II. Étude de document
En novembre 1945, Simone de Beauvoir accompagne Jean-Paul Sartre
aux États-Unis. Ce dernier a été invité en tant que reporter du journal
résistant Combat à visiter le pays. Beauvoir et Sartre sont des philosophes et
écrivains de sensibilité communiste.
Simone de Beauvoir raconte son premier voyage aux États-Unis en 1945
Ça signifiait tant de choses L'Amérique ! et d'abord, l'inaccessible ;
jazz, cinéma, littérature, elle avait nourri notre jeunesse, mais aussi elle avait
été un grand mythe : un mythe ne se laisse pas toucher. La traversée devait se
faire en avion ; il semblait incroyable que l'exploit de Lindbergh¹ fût
aujourd'hui à notre portée. L’Amérique, c'était aussi la terre d’où était venue la
délivrance, c'était l'avenir en marche ; c'était l'abondance et l’infini des
horizons ; c’était un tohu-bohu d’images légendaires : à penser qu’on pouvait
les voir de ses yeux, on avait la tête tournée. [...] La luxuriance américaine me
bouleversa : les rues, les vitrines, les voitures, les chevelures et les fourrures,
les bars, les drugstores, le ruissellement du néon, les distances dévorées en
avion, en train, en auto, en Greybound², la changeante splendeur des paysages
–des neiges du Niagara aux déserts enflammés de l’Arizona-, et tous les gens
de tant d'espèces avec qui je parlais à longueur de jours et de nuits […]. J'étais
prête à aimer l'Amérique ; c'était la patrie du capitalisme, oui mais elle avait
contribué à sauver l’Europe du fascisme ; la bombe atomique lui assurait le
leadership du monde et la dispensait de rien craindre.
Simone de Beauvoir, La Force des choses, éditions Gallimard, 1963.
1. Lindbergh, un Américain, est le premier aviateur a avoir traversé l'Atlantique en avion en
1927.
2. Autocars long-courriers.