Les avancées de la recherche sur le SIDA Sciences et Société fondée par Alain Fuchs et Dominique Desjeux et dirigée par Bruno Péquignot Déjà parus Raymond MICOULAUT, Le Temps, L’Espace, La Lumière, 2011. S. CRAIPEAU, G. DUBEY, P. MUSSO, B. PAULRÉ, La connaissance dans les sociétés techniciennes, 2009. François LAROSE et Alain JAILLET, Le numérique dans l’enseignement et la formation. Analyses, traces et usages, 2009. Martine QUINIO BENAMO, Probabilités et statistique aujourd’hui. Nouvelle édition 2009, 2009. Sezin TOPÇU, Cécile CUNY, Kathia SERRANO-VELARDE (dir), Savoirs en débat. Perspectives franco-allemandes, 2008. Jean-David PONCI, La biologie du vieillissement, une fenêtre sur la science et sur la société, 2008. Michel WAUTELET, Vivement 2050 ! Comment nous vivrons (peut-être) demain, 2007. Claude DURAND, Les biotechnologies au feu de l’éthique, 2007. Bruno PINEL, Vieillir, 2007. Régis MACHE, La personne dans les sociétés techniciennes, 2007. Alain GUILLON, Une mathématique de la personne, 2005. Marie-Thérèse COUSIN, L’anesthésie-réanimation en France, des origines à 1965. Tome I : Anesthésie. Tome II : Réanimation. Les nouveaux professionnels, 2005. Fernand CRIQUI, Les clefs du nouveau millénaire, 2004. Karine ALEDO REMILLET, Malades, médecins et épilepsies, une approche anthropologique, 2004. Claude DURAND (sous la dir.), Regards sur les biotechnologies, 2003. Pierre-Yves MORVAN, Dieu est-il un gaucher qui joue aux dés ?, 2002. Jacques ARSAC, Y a-t-il une vérité hors de la science ? Un scientifique s’aventure en philosophie, 2002. Olivier PLESKOFF Les avancées de la recherche sur le SIDA Préface de Françoise Barré-Sinoussi L’Harmattan © L’HARMATTAN, 2011 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-55330-9 EAN : 9782296553309 « Le SIDA se transmet par le sperme et par le sang. La prévention se transmet par la bouche, les yeux et les oreilles. La solidarité se transmet par le coeur ». Philippe Geluck, Le tour du chat en 365 jours. Préface Près de trois décennies après la découverte du VIH, les avancées réalisées par la recherche dans la connaissance du virus et de sa pathogenèse ont permis des progrès majeurs dans le traitement et la prise en charge des patients séropositifs ainsi que dans le développement d’outils de prévention. Depuis la mise sur le marché de l’AZT en 1987 de nombreuses molécules antirétrovirales ont été développées, et leur utilisation combinée s’est avérée extrêmement efficace pour bloquer la réplication du VIH et favoriser la reconstitution immunitaire des patients. Grâce à ces traitements, il n’y a quasiment plus aucune transmission de la mère à l’enfant au Nord. Pour les patients qui ont la chance d’en bénéficier, l’infection, autrefois mortelle, est devenue chronique. Pour autant la bataille contre le VIH/SIDA est loin d’être gagnée. La science doit encore surmonter de nombreux obstacles pour répondre aux enjeux cliniques et aux défis de la prévention posés par cette infection. Comment réduire l’activation immunitaire des patients, déterminant majeur de la progression vers le SIDA ? Quels mécanismes précoces permettent au VIH d’établir des réservoirs inaccessibles aux traitements actuels ? Quels facteurs influencent l’augmentation significative de cancers, de maladies cardiovasculaires, de complications métaboliques et le vieillissement général accéléré, qu’on observe aujourd’hui chez les patients traités au long cours ? Comment mieux prendre en charge les co-infections au VIH et à d’autres agents pathogènes comme la tuberculose, les hépatites ou le paludisme, très répandues et extrêmement meurtrières pour les patients, notamment dans les pays du Sud ? La réponse à toutes ces questions nécessite une meilleure connaissance des interactions complexes entre le virus et les cellules de l’hôte pour développer de nouvelles stratégies thérapeutiques plus performantes et moins nocives pour les patients. C’est également d’une meilleure compréhension de la pathogenèse du VIH que nous tirerons des enseignements utiles pour la recherche de nouveaux moyens de prévention avec en ligne de mire l’espoir qu’un jour, nous aurons acquis suffisamment de connaissances pour développer un vaccin préventif. Aujourd’hui, nous savons que dans les premiers jours, voire les premières heures, qui suivent l’infection, le virus perturbent irrémédiablement la capacité de notre système immunitaire à déclencher une réponse efficace. De la connaissance de ces mécanismes très précoces de l’infection, notamment en liaison avec l’immunité innée, nous pourrons espérer empêcher la transmission, la dissémination du virus, l’établissement de réservoirs viraux et les effets délétères du virus sur notre réponse immune. Les priorités en matière de VIH/SIDA sont donc nombreuses et l’urgence reste pressante pour enrayer l’épidémie qui continue d’affecter 2,7 millions de personnes chaque année et en tue 2,5 millions d’autres. En 9 vulgarisant les résultats scientifiques les plus récents, Olivier Pleskoff permet à tous de mieux comprendre les enjeux actuels de la recherche sur le VIH mais aussi d’appréhender l’étendue et la complexité des défis que les chercheurs doivent relever pour un jour vaincre le SIDA. Je ne peux que saluer cette belle initiative qui contribue à l’information nécessaire que la communauté scientifique se doit d’apporter au grand public. Professeur Françoise Barré-Sinoussi Lauréate du Prix Nobel de Médecine 2008 10 Introduction De plus en plus de personnes s’intéressent aux résultats de la recherche sur le SIDA, à plus forte raison parce qu’elles aident et financent cette recherche. Les associations de malades, les professeurs du lycée et de l’université et les journalistes répondent bien sûr à cette attente mais ils le font avec des objectifs précis et pragmatiques : améliorer le quotidien des malades, informer les jeunes des modes de transmission… Ces motivations sont justifiées, utiles et nobles. Cependant, elles ne rendent pas nécessairement compte des problématiques les plus techniques, apparemment éloignées du quotidien des malades et du grand public. Des recherches vraisemblablement abstraites et pointilleuses peuvent un jour s’avérer très fécondes, non seulement pour la science, mais en l’occurrence pour la médecine. SIDABLOG est une association créée en 2009 dans le but de rendre accessibles les recherches sur le SIDA car il apparaît nécessaire de vulgariser les résultats les plus récents. Pour cela, SIDABLOG s’appuie principalement sur les publications les plus reconnues. En effet, les revues scientifiques représentent l’expression privilégiée de la recherche fondamentale et appliquée. Elles garantissent le niveau des travaux exposés par les chercheurs grâce au processus de validation par les pairs et permettent de suivre les développements récents. La vulgarisation scientifique de ces articles constitue un moyen efficace de communication auprès d’un large public sensibilisé à la recherche, comme par exemple les médecins, les malades, les étudiants ou les militants associatifs. Il s’agit de rendre compte des avancées scientifiques récentes et de leur impact sur le SIDA en exposant de manière claire, didactique et précise leurs résultats. C’est dans cet esprit que SIDABLOG met en ligne régulièrement des lettres d’information. Ce livre regroupe les principaux articles récents. Ils traitent successivement de l’épidémiologie et de la prévention, de la recherche de vaccin et de l’immunopathologie et des recherches génétiques sur le VIH. Ils envisagent également son évolution, sa structure et les pistes thérapeutiques ouvertes par toutes ces nouvelles connaissances. Pour faciliter davantage la lecture, un lexique spécifique est proposé à la suite de ces articles. Aujourd’hui près de 33 millions de personnes sont en effet infectées. Ce chiffre tend à se stabiliser depuis 6 ans grâce aux efforts de prévention et de soin (I.1). Ce combat doit encore être intensifié car le nombre de nouvelles infections est bien supérieur à celui des personnes qui commencent un traitement. Deux tiers des personnes infectées vivent en Afrique sub- 11 saharienne mais la situation peut être contrastée dans certains pays notamment aux USA (I.2). Le dépistage bien entendu est le meilleur frein à l’épidémie. Les tests rapides du VIH sont les solutions les plus efficaces et les moins coûteuses pour dépister le virus (I.3). Ils sont particulièrement utiles pour les femmes sur le point d’accoucher. On sait aussi que les hommes circoncis sont deux fois moins contaminés par le VIH (I.4), alors que les femmes restent vulnérables à l’infection (I.5). Toutefois, une étude rendue publique à la conférence internationale de Vienne en 2010 révèle, pour la première fois, l’effet partiellement protecteur d’un gel microbicide (I.6). Ces travaux constituent un grand espoir pour les femmes dont les partenaires sexuels refusent le préservatif. Toutefois cette approche préventive doit être approfondie et des recherches sont en cours (I.7). De même, on a montré pour la première fois, chez des hommes homosexuels, qu’un traitement avant l’exposition au virus a des effets partiellement protecteurs (I.8). Ces résultats sont très encourageants et montrent que la prophylaxie préventive doit être sérieusement envisagée. La transmission du virus par la mère touche encore près d’un enfant sur dix dans les pays pauvres alors qu’elle a pratiquement disparu dans les pays riches. Pour la prévenir, différentes mesures doivent être prises : des médicaments antirétroviraux sont administrés avant et après l’accouchement, on recourt à des césariennes et on préfère le lait de substitution car le virus peut se transmettre dans l’utérus, pendant l’accouchement ou par l’allaitement. On peut traiter la mère ou l’enfant mais pour ce dernier les médicaments semblent plus efficaces (I.10). Il reste à préciser quels seraient les résultats en traitant les deux. Bien que certains laits maternels contiennent des composés anti-VIH, les mères séropositives auraient cependant intérêt à ne pas allaiter (I.11). Néanmoins, cette décision se heurte à des contraintes économiques et prive les nourrissons d’autres vertus du lait. De plus, la co-infection par le paludisme serait un facteur favorisant la transmission du virus par la mère (I.12). Bien sûr, tous souhaitent un vaccin efficace. Cela constituerait la solution radicale de lutte contre le SIDA. Mais à ce jour, les essais vaccinaux se sont révélés inefficaces ou faiblement protecteurs. En 2007, l’essai de vaccination STEP a été interrompu du fait de son inefficacité. On comprend mieux aujourd’hui les raisons de cet échec (II.1). A la fin de l’année 2009, les résultats d’un essai réalisé sur 16 000 Thaïlandais ont montré pour la première fois un effet partiellement protecteur et ce niveau reste insuffisant pour lutter efficacement contre la pandémie (II.2). Des études de laboratoire montrent maintenant que de nouveaux vaccins pourraient augmenter l’efficacité des réponses immunitaires (II.3, II.4). Même si ces résultats sont encourageants, la communauté scientifique s’accorde à penser que le système immunitaire et ses interactions avec le 12 VIH doivent être mieux compris pour concevoir un vaccin susceptible de prévenir l’infection ou de contrôler la réplication virale. C’est pourquoi beaucoup de recherches sont menées en ce sens. On sait ainsi que la transmission par voie sexuelle reste le mode de contagion le plus fréquent. Mais si l’on savait déjà que les virus libres et les cellules infectées jouent un rôle, il apparaît que les virus associés aux spermatozoïdes participent également à la contamination (II.5). On connaît aussi mieux la façon dont le VIH pénètre dans l’organisme. Le franchissement de la barrière muqueuse est une étape décisive pour l’établissement d’une nouvelle infection. C’est pourquoi le virus a développé une stratégie pour infecter efficacement l’organisme. Sitôt en contact avec la muqueuse vaginale, le VIH provoque la synthèse par certaines cellules saines d’une substance grâce à laquelle il pourra se disséminer dans l’organisme (II.6). Plus généralement, le VIH semble perméabiliser les barrières de l’organisme. On pense que le VIH détériore la paroi intestinale, mais aussi la muqueuse vaginale libérant ainsi dans le sang des substances bactériennes (II.7). Elles seraient responsables de l’activation du système immunitaire puis de l’immunodéficience. Le virus développe d’autres stratégies encore et son inventivité en la matière est impressionnante. Notamment, il détourne les signaux de l’immunité à son avantage. Ainsi, on sait aujourd’hui que pour se répliquer efficacement dans les cellules dendritiques, le VIH utilise certains récepteurs et leurs signaux nécessaires à la reconnaissance des agents pathogènes (II.8). De même, il s’est adapté pour mieux circuler et rejoindre l’intestin où il se multiplie (II.9). On ne peut donc qu’être impressionné par la multiplicité des tactiques du virus pour attaquer l’organisme. Des chercheurs pensent ainsi que le virus provoque une production spécifique d’anticorps que l’organisme va de luimême être obligé de réduire (II.10). Plus généralement, le virus paralyserait les cellules infectées. Des chercheurs allemands ont observé que la protéine virale Nef inhibe la mobilité cellulaire (II.11). Le virus agit chaque fois que c’est possible et détruit le système immunitaire à tous les niveaux. Cette entreprise est aujourd’hui mieux connue dans son détail (II.12, II13). Ainsi, si les communications de cellule à cellule sont essentielles pour que le système immunitaire puisse générer une réponse protectrice, on sait depuis peu que le VIH-1 utilise ces connexions immunitaires pour se diffuser. La protéine virale Nef qui a pour fonction d’être immunosuppressive, pourrait intervenir dans ces transports intercellulaires (II.14). Cette dernière s’avère aussi altérer le dynamisme de la membrane cellulaire. Les cellules immunitaires se trouvent ainsi à un niveau d’activité surélevée (II.15) et s’épuisent inutilement pour finalement se détériorer. 13 Certes, les organismes mammifères possèdent de nombreux outils pour lutter contre les virus. Notamment, ils disposent de certaines protéines dites « facteurs de restriction » qui les protègent des infections virales. Ainsi, le corps humain a développé de nombreuses molécules pour combattre cet envahisseur comme APOBEC3G (II.16), Téthérine (II.17, II.18), TRIM5' (II.19) et certains lymphocytes de l’intestin sont dotés de moyens spécifiques de protection (II.20). Plus précisément, l’organisme a mis en place des réponses immunitaires spécifiques. Toute personne infectée par le VIH développe en effet des anticorps. Les plus efficaces, ceux qui bloquent le VIH et l’empêchent de se reproduire, sont dits « neutralisants ». On en compte jusqu’à 50 par malade qui empêchent le virus de pénétrer dans les cellules saines (II.21). D’autres facteurs jusque-là mal repérés sont maintenant reconnus pour leur rôle dans cette lutte. Notamment, l’Interleukine-21 pourrait contrôler nos défenses contre le VIH (II.22). Les lymphocytes T CD4+ auraient des actions beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pensait jusqu’alors et les lymphocytes T CD8+ (LTCD8+) produisent un facteur soluble capable de provoquer la sécrétion d’interférons par les macrophages (II.23, II.24, II.25). Parmi les molécules les mieux connues aujourd’hui, on sait qu’APOBEC3G active aussi la réponse immunitaire spécifique contre le VIH (II.26). On sait aussi comment le virus a développé des mécanismes qui freinent sa dégradation et la mise en place de la réponse immunitaire (II.27). Bien entendu, les résultats peu concluants des essais vaccinaux récents mettent au centre de la discussion les recherches fondamentales sur les anticorps (II.28, II.29). On veut aujourd’hui mieux les comprendre pour les rendre plus efficaces. On sait ainsi que si la plupart des anticorps anti-VIH sont dirigés contre sa partie externe et l’empêchent de pénétrer dans les cellules, certains provoquent la sécrétion de substances antivirales (II.30). Certains peuvent être obtenus en utilisant des parties modifiées d’une structure particulière de l’enveloppe virale (II.31). C’est pourquoi, même si l’on est encore loin de posséder un vaccin préventif, la production d’un vaccin curatif est en revanche envisageable (II.32, II.33). On a ainsi découvert des anticorps capables non seulement de bloquer le virus, mais encore aptes à reconnaître un large spectre de souches virales (II.34). Aussi, on comprend aujourd’hui comment modifier l’enveloppe virale pour la rendre plus fragile face à ces anticorps (II.35). On sait également qu’une combinaison d’adjuvants pourrait stimuler efficacement la réponse immunitaire antivirale non spécifique (II.36). Toutes ces recherches bénéficient aussi des découvertes de la génétique. Cette dernière apporte des renseignements utiles sur l’évolution du virus, notre résistance à l’infection ainsi que sur les prédispositions à la maladie. Des études ont ainsi révélé que certains individus ont tendance à développer plus rapidement ou plus lentement la maladie. C’est le système 14 génétique HLA de classe I (HLA I) qui explique le plus cette particularité ainsi que le gène CCL3L1 (III.1, III.2, III.3, III.4). On sait aujourd’hui comment HLA-B57 intervient pour contrôler le virus (III.5) et que de rares patients extrêmement fragiles demeurent même séronégatifs (III-6). Par ailleurs, les enfants infectés par le VIH développent plus rapidement le SIDA que les adultes et ont une espérance de vie de 1 à 2 ans. Malgré cela, certains enfants semblent plus résistants que d’autres. Des facteurs génétiques qui protègent la mère contre le virus pourraient être transmis à l’enfant et ainsi le protéger (III.7). Pour mieux connaître le virus, il est parfois utile de comparer l’homme à l’animal. C’est notamment grâce à l’étude des singes africains que l’on sait aujourd’hui que le virus provoque une suractivation du système immunitaire qui conduirait au SIDA. L’observation de singes africains infectés par des virus proches du VIH, les virus de l’immunodéficience simienne (VIS), permet en effet de mieux comprendre la maladie (III.8). Chez les singes verts, le nombre des récepteurs CD4 diminue en présence du virus : plus le VIS se développe, moins l’on trouve de récepteurs CD4. Les chercheurs s’interrogent par conséquent sur les moyens d’adapter ce mécanisme naturel de défense à l’homme (III.9). Le chimpanzé infecté résiste aussi au SIDA : ce sont des molécules proches de HLA-B57 de l’homme qui permettent le contrôle du virus (III.10). Toutefois, certains chimpanzés d’Afrique de l’Est développent des pathologies immunitaires fortement apparentées aux symptômes du SIDA (III.11). Ce que la génétique et l’étude comparée des hommes et des animaux a permis de mieux comprendre, c’est l’histoire du virus lui-même. On prend mieux aujourd’hui la mesure de son instabilité et comment ses mutations constituent une arme efficace. On estime que le VIH serait apparu vers 1910 pour se propager en profitant de l’urbanisation (III.12) et qu’il existe une coévolution entre les éléments pathogènes et les mécanismes de défense de l’organisme. Lorsqu’une innovation cellulaire permet de bloquer l’action d’un virus, celui-ci s’adapte (III.13). On saisit aujourd’hui davantage comment l’un et l’autre de ces acteurs ont évolué au cours du temps pour comprendre leur rôle sur la transmission virale au sein d’une espèce mais surtout entre espèces. Par ailleurs, on pensait jusqu’à présent que les différentes souches VIH-1 étaient passées du chimpanzé à l’homme. Or, une équipe française vient d’identifier pour la première fois un virus qui se serait transmis du gorille à l’homme (III.14). On sait de plus que le virus existe chez les singes depuis des millénaires (III.15). Le VIH s’est aussi bien adapté à la diversité génétique humaine qu’aux anticorps produits par l’organisme (III.16, III.17, III.18). Il existe ainsi une très grande variabilité des gènes HLA I au sein des différentes populations qui résulte de l’histoire évolutive des hommes, en particulier, de leur 15 résistance lors des différentes épidémies. On connaît maintenant les actions réciproques d’adaptation entre le VIH-1 et les différents HLA I. Il semble enfin que le virus soit aussi capable d’orienter son évolution. Il produit en effet des protéines « anormales » contre lesquelles l’organisme va réagir. Le VIH doit alors s’adapter à ces réponses immunitaires (III.19). Ce sont là des découvertes prometteuses. Mais les chercheurs ont exploré d’autres voies encore. Notamment, en connaissant mieux le virus et ses interactions complexes avec l’organisme, par exemple avec le système immunitaire, on peut espérer mieux le contrôler un jour. On ne saurait donc négliger toutes les recherches qui portent sur les traitements eux-mêmes, une fois l’infection contractée. Elles concernent à la fois la nature des traitements et la manière de les suivre. Depuis quelques années, grâce aux traitements, le SIDA est devenu une maladie chronique (IV.1). Les personnes traitées doivent prendre des médicaments tout au long de leur vie. C’est alors le manque d’adhérence aux traitements et le nombre d’échecs antérieurs qui déterminent les chances d’efficacité d’un traitement. (IV.2, IV.3) Par ailleurs, on a récemment découvert que plus leur traitement commence tôt, plus il semble efficace sur les femmes enceintes (IV.4). De même, on vient de déterminer le meilleur moment pour démarrer la thérapie antirétrovirale chez ces patients atteints de tuberculose (IV.5). L’apparition de variants viraux porteurs de mutations de résistance aux drogues antirétrovirales réduit aussi l’efficacité de ces traitements (IV.6). Or, on est capable aujourd’hui de détecter chez les malades des quantités infimes de virus résistants bien avant l’échec du traitement (IV.7). A grande échelle, on peut prévoir malheureusement la propagation de souches portant certaines résistances (IV.8, IV.9). Beaucoup de recherches portent aussi sur des médicaments que l’on connaît depuis longtemps pour leur efficacité mais dont on ne comprenait pas bien les mécanismes. On saisit mieux aujourd’hui le fonctionnement de certains antiviraux et quand les utiliser (IV.10, IV.11). Il semblerait ainsi qu’une enzyme, la polymérase $, soit fragilisée par certaines molécules antivirales. La découverte de sa structure et de ses différences avec la polymérase du VIH devrait contribuer à résoudre ce problème en permettant l’élaboration de médicaments plus spécifiques (IV.12). De même, on comprend maintenant mieux pourquoi les traitements par l’interféron n’ont pas répondu à toutes les attentes (IV.13), pourquoi L’IL-2 n’améliore pas la thérapie antirétrovirale (IV.14, IV15) et comment le Raltégravir peut avoir des effets secondaires (IV.16). Une des difficultés majeures qui subsiste, ce sont les réservoirs où persistent les virus inaccessibles aux traitements. Ces virus « dormants » se trouvent dans deux sous-populations des cellules T mémoires, qui gardent l’empreinte de l’ensemble des invasions de corps étrangers (IV.17). On sait 16 aussi aujourd’hui que le VIH-1 se cache aussi dans la moelle osseuse (IV.18), que ces virus se répliquent chez certains patients (IV.19) et de nouvelles stratégies sont envisagées pour les éliminer (IV.20, IV.21). Les chercheurs s’intéressent aussi aux interactions du VIH avec d’autres virus ou pathologies. En effet, un certain nombre de patients souffrent en même temps de plusieurs maux. Le VIH entraîne en effet un important dysfonctionnement du système immunitaire qui finit par ne plus pouvoir lutter contre la moindre intrusion dans l’organisme. Ainsi, les personnes infectées contractent de nombreuses maladies dites opportunistes qui peuvent conduire à leur mort (IV.22, IV.23). Plus encore, des auto-anticorps provoqueraient des anémies chez les personnes infectées (IV.24), le virus provoquerait des pathologies osseuses (IV.25) et certains antiviraux augmenteraient le risque de maladies cardio-vasculaires (IV.26, IV.27). Si l’on comprend mieux comment les traitements fonctionnent, c’est notamment parce qu’on connaît mieux la structure et les mécanismes de réplication du virus. C’est là un des objets de recherche les plus importants à l’heure actuelle. Tout traitement contre le VIH peut engendrer des résistances aux antiviraux. Le virus mute et peut ainsi échapper à ses agresseurs. Il est alors utile de multiplier les approches thérapeutiques nouvelles susceptibles de limiter les résistances vis-à-vis des traitements existants. Parmi celles-ci, on élabore depuis quelques années un nouveau type de médicament capable de s’attaquer aux protéines qui enveloppent le génome du VIH. Il s’agit de la capside, structure qui entoure et protège les gènes viraux. On sait ainsi que la production de nouveaux virus se fait par étapes. On a récemment appris à décrire sa structure initiale (V.1, V.2, V.3) mais pour que le virus entre dans le noyau, la capside a encore besoin d’éléments cellulaires (V.4). Aussi, on connaît mieux la structure du génome viral et par suite les mécanismes de régulation de la synthèse des protéines du VIH (V.5). On détermine mieux les changements de conformation du virus et ses interactions avec d’autres molécules (V.6, V.7). De plus, on discerne mieux encore le rôle de l’Intégrase, de la réverse transcriptase et de Tat et de ses partenaires cellulaires dans ces synthèses (V.8, V.9, V.10, V.11) et comment le virus infecte les cellules quiescentes (V.12). Ces recherches permettent aussi de saisir les mécanismes d’entrée dans les cellules. On croyait jusqu’alors que le VIH se fixait à la surface de la cellule-cible pour y déverser directement son contenu. De nouvelles techniques permettent aujourd’hui d’affirmer qu’il s'y fixe jusqu’à ce que la cellule l’absorbe totalement (V.13). Toutes ces découvertes constituent autant de promesses de traitements. Parmi elles, la connaissance des configurations du virus est particulièrement importante. Des chercheurs ont ainsi choisi des peptides ayant une structure en boucle, mimant ainsi spécifiquement la protéine TAT du VIH lorsqu’elle 17 est fixée à TAR. Ces peptides entrent alors en compétition avec TAT et déstructurent le complexe TAT-TAR. Ces molécules cycliques constituent dès lors des inhibiteurs potentiels de la réplication virale (V.14). De même, un nouvel antiviral qui s’attaque à plusieurs classes de virus pourrait voir le jour (V.15). Des espoirs se portent également vers des protéines que l’on comprend de mieux en mieux. Ainsi, la structure même de la Téthérine permet d’empêcher le bourgeonnement des virus produits (V.16) et un leurre soluble, composé de constituants naturellement présents dans l’organisme, pourrait aussi bloquer l’entrée du virus dans les cellules (V17). Les chercheurs étudient le moyen de renforcer de l'extérieur les protéines APOBEC pour qu'elles prennent le dessus sur Vif et le virus (V.18). De même, pour les patients chez qui le virus a développé des résistances à la suite de mutation, il paraît à présent possible d’utiliser les mécanismes d’inhibition présents naturellement dans les cellules humaines. Il s’agit en l’occurrence de se servir d’ARN interférences (ARNi) qui vont empêcher le virus de se reproduire (V.19). Toutes ces recherches ouvrent alors des pistes thérapeutiques. Même lorsqu’elles sont apparemment complexes et techniques, elles préparent des traitements, des vaccins et des tests de dépistage dont le patient bénéficiera un jour (VI). C’est aussi cette relation entre la recherche fondamentale et ses applications médicales que ce livre veut faire mieux saisir. 18 I Epidémiologie et Prévention