05-3 - Murigneux - INRA Versailles

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Dossier Génome et diversité chez les plantes cultivées
Apports de la génomique à
L’exemple du maïs fourrage
Après une période de dix ans (de 1985 à 1996) au cours de laquelle ont
été mises en œuvre des biotechnologies sur les plantes, la génomique s’est
progressivement imposée dans le but d’accélérer la compréhension du
contrôle génétique des caractères agronomiques. Voici un tour d’horizon
des méthodologies utilisées, à travers l’exemple du maïs fourrage.
* Biogemma, Campus
universitaire des Cézeaux,
24 avenue des Landais,
63170 Aubière
** alain.murigneux@
biogemma.com
*** jean-pierre.martinant@
biogemma.com
**** Inra, Unité de génétique
et d’amélioration des plantes
fourragères,
BP6, 86600 Lusignan
[email protected]
(1) Caboche M (2006)
Biofutur 266, 24-6
Alain Murigneux*,**, Jean-Pierre Martinant*,***, Yves Barrière****
D
ans le cadre de Génoplante (1), les travaux ont
été orientés d’une part sur le développement d'outils et d’autre part sur l’étude de caractères agronomiques ou qualitatifs chez le blé et le maïs.
Pour le maïs, les travaux portent essentiellement sur
les caractères de tolérance à la sécheresse, de tolérance
au froid, d'adaptation de la plante (précocité de floraison), de remplissage du grain et de valeur alimentaire de l’ensilage (essentiellement digestibilité des
parois). Pour le blé, la recherche a été orientée sur l’efficacité d’utilisation de l’azote, la qualité boulangère
et la résistance aux maladies.
Le modèle maïs fourrage
ture, récolté bien avant le remplissage du grain. Ainsi,
en 1789, Antoine-Auguste Parmentier note que « le
maïs pourrait aussi très bien mériter une place parmi
les plantes que l’on peut employer en prairie momentanée. Les vaches mangent ce fourrage avec avidité, et
il leur donne beaucoup de lait ». Les premiers essais
d’ensilage de maïs ont été faits en France par Auguste
Goffart en Sologne en 1852, mais la culture du maïs
en fourrage ensilé ne s’est ainsi significativement développée qu'avec l’apparition des premières variétés précoces et tolérantes aux basses températures comme
Inra258 (génération 1960). Actuellement, plus de
4 500 000 ha de maïs ensilage sont cultivés dans
l'Europe des 25 (soit environ 43 % des surfaces ensemencées en maïs sur ce même territoire).
La culture du maïs, pour la récolte de ses grains, est
très ancienne. Le maïs a été progressivement domestiqué en Amérique centrale, et les plus vieux vestiges de
maïs connus datent de 7 000 ans. Lors de la découverte de « l’Amérique » en 1492, le grain de maïs était
un aliment de base pour les civilisations inca, aztèque
et maya. C’est aussi à partir de cette époque que plusieurs introductions successives du maïs ont eu lieu en
Europe, en vue d’abord d'une production de grain destinée à l’alimentation humaine. L’utilisation intensive du grain pour l’alimentation du bétail est le fait
de sociétés plus riches et fortes consommatrices de produits animaux.
L’utilisation du maïs comme plante fourragère pour
l’alimentation des ruminants est relativement récente.
Le maïs a d’abord été utilisé en fourrage vert imma-
La valeur alimentaire : un critère récent
Au cours de la période 1985-2000, il y a eu un progrès
génétique très important en productivité du maïs en
plante entière, en régularité de production en raison
d'une plus grande rusticité des variétés récentes, ainsi
qu'en résistance des plantes à la verse et à la casse. En
revanche, il n’en a pas été de même pour la valeur alimentaire, ce critère n'ayant été pris en compte pour
l’inscription des variétés qu'à partir de 1999. Les maïs
fourrage récents ont ainsi une valeur énergétique
moyenne de 7 % inférieure à celle des variétés plus
anciennes.
Au niveau d’une ration journalière comprenant 16 kg
de maïs fourrage ingérés, cette diminution de la valeur
alimentaire de l'ensilage de maïs représente environ
l'énergie nécessaire à la production de 1,8 kg de lait.
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© D.R.
l‘amélioration des plantes
Figure 1 Schéma d’une paroi secondaire de cellule de tige de maïs
Ce déficit doit alors être compensé par 800 g d'aliments concentrés par vache et par jour. Cette dérive
de la valeur énergétique des variétés vers de plus faibles
valeurs peut être de type aléatoire. En effet, l'essentiel
de la sélection a porté sur des qualités des maïs grain
plutôt que sur celles des maïs fourrage, avec la perte
« par hasard » de caractères non pris en compte par
la sélection. Cette dérive peut aussi provenir de liaisons négatives entre critères. La recherche de plantes
à port dressé, tolérantes à la verse, et surtout résistantes
à la casse à maturité du grain peut être contradictoire avec celle de l'amélioration de la valeur alimentaire de la plante entière.
La digestibilité des parois végétales
Le principal facteur de variation de la valeur énergétique d'un ensilage de maïs, pour une teneur en grain
donnée, est la digestibilité des parois végétales de la
plante au sein du rumen*1 des vaches laitières. Les
parois végétales sont constituées essentiellement d’une
structure fibrillaire cellulosique, noyée dans une matrice
de composés phénoliques et d’hémicellulose.
Avant l’ère de la génomique, différentes études avaient
montré que la teneur en lignines est le principal facteur limitant de la dégradabilité de ces parois.
Toutefois, d’autres facteurs influencent de façon importante la digestibilité de ces parois, comme la composition biochimique des lignines et la fréquence des
liaisons covalentes entre les composés de la paroi.
L'amélioration de la valeur alimentaire du maïs ensilage se fera donc à travers des démarches de génomique permettant de comprendre les mécanismes
dirigeant la quantité et l'organisation des différents
composants de la paroi, ceci conduisant ensuite à des
critères de sélection.
Comme illustré sur la figure 1, les parois végétales du
maïs sont majoritairement constituées de sucres (cellulose, xylose et arabinose), d'une petite quantité de
protéines pariétales particulières, le tout noyé dans une
matrice de lignines. Des acides hydroxycinnamiques
(acide p-coumarique et acide férulique) sont également
présents, ce dernier étant fortement impliqué dans
les liaisons entre constituants. Les lignines résultent de
la polymérisation, catalysée par des peroxydases et des
laccases, de trois alcools (monolignols) ayant respectivement un, deux ou trois groupements –OCH3 sur
leur noyau aromatique.
Les proportions respectives de chacun de ces monolignols contribuent aux caractéristiques chimiques et
stéréochimiques des lignines. Des voies métaboliques
modèles ont été décrites pour la synthèse de ces différents constituants sur différentes espèces végétales.
Des espèces telles Arabidopsis thaliana ou des espèces
de ligneux comme le peuplier ou l'eucalyptus ont beaucoup apporté dans la compréhension de ces voies de
biosynthèse.
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*1 Premier compartiment
de l’estomac des ruminants
(panse).
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Génomique de la valeur alimentaire du
maïs fourrage
Bioanalyse et valeur alimentaire du maïs fourrage
La bioanalyse a ici pour objectif la recherche de gènes
de maïs impliqués dans la synthèse de la paroi cellulaire. Elle s'appuie sur le principe d’homologie de
séquence qui existe entre deux gènes d’espèces différentes ayant la même fonction biologique. Des
séquences de gènes et, pour le riz et Arabidopsis, de
génomes entiers sont disponibles dans des bases de
données publiques. Pour certains de ces gènes, leur
fonction a été déterminée par des études expérimentales. Afin d’espérer retrouver des gènes homologues
sur le maïs, il fallait disposer d’un nombre significatif de séquences propres à cette espèce. En 1998, lorsque
le projet Génoplante a vu le jour, le premier travail a
été l’obtention de séquences de maïs.
Le séquençage du génome du maïs, de par sa taille (22 fois
plus grand que le génome d’Arabidopsis et six fois plus
que le génome de riz) et sa complexité (plus de 80 %
de séquences répétées intergéniques) n’était ni économiquement ni techniquement envisageable dans le
cadre de ce projet. Aussi, 200 000 séquences nommées
EST (expressed sequence tag qui sont en fait des
séquences partielles des transcrits du génome de maïs)
ont été produites, dérivées de plusieurs dizaines de
banques d’ARNm collectées à partir de différents
organes de maïs à différents stades de développement.
Afin d’éviter la redondance d’information, ces 200 000
séquences ont été ajoutées aux séquences publiques
du même type, puis l’ensemble a été regroupé, grâce
à des logiciels informatiques, en séquences chevauchantes provenant du même gène par un procédé
appelé « contigage », qui a conduit à l'obtention de
près de 50 000 contigs. C'est cette base de données
de contigs qui est utilisée pour identifier les gènes de
maïs homologues à des gènes connus chez d'autres
espèces, parmi lesquelles les espèces modèles.
Par exemple, un des derniers gènes clefs de la voie
de biosynthèse de la lignine identifié chez Arabidopsis
Cartographie génétique de segments chromosomiques associés à la valeur alimentaire
À la base même du travail de tout sélectionneur, on
trouve la notion de brassage génétique, qui va permettre l'obtention dans une descendance de nouvelles
répartitions des allèles présents chez les lignées parentales afin de sélectionner les combinaisons les plus
appropriées à l’objectif fixé au départ.
• Brassage génétique et génotypage
Le brassage repose sur la redistribution aléatoire du
matériel génétique des deux parents lors de la méiose.
À l’intérieur d’un même chromosome, par le jeu des
crossing-over, on pourra retrouver côte à côte un locus
provenant d’un parent et un locus provenant de l’autre.
On parle ainsi de recombinaison entre ces deux loci,
et le pourcentage de recombinaisons sera d’autant plus
élevé que les deux loci seront plus éloignés sur un même
chromosome, jusqu’au stade d’indépendance. Ce principe est utilisé pour construire des cartes génétiques.
La caractérisation d'un ensemble de marqueurs moléculaires polymorphes entre deux parents, ou génotypage, est réalisée sur une descendance d’individus
apparentés, par exemple ceux issus du croisement de
deux lignées homozygotes. Cette descendance est obtenue par autofécondation de l’hybride entre les parents,
puis fixation, par autofécondations*2 successives, de
150 à 400 individus pris au hasard dans la première
génération en disjonction. Une telle carte génétique est
ainsi utilisée pour placer sur le génome les gènes qui
ont été retenus par exemple dans l’étape de bioanalyse. Cette étape est appelée cartographie génétique.
Autofécondation d'une plante de maïs : en prenant du pollen
sur la panicule et en le portant directement sur les soies, il y
a autofécondation de la plante, ce qui permet de passer les
gènes à l'état homozygote et donc de fixer les caractères
favorables.
• Utilisation des QTL
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*2 Fécondation d'un
ovule par du pollen issu
de la même plante.
thaliana, et dont la fonction a été démontrée sur cette
espèce modèle, est le gène de la cinnamate 3-hydroxylase (C3H). En raison de la dégénérescence du code
génétique, l’homologie est meilleure lorsque l’on compare des séquences protéiques plutôt que des séquences
nucléiques d’espèces différentes. Pour le gène de la
C3H, une similarité de 83 % (sur toute la longueur du
gène) est ainsi observée entre la séquence protéique
déduite de la séquence du gène d’Arabidopsis thaliana
et la séquence déduite d’un des contigs de notre base
de données. Le même travail a été réalisé également
pour un gène d'UDP-glucose déshydrogénase, impliquée dans la synthèse des hémicelluloses (arabinose et
xylose). Ce gène a été isolé chez le soja et un pourcentage de similarité de 95 % a été observé avec deux
contigs de maïs. Cette étape clef de bioanalyse permet
de proposer une liste de séquences de maïs correspondant à des gènes candidats pour lesquelles on a
associé, in silico, une fonction biologique qui reste à
valider.
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D’autre part, la majorité des caractères d'intérêt agronomiques, et la valeur alimentaire du maïs fourrage en
est un exemple, sont des caractères polygéniques et
quantitatifs. Sur le même principe que la cartographie
de gène, les corrélations entre la valeur phénotypique
des individus issus d’une même population et la ségrégation en descendance de chacun des marqueurs moléculaires permettent la recherche de QTL. Les QTL
(quantitative trait loci) sont ainsi définis comme des
zones chromosomiques impliquées dans la variation
d’un caractère quantitatif.
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La cartographie génétique de gènes d’une part, et de
QTL d’autre part, permet l’identification de gènes qui
co-localisent avec des QTL de valeur alimentaire du
maïs fourrage et qui sont donc potentiellement responsables des variations du caractère à ce locus. Ces
gènes sont classiquement appelés gènes candidats. Les
travaux actuellement publiés montrent qu'il y a au
moins 24 localisations sur le génome du maïs impliquées dans la lignification et/ou la digestibilité des
parois cellulaires. S'il n'y a pas de gènes candidats clairs
pour environ la moitié de ces QTL, en revanche certaines localisations ont permis la découverte de gènes
candidats dont on n'aurait pas, a priori, supposé un
effet déterminant.
Une des régions souvent impliquées et expliquant une
part élevée de la variation de lignification et de digestibilité de paroi est la région 6.06 du chromosome 6
du maïs. Dans cette région a été cartographiée une peroxydase (ZmPox3), dont l'implication dans la lignification n'était pas antérieurement connue et qui
semblait par ailleurs peu exprimée lorsqu'elle avait été
étudiée. De même, la région 4.05 du chromosome 4
du maïs apparaît impliquée dans la lignification et la
digestibilité du maïs fourrage. C'est aussi dans cette
région qu’ont été cartographiées la mutation bm3 et
le gène de la caffeic-acid-O-méthyltransferase (COMT)
du maïs. Enfin, le gène de la caffeoyl-CoA-O-méthyltransférase 2 (CCoAOMT2), également impliqué dans
la biosynthèse des monolignols, a été cartographié dans
la région 9.02 du chromosome 9 du maïs qui supporte
aussi des QTL de lignification et de digestibilité des
parois. Ceci étant, un résultat de co-localisation ne permet pas d'entériner la validité d'un gène candidat. Les
intervalles supportant les QTL peuvent contenir des
dizaines, voire des centaines, de gènes. Par ailleurs, les
gènes liés à la lignification et à la mise en place des
parois peuvent être regroupés en clusters de gènes, dont
certains de fonction inconnue, et incluant de plus des
facteurs de régulation de chacun ou d'un ensemble de
gènes. Il y a donc nécessité de valider chaque gène candidat potentiel.
• Chez les plantes modèles
La recherche de QTL chez les plantes modèles peut aussi
être une voie efficace pour arriver plus rapidement à
des gènes candidats. Même s'il existe des différences
fondamentales entre les monocotylédones et les dicotylédones en termes de lignification, les monocotylédones
ne formant pas de « bois », il y a suffisamment de
ressemblances pour les parois cellulaires pour qu'une
plante comme Arabidopsis puisse être utilisée comme
modèle de recherche pour le maïs. La hampe florale
d'Arabidopsis a ainsi été utilisée comme modèle de la
tige de maïs pour rechercher des QTL de lignification
et de digestibilité des parois. Les résultats obtenus à ce
jour confirment la présence de gènes de la voie de biosynthèse des monolignols sous les QTL de hampe florale d'Arabidopsis. Mais ces recherches ont aussi mis
en évidence le rôle important que pourrait tenir la régulation par l'auxine dans la mise en place des tissus lignifiés et des parois, et corrélativement leur digestibilité
ultérieure. Ceci ouvre un domaine de recherche relativement inattendu dans la compréhension de la variabilité de la valeur alimentaire des plantes fourragères.
© Y.B./INRA
• Quelques exemples
Coupes histologiques de tiges de différentes lignées de maïs
illustrant la variabilité génétique de l'intensité de la lignification. Plus la proportion de tissus colorés en rouge est élevée, plus la lignée est lignifiée et indigestible ; les tissus
colorés en bleu sont digestibles.
Mutagenèse, génétique inverse
et transgenèse pour la validation
fonctionnelle des gènes
L’attribution d’une fonction à un gène (génomique
fonctionnelle) est une étape clé dans les programmes
de génomique. Aujourd’hui, les méthodes de génomique fonctionnelle sont multiples et basées soit sur
l’utilisation de la transgenèse (ADN-T, ARN antisens,
ARN interférence…) soit sur l’utilisation d’éléments
mutagènes exogènes (EMS, irradiation, VIGS…) ou
endogènes (éléments transposables). Chaque méthode
a ses propres avantages et inconvénients, et peut s’appliquer avec plus ou moins de facilité et d’efficacité à
l’ensemble des espèces végétales. Différentes approches
de validation fonctionnelle sont utilisées dans le cadre
de ce projet.
Mutagenèse
Depuis plus de cent ans, un très grand nombre de
mutants spontanés a été décrit chez le maïs, relatifs en
particulier à la forme, la texture, la couleur du grain,
au port de la plante et de ses feuilles, à la coloration
de différentes parties de la plante. Ces mutations sont
en général monogéniques et récessives. Quatre mutants
ayant les nervures centrales des feuilles de couleur brune
ont ainsi été successivement décrits entre les années
1930 et 1950.
Il a de plus été mis en évidence à partir des années
1960 que ces mutants avaient des lignines particulières et une digestibilité de parois cellulaires plus
ou moins augmentée. Le gène bm3 est celui qui
confère aux maïs l'amélioration la plus importante
de la valeur alimentaire. La mutation bm3 a été identifiée en 1995 comme étant une délétion d'une partie de l'exon 2 du gène de la COMT (2) qui catalyse
une étape clé de la biosynthèse du monolignol portant deux unités –OCH3. Les plantes bm3 ont en
conséquence des lignines anormales, et en plus faible
quantité.
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(2) Vignols F et al. (1995)
Plant Mol Biol 39, 942-52
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Dossier Génome et diversité chez les plantes cultivées
(3) Karkonen A et al. (2005)
Biochem J 391, 409-15
L’utilisation en création de variétés de la mutation bm3
a été jusqu'à ce jour limitée par les défauts agronomiques
de ce matériel, en particulier avec une diminution de la
productivité, de la précocité et tenue de tige en végétation et à maturité ensilage, et cela en dépit de la très importante amélioration de la valeur alimentaire. Toutefois, la
mise en évidence d'une liaison entre COMT inactivée par
mutation spontanée et une valeur alimentaire accrue
du maïs fourrage est le principe même de l’utilisation
de la mutagenèse comme outil de validation fonctionnelle dans un programme de génomique. Cela ouvrait
par ailleurs une voie ciblée d'amélioration aux obtenteurs
de maïs fourrage. En effet, des plantes ayant des enzymes
COMT de faible activité en raison d'une modification de
séquence touchant un site actif, ou en raison d'une modification de la régulation de l'expression du gène correspondant, pourraient avoir un niveau agronomique
convenable et une digestibilité améliorée.
• Transposons
Le développement d’une population de mutagenèse
à saturation a ainsi été mis en place afin de valider
en particulier des gènes de la voie de biosynthèse des
parois végétales. La méthode développée est fondée
sur l’utilisation du transposon Mutator, un élément
transposable endogène du maïs. L’élément Mutator
correspond en fait à une famille d’éléments autonomes
(MuDr) ou mobilisables (Mu1…) possédant tous les
mêmes séquences terminales ou « pied du transposon ».
Chaque plante contient plusieurs éléments et à chaque
méiose, plusieurs nouvelles mutations sont crées dans
chaque plante. Les mutations sont crées par insertion de l’élément Mutator (quelques milliers de paires
de bases) dans ou à proximité des gènes.
Une collection de 42 000 plantes mutantes (appelée
« machine à gènes », MAG) a été ainsi créée et est utilisée pour la recherche de mutations dans des gènes d’intérêt. Le nombre d’insertions germinales indépendantes
créées dans cette population est estimé à 200 000 à
400 000. Les insertions Mutator sont réparties de façon
aléatoire dans tout le génome, avec toutefois une forte
préférence pour les régions riches en gènes. Il devient
ainsi possible de rechercher dans ces populations la
présence d’une insertion de Mutator dans un gène d’intérêt à partir du moment où la totalité ou une partie
de la séquence nucléotidique du gène est connue.
Cette approche, connue sous le nom de « génétique
inverse », consiste schématiquement en une amplification PCR réalisée sur l’ADN de ces plantes, avec une
amorce spécifique sur le pied du transposon, qui s’hybridera sur toutes les insertions de Mutator présentes
dans la plante, et une amorce spécifique du gène. Un
produit d’amplification PCR est ainsi obtenu à partir
de l’ADN d’une plante si et seulement si les séquences
complémentaires des deux amorces sont dans un voisinage génomique proche, autrement dit si le transposon
est inséré dans le gène, ou dans ses régions 5' et 3'.
• Une trentaine de mutants
*3 Les deux plantes sont
identiques pour l’ensemble
du génome sauf pour le locus
portant le gène d’intérêt, pour
lequel une plante possède
l’allèle muté et l’autre l’allèle
non muté.
Ainsi, dans le cadre des travaux sur la valeur alimentaire
du maïs ensilage réalisés avec Génoplante, une trentaine
de mutants, « touchés » dans une quinzaine de gènes différents, principalement de la voie de biosynthèse de la
lignine et la voie de biosynthèse des hémicelluloses, a été
isolée. Des couples de lignées de maïs quasi-isogéniques*3
pour la mutation sont ensuite développés.
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L’analyse phénotypique de ces couples isogéniques
nous permet de valider l’identité et la fonction du gène
candidat dans l’espèce. En effet, si ce gène a un effet
déterminant sur la synthèse de paroi, alors le fait de le
muter doit se traduire par une modification de la composition ou teneur de ces parois. Les tests phénotypiques utilisés peuvent être des tests moléculaires et
biochimiques. On peut par exemple :
- rechercher une diminution de l’expression du gène
ou de l’activité de l’enzyme correspondant au gène
muté. On a ainsi montré qu’un mutant d’insertion dans
un gène d’UDP-glucose déshydrogénase présente une
forte réduction de l’activité de l’enzyme correspondante dans les tissus végétatifs de la plante (3) ;
- rechercher une modification de la quantité de substrats ou de produits de la réaction enzymatique catalysée par le produit du gène d’intérêt ;
- évaluer la digestibilité des parois, grâce notamment
à des tests de digestibilité in vitro, à l’échelle de la
plante entière. Dans ce cas, on recherche simultanément à valider la fonctionnalité du gène (si cela reste
à déterminer) et à établir si le gène en question joue un
rôle central ou crucial dans le processus global. Des
résultats positifs allant dans ce sens ont été obtenus
pour quelques gènes impliqués dans la voie de biosynthèse des lignines. À titre d’exemple, la dérégulation partielle d’un gène de la voie de biosynthèse des
monolignols diminue de 10 % la quantité de lignines
et améliore de 10 % la digestibilité des parois de la
partie verte de la plante.
Transgenèse
Comme outil de validation fonctionnelle, et outre la
dérégulation par mutagenèse d'insertion, la transgenèse est aussi un outil remarquable. Les objectifs
sont les mêmes, avec en revanche quelques spécificités et complémentarités. Si la mutagenèse insertionnelle génère le plus souvent des inactivations
partielles ou totales et récessives, la transgenèse permet des inactivations (ARNi), mais aussi des surexpressions de gènes. Dans les deux cas, la
modification par transgenèse est dominante, ce qui
permet l’évaluation de son effet dans le cadre de
croisements où un seul des parents est modifié ; en
résumé les analyses génétiques peuvent être réalisées plus rapidement.
Par ailleurs, la transgenèse permet une surexpression
ou une inactivation de gène candidats sous le contrôle
de promoteurs gouvernant des expressions constitutives ou spécifiques à certains organes de la plante
et ou à des stades de développement bien définis. La
surexpression pourra par exemple être recherchée
lorsque la mutation insertionnelle d’un gène induit
un problème de développement de la plante et ne
permet donc pas des conclusions sur le rôle du gène
dans le caractère étudié. L’inactivation par transgenèse est également un outil puissant lorsque le gène
d’intérêt est dupliqué sur le génome. En effet, dans
ce cas, la transgenèse permettra une inactivation des
deux gènes simultanément, ce qui n’est pas le cas
pour la mutagenèse d’insertion. En conclusion, les
deux approches de validation fonctionnelle que sont
la transgenèse et la génétique inverse sont très complémentaires et l’identification des gènes clés passe
par la mise en œuvre de ces processus, y compris
l’évaluation au champ des plantes modifiées.
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Maïs mutant à nervure brune (à gauche), en comparaison avec un maïs normal (à droite).
Validation fonctionnelle
et stratégies de sélection
L'objectif de la validation fonctionnelle est clairement d’identifier les gènes jouant un rôle majeur
dans le contrôle du caractère agronomique. Le processus d’amélioration variétal est un processus récurrent qui sélectionne les allèles les plus adaptés pour
ces gènes cruciaux et les meilleures combinaisons de
ces allèles. Le projet de génomique amène progressivement la séquence de plusieurs dizaines de gènes
en relation avec le caractère de valeur alimentaire
du maïs ensilage. Ainsi des marqueurs moléculaires
pourront être développés sur ces gènes et utilisés en
sélection indirecte avec à la clé une accélération
du progrès génétique.
Dans les paragraphes suivants, des travaux d’évaluation de la variabilité allélique et d’études d’association entre cette variabilité allélique (variabilité
au niveau du gène) et variabilité phénotypique (valeur
pour le caractère de génotypes représentant la biodiversité de l’espèce) seront exposés. La mise en œuvre
de cette méthodologie vise deux objectifs. De façon
similaire aux démarches présentées ci-dessus, il s’agit
d'abord d’une méthode de validation fonctionnelle
(même si la démonstration n’est pas aussi stricte). De
plus, le processus génère une description de la variabilité génétique disponible et hiérarchise les différents allèles en fonction de leur effet sur le caractère.
En cela, cette méthode est un travail de mise en place
de marqueurs moléculaires (outil de diagnostic) qui
pourront être directement utilisés par l’améliorateur
de l’espèce (le sélectionneur).
Schématiquement, on peut par ailleurs classer l’utilisation des marqueurs en amélioration des plantes
en trois grands pôles, avec le recensement de la bio-
diversité et la recherche de nouveaux allèles pour
des gènes importants, puis la description de la composition allélique du matériel utilisé par le sélectionneur, permettant de choisir en fonction de cette
composition allélique les croisements à effectuer
entre géniteurs pour l’obtention d’un progrès génétique optimal, et enfin le tri du matériel en ségrégation dans le processus de sélection. Ces éléments
ne sont pas développés dans le cadre de cet article
car ils correspondent à un sujet a part entière.
Variabilité allélique des gènes ZmPox3,
COMT, CCoAOMT2 et digestibilité du
maïs fourrage
Pour contribuer à la validation de la peroxydase
ZmPox3 en tant que gène candidat potentiel sous le
QTL de la région 6.06, un travail de séquençage complet du gène a été entrepris sur une collection de
31 lignées présentant des valeurs alimentaires
variables et représentant une large gamme de la variabilité génétique utilisée en sélection. Le gène ZmPox3
est un petit gène avec deux introns, dont la partie
codante comprend 357 paires de bases. Cinq modifications affectant une seule base nucléotidique (SNP,
single nucleotide polymorphism) et entraînant un
changement d'un acide aminé dans la protéine correspondante ont été trouvées, ainsi qu'une insertion
d'un élément MITE (miniature inverted-repeat transposable element, élément transposable miniature) de
321 pb au début du second exon (4).
Cette insertion induit la création d’un codon stop et
conduit alors à une protéine putative tronquée réduite
à 137 acides aminés (figure 2). Des analyses de profil d'expression du gène ZmPox3 chez une lignée de
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(4) Guillet-Claude C et al.
(2004) BMC Genetics 5, 19
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*4 Situation dans laquelle
deux allèles correspondant
à différents sites chromosomiques sont hérités en
commun dans un groupe
d’individu plus souvent que
ce que ce qui est attendu
par hasard.
maïs normale et une lignée portant l'insertion MITE
confirment l'absence d'expression du gène portant
l'insertion MITE. L'association statistique entre la
présence du MITE et la digestibilité des parois est
apparue significative au seuil statistique de 3 % sur
la population de 31 lignées, les lignées portant l'insertion MITE ayant ainsi une digestibilité plus élevée que les lignées ne la portant pas. Ces résultats
permettent de considérer que la peroxydase ZmPox3
est bien impliquée dans la lignification chez le maïs,
et qu'une absence d'activité de la protéine conduit à
une lignification d'un type différent avec corrélativement une meilleure digestibilité (ce résultat est protégé par le brevet PCT/FR2004/000569 déposé par
Genoplante Valor).
Un polymorphisme de type indel (insertion/délétion) de 18 pb a également été mis en évidence au
début du premier exon de la CCoAOMT2 pour les
différentes lignées également étudiées pour la peroxydase ZmPox3. Cet indel ne génère pas de codon
stop, mais affecte la séquence en acides aminés
de l’enzyme et il est apparu significativement lié
à la digestibilité au seuil statistique de 4 %.
Concernant le gène de la COMT, il n'a pas été mis
en évidence d'association significative entre des
Figure 2 L’insertion d’un transposon dans le gène ZmPox3
Elle entraîne l’apparition d’un codon stop et donc la production d’une protéine tronquée
modifications SNP au sein des parties codantes du
gène. En revanche, une association significative au
seuil de 0,2 % a été trouvée entre une délétion
d'une paire de base au sein du seul intron de ce
gène, et la digestibilité.
Là encore, l'existence d'une association significative
entre une modification de la séquence du gène et une
variation de digestibilité ne doit pas amener à
conclure à une relation de cause à effet dans tous les
cas. Si l'insertion conduit comme dans le cas de
ZmPox3 à une protéine putative tronquée, qu'il n'y
pas d'expression du gène retrouvée, et que le gène
est très probablement impliqué dans la polymérisation des monolignols, il y a effectivement alors une
probabilité élevée pour une relation de cause à effet.
Toutefois, dans tous les cas, on ne peut à ce stade
complètement exclure un déséquilibre de liaison*4
avec un autre gène proche qui serait la source de
variation. Un tel déséquilibre est d'ailleurs d'autant
plus probable que l'effectif des lignées étudiées est
plus faible. Le facteur expliquant la digestibilité ne
serait pas le SNP ou l'indel observé, mais une variation relativement proche et liée, qui se situerait soit
dans une région régulatrice du gène, soit dans un
autre gène proche.
Confirmation de l'intérêt
d'une peroxydase ZmPox3 dérégulée
et historique de l'allèle muté
Le MITE de la peroxydase ZmPox3 a été trouvé en
premier dans une lignée (F7012) qui avait été sélectionnée à l'Inra de Lusignan à la fois pour sa bonne
productivité en croisement en plante entière et pour
sa bonne digestibilité. L'insertion MITE a alors été
recherchée dans les lignées parentales de F7012, et
il a été montré que l'origine du MITE se situait dans
la lignée F7.
Cette lignée, originaire de l'écotype français Lacaune,
a été très utilisée dans les précoces de la fin des années
1950 au début des années 1980. Cette lignée a également été très utilisée en sélection et de nombreuses
lignées plus récentes comportent la lignée F7 dans
leur généalogie. Il a ainsi été possible de rassembler une collection de 25 lignées apparentées à F7,
dont 11 avaient l'insertion MITE dans la peroxydase
Zmpox3, et 14 ne l'avait pas conservée. Sur une
échelle de digestibilité de 1 (faible) à 5 (élevée), les
lignées portant l'insertion avaient une digestibilité
moyenne de 3.9 tandis que les lignées qui ne la portaient pas avaient une digestibilité de 2.7. Cette différence était largement significative.
L'insertion MITE dans la peroxydase ZmPox3 a
ensuite été recherchée dans un ensemble de 372
lignées représentatif de l'ensemble de la diversité
génétique du maïs utilisée en sélection depuis plus
de 50 ans. Il est alors apparu que cette insertion était
un événement extrêmement rare, puisque qu'elle n'a
été retrouvée que dans quatre lignées non apparentées à F7 sur les 372 lignées étudiées. Deux de ces
lignées sont des lignées des États-Unis, et deux autres
sont des lignées italiennes. Cette insertion a par
ailleurs été trouvée dans un écotype à grain corné
du Québec.
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Quand on recherche cette insertion dans l'écotype
Lacaune au sein duquel a été autofécondée et fixée
la lignée F7, il apparaît que les trois-quarts des
plantes portent le MITE à l'état hétérozygote ou
homozygote. Ceci conforterait la base génétique très
étroite qui a donné naissance à l'écotype Lacaune.
La présence d'une insertion MITE, identique à celle
trouvée dans la lignée F7 ou dans des plantes de l'écotype Lacaune, dans des lignées des États-Unis et dans
un écotype québécois, montre que cet événement est
très probablement antérieur à l'introduction du maïs
en Europe.
Par ailleurs, la présence de cette insertion dans deux
lignées italiennes conforterait la « tradition orale »
sur l'origine de l'écotype Lacaune. En effet, le recueil
de témoignages avait permis de considérer que cet
écotype proviendrait d'un « sac de graines » de maïs
apporté par un émigrant italien venu chercher du
travail dans les fermes de cette région du Tarn.
Génomique et ressources génétiques
Un sélectionneur doit assurer plusieurs démarches
simultanées. Il doit d’une part assurer le progrès
génétique à court terme en s’appuyant sur une diversité génétique élite et la physiologie des caractères
d'intérêt agronomique. D’autre part, pour atteindre
ses objectifs à moyen et long termes, il doit intégrer
dans ses projets de sélection, une nouvelle variabilité
allélique notamment en exploitant les ressources
génétiques.
Ceci étant, une ressource génétique, qui existe comme
un ensemble de gènes résultant de pressions évolutives naturelles ou humaines, n’a pas d’intérêt en soi
pour le sélectionneur. Un écotype ne devient une ressource génétique pour l’amélioration du maïs fourrage qu’à deux conditions. Il faut d’abord qu’un
intérêt spécifique y ait été mis en évidence, ce qui suppose qu’il existe un ou des critères utilisables sur de
grands effectifs, et parmi ceux-ci l'identification d'allèles favorables est un outil de choix. Il faut ensuite
qu’il soit possible de transférer cette caractéristique
nouvelle au matériel élite, sans association de caractères défavorables, sans dépréciation du matériel élite.
En conséquence, une ressource génétique n’existe
pas à l’état « naturel » pour les maïs cultivés, mais
elle doit être construite par le sélectionneur. Les
projets de génomique lui fournissent des outils
moléculaires, qui lui permettent d’accéder à la
diversité génétique directement au niveau de chacun des gènes et non plus seulement à travers le
résultat global de l'expression de l’ensemble des
gènes d’un génome.
Les maïs des décennies à venir seront en effet autant
construits allèle par allèle que sélectionnés après des
mesures globales consécutives à des essais au champ.
Le maïs fourrage de demain, avec une génétique spécialisée « maïs fourrage » sera une plante rustique,
productive, bien intégrée dans l’environnement, ayant
une valeur énergétique élevée. La compréhension des
bases physiologiques et biochimiques, à travers les
outils de la génomique, de ce qui fait la valeur alimentaire du maïs fourrage offrira des possibilités
considérables de progrès, dans l'intérêt des éleveurs
et des consommateurs. G
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