Document 3 : Fiction et réalité de la condition féminine.
Certes, à y bien réfléchir, Cléopâtre devait avoir des façons à elle ; Lady Macbeth, on
peut le supposer, avait sa volonté ; Rosalinde, pourrait-on croire, était une jeune fille
charmante... Quand on n'est pas un historien, on peut même aller plus loin et dire que les
femmes flamboient comme des phares dans les œuvres de tous les poètes depuis
l'origine des temps [ ... ] .
Un être étrange, composite, fait son apparition. En imagination, elle est de la plus haute
importance, en pratique, elle est complètement insignifiante. Elle envahit la poésie d'un
bout à l'autre ; elle est, à peu de chose près, absente de l'Histoire. Dans la fiction, elle
domine la vie des rois et des conquérants ; en fait, elle était l'esclave de n'importe quel
garçon dont les parents avaient exigé qu'elle portât l'anneau à son doigt. Quelques-unes
des pensées les plus profondes de la littérature tombent de ses lèvres ; dans la vie
pratique, elle pouvait tout juste lire, à peine écrire, et était la propriété de son mari.
Virginia Woolf (1882-1941)
Une chambre à soi, 1929
Document 4 : En publiant le Deuxième sexe en juin 1949 (elle a alors 37 ans), Simone de Beauvoir donna
naissance au mouvement féministe moderne. Ce livre fut même mis à l’Index par le Vatican. Principe
révélateur, elle fut toujours considérée comme la “compagne” de Jean-Paul Sartre alors qu’il ne vient à
l’esprit de personne de dire “Jean-Paul Sartre, compagnon de Simone de Beauvoir”. Pourtant, l’œuvre
philosophique de Simone de Beauvoir est, au final, peut-être plus importante dans l’histoire de la pensée et
de la civilisation occidentale que celle de Jean-Paul Sartre.
Les femmes d'aujourd'hui sont en train de détrôner le mythe de la féminité; elles
commencent à affirmer concrètement leur indépendance ; mais ce n'est pas sans peine
qu'elles réussissent à vivre intégralement leur condition d'être humain. Élevées par des
femmes, au sein d'un monde féminin, leur destinée normale est le mariage qui les
subordonne encore pratiquement à l'homme ; le prestige viril est encore loin d'être
effacé : il repose encore sur de solides bases économiques et sociales. Il est donc
nécessaire d'étudier avec soin le destin traditionnel de la femme. Comment la femme fait-
elle l'apprentissage de sa condition, comment l'éprouve-t-elle, dans quel univers se
trouve-t-elle entérinée, quelles évasions lui sont permises, voilà ce que je chercherai à
décrire. Alors seulement nous pourrons comprendre quels problèmes se posent aux
femmes qui, héritant d'un lourd passé, s'efforcent de forger un avenir nouveau. Quand
j'emploie les mots «femmes» ou «féminin», je ne me réfère évidemment à aucun
archétype, à aucune immuable essence ; après la plupart de mes affirmations il faut
sous-entendre «dans l'état actuel de l'éducation et des mœurs». Il ne s'agit pas ici
d'énoncer des vérités éternelles mais de décrire le fond commun sur lequel s'élève toute
existence féminine singulière.
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-077 : “L’être humain, la femme et l’homme” - 01/02/2003 - page 5