BIOFUTUR 266 • MAI 200638
Dossier
Génome et diversité chez les plantes cultivées
L
’utilisation en création de variétés de la mutation bm3
a été jusqu'à ce jour limitée par les défauts agronomiques
de ce matériel, en particulier avec une diminution de la
productivité, de la précocité et tenue de tige en végéta-
tion et à maturité ensilage, et cela en dépit de la très impor-
tante amélioration de la valeur alimentaire. Toutefois, la
mise en évidence d'une liaison entre COMT inactivée par
mutation spontanée et une valeur alimentaire accrue
du maïs fourrage est le principe même de l’utilisation
de la mutagenèse comme outil de validation fonction-
nelle dans un programme de génomique. Cela ouvrait
par ailleurs une voie ciblée d'amélioration aux obtenteurs
de maïs fourrage. En effet, des plantes ayant des enzymes
COMT de faible activité en raison d'une modification de
séquence touchant un site actif, ou en raison d'une modi-
fication de la régulation de l'expression du gène corres-
pondant, pourraient avoir un niveau agronomique
convenable et une digestibilité améliorée.
• Transposons
L
e développement d’une population de mutagenèse
à saturation a ainsi été mis en place afin de valider
en particulier des gènes de la voie de biosynthèse des
parois végétales. La méthode développée est fondée
sur l’utilisation du transposon Mutator, un élément
transposable endogène du maïs. L’élément Mutator
correspond en fait à une famille d’éléments autonomes
(MuDr) ou mobilisables (Mu1…) possédant tous les
mêmes séquences terminales ou « pied du transposon ».
Chaque plante contient plusieurs éléments et à chaque
méiose, plusieurs nouvelles mutations sont crées dans
chaque plante. Les mutations sont crées par inser-
tion de l’élément Mutator (quelques milliers de paires
de bases) dans ou à proximité des gènes.
U
ne collection de 42 000 plantes mutantes (appelée
« machine à gènes », MAG) a été ainsi créée et est uti-
lisée pour la recherche de mutations dans des gènes d’in-
térêt. Le nombre d’insertions germinales indépendantes
créées dans cette population est estimé à 200 000 à
400 000. Les insertions Mutator sont réparties de façon
aléatoire dans tout le génome, avec toutefois une forte
préférence pour les régions riches en gènes. Il devient
ainsi possible de rechercher dans ces populations la
présence d’une insertion de Mutator dans un gène d’in-
térêt à partir du moment où la totalité ou une partie
de la séquence nucléotidique du gène est connue.
C
ette approche, connue sous le nom de « génétique
inverse », consiste schématiquement en une amplifica-
tion PCR réalisée sur l’ADN de ces plantes, avec une
amorce spécifique sur le pied du transposon, qui s’hy-
bridera sur toutes les insertions de Mutator présentes
dans la plante, et une amorce spécifique du gène. Un
produit d’amplification PCR est ainsi obtenu à partir
de l’ADN d’une plante si et seulement si les séquences
complémentaires des deux amorces sont dans un voisi-
nage génomique proche, autrement dit si le transposon
est inséré dans le gène, ou dans ses régions 5' et 3'.
• Une trentaine de mutants
A
insi, dans le cadre des travaux sur la valeur alimentaire
du maïs ensilage réalisés avec Génoplante, une trentaine
de mutants, « touchés » dans une quinzaine de gènes dif-
férents, principalement de la voie de biosynthèse de la
lignine et la voie de biosynthèse des hémicelluloses, a été
isolée. Des couples de lignées de maïs quasi-isogéniques
*3
pour la mutation sont ensuite développés.
L
’analyse phénotypique de ces couples isogéniques
nous permet de valider l’identité et la fonction du gène
candidat dans l’espèce. En effet, si ce gène a un effet
déterminant sur la synthèse de paroi, alors le fait de le
muter doit se traduire par une modification de la com-
position ou teneur de ces parois. Les tests phénoty-
piques utilisés peuvent être des tests moléculaires et
biochimiques. On peut par exemple :
- rechercher une diminution de l’expression du gène
ou de l’activité de l’enzyme correspondant au gène
muté. On a ainsi montré qu’un mutant d’insertion dans
un gène d’UDP-glucose déshydrogénase présente une
forte réduction de l’activité de l’enzyme correspon-
dante dans les tissus végétatifs de la plante
(3)
;
- rechercher une modification de la quantité de sub-
strats ou de produits de la réaction enzymatique cata-
lysée par le produit du gène d’intérêt ;
- évaluer la digestibilité des parois, grâce notamment
à des tests de digestibilité in vitro, à l’échelle de la
plante entière. Dans ce cas, on recherche simultané-
ment à valider la fonctionnalité du gène (si cela reste
à déterminer) et à établir si le gène en question joue un
rôle central ou crucial dans le processus global. Des
résultats positifs allant dans ce sens ont été obtenus
pour quelques gènes impliqués dans la voie de bio-
synthèse des lignines. À titre d’exemple, la dérégula-
tion partielle d’un gène de la voie de biosynthèse des
monolignols diminue de 10 % la quantité de lignines
et améliore de 10 % la digestibilité des parois de la
partie verte de la plante.
Transgenèse
C
omme outil de validation fonctionnelle, et outre la
dérégulation par mutagenèse d'insertion, la trans-
genèse est aussi un outil remarquable. Les objectifs
sont les mêmes, avec en revanche quelques spéci-
ficités et complémentarités. Si la mutagenèse inser-
tionnelle génère le plus souvent des inactivations
partielles ou totales et récessives, la transgenèse per-
met des inactivations (ARNi), mais aussi des sur-
expressions de gènes. Dans les deux cas, la
modification par transgenèse est dominante, ce qui
permet l’évaluation de son effet dans le cadre de
croisements où un seul des parents est modifié ; en
résumé les analyses génétiques peuvent être réali-
sées plus rapidement.
P
ar ailleurs, la transgenèse permet une surexpression
ou une inactivation de gène candidats sous le contrôle
de promoteurs gouvernant des expressions consti-
tutives ou spécifiques à certains organes de la plante
et ou à des stades de développement bien définis. La
surexpression pourra par exemple être recherchée
lorsque la mutation insertionnelle d’un gène induit
un problème de développement de la plante et ne
permet donc pas des conclusions sur le rôle du gène
dans le caractère étudié. L’inactivation par trans-
genèse est également un outil puissant lorsque le gène
d’intérêt est dupliqué sur le génome. En effet, dans
ce cas, la transgenèse permettra une inactivation des
deux gènes simultanément, ce qui n’est pas le cas
pour la mutagenèse d’insertion. En conclusion, les
deux approches de validation fonctionnelle que sont
la transgenèse et la génétique inverse sont très com-
plémentaires et l’identification des gènes clés passe
par la mise en œuvre de ces processus, y compris
l’évaluation au champ des plantes modifiées.
(3) Karkonen A
et al.
(2005)
Biochem J
391, 409-15
*3Les deux plantes sont
identiques pour l’ensemble
du génome sauf pour le locus
portant le gène d’intérêt, pour
lequel une plante possède
l’allèle muté et l’autre l’allèle
non muté.