Quelques classes caractéristiques en théorie des nombres - IMJ-PRG

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C. R. Acad. Sci. Paris, t. 330, Série I, p. 000–000, 2000
Algèbre/Algebra
(Théorie des nombres/Number Theory )
Quelques classes caractéristiques en théorie des nombres
Max KAROUBI a , Thierry LAMBRE b ,
a UFR de mathématiques, UMR 7586 du CNRS, Université Denis-Diderot, case 7012, 2, place Jussieu, 75251 Paris cedex 05,
France
Courriel : [email protected]
b Département de mathématiques, UMR 7586 et 8628 du CNRS, Université Paris-Sud, 91405 Orsay cedex, France
Courriel : [email protected]
(Reçu le 10 novembre 1999, accepté après révision le 10 mars 2000)
Résumé.
Nous utilisons des idées provenant de l’homologie cyclique [3] et de la K -théorie
pour définir une sorte de (( caractère de Chern )) pour le groupe des classes d’idéaux
d’un corps de nombres. Pour un corps quadratique, ce caractère permet de détecter
des élements du groupe des classes. Dans le cas cyclotomique, ce caractère est relié
aux dérivées logarithmiques de Kummer. c 2000 Académie des sciences/Éditions
scientifiques et médicales Elsevier SAS
Some characteristic classes in number theory
Abstract. We use ideas from cyclic homology [3] and K -theory to define a kind of “Chern character” for the ideal class group of a number field. In the quadratic case, this character
gives nontrivial elements of the class group. In the cyclotomic case, this character is related to the Kummer logarithmic derivatives. c 2000 Académie des sciences/Éditions
scientifiques et médicales Elsevier SAS
1. La trace de Dennis à coefficients
Soient A un anneau unitaire et n 2 un entier. On désigne par Proj (A) la catégorie des A-modules à
droite, projectifs et de type fini. Pour P dans Proj (A), on pose nP = P P (n facteurs). L’ensemble
des triplets (P; ; Q), où P et Q sont dans Proj (A) et où : nP ! nQ est un isomorphisme de Amodules, s’organise en une catégorie C dont le groupe de Grothendieck est noté K (C ). Soit N le sousgroupe de K (C ) engendré par les éléments de la forme (P; ; Q) + (Q; ; R) (P; ; R). Le groupe
quotient K1 (A ; =n) := K (C )=N s’appelle le (premier) groupe de K -théorie à coefficients de A. On note
[P; ; Q] 2 K1(A ; =n) la classe de (P; ; Q) 2 Ob (C ). De la suite exacte de Bass ([1], p. 375), on
Z
Z
Note présentée par Alain C ONNES
PII here
c 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
1
M. Karoubi, T. Lambre
déduit l’extension
1
/
K1 (A)=(n) K1 (A ; Z=n) @ K0 (A)(n)
/
/
/
0:
(1)
Par ailleurs, supposons que A soit une algèbre sur un anneau commutatif k . Notons (C (A); b) le complexe
de Hochschild de A. La multiplication par n dans (C (A); b), notée n : (C (A); b) ! (C (A); b) est un
morphisme de complexes. L’homologie du cône (co ( n); d) de ce morphisme est notée HH (A ; =n). On
a la suite exacte tautologique
Z
0
HH1 (A)=(n) HH1 (A ; Z=n) @ HH0 (A)(n)
/
/
/
0:
/
Désignons par : A k A ! A la multiplication de A et posons 1nc (A) = ker . On sait que 1nc (A)
est le sous-bimodule de A k A engendré par les 1-formes différentielles (( non commutatives )) dnc a :=
1 a a 1 avec a 2 A. La structure de A-bimodule évidente sur 1nc(A) peut s’exprimer par la relation
dnc (a0 a1 ) = dnc (a0 )a1 + a0 dnc a1 (cf . [3] et [4]).
Un système de coordonnées sur P 2 Proj (A) est une suite S = (xj ; 'j )1j r avec xj 2 P et 'j 2 P r
telle que pour tout x de P , on ait x = j =1 xj 'j (x). Le rang de P dans le système de coordonnées S ,
noté rg (P; S ), est la trace de la matrice de l’identité exprimée dans le système de coordonnées S . Ce rang
est un élément de A.
La (( connexion de Levi-Civita )) sur P est le morphisme de k -modules dP : P ! P A 1nc (A) défini
dans le système de coordonnées S par
P
dP
X
r
j=1
X
r
xj 'j (x) =
j=1
xj dnc 'j (x)
pour x 2 P . Soit : P ! Q une application A-linéaire. L’application A-linéaire dnc : P ! Q A
1nc (A) est définie par dnc = dQ ( id) dP . Lorsque est un isomorphisme, on pose 1 dnc =
( 1 id) dnc. Après le choix de systèmes de coordonnées S et S 0 sur P et Q, on désigne par M et
N les matrices respectives de et 1 . Ces matrices sont à coefficients dans A. La matrice carrée NdncM
est à coefficients dans 1nc (A), sa trace est notée tr ( 1 dnc ; S ; S 0 ).
(n)
Pour x = [P; ; Q], la trace de Dennis à coefficients D1 : K1 (A ; Z=n) ! HH1 (A ; Z=n) est alors
définie comme étant la classe d’homologie dans (co ( n); d), du cycle (tr ( 1 dnc ; S ; S 0 ); rg (P; S )
rg (Q; S 0 )). Cette classe d’homologie est indépendante des choix de S et S 0 .
(n)
T H ÉOR ÈME 1. – Soient A une algèbre et n 2. L’application D1 est un morphisme de groupes
rendant commutatif le diagramme suivant (où D0 et D1 sont les traces de Dennis usuelles ([3], [4]).
0
/
K1 (A)=(n)
/
K1 (A ; Z=n)
0
/
HH1 (A)=(n)
/
K0 (A)(n)
(n)
D1
@
D0
D1
0
/
HH1 (A ; Z=n) @ HH0 (A)(n)
/
/
Z e
/
0
Supposons A commutative. Alors K0 (A) = K0 (A), K1 (A) = A SK1 (A). Introduisons le groupe
(A)=(n), où 1dR (A) est le A-bimodule des formes différentielles de Kähler–de Rham de A. On sait que
D1 (SK1 (A)) = 0 et que pour u 2 A , on a D1 (u) = u 1 du. Notons dA =A le sous-groupe de 1dR (A)
engendré par les dérivées logarithmiques u 1 du des unités u 2 A . On a D1 (K1 (A)) = dA =A . Le
théorème précédent conduit au :
1
dR
C OROLLAIRE 2. – Soient k un anneau commutatif unitaire, A une k -algèbre commutative et n 2 un
entier. On désigne par S le sous-groupe de 1dR (A) engendré par n
1dR (A) et dA =A . Alors la (( classe
2
Quelques classes caractéristiques en théorie des nombres
e
n
Ke 0(A)(n) par
caractéristique secondaire )) d1 : K0 (A)(n) ! 1dR (A)=S , définie pour x = @ (y ) 2
d(1n) (x) = D(1n) (y) mod S est un morphisme de groupes abéliens, non trivial en général.
( )
2. Le cas des anneaux d’entiers d’un corps de nombres
T H ÉOR ÈME 3. – Soient A l’anneau des entiers d’un corps de nombres F , de groupe des classes Cl (A).
Le groupe K1 (A ; =n) s’identifie au groupe
Z
U (A ; Z=n) = [u] 2 F =(n) j 9 I idéal fractionnaire de A tel que uA = I n :
De plus, l’extension (1) vue plus haut se réduit à la suite exacte bien connue :
1
/
A =(n)
/
U (A ; Z=n)
@
/
Cl (A)(n)
/
0
(2)
où A est le groupe des unités de A, la flèche @ consistant à envoyer [u] sur l’idéal I .
Pour construire des éléments explicites du groupe U (A ; =n) = K1 (A ; =n), on utilise le lemme
suivant.
Z
Z
L EMME 4. – Soit A l’anneau des entiers d’un corps de nombres F et soit u un élément non nul de A.
Pour que [u] 2 F =(n) appartienne à K1 (A ; =n), il suffit que la norme N (u) soit une puissance n-ième
dans et que (N (u); N1 (u)) = 1, N1 (u) étant le coefficient de X dans le polynôme caractéristique de u,
considéré comme endomorphisme du -espace vectoriel F .
Voici un exemple d’application du lemme.
Z
Z
Q
P ROPOSITION 5. – Supposons F quadratique de discriminant . Soit p un nombre premier impair. On
suppose qu’il existe (; b) 2 2 tel que 2 4bp = p
avec (; b) = 1 et 2= ( =b)(p) . Si < 4
ou si > 0 et F d’unité fondamentale " = ("1 + "2 )=2 telle que ("1 + "2 )=2 2 ( =b)(p) , on a
Cl (A)(p) 6= 0.
Z
Z
Z
p
Z
Démonstration. – Le lemme 4 appliqué à u = ( + p
)=2 montre que [u] appartient à K1 (A ; =n).
Le morphisme d’anneaux f : A ! =b défini par f ((x + y )=2) = (x + y)=2 induit un morphisme de
groupes
Z
f1(p) : K1 (A ; Z=p) ! K1 (Z=b ; Z=p) = (Z=b) =(p)
(p)
tel que f1 ([u]) = [] 6= 0. Si < 4, ceci et (2) montrent Cl (A)(p) 6= 0. Si > 0 et si @ ([u]) = 0,
(p)
alors [u] appartient à A =(p) et de l’hypothèse f (") 2 (Z=b)(p) , on tire f1 (A =(p)) = 0, ce qui est en
(p)
contradiction avec f1 ([u]) =
6 0, donc @ ([u]) =
6 0 et Cl (A)(p) =
6 0.
Remarque 6. – L’élément non trivial construit ici coı̈ncide avec celui découvert par Yamamoto [7]. À
partir de cet élément, cet auteur en déduit pour tout entier n un nombre infini de corps quadratiques dont le
groupe des classes possède un facteur =n.
Z
Soit R l’ensemble des diviseurs premiers du discriminant du corps F . De 1dR (A) =
Zp ), on déduit (A)=(p) = 0 si (p; ) = 1. Les classes caractéristiques D p
1
dR
détecter d’éléments non triviaux de Cl (A)(p)
p
Q
p2R dR (A 1
et d1 ne peuvent donc
que si p est ramifié dans A. Donnons un exemple.
( )
1
( )
P ROPOSITION 7. – Supposons F quadratique et soit n un diviseur impair du discriminant de F . On
suppose qu’il existe (; b) 2 2 telpque 2 4bn = avec (; b) = (; n) = 1. Si < 4 ou si > 0 et
d’unité fondamentale " = ("1 + "2 )=2 telle que n j "2 , alors Cl (A) possède un élément d’ordre n.
Z
3
M. Karoubi, T. Lambre
p
Z
p
Démonstration. – On a 1dR (A)=n = =n d! avec ! = =2pou ! = (1 + )=2 suivant que
est congru à 0 ou 1 modulo 4. Le lemme 4 appliqué à u = ( + )=2 montre que [u] appartient à
K1 (A ; =n). Un calcul conduit à D(1n) ([u]) = 2= d! 6= 0. Si < 4, ceci montre que Cl (A) possède
(n)
un élément d’ordre n. Si > 0, de n j "2 , on tire dA =A n
1dR (A). La classe secondaire d1 est donc
) et d(1n) (@ ([u]) = D(1n) ([u]) 6= 0 d’où un élément d’ordre n dans Cl (A).
à valeurs dans 1dR (A)=(np
Par exemple, soit F = [ ]) avec = 4 294 967 295. De = 12 4 415 , on déduit un élément
p de
15-torsion dans Cl (A). Ou encore
soit
=
231
,
p
=
3
;
l’unité
fondamentale
"
=
(430
+
24
d)=2 du
p
corps quadratique réel f = [ ] satisfait les conditions requises et de = 172 4 ( 2)3 , on déduit un
élément d’ordre 3 dans Cl (A).
Z
Q
Q
3. Application à la cyclotomie
Soient p un nombre premier impair et = p une racine primitive p-ième de l’unité. Le corps cyclotomique F = [ ] a pour groupe de Galois G = ( =p) . Soit g un générateur de G opérant dans F par
g = s avec (p; s) = 1. L’anneau des entiers A de F est [ ]. L’extension (2) se scinde en deux parties,
dont la partie antisymétrique pour la conjugaison complexe s’écrit
Q
Z
1
/
Z
p K1 (A ; Z=n) @ Cl (A)(p)
/
/
/
1
Z
On pose dp = dimZ=p Cl (A)(p) = dimZ=p K1 (A ; =p) 1.
Introduisons l’anneau de groupe R = =p[ ]=(1 p ). Le groupe de Galois G opère dans R par g = s .
Le =p-espace vectoriel 1dR (R)=(p) se scinde en + , où est de dimension (p + 1)=2. Il existe
une base (f0 ; f1 ; : : : ; f(p 1)=2 ) de pour laquelle l’action de G est donnée par gf0 = sf0 , gf` = sf`+1 ,
1 ` < (p 1)=2, gf(p 1)=2 = sf1 .
Rappelons que les entiers (p; a; b; c) satisfont aux hypothèses du premier cas du dernier théorème de
Fermat (en abrégé DTF1) si p est un premier impair et ap = bp + cp avec (a; b; c) = (p; abc) = 1. Notons
n la classe de n modulo p. Sous l’hypothèse DTF1, les éléments z = (a b )=(a b 1 ) mod F (p)
et z 0 = (a b )=(a b 1 ) mod R(p) appartiennent respectivement à K1 (A ; =p) et K1 (R ; =p).
Notons U et U 0 respectivement les sous-espaces vectoriels de K1 (A ; =p) et K1 (R ; =p) engendré par
l’orbite de z (resp. z 0 ) sous l’action de G. On vérifie facilement 0 dimZ=p (U 0 ) dimZ=p (U ) 1, d’où
dp dimZ=p (U ) 1 dimZ=p (U 0 ) 2. Pour évaluer dimZ=p (U 0 ), on considère la restriction 0 de la trace
Z
Z
Z
Z
p
Z
Z
Pp
Z
=
k fk
de Dennis D1 : K1 (R ; =p) ! 1dR (R)=(p) à U 0 . Un calcul conduit à 0 (z 0 ) = 2f0 + k=1
k
k
avec k = (a=b)s + (b=a)s . Compte tenu de l’action de G sur sur les fk , on voit que le rang de 0 est
celui de la matrice circulante C 2 Mat(p 1)=2) ( =p) suivante :
( )
(
Z
0 B p
C = C (p; a; b; c) = B
B@ ..
.
1
2
2
1
2 p
1 p
..
.
..
.
3 ..
.
2
2
1
1
3
1
CC
CA
Le calcul du rang de C nécessite l’introduction des polynômes de Mirimanoff Mk (X ) 2
p 1
pour 1 k p 1 par Mk (X ) = j =1 j k 1 X j . Pour t 2 =p r f0; 1; 1g, posons
P
r (t) = # k; 1 k (p
Z
1) 2
Z=p[X ], définis
1)=2; M2k+1 (t) 6= 0 :
Un calcul simple montre que les valeurs propres de C (p; a; b; c) sont les M2k+1 (a=b), 1 k (p 1)=2.
On en déduit quele rang de la matrice C (p; a; b; c) est rp (a=b). Posons encore rp = min rp (t); t 2
Z=p r f0; 1; 1g .
p
4
Quelques classes caractéristiques en théorie des nombres
En conclusion, on a montré :
T H ÉOR ÈME 8. – Supposons que (p; a; b; c) soient des entiers vérifiant les hypothèses DTF1. Alors
dp rp 2:
Remarque 9. – À normalisation près, les calculs ci-dessus correspondent à ceux effectués par Brückner
[2], où notre trace 0 est à comparer avec le morphisme de Brückner ([2], 2.1). La quantité fi ( ) de ([2],
3.5) est telle que fi ( ) = ( 1)i 1 (b=c)Mi 1 (a=b) mod p et la minoration dp rp 2 correspond à ([2],
5.1). À partir de cette minoration, Brückner montre que le premier cas du dernier théorème de Fermat est
vrai si p 2dp +3 2dp 3, où dp = dimZ=p (Cl (A)(p) . On peut aussi procéder comme suit. Soit p un
nombre premier. D’après [5], [6], pour p 7, on a dp (p + 3)=4. La minoration ci-dessus montre que si
rp > (p + 11)=4, alors le premier cas du théorème de Fermat est vrai pour p. Numériquement, le calcul de
rp est très rapide, ce qui n’est pas le cas pour dp ou dp .
Remerciement. Les auteurs remercient le rapporteur pour leur avoir signalé la référence [2].
Références bibliographiques
[1] Bass H., Algebraic K -theory, Benjamin, New York, 1968.
[2] Brückner H., Zum ersten Fall der Fermatschen Vermutung, J. Reine Ang. Math. 274-276 (1975) 21–26.
[3] Connes A., Non-commutative differential geometry, Publ. Math. Inst. Hautes Études Sci. 62 (1985) 257–360.
[4] Karoubi M., Homologie cyclique et K -théorie, Astérisque 149, Soc. Math. France, 1987.
[5] Lepistö T., On the growth of the first factor of the class number of the prime cyclotomic field, Ann. Sci. Fennicae,
Série A, I 577 (1974) Helsinki (21 p.)
[6] Metsänkylä T., Class numbers and -invariants of cyclotomic fields, Proc. Amer. Math. Soc. 43 (1974) 299–300.
[7] Yamamoto Y., On unramified Galois extensions of quadratic number fields, Osaka J. Math. 7 (1970) 57–76.
5
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