MEP juin 2 15/04/04 10:34 Page 131 Progrès en hypertension Mécanismes moléculaires de l’activation des récepteurs AT1 et de l’angiotensine II : conséquences physiopathologiques Les récepteurs AT1 (subdivisés en deux sous-types, AT1A et AT1B, chez le rongeur alors qu’un seul récepteur AT1 est connu chez l’homme) ont été clonés dans de nombreuses espèces. Ce sont des récepteurs à sept domaines transmembranaires (segments hydrophobes en hélices α reliés entre eux par des boucles extra- ou intracellulaires) (figure 1). Les acides aminés impliqués dans la fixation de l’angiotensine sont extracellulaires alors que les sites de liaison pour les anti-AT1 impliquent des acides aminés des domaines transmembranaires. Les deux sites de liaison sont donc différents sur le plan moléculaire. M. Andrejak (Amiens) D’après la communication de E. Clauser (Collège de France, Paris) L a stimulation des récepteurs AT 1 est responsable des actions dites classiques de l’angiotensine II : contraction du muscle lisse et sécrétion d’aldostérone. L’activation d’une voie de signalisation, mettant en jeu une protéine Gq, une phospholipase C, et aboutissant, par l’intermédiaire de l’inositol triphosphate, à une mobilisation du calcium intracellulaire et une activation de protéines kinases C a été décrite lors de la stimulation des AT1 récepteurs. Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 6, juin 1998 Des travaux de mutagenèse dirigés pour mieux préciser le couplage récepteur AT1-protéine G Pour préciser les séquences d’acides aminés impliqués dans le couplage aux protéines G du récepteur AT1, les travaux se sont appuyés sur les connaissances acquises avec les récepteurs adrénergiques. Au niveau de ces récepteurs, un segment distal de la troisième boucle intracellulaire intervient dans le couplage récepteur-protéine G. Sept acides aminés du segment analogue du récepteur AT1 ont été remplacés par : - la séquence correspondante du récep- Figure 1 : Séquences fonctionnelles du récepteur AT1 de l’angiotensine II. 131 MEP juin 2 15/04/04 10:34 Page 132 Progrès en hypertension teur α1-adrénergique, qui est couplé, comme le récepteur AT1, à une phospholipase C ; - la séquence correspondante du récepteur ß2-adrénergique, couplé positivement à l’adénylate cyclase ; - pour finir, la même séquence du récepteur AT2 couplé à des protéines Gi et à des tyrosine-phosphatases. Ces récepteurs ont été exprimés dans une cellule hétérologue. La signalisation y est modifiée par ces transformations des récepteurs AT1. Ainsi, l’inositol phosphate est induit pour des doses croissantes d’angiotensine II de façon marquée par les récepteurs sauvages AT1 comme pour les récepteurs substitués par la séquence α1-adrénergique, alors que la réponse est nulle pour les récepteurs chimères AT2 et faible pour les ß2. En ce qui concerne la production d’AMPc, elle n’est augmentée sous angiotensine II que pour les récepteurs substitués par la séquence ß2. Ces modifications de couplage et des voies de signalisation de ces récepteurs chimères ont des conséquences sur les effets physiologiques de l’angiotensine II. Ainsi, l’effet mitogène mesuré par l’incorporation de thymidine tritiée dans l’ADN est induit par l’angiotensine II dans les cellules exprimant le récepteur sauvage ainsi que dans les cellules chimères exprimant le récepteur α1-adrénergique mais pas dans les cellules contenant les deux autres types de récepteurs (C-ß2 et CAT2) (figure 2). Donc, ce segment de la troisième boucle intracellulaire est clairement impliqué dans le couplage de la protéine G et surtout dans la spécificité de ce couplage (2). Mécanismes d’activation moléculaire du récepteur AT1 (ou comment le récepteur passe-t-il d’un état inactif à un état actif ?) L’activation passerait par une transcon- Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 6, juin 1998 Figure 2 : Stimulation par l’angiotensine II de la synthèse récepteurs AT1 chid’ADN. mères de la troisième boucle décrits précédemment, alors qu’elle existe pour des mutations de récepteurs α1adrénergiques. Deux groupes seulement (Groblewski et al., 1997 ; Balmforth et al., 1997) ont identifié une activation constitutive de récepteurs AT 1 par mutation au niveau des domaines transmembranaires (1, 4). Il s’agit des asparagines 111 et 295, qui se trouvent dans les troisièmes et septièmes domaines transmemformation des sept segments transmembranaires. Ces deux acides aminés branaires, avec un état inactif du récepauraient des interactions faibles (type teur qui aurait une meilleure affinité pour liaisons hydrogène) qui seraient les agonistes inversés et un état activé qui capables de stabiliser le récepteur dans aurait une meilleure affinité pour les agoun état activé. La mutation de ces acides nistes, les antagonistes ayant une affinité aminés activerait constitutivement le identique pour les deux états. Ces chanrécepteur. Ces mutants ont une affinité gements de disposition seraient détermitout à fait normale pour l’angiotensine II. nants pour l’activation du récepteur. Des Par contre, leur affinité pour les antagomutations peuvent bloquer soit dans un nistes AT1 sélectifs est réduite. En ce qui état inactif, soit dans un état activé (acticoncerne la signalisation appréciée par vation dite constitutive) les récepteurs. la production d’inositol phosphate, le niveau de base est augmenté pour les Des acides aminés polaires ont été identiformes mutantes constitutivement actifiés dans les segments transmembravées du récepteur AT1, l’angiotensine II naires dont la mutation inactive le réceprestant cependant toujours capable de teur sans modifier la liaison pour les majorer la signalisation. Ces récepteurs agonistes peptidiques ni les séquences ne seraient donc que partiellement actifs intracellulaires. Ces mutations, néanconstitutionnellement. moins, empêchent la transformation du récepteur d’un état inactif vers un état actif. De même, ont été recherchées des Existe-t-il des pathologies liées mutations qui pourraient bloquer les récepteurs AT1 dans un état actif (activaà une activation constitutive tion constitutive à l’instar de ce qui a d’abord été décrit pour les récepteurs des récepteurs AT1 ? adré-nergiques). Aucune activation Dans certaines maladies endocriniennes, constitutive n’a été constatée pour les 132 MEP juin 2 15/04/04 10:34 Page 133 des mutations de certains récepteurs ont été mises en évidence, responsables de leur activation constitutive. Des mutations des récepteurs à la LH entraînent un syndrome de puberté précoce. La mutation du récepteur de la TSH peut être à l’origine d’un adénome toxique de la thyroïde. La possibilité de mutations somatiques constitutivement activatrices du récepteur AT1 a été recherchée dans l’adénome de Conn dans le cadre du réseau COMETE (animé par P. F. Plouin), cette tumeur bénigne hypersécrétant de l’aldostérone de façon non régulable. Par analogie, ce modèle peut être considéré comme un équivalent surrénalien de l’adénome toxique de la thyroïde. L’angiotensine II étant l’un des facteurs majeurs de stimulation de la sécrétion d’aldostérone, il était logique de suspecter une activation constitutive de ce récepteur responsable d’une hypersécrétion d’aldostérone non régulable. Cependant, le séquençage du gène de ce récepteur dans 17 tumeurs de Conn a permis d’exclure ce mécanisme et la responsabilité du récepteur AT 1 (3). L’angiotensine II pourrait aussi agir directement par ses voies de signalisation. Dans le modèle développé par l’équipe d’E. Clauser de fibroblastes surexprimant le récepteur AT1, l’effet de l’AT1 sur la division cellulaire est étudié par l’incorporation de thymidine tritiée dans l’ADN (figure 3). Cet effet est très marqué, dose-dépendant, (alors que l’angiotensine II est sans effet dans une lignée CHO non transfectée) et est bloqué par un antagoniste AT1 spécifique. Dans ce modèle cellulaire, l’action mitogène de l’angiotensine II semble être médiée par l’activation des protéines kinases C et la mobilisation du calcium. L’hypothèse d’un effet indirect par les facteurs de croissance est peu probable dans ce modèle. En effet, les deux facteurs de croissance principaux, le FGF et l’IGF1, qui stimulent très fortement la division cellulaire, voient leur effet totalement bloqué par des anticorps contre ces deux facteurs de croissance alors que ces anticorps n’ont aucune action sur l’effet mitogène de l’angiotensine II. La figure 4 montre l’ensemble des voies potentiellement mises en jeu par la stimulation AT1. A côté de la phospholipase C, il faut noter qu’il peut y avoir activation ou inhibition de l’adénylcyclase ou enfin mise en jeu de la phospholipase A2, ces différentes voies pouvant intervenir pour moduler la division cellulaire. Plus récemment, on a montré que le récepteur AT1 pouvait activer d’autres voies de signalisation (voie ras des MAP kinases, voie Jak-STAT des cytokines, phosphorylation sur la tyrosine de protéines intracellulaires…). En fait, la voie de signalisation qui Figure 3 : Récepteur AT1A et croissance cellulaire induite par l’angiotensine II. Mécanismes des effets de la stimulation AT1 sur la croissance cellulaire Si les actions hypertrophiques (augmentation de taille des cellules) de l’angiotensine II sur ses différents tissus cibles sont clairement établies, ses actions hyperplasiques (augmentation du nombre des cellules) sont beaucoup plus débattues et pourraient dépendre du type cellulaire et de la coopération d’autres facteurs de croissance. L’hyperplasie cellulaire pourrait relever de mécanismes indirects, l’angiotensine II stimulant au niveau des cellules la production de facteurs de croissance qui, de manière autocrine ou paracrine, favoriseraient la division cellulaire. 133 MEP juin 2 15/04/04 10:34 Page 134 Progrès en hypertension Figure 4 : Signalisation de l’effet mitogène de l’angiotensine II. semble dominer est la voie de la phospholipase C avec ses deux seconds messagers, diacylglycérol et inositol triphosphate. Les conclusions de cette présentation d’Eric Clauser sont les suivantes : • Le site de couplage aux protéines G implique en particulier la troisième boucle intracellulaire, qui détermine la spécificité de ce couplage. Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 6, juin 1998 • L’activation du récepteur AT1 correspond à un changement de conformation des hélices, qui implique des résidus polaires des segments transmembranaires, dont les mutations entraînent soit une inactivation, soit une activation constitutive. • L’adénome de Conn n’est pas dû à des mutations somatiques activatrices de la séquence codante du récepteur AT1. 134 Références 1) Balmforth A.J., Lee A.J., Warburton P., Donnelly D., Ball B. : The conformational change responsible for AT1 receptor activation is dependent upon two juxtaposed asparagine residues on transmembrane helices III and VII. J. Biol. Chem., 1997, 272 : 4245-4251. 2) Conchon S., Barrault M.B., Miserey S., Corvol P., Clauser E. : The C-terminal third intracellular loop of the rat AT1A angiotensin receptor plays a key role in G protein coupling specificity and transduction of the mitogenic signal. J. Biol. Chem., 1997, 272 : 25566-25572. 3) Davies E., Bonnardeaux A., Plouin P.F., Corvol P., Clauser E. : Somatic mutations of the angiotensin II (AT1) receptor gene are not present in aldosterone-producing adenoma. J. Clin. Endocrinol. Metab., 1997, 82 : 611-615. 4) Groblewski T., Maigret B., Larguier R., Lombard C., Bonnafous J.C., Marie J. : Mutation of Asn 111 in the third transmembrane domain of the AT 1A angiotensin II receptor induces its constitutive activation. J. Biol. Chem., 1997, 272 : 1822-1826. • L’effet mitogène de l’angiotensine II met en jeu les récepteurs AT1 et implique, au moins dans certaines cellules, la stimulation directe de la voie de signalisation de la phospholipase C.