. Leur principale
indication est le névrome. L’infiltration après application
prolongée sous un pansement occlusif de crème anesthésique EMLA®, utilise des anesthésiques locaux (lidocaïne :
Xylocaïne®, ropivacaïne : Naropeine®) associés à 50 mg
d’Hydrocortancyl®. Une nouvelle infiltration est parfois
répétée quelques semaines plus tard ;
– la stimulation électrique transcutanée. Elle consiste en
l’application d’un courant formé d’ondes biphasiques sur
un territoire douloureux à visée antalgique. Les électrodes
sont placées sur le métamère ou le tronc nerveux intéressé.
Les zones d’allodynie et d’anesthésie sont à éviter. Le
placement doit être effectué au plus près du nerf intercostal
à stimuler. La prescription de la location de l’appareil, pour
être prise en charge, doit être rédigée par une structure
d’évaluation et de traitement de la douleur. Les séances
durent environ deux fois deux heures par jour. La stimulation électrique transcutanée représente un traitement non
médicamenteux des douleurs neuropathiques dont le rapport bénéfice-risque est très favorable ;
– les médicaments antalgiques. La composante neuropathique des douleurs chroniques est peu sensible aux différents
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antalgiques, y compris les opiacés. Toutefois ces derniers
peuvent être testés, principalement le tramadol (Topalgic®,
Contramal®). Les morphiniques forts, dits du palier III
(sulfate de morphine : Skénan®, Moscontin®, oxycodone :
Oxycontin®) montrent une efficacité chez 30 % environ des
patients. Leur prescription est « contractuelle » avec le
patient, ce qui signifie que l’absence d’amélioration objective de la douleur ou de la qualité de vie doit faire cesser
cette prescription ;
– les médicaments coantalgiques. Ils sont plus efficaces et
sont représentés par les antidépresseurs et les anticonvulsivants. Les antidépresseurs tricycliques ont démontré une
action antalgique supérieure à celle des antidépresseurs
mixtes inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et noradrénaline. Les doses des tricycliques sont inférieures à
celles utilisées dans un but de normalisation de l’humeur.
La fréquence des effets secondaires oblige à initier le traitement par des doses faibles et à augmenter progressivement
(de V à XXX gouttes de Laroxyl® par jour par exemple).
L’anticonvulsivant le plus prescrit actuellement, mais en
dehors de son AMM, est la gabapentine (Neurontin®). Sa
tolérance semble supérieure aux autres produits de cette
classe. Il est débuté à une dose de 400 mg par jour pour
atteindre progressivement la dose efficace à déterminer
individuellement (jusqu’à 3 g/j). Le clonazépam (Rivotril®) est également employé dans cette indication et présente, de plus, un effet anxiolytique.
Les psychothérapies
La douleur corporelle provoque par sa chronicité un surinvestissement de l’image mentale de la région endolorie.
À un certain stade de chronicité, même lorsqu’il y a l’expression d’une véritable douleur corporelle, il y a toujours
une symptomatologie psychique de la douleur physique,
principalement faite d’anxiété et de dépression. Selon la
personnalité du patient, il peut lui être proposé, au besoin
après un avis spécialisé pris lors d’un consultation conjointe
entre le somaticien et le psychiatre, une psychothérapie
telle qu’une relaxation d’inspiration analytique ou corporelle, une psychothérapie verbale de soutien basée sur la
réassurance du patient ou une prise en charge de type
comportemental.
Les interventions sociales
Le retentissement de la douleur chronique a un impact
important sur la vie professionnelle des patients. Les
conflits avec les organismes sociaux sont également fréquents. La complexité de certains dossiers ne peut être
résolue que par l’intervention d’une assistante sociale qui
précisera les différents intervenants à contacter. La diminution de la douleur passe souvent par la reconnaissance de la
douleur endurée et du handicap généré par celle-ci.
98
Abstract
Management of acute, persistent and
chronic pain after cardiac surgery
Despite progress in pain management, cardiac surgical patients continue to experience acute, persistant
and chronic pain after sternotomy and thoracotomy.
Immediate postoperative pain is induced by trauma to
many pain-sensitive structures including median sternotomy, rib retraction, musculoskeletal stretching and
invasion of muscle and visceral tissues. The modalities
of acute pain relief include opioid analgesics such as
morphine administered by PCA and regional analgesia with intercostal nerve blockade, paravertebral catheter or thoracic epidural analgesia. Persistant pain
beyond the fifth day is sometime related to a complication, but most frequently emanates from myofascial
structures especially the pectoral girdle. Modalities of
treatment include trigger point infiltrations and physical
therapy. Chronic pain is defined as pain at the site of
surgery persisting beyond three months. The prevalence is about 15 %. Predictive factors are poor pain
control in the immediate post operative period, previous addiction and psychological distress. Chronic
pain evaluation is multidimensional with quality of life
questionnaire. The most common mechanism is intercostal nerve damage inducing neuropathic pain including allodynia. The goals of treatment for chronic pain
are restoration of physical and emotional functions,
decreasing pain by use of co-analgesics such as anticonvulsivants and antidepressive drugs associated with
transcutaneous electrical nerve stimulation and psychosocial support.
Key words: cardiac surgery, acute pain, chronic pain,
analgesics
Prévention de la douleur chronique
postopératoire
Des nombreux travaux tendant à déterminer les facteurs
prédictifs de survenue d’une douleur, il est apparu que
l’existence d’une forte douleur antérieure, voire même
d’une « souffrance » au sens le plus large, la notion d’une
addiction à des stupéfiants et le contrôle insuffisant de la
douleur postopératoire immédiate ont un rôle favorisant.
Les incisions a minima, de plus en plus pratiquées en
chirurgie devraient participer à la diminution des douleurs
postopératoires. L’anesthésie péridurale thoracique pratiquée avant l’incision paraît supérieure à l’antalgie par morphine en autoadministration intraveineuse, mais ces résultats ne sont pas confirmés par d’autres équipes [9].
L’administration per-anesthésique, à faibles doses de kétamine (Kétalar®), antagoniste du glutamate, est en cours
d’étude pour réduire les phénomènes d’hypersensibilité.
STV, vol. 17, n° 2, février 2005
Conclusion
La constatation de douleurs fréquentes et intenses après
chirurgie cardiaque justifie une information du patient sur
leur survenue possible, une antalgie postopératoire efficace
et personnalisée afin de réduire la survenue de douleurs
chroniques dont la prise en charge doit être la plus précoce
possible pour prévenir leur transformation en pathologie
neuropsychique autonome. ■
4. Bruce J, Drury N, Poobalan AS, Jeffrey R, Smith WC, Chambers WA.
The prevalence of chronic chest and leg pain following cardiac surgery : a
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