Les avancées de la recherche sur le SIDA

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Les avancées de la recherche sur le SIDA
Sciences et Société
fondée par Alain Fuchs et Dominique Desjeux
et dirigée par Bruno Péquignot
Déjà parus
Raymond MICOULAUT, Le Temps, L’Espace, La Lumière, 2011.
S. CRAIPEAU, G. DUBEY, P. MUSSO, B. PAULRÉ, La connaissance dans les
sociétés techniciennes, 2009.
François LAROSE et Alain JAILLET, Le numérique dans l’enseignement et la
formation. Analyses, traces et usages, 2009.
Martine QUINIO BENAMO, Probabilités et statistique aujourd’hui. Nouvelle
édition 2009, 2009.
Sezin TOPÇU, Cécile CUNY, Kathia SERRANO-VELARDE (dir), Savoirs en
débat. Perspectives franco-allemandes, 2008.
Jean-David PONCI, La biologie du vieillissement, une fenêtre sur la science et sur
la société, 2008.
Michel WAUTELET, Vivement 2050 ! Comment nous vivrons (peut-être) demain,
2007.
Claude DURAND, Les biotechnologies au feu de l’éthique, 2007.
Bruno PINEL, Vieillir, 2007.
Régis MACHE, La personne dans les sociétés techniciennes, 2007.
Alain GUILLON, Une mathématique de la personne, 2005.
Marie-Thérèse COUSIN, L’anesthésie-réanimation en France, des origines à
1965. Tome I : Anesthésie. Tome II : Réanimation. Les nouveaux professionnels,
2005.
Fernand CRIQUI, Les clefs du nouveau millénaire, 2004.
Karine ALEDO REMILLET, Malades, médecins et épilepsies, une approche
anthropologique, 2004.
Claude DURAND (sous la dir.), Regards sur les biotechnologies, 2003.
Pierre-Yves MORVAN, Dieu est-il un gaucher qui joue aux dés ?, 2002.
Jacques ARSAC, Y a-t-il une vérité hors de la science ? Un scientifique s’aventure
en philosophie, 2002.
Olivier PLESKOFF
Les avancées de la recherche sur le SIDA
Préface de Françoise Barré-Sinoussi
L’Harmattan
© L’HARMATTAN, 2011
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-55330-9
EAN : 9782296553309
« Le SIDA se transmet par le sperme et par le sang. La prévention se
transmet par la bouche, les yeux et les oreilles. La solidarité se transmet par
le coeur ».
Philippe Geluck, Le tour du chat en 365 jours.
Préface
Près de trois décennies après la découverte du VIH, les avancées
réalisées par la recherche dans la connaissance du virus et de sa pathogenèse
ont permis des progrès majeurs dans le traitement et la prise en charge des
patients séropositifs ainsi que dans le développement d’outils de prévention.
Depuis la mise sur le marché de l’AZT en 1987 de nombreuses molécules
antirétrovirales ont été développées, et leur utilisation combinée s’est avérée
extrêmement efficace pour bloquer la réplication du VIH et favoriser la
reconstitution immunitaire des patients. Grâce à ces traitements, il n’y a
quasiment plus aucune transmission de la mère à l’enfant au Nord. Pour les
patients qui ont la chance d’en bénéficier, l’infection, autrefois mortelle, est
devenue chronique.
Pour autant la bataille contre le VIH/SIDA est loin d’être gagnée. La
science doit encore surmonter de nombreux obstacles pour répondre aux
enjeux cliniques et aux défis de la prévention posés par cette infection.
Comment réduire l’activation immunitaire des patients, déterminant majeur
de la progression vers le SIDA ? Quels mécanismes précoces permettent au
VIH d’établir des réservoirs inaccessibles aux traitements actuels ? Quels
facteurs influencent l’augmentation significative de cancers, de maladies
cardiovasculaires, de complications métaboliques et le vieillissement général
accéléré, qu’on observe aujourd’hui chez les patients traités au long cours ?
Comment mieux prendre en charge les co-infections au VIH et à d’autres
agents pathogènes comme la tuberculose, les hépatites ou le paludisme, très
répandues et extrêmement meurtrières pour les patients, notamment dans les
pays du Sud ? La réponse à toutes ces questions nécessite une meilleure
connaissance des interactions complexes entre le virus et les cellules de
l’hôte pour développer de nouvelles stratégies thérapeutiques plus
performantes et moins nocives pour les patients.
C’est également d’une meilleure compréhension de la pathogenèse du
VIH que nous tirerons des enseignements utiles pour la recherche de
nouveaux moyens de prévention avec en ligne de mire l’espoir qu’un jour,
nous aurons acquis suffisamment de connaissances pour développer un
vaccin préventif. Aujourd’hui, nous savons que dans les premiers jours,
voire les premières heures, qui suivent l’infection, le virus perturbent
irrémédiablement la capacité de notre système immunitaire à déclencher une
réponse efficace. De la connaissance de ces mécanismes très précoces de
l’infection, notamment en liaison avec l’immunité innée, nous pourrons
espérer empêcher la transmission, la dissémination du virus, l’établissement
de réservoirs viraux et les effets délétères du virus sur notre réponse
immune.
Les priorités en matière de VIH/SIDA sont donc nombreuses et
l’urgence reste pressante pour enrayer l’épidémie qui continue d’affecter 2,7
millions de personnes chaque année et en tue 2,5 millions d’autres. En
9
vulgarisant les résultats scientifiques les plus récents, Olivier Pleskoff
permet à tous de mieux comprendre les enjeux actuels de la recherche sur le
VIH mais aussi d’appréhender l’étendue et la complexité des défis que les
chercheurs doivent relever pour un jour vaincre le SIDA. Je ne peux que
saluer cette belle initiative qui contribue à l’information nécessaire que la
communauté scientifique se doit d’apporter au grand public.
Professeur Françoise Barré-Sinoussi
Lauréate du Prix Nobel de Médecine 2008
10
Introduction
De plus en plus de personnes s’intéressent aux résultats de la recherche
sur le SIDA, à plus forte raison parce qu’elles aident et financent cette
recherche. Les associations de malades, les professeurs du lycée et de
l’université et les journalistes répondent bien sûr à cette attente mais ils le
font avec des objectifs précis et pragmatiques : améliorer le quotidien des
malades, informer les jeunes des modes de transmission…
Ces motivations sont justifiées, utiles et nobles. Cependant, elles ne
rendent pas nécessairement compte des problématiques les plus techniques,
apparemment éloignées du quotidien des malades et du grand public. Des
recherches vraisemblablement abstraites et pointilleuses peuvent un jour
s’avérer très fécondes, non seulement pour la science, mais en l’occurrence
pour la médecine.
SIDABLOG est une association créée en 2009 dans le but de rendre
accessibles les recherches sur le SIDA car il apparaît nécessaire de
vulgariser les résultats les plus récents. Pour cela, SIDABLOG s’appuie
principalement sur les publications les plus reconnues. En effet, les revues
scientifiques représentent l’expression privilégiée de la recherche
fondamentale et appliquée. Elles garantissent le niveau des travaux exposés
par les chercheurs grâce au processus de validation par les pairs et
permettent de suivre les développements récents.
La vulgarisation scientifique de ces articles constitue un moyen efficace
de communication auprès d’un large public sensibilisé à la recherche,
comme par exemple les médecins, les malades, les étudiants ou les militants
associatifs. Il s’agit de rendre compte des avancées scientifiques récentes et
de leur impact sur le SIDA en exposant de manière claire, didactique et
précise leurs résultats.
C’est dans cet esprit que SIDABLOG met en ligne régulièrement des
lettres d’information. Ce livre regroupe les principaux articles récents. Ils
traitent successivement de l’épidémiologie et de la prévention, de la
recherche de vaccin et de l’immunopathologie et des recherches génétiques
sur le VIH. Ils envisagent également son évolution, sa structure et les pistes
thérapeutiques ouvertes par toutes ces nouvelles connaissances. Pour faciliter
davantage la lecture, un lexique spécifique est proposé à la suite de ces
articles.
Aujourd’hui près de 33 millions de personnes sont en effet infectées. Ce
chiffre tend à se stabiliser depuis 6 ans grâce aux efforts de prévention et de
soin (I.1). Ce combat doit encore être intensifié car le nombre de nouvelles
infections est bien supérieur à celui des personnes qui commencent un
traitement. Deux tiers des personnes infectées vivent en Afrique sub-
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saharienne mais la situation peut être contrastée dans certains pays
notamment aux USA (I.2).
Le dépistage bien entendu est le meilleur frein à l’épidémie. Les tests
rapides du VIH sont les solutions les plus efficaces et les moins coûteuses
pour dépister le virus (I.3). Ils sont particulièrement utiles pour les femmes
sur le point d’accoucher. On sait aussi que les hommes circoncis sont deux
fois moins contaminés par le VIH (I.4), alors que les femmes restent
vulnérables à l’infection (I.5). Toutefois, une étude rendue publique à la
conférence internationale de Vienne en 2010 révèle, pour la première fois,
l’effet partiellement protecteur d’un gel microbicide (I.6). Ces travaux
constituent un grand espoir pour les femmes dont les partenaires sexuels
refusent le préservatif. Toutefois cette approche préventive doit être
approfondie et des recherches sont en cours (I.7). De même, on a montré
pour la première fois, chez des hommes homosexuels, qu’un traitement
avant l’exposition au virus a des effets partiellement protecteurs (I.8). Ces
résultats sont très encourageants et montrent que la prophylaxie préventive
doit être sérieusement envisagée.
La transmission du virus par la mère touche encore près d’un enfant sur
dix dans les pays pauvres alors qu’elle a pratiquement disparu dans les pays
riches. Pour la prévenir, différentes mesures doivent être prises : des
médicaments antirétroviraux sont administrés avant et après l’accouchement,
on recourt à des césariennes et on préfère le lait de substitution car le virus
peut se transmettre dans l’utérus, pendant l’accouchement ou par
l’allaitement. On peut traiter la mère ou l’enfant mais pour ce dernier les
médicaments semblent plus efficaces (I.10). Il reste à préciser quels seraient
les résultats en traitant les deux. Bien que certains laits maternels
contiennent des composés anti-VIH, les mères séropositives auraient
cependant intérêt à ne pas allaiter (I.11). Néanmoins, cette décision se heurte
à des contraintes économiques et prive les nourrissons d’autres vertus du lait.
De plus, la co-infection par le paludisme serait un facteur favorisant la
transmission du virus par la mère (I.12).
Bien sûr, tous souhaitent un vaccin efficace. Cela constituerait la solution
radicale de lutte contre le SIDA. Mais à ce jour, les essais vaccinaux se sont
révélés inefficaces ou faiblement protecteurs. En 2007, l’essai de vaccination
STEP a été interrompu du fait de son inefficacité. On comprend mieux
aujourd’hui les raisons de cet échec (II.1). A la fin de l’année 2009, les
résultats d’un essai réalisé sur 16 000 Thaïlandais ont montré pour la
première fois un effet partiellement protecteur et ce niveau reste insuffisant
pour lutter efficacement contre la pandémie (II.2). Des études de laboratoire
montrent maintenant que de nouveaux vaccins pourraient augmenter
l’efficacité des réponses immunitaires (II.3, II.4).
Même si ces résultats sont encourageants, la communauté scientifique
s’accorde à penser que le système immunitaire et ses interactions avec le
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VIH doivent être mieux compris pour concevoir un vaccin susceptible de
prévenir l’infection ou de contrôler la réplication virale. C’est pourquoi
beaucoup de recherches sont menées en ce sens.
On sait ainsi que la transmission par voie sexuelle reste le mode de
contagion le plus fréquent. Mais si l’on savait déjà que les virus libres et les
cellules infectées jouent un rôle, il apparaît que les virus associés aux
spermatozoïdes participent également à la contamination (II.5). On connaît
aussi mieux la façon dont le VIH pénètre dans l’organisme. Le
franchissement de la barrière muqueuse est une étape décisive pour
l’établissement d’une nouvelle infection. C’est pourquoi le virus a développé
une stratégie pour infecter efficacement l’organisme. Sitôt en contact avec la
muqueuse vaginale, le VIH provoque la synthèse par certaines cellules
saines d’une substance grâce à laquelle il pourra se disséminer dans
l’organisme (II.6).
Plus généralement, le VIH semble perméabiliser les barrières de
l’organisme. On pense que le VIH détériore la paroi intestinale, mais aussi la
muqueuse vaginale libérant ainsi dans le sang des substances bactériennes
(II.7). Elles seraient responsables de l’activation du système immunitaire
puis de l’immunodéficience.
Le virus développe d’autres stratégies encore et son inventivité en la
matière est impressionnante. Notamment, il détourne les signaux de
l’immunité à son avantage. Ainsi, on sait aujourd’hui que pour se répliquer
efficacement dans les cellules dendritiques, le VIH utilise certains récepteurs
et leurs signaux nécessaires à la reconnaissance des agents pathogènes (II.8).
De même, il s’est adapté pour mieux circuler et rejoindre l’intestin où il se
multiplie (II.9).
On ne peut donc qu’être impressionné par la multiplicité des tactiques du
virus pour attaquer l’organisme. Des chercheurs pensent ainsi que le virus
provoque une production spécifique d’anticorps que l’organisme va de luimême être obligé de réduire (II.10). Plus généralement, le virus paralyserait
les cellules infectées. Des chercheurs allemands ont observé que la protéine
virale Nef inhibe la mobilité cellulaire (II.11).
Le virus agit chaque fois que c’est possible et détruit le système
immunitaire à tous les niveaux. Cette entreprise est aujourd’hui mieux
connue dans son détail (II.12, II13). Ainsi, si les communications de cellule
à cellule sont essentielles pour que le système immunitaire puisse générer
une réponse protectrice, on sait depuis peu que le VIH-1 utilise ces
connexions immunitaires pour se diffuser. La protéine virale Nef qui a pour
fonction d’être immunosuppressive, pourrait intervenir dans ces transports
intercellulaires (II.14). Cette dernière s’avère aussi altérer le dynamisme de
la membrane cellulaire. Les cellules immunitaires se trouvent ainsi à un
niveau d’activité surélevée (II.15) et s’épuisent inutilement pour finalement
se détériorer.
13
Certes, les organismes mammifères possèdent de nombreux outils pour
lutter contre les virus. Notamment, ils disposent de certaines protéines dites
« facteurs de restriction » qui les protègent des infections virales. Ainsi, le
corps humain a développé de nombreuses molécules pour combattre cet
envahisseur comme APOBEC3G (II.16), Téthérine (II.17, II.18), TRIM5'
(II.19) et certains lymphocytes de l’intestin sont dotés de moyens spécifiques
de protection (II.20).
Plus précisément, l’organisme a mis en place des réponses immunitaires
spécifiques. Toute personne infectée par le VIH développe en effet des
anticorps. Les plus efficaces, ceux qui bloquent le VIH et l’empêchent de se
reproduire, sont dits « neutralisants ». On en compte jusqu’à 50 par malade
qui empêchent le virus de pénétrer dans les cellules saines (II.21).
D’autres facteurs jusque-là mal repérés sont maintenant reconnus pour
leur rôle dans cette lutte. Notamment, l’Interleukine-21 pourrait contrôler
nos défenses contre le VIH (II.22). Les lymphocytes T CD4+ auraient des
actions beaucoup plus nombreuses qu’on ne le pensait jusqu’alors et les
lymphocytes T CD8+ (LTCD8+) produisent un facteur soluble capable de
provoquer la sécrétion d’interférons par les macrophages (II.23, II.24, II.25).
Parmi les molécules les mieux connues aujourd’hui, on sait qu’APOBEC3G
active aussi la réponse immunitaire spécifique contre le VIH (II.26). On sait
aussi comment le virus a développé des mécanismes qui freinent sa
dégradation et la mise en place de la réponse immunitaire (II.27).
Bien entendu, les résultats peu concluants des essais vaccinaux récents
mettent au centre de la discussion les recherches fondamentales sur les
anticorps (II.28, II.29). On veut aujourd’hui mieux les comprendre pour les
rendre plus efficaces. On sait ainsi que si la plupart des anticorps anti-VIH
sont dirigés contre sa partie externe et l’empêchent de pénétrer dans les
cellules, certains provoquent la sécrétion de substances antivirales (II.30).
Certains peuvent être obtenus en utilisant des parties modifiées d’une
structure particulière de l’enveloppe virale (II.31).
C’est pourquoi, même si l’on est encore loin de posséder un vaccin
préventif, la production d’un vaccin curatif est en revanche envisageable
(II.32, II.33). On a ainsi découvert des anticorps capables non seulement de
bloquer le virus, mais encore aptes à reconnaître un large spectre de souches
virales (II.34). Aussi, on comprend aujourd’hui comment modifier
l’enveloppe virale pour la rendre plus fragile face à ces anticorps (II.35). On
sait également qu’une combinaison d’adjuvants pourrait stimuler
efficacement la réponse immunitaire antivirale non spécifique (II.36).
Toutes ces recherches bénéficient aussi des découvertes de la génétique.
Cette dernière apporte des renseignements utiles sur l’évolution du virus,
notre résistance à l’infection ainsi que sur les prédispositions à la maladie.
Des études ont ainsi révélé que certains individus ont tendance à
développer plus rapidement ou plus lentement la maladie. C’est le système
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génétique HLA de classe I (HLA I) qui explique le plus cette particularité
ainsi que le gène CCL3L1 (III.1, III.2, III.3, III.4). On sait aujourd’hui
comment HLA-B57 intervient pour contrôler le virus (III.5) et que de rares
patients extrêmement fragiles demeurent même séronégatifs (III-6).
Par ailleurs, les enfants infectés par le VIH développent plus rapidement
le SIDA que les adultes et ont une espérance de vie de 1 à 2 ans. Malgré
cela, certains enfants semblent plus résistants que d’autres. Des facteurs
génétiques qui protègent la mère contre le virus pourraient être transmis à
l’enfant et ainsi le protéger (III.7).
Pour mieux connaître le virus, il est parfois utile de comparer l’homme à
l’animal. C’est notamment grâce à l’étude des singes africains que l’on sait
aujourd’hui que le virus provoque une suractivation du système immunitaire
qui conduirait au SIDA. L’observation de singes africains infectés par des
virus proches du VIH, les virus de l’immunodéficience simienne (VIS),
permet en effet de mieux comprendre la maladie (III.8). Chez les singes
verts, le nombre des récepteurs CD4 diminue en présence du virus : plus le
VIS se développe, moins l’on trouve de récepteurs CD4. Les chercheurs
s’interrogent par conséquent sur les moyens d’adapter ce mécanisme naturel
de défense à l’homme (III.9). Le chimpanzé infecté résiste aussi au SIDA :
ce sont des molécules proches de HLA-B57 de l’homme qui permettent le
contrôle du virus (III.10). Toutefois, certains chimpanzés d’Afrique de l’Est
développent des pathologies immunitaires fortement apparentées aux
symptômes du SIDA (III.11).
Ce que la génétique et l’étude comparée des hommes et des animaux a
permis de mieux comprendre, c’est l’histoire du virus lui-même. On prend
mieux aujourd’hui la mesure de son instabilité et comment ses mutations
constituent une arme efficace.
On estime que le VIH serait apparu vers 1910 pour se propager en
profitant de l’urbanisation (III.12) et qu’il existe une coévolution entre les
éléments pathogènes et les mécanismes de défense de l’organisme.
Lorsqu’une innovation cellulaire permet de bloquer l’action d’un virus,
celui-ci s’adapte (III.13). On saisit aujourd’hui davantage comment l’un et
l’autre de ces acteurs ont évolué au cours du temps pour comprendre leur
rôle sur la transmission virale au sein d’une espèce mais surtout entre
espèces. Par ailleurs, on pensait jusqu’à présent que les différentes souches
VIH-1 étaient passées du chimpanzé à l’homme. Or, une équipe française
vient d’identifier pour la première fois un virus qui se serait transmis du
gorille à l’homme (III.14). On sait de plus que le virus existe chez les singes
depuis des millénaires (III.15).
Le VIH s’est aussi bien adapté à la diversité génétique humaine qu’aux
anticorps produits par l’organisme (III.16, III.17, III.18). Il existe ainsi une
très grande variabilité des gènes HLA I au sein des différentes populations
qui résulte de l’histoire évolutive des hommes, en particulier, de leur
15
résistance lors des différentes épidémies. On connaît maintenant les actions
réciproques d’adaptation entre le VIH-1 et les différents HLA I.
Il semble enfin que le virus soit aussi capable d’orienter son évolution. Il
produit en effet des protéines « anormales » contre lesquelles l’organisme va
réagir. Le VIH doit alors s’adapter à ces réponses immunitaires (III.19).
Ce sont là des découvertes prometteuses. Mais les chercheurs ont exploré
d’autres voies encore. Notamment, en connaissant mieux le virus et ses
interactions complexes avec l’organisme, par exemple avec le système
immunitaire, on peut espérer mieux le contrôler un jour. On ne saurait donc
négliger toutes les recherches qui portent sur les traitements eux-mêmes, une
fois l’infection contractée. Elles concernent à la fois la nature des traitements
et la manière de les suivre.
Depuis quelques années, grâce aux traitements, le SIDA est devenu une
maladie chronique (IV.1). Les personnes traitées doivent prendre des
médicaments tout au long de leur vie. C’est alors le manque d’adhérence aux
traitements et le nombre d’échecs antérieurs qui déterminent les chances
d’efficacité d’un traitement. (IV.2, IV.3) Par ailleurs, on a récemment
découvert que plus leur traitement commence tôt, plus il semble efficace sur
les femmes enceintes (IV.4). De même, on vient de déterminer le meilleur
moment pour démarrer la thérapie antirétrovirale chez ces patients atteints de
tuberculose (IV.5).
L’apparition de variants viraux porteurs de mutations de résistance aux
drogues antirétrovirales réduit aussi l’efficacité de ces traitements (IV.6). Or,
on est capable aujourd’hui de détecter chez les malades des quantités infimes
de virus résistants bien avant l’échec du traitement (IV.7). A grande échelle,
on peut prévoir malheureusement la propagation de souches portant certaines
résistances (IV.8, IV.9).
Beaucoup de recherches portent aussi sur des médicaments que l’on
connaît depuis longtemps pour leur efficacité mais dont on ne comprenait
pas bien les mécanismes. On saisit mieux aujourd’hui le fonctionnement de
certains antiviraux et quand les utiliser (IV.10, IV.11). Il semblerait ainsi
qu’une enzyme, la polymérase $, soit fragilisée par certaines molécules
antivirales. La découverte de sa structure et de ses différences avec la
polymérase du VIH devrait contribuer à résoudre ce problème en permettant
l’élaboration de médicaments plus spécifiques (IV.12).
De même, on comprend maintenant mieux pourquoi les traitements par
l’interféron n’ont pas répondu à toutes les attentes (IV.13), pourquoi L’IL-2
n’améliore pas la thérapie antirétrovirale (IV.14, IV15) et comment le
Raltégravir peut avoir des effets secondaires (IV.16).
Une des difficultés majeures qui subsiste, ce sont les réservoirs où
persistent les virus inaccessibles aux traitements. Ces virus « dormants » se
trouvent dans deux sous-populations des cellules T mémoires, qui gardent
l’empreinte de l’ensemble des invasions de corps étrangers (IV.17). On sait
16
aussi aujourd’hui que le VIH-1 se cache aussi dans la moelle osseuse
(IV.18), que ces virus se répliquent chez certains patients (IV.19) et de
nouvelles stratégies sont envisagées pour les éliminer (IV.20, IV.21).
Les chercheurs s’intéressent aussi aux interactions du VIH avec d’autres
virus ou pathologies. En effet, un certain nombre de patients souffrent en
même temps de plusieurs maux. Le VIH entraîne en effet un important
dysfonctionnement du système immunitaire qui finit par ne plus pouvoir
lutter contre la moindre intrusion dans l’organisme. Ainsi, les personnes
infectées contractent de nombreuses maladies dites opportunistes qui
peuvent conduire à leur mort (IV.22, IV.23). Plus encore, des auto-anticorps
provoqueraient des anémies chez les personnes infectées (IV.24), le virus
provoquerait des pathologies osseuses (IV.25) et certains antiviraux
augmenteraient le risque de maladies cardio-vasculaires (IV.26, IV.27).
Si l’on comprend mieux comment les traitements fonctionnent, c’est
notamment parce qu’on connaît mieux la structure et les mécanismes de
réplication du virus. C’est là un des objets de recherche les plus importants à
l’heure actuelle.
Tout traitement contre le VIH peut engendrer des résistances aux
antiviraux. Le virus mute et peut ainsi échapper à ses agresseurs. Il est alors
utile de multiplier les approches thérapeutiques nouvelles susceptibles de
limiter les résistances vis-à-vis des traitements existants. Parmi celles-ci, on
élabore depuis quelques années un nouveau type de médicament capable de
s’attaquer aux protéines qui enveloppent le génome du VIH. Il s’agit de la
capside, structure qui entoure et protège les gènes viraux.
On sait ainsi que la production de nouveaux virus se fait par étapes. On a
récemment appris à décrire sa structure initiale (V.1, V.2, V.3) mais pour
que le virus entre dans le noyau, la capside a encore besoin d’éléments
cellulaires (V.4). Aussi, on connaît mieux la structure du génome viral et par
suite les mécanismes de régulation de la synthèse des protéines du VIH
(V.5). On détermine mieux les changements de conformation du virus et ses
interactions avec d’autres molécules (V.6, V.7). De plus, on discerne mieux
encore le rôle de l’Intégrase, de la réverse transcriptase et de Tat et de ses
partenaires cellulaires dans ces synthèses (V.8, V.9, V.10, V.11) et comment
le virus infecte les cellules quiescentes (V.12).
Ces recherches permettent aussi de saisir les mécanismes d’entrée dans
les cellules. On croyait jusqu’alors que le VIH se fixait à la surface de la
cellule-cible pour y déverser directement son contenu. De nouvelles
techniques permettent aujourd’hui d’affirmer qu’il s'y fixe jusqu’à ce que la
cellule l’absorbe totalement (V.13).
Toutes ces découvertes constituent autant de promesses de traitements.
Parmi elles, la connaissance des configurations du virus est particulièrement
importante. Des chercheurs ont ainsi choisi des peptides ayant une structure
en boucle, mimant ainsi spécifiquement la protéine TAT du VIH lorsqu’elle
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est fixée à TAR. Ces peptides entrent alors en compétition avec TAT et
déstructurent le complexe TAT-TAR. Ces molécules cycliques constituent
dès lors des inhibiteurs potentiels de la réplication virale (V.14). De même,
un nouvel antiviral qui s’attaque à plusieurs classes de virus pourrait voir le
jour (V.15). Des espoirs se portent également vers des protéines que l’on
comprend de mieux en mieux. Ainsi, la structure même de la Téthérine
permet d’empêcher le bourgeonnement des virus produits (V.16) et un leurre
soluble, composé de constituants naturellement présents dans l’organisme,
pourrait aussi bloquer l’entrée du virus dans les cellules (V17).
Les chercheurs étudient le moyen de renforcer de l'extérieur les protéines
APOBEC pour qu'elles prennent le dessus sur Vif et le virus (V.18). De
même, pour les patients chez qui le virus a développé des résistances à la
suite de mutation, il paraît à présent possible d’utiliser les mécanismes
d’inhibition présents naturellement dans les cellules humaines. Il s’agit en
l’occurrence de se servir d’ARN interférences (ARNi) qui vont empêcher le
virus de se reproduire (V.19).
Toutes ces recherches ouvrent alors des pistes thérapeutiques. Même
lorsqu’elles sont apparemment complexes et techniques, elles préparent des
traitements, des vaccins et des tests de dépistage dont le patient bénéficiera
un jour (VI).
C’est aussi cette relation entre la recherche fondamentale et ses
applications médicales que ce livre veut faire mieux saisir.
18
I Epidémiologie et Prévention
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