L’ORIGINE DE LA VIOLENCE : CE QUE RÉVÈLE LA DOCUMENTATION, PARTICULIÈREMENT AU SUJET DES TROUBLES DE SANTÉ MENTALE DES ENFANTS ET DES ADOLESCENTS RÉSUMÉ Ce rapport donne une vue d'ensemble de la violence chez les jeunes selon la comorbidité entre les troubles de santé mentale et les actes de violence. S’il est difficile d’établir avec certitude une correspondance entre le pourcentage des jeunes qui sont violents et le pourcentage des jeunes qui ont un trouble de santé mentale diagnosticable, la documentation montre clairement qu’une proportion élevée de jeunes qui risquent de commettre des actes de violence ont aussi des troubles affectifs ou du comportement diagnosticables. Taux de violence chez les jeunes en Ontario. Avec la circonspection qui s’impose, vu la façon dont les données sur la violence chez les jeunes sont publiées et définies dans un cadre juridique et conceptuel en perpétuel changement, et en s’inspirant de données de Statistique Canada, le rapport permet de conclure ce qui suit : 1. Ces dix dernières années, la criminalité chez les jeunes est restée sensiblement au même niveau ou a même peut-être diminué légèrement. 2. Le taux de criminalité chez les jeunes – en particulier la criminalité assortie de violence – a augmenté quelque peu depuis 25 ans. 3. Le taux de violence chez les jeunes tend à plafonner chez les garçons à l’adolescence et à diminuer avec le temps et l’âge. Cependant, précisons que si le taux de violence ne monte pas en flèche comme beaucoup pourraient s’y attendre, la létalité de la violence est à la hausse, tant chez les jeunes que chez les adultes : les incidents mineurs sont de moins en moins fréquents tandis que le nombre de crimes meurtriers augmente. Corrélats généraux de la violence des jeunes. Pour situer dans leur contexte les liens entre la violence et les jeunes ayant un trouble mental, ce rapport brosse en premier lieu un tableau général des facteurs liés à la violence chez les jeunes, en indiquant les stades de développement où ces facteurs de risque entrent en jeu. Nous parlons, dans l’ensemble, des facteurs suivants : complications de la grossesse et de l’accouchement, troubles affectifs, hyperactivité, difficulté à se concentrer, agitation, prise de risques, agressivité, initiation aux comportements violents et croyances et attitudes favorables aux comportements violents. Il sera plus facile de prévoir la violence chez les jeunes en repérant les facteurs systémiques pouvant agir comme catalyseurs pour les divers facteurs de risque. Il s’agirait notamment de facteurs familiaux : problèmes découlant de la pauvreté, violence, mauvaise relation entre enfant et parent et criminalité chez le parent. De même, les autres enfants peuvent inciter à la violence en encourageant les attitudes et les comportements violents chez les jeunes. Ce sera parfois le fait d’appartenir à un gang qui expliquera ce phénomène : ce genre d’association vient combler, chez certains jeunes, un besoin de pouvoir, de solidarité, de socialisation et d’appartenance, même d’appartenance « familiale ». Dans de telles conditions, les interventions réussissent difficilement. Beaucoup de jeunes entrent en contact avec la violence à l’école, de manière intense dans certains cas. Pour les adolescents, l’école est le milieu de socialisation par excellence, même si les données montrent que dans un grand nombre de cas, l’école n’est pas un endroit sécuritaire pour apprendre. Le harcèlement physique et verbal fréquent peut pousser des jeunes à devenir de plus en plus violents, à former des associations antisociales et à éprouver bien des troubles de santé mentale, comme la consommation de boissons alcoolisées, de même qu’un désarroi psychologique se manifestant par une faible estime de soi, l’insécurité, la dépression, l’anxiété et le suicide. D’après la documentation consultée, certains jeunes sont particulièrement en proie à la violence véhiculée dans la musique, dans les vidéos et dans les jeux vidéo s’ils ont fait l’expérience de la violence au préalable et ont un trouble de santé mentale. Par ailleurs, l’âge du jeune téléspectateur, son sexe, la mesure dans laquelle il ou elle s’identifie avec le personnage violent de même que ses caractéristiques mentales feraient tous partie de l’équation. Pris seuls ou ensemble, ces facteurs peuvent rendre les jeunes plus ou moins susceptibles à la violence qu’ils voient perpétrer. Enfin, concernant les influences systémiques, la documentation analysée traite de l’avantage de vivre en milieu rural ou urbain en ce qui a trait à la violence chez les jeunes. Celle-ci serait liée à la façon dont les jeunes perçoivent le degré de sécurité, de stabilité sociale et de cohésion sociale que leur procure leur communauté immédiate. Les populations de passage, les collectivités où il y a beaucoup de violence manifeste et celles où les études collégiales et universitaires ne sont pas bien vues par la majorité sont perçues comme étant menaçantes et peu stables. Ainsi, savoir où vit une personne jeune permet de mieux évaluer sa propension à la violence et aux troubles de santé mentale. Corrélats de la santé mentale et de la violence des jeunes. L’Étude sur la santé des jeunes Ontariens montre qu’environ une jeune personne sur cinq en Ontario sera atteinte d’un trouble de santé mentale. D’autres études révèlent qu’il en va essentiellement de même dans un grand nombre de cultures. D’après certaines études prospectives, cependant, il est plutôt difficile d’estimer le taux de jeunes qui afficheront tant des troubles mentaux que des tendances violentes. Une étude exemplaire parmi celles-là signale que dans l’ensemble, c’est à des jeunes aux prises avec des troubles mentaux que l’on peut attribuer une grande partie de la violence commise au sein d’une population. Parmi les facteurs liés à la santé mentale et au comportement violent futur des enfants et des adolescents, mentionnons : divers problèmes de comportement, dont l’agressivité précoce, le déficit d'attention, l’agitation et la recherche d’attention; des difficultés affectives correspondant aux symptômes de la dépression : repli sur soi, anxiété, autodévalorisation et isolement; des caractéristiques familiales comme des stratégies parentales négatives, dont la coercition, l’autoritarisme et l’absence de supervision, de même qu’une structure familiale où il y a violence, conflit entre les parents et manque de communication. D’après des études rétrospectives portant sur des jeunes qui ont été accusés de délinquance avec violence, le rapport entre la violence et les troubles de santé mentale est tel que chez les garçons adolescents, 60 p. 100 des jeunes qui se sont fait arrêter pour avoir commis un acte violent avaient un trouble mental. Chez les filles, la proportion est de 65 p. 100. Consommation de drogues et violence chez les jeunes. Les études montrent que l’utilisation de substances illicites par les enfants et les adolescents découle d’une série de circonstances présentes dans les premières années de vie. Il s’agit habituellement de milieux familiaux coercitifs, de stress social, de pauvreté, de mauvais résultats scolaires et de désengagement social. Là encore, il est difficile de démêler les effets de la consommation de drogues des actes de violence, mais la prévision de la violence chez les jeunes correspond à celle de la consommation de drogues. Elle repose sur les facteurs suivants : discipline variable et punitions sévères de la part des parents, supervision minimale du comportement de la jeune personne et de ses allées et venues, groupe d’amis délinquants, dépression, faible estime de soi et mauvais résultats scolaires. On ne peut nier le rapport manifeste qui existe entre la consommation de drogues, la consommation de boissons alcoolisées et les activités violentes. Sexe. Les études sur la comorbidité de la violence montrent que comparativement aux garçons, les filles agressives sont plus nombreuses à être déprimées et à avoir des idées suicidaires. D’après la documentation consultée, chez les filles qui ont obtenu les résultats les plus élevés en matière d’agression, le taux de dépression frôlait les 40 p. 100. De même, ces filles étaient plus nombreuses que les garçons agressifs à avoir un trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention, à consommer de la drogue et à être à risque de se suicider. Plus que chez les garçons, il faut chercher chez les filles violentes des troubles mentaux sous-jacents. Cycle de la violence chez les enfants et les adolescents. Les enfants qui sont maltraités ou exposés à la violence dans leur famille d’origine sont près de deux fois plus susceptibles que les autres enfants et adolescents d’avoir d’importants troubles affectifs ou comportementaux cliniques. Les mauvais traitements infligés aux enfants se perpétuent dans un contexte de violence continue. Non seulement les mauvais traitements sont à l’origine de troubles affectifs graves pour certains jeunes, mais ils se traduisent aussi par un comportement violent chez les enfants qui en sont victimes. Corrélats cognitifs et développementaux de la violence des jeunes. Des études portent sur les conditions dans lesquelles sont représentés dans la documentation sur la violence chez les jeunes ceux qui ont un trouble du développement ou ont un diagnostic des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Bien que limitée, la documentation montre que ces jeunes, qui ne savent pas contrôler leurs impulsions, manquent d’aptitudes sociales et sont incapables d’éviter et de résoudre les conflits, sont plus à risque que les autres de devenir agressifs. Comme c’est le cas pour le cycle de la violence, ces jeunes sont massivement représentés dans les données comme étant des victimes de violence, d’où leur représentation élevée dans les données sur la violence chez les jeunes. Meilleures et nouvelles pistes prometteuses pour les interventions chez les jeunes qui sont violents et qui ont des troubles mentaux. L’analyse porte ici sur l’application auprès des jeunes de pratiques d’intervention du niveau primaire jusqu'au niveau tertiaire. En général, il existe une documentation abondante sur les services qui se sont avérés efficaces pour réduire les risques chez les jeunes qui ont un trouble mental et qui sont agressifs. Ces pratiques exemplaires sont utiles à diverses étapes du continuum des soins primaires, secondaires et tertiaires. Sans en faire l’inventaire exhaustif, la documentation répertorie des programmes en fonction des données probantes dont ils font état, gage de leur succès. Les services efficaces reposent sur des principes directeurs communs, dont les suivants : ils sont ciblés, empiriques, tiennent compte des multiples manières dont les troubles de santé mentale et la violence des jeunes sont liés, sont conçus en fonction du sexe et du stade de développement et sont sensibles aux défis que pose la mise en œuvre de services. Orientations futures pour la recherche sur la violence chez les jeunes Certains aspects de la violence et des troubles de santé mentale chez les jeunes mériteraient d’être étudiés plus en profondeur. Mentionnons les suivants : 1. Aspects du développement se rapportant au risque, aux troubles de santé mentale et à la violence chez les jeunes. Ainsi, les interventions pourraient être mieux ciblées en fonction de facteurs précis à des stades critiques du développement des enfants et des adolescents en ce qui concerne l’apparition de troubles de santé mentale et une plus grande propension aux actes de violence chez certains jeunes. 2. Compréhension de la résilience des jeunes vivant au sein de familles ou de populations à haut risque et des facteurs qui leur offrent une forme de protection. Le présent rapport a mis en évidence certains facteurs systémiques pouvant faire augmenter la probabilité de violence chez les jeunes, mais ceux-ci ne réagissent pas tous de la même façon aux facteurs de risque. Il existe peut-être des facteurs de protection jusqu’ici inconnus auxquels les fournisseurs de services pourraient recourir pour réduire la vulnérabilité de certains jeunes à risque élevé. 3. Risque de violence chez les jeunes ayant des troubles de développement et des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. La recherche à ce sujet est plutôt limitée, surtout en ce qui concerne les services qui pourraient aider à réduire la violence au sein de ce groupe. 4. Lien entre la violence et le sexe des jeunes personnes. Pour bien des raisons, les filles qui ont un comportement violent sont plus à risque que les autres d’éprouver des problèmes de santé mentale. De plus en plus de programmes destinés aux filles voient le jour et il est essentiel que des chercheurs se penchent sur leur efficacité. 5. Intervention auprès de gangs. Il faut des services intensifs dans divers secteurs, mais la coordination de projets à l’échelle communautaire est difficile pour plusieurs raisons. Il faut mener des recherches sur la meilleure façon de coordonner des services intersectoriels qui nécessitent souvent une collaboration entre des intervenants des milieux de l’éducation, de la police, des services sociaux, de la santé publique, du logement, de l’emploi et des loisirs, sans perdre de vue que ce sont les jeunes et la collectivité qui sont les principaux intéressés. 6. Composantes des programmes de réduction de la violence des jeunes. Jusqu’ici, la recherche a porté sur des projets pilotes dans le cadre desquels des services ont été offerts de façon intensive, puis évalués. Or, on ne s’est pas encore beaucoup intéressé aux conditions qui permettraient d’appliquer dans d’autres collectivités des programmes pilotes qui se sont avérés efficaces. Des études sur la nature « transférable » des pratiques exemplaires seraient d’une grande utilité pour promouvoir l’application de services de traitement fondés sur des données probantes dans d’autres provinces et territoires. Signalons en outre la nécessité de trouver des moyens plus efficaces de diffuser l’information existante sur la recherche qui a été réalisée au sujet des pratiques exemplaires dans le domaine de la violence chez les jeunes. Les connaissances approfondies que nous possédons au sujet de la violence et des troubles de santé mentale au sein de ce segment de la population doivent être mises à la disposition des fournisseurs de service qui seront chargés d’appliquer ce savoir, et cela représente un défi de taille. La diffusion du savoir est donc la première étape à franchir pour réaliser des progrès à ce chapitre. Jusqu’ici, on n’a pas évalué de pratiques exemplaires pour la mise en commun de connaissances dans le but d’arriver à une compréhension généralisée des risques, de l’utilité des programmes et de l’application. On a certes recours à des modèles variés comme la « formation des formateurs », les portails Web centralisés d’échange de connaissances et les consultations dirigées par des experts, mais aucune de ces formules n’a encore été évaluée. Des études à ce sujet sont indispensables si l’on veut que les connaissances actuelles soient mises en pratique dans le cadre des programmes offerts en matière de violence et de troubles de santé mentale chez les jeunes.