Progrès en hypertension Récepteurs AT1 et AT2 de l’angiotensine II : biologie moléculaire Michel Andrejak (Amiens) d'après la communication de V. J. Dzau (Harvard Medical School, Brigham and Women's Hospital, Boston, États-Unis) L ’angiotensine II est la substance biologiquement active du système rénine-angiotensine. Ses effets sont liés à la stimulation d'un récepteur, le récepteur AT 1 , appartenant à la famille des récepteurs à 7 domaines transmembranaires dont les mécanismes d'activation intracellulaire passent par le couplage à une protéine G variable selon les tissus. Les systèmes d'activation cellulaires sont variés : adénylate cyclase, phospholipases C, D et A ainsi qu'un canal calcique. Au niveau du muscle lisse vasculaire après activation du récepteur, les actions intracellulaires de l’angiotensine II sont liées à la mise en jeu d’une phospholipase C dépendant de l’accumulation d’inositol triphosphate qui provoque la libération de calcium à partir des stocks intracellulaires, libération de calcium qui est à l’origine de la vasoconstriction et, au niveau de la surrénale, de la libération d’aldostérone. Parallèlement, il y a stimulation de la protéine-kinase C qui est à l’origine des effets à long terme de l’angiotensine II : transcription de gènes dans les cellules musculaires lisses mais également dans les autres tissus cibles de l’angiotensine II. Effets de l’angiotensine II passant par les récepteurs AT1 Les effets trophiques de l’angiotensine II ont été obtenus par le groupe du Pr Dzau sur des cellules myocar- diques en culture. L’addition de l’angiotensine II entraîne une synthèse d’ARN et de protéines de manière dose-dépendante. L’angiotensine II, en stimulant les récepteurs AT1, est un promoteur de croissance au niveau des muscles lisses comme au niveau des cardiomyocytes ou des fibroblastes myocardiques. Dans les cardiomyocytes, l’augmentation de synthèse de protéines est associée à une hypertrophie de ces cellules. Au niveau des fibroblastes, l’angiotensine II entraîne une prolifération cellulaire. Parallèlement, l’angiotensine II stimule la synthèse de collagène. Par ces différents effets, la stimulation des récepteurs AT1 est à l’origine d’un remodelage du système cardiovasculaire. Il convient donc d’opposer deux types d’action (tableau I) : - des effets à court terme correspondant à l’action hémodynamique bien connue de l’angiotensine II et particulièrement marquée par la vasoconstriction (soit directe par stimulation du système nerveux sympathique) et à la rétention hydrosodée, Tableau I : Principaux effets à court terme de l’angiotensine II passant par le biais de récepteurs AT1. Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 8, octobre 1998 Effets à court terme Vasoconstriction : - directe (effet sur le muscle lisse vasculaire) - indirecte (actiation sympathique) Rétention hydrosodée : - ➚ réabsorption tubulaire du Na+ - sécrétion d’aldostérone - vasoconstriction rénale Effets à long terme Sur le myocarde : - hypertrophie des cardiomyocites - prolifération des fibroblastes - synthèse de collagène Sur les vaisseaux : - augmentation de l’épaisseur de la paroi - prolifération des cellules musculaires lisses 200 - des effets à long terme : hypertrophie cardiaque, vasculaire, ainsi que des modifications au niveau du glomérule (sclérose). Les effets de l’angiotensine II sur le myocarde ont été évalués en faisant appel à une approche transgénique. Il s’est agi d’utiliser des promoteurs de chaînes lourdes spécifiques des myocytes du cœur. La surexpression des récepteurs AT1 peut ainsi se faire de façon spécifique au niveau du myocarde sans concerner les autres tissus. Cette surexpression est létale, avec une survie inférieure à trois semaines. Le traitement de ces animaux par le captopril prolonge la durée de survie, ce qui suggère que l’effet est médié au moins en partie par l’angiotensine II. La mort de ces animaux est très brutale et apparaît liée à des troubles de conduction. L’ECG de ces animaux fait état de bradycardie avec allongement de l’espace PR et élargissement du complexe QRS. Les récepteurs AT1 sont a priori présents dans le système de conduction et leur surexpression peut être à l’origine de troubles de conduction et/ou de troubles de ryhtme (3). Chez ces animaux transgéniques les constatations anatomiques font état de congestion pulmonaire, d’oreillettes très dilatées alors que les cavités ventriculaires sont seulement dilatées. A la section du cœur, une hypertrophie des myocytes et une fibrose apparente de façon prédominante au niveau des oreillettes s’expliquent par le fait que le promoteur pour les chaînes lourdes s’exprime d’abord dans l’oreillette lors du développement fœtal. Ce n’est qu’après la naissance que l’atteinte concerne également le ventricule. Mais comme les animaux meurent très jeunes, les ventricules n’ont pas le temps de s’hypertrophier. Ces constatations indiquent néanmoins que l’angiotensine peut être responsable de remodelage cardiaque. Effets de l’angiotensine II passant par les récepteurs AT2 Le récepteur AT2 de l’angiotensine II, a été cloné en 1993. D’autres récepteurs pourraient également être fonctionnels comme les récepteurs AT4 ou des récepteurs pour l’heptapeptide (1-7) de l’angiotensine. Il s’agit également d’un récepteur à sept domaines transmembranaires dont la troisième boucle intracellulaire joue un rôle important pour les phénomènes de transduction du signal (2). Sur le plan de la structure, le récepteur AT2, bien qu’appartenant à la même super-famille des récepteurs liés à la protéine G, est très différent au niveau des acides aminés constitutifs (32 % seulement sont identiques) du récepteur AT1. Le récepteur AT2 est surtout exprimé au cours de la vie fœtale. En fin de gestation, il s’exprime et joue vraisemblablement un rôle fonctionnel important. Par contre, chez l’adulte, on retrouve peu (ou pas) de récepteurs AT2 fonctionnels. Dans certaines circonstances pathologiques comme l’insuffisance cardiaque congestive, ce récepteur peut s’exprimer. Pour des cellules en culture qui n’expriment normalement que l’AT1 et chez lesquelles on montre que l’angiotensine II entraîne une croissance cellulaire, la mise en jeu supplémentaire des récepteurs AT2 provoque une inactivation du rôle promoteur de la croissance de l’angiotensine II suggérant que les récepteurs AT2 peuvent développer un effet anti-AT1 sur les phénomènes de croissance et de prolifération (1). Le récepteur AT2 est couplé à une protéine G qui permet l’activation d’un système enzymatique tyrosine-phosphatase. Cette enzyme tyrosine-phos- 201 phatase s’oppose indirectement à l’action de différentes kinases, en particulier celle de la MAP-kinase (mitogenactivated protein). La stimulation AT2 aboutit à un effet “anticroissance”. Dans certaines circonstances spécifiques, la stimulation AT2 peut entraîner la mort cellulaire programmée (apoptose) (5). Récemment, l’équipe de Dzau a montré que la stimulation AT2 pouvait être à l’origine d’une interaction avec d’autres mécanismes impliqués dans la croissance cellulaire (PDGF, cytokines...). En pratique, la stimulation de l’AT2 paraît inhiber de très nombreux facteurs de croissance dans le système vasculaire. Dzau et son équipe ont suggéré que, pendant la croissance et le développement, ce récepteur doit jouer un rôle important de modulation pour éviter une croissance excessive en fin de gestation. Chez l’homme, cette stimulation AT2 peut intervenir dans des circonstances pathologiques pour inhiber l’action excessive de la stimulation AT1 et des facteurs de croissance qui interviennent alors. Cette éventualité a été étudiée in vivo avec des animaux dépourvus du gène du récepteur AT2 (animaux knock out ou “KO”). Chez ces animaux, la pression artérielle de base est légèrement augmentée mais la réponse pressive à l’angiotensine II perfusée est très augmentée (majoration de la réponse vasoconstrictrice). La morphologie des vaisseaux est très modifiée avec, au niveau des vaisseaux mésentériques, une augmentation considérable de la média et du rapport média/lumière, du fait d’une importante hypertrophie vasculaire chez ces animaux où l’angiotensine ne peut stimuler que des récepteurs AT1 et aucun récepteur AT2. Chez l’animal normal, au cours de la gestation, la croissance du vaisseau est rapide et, en fin de gestation, Progrès en hypertension le récepteur AT2 est stimulé pour interrompre la croissance et permettre la différenciation (remodelage vasculaire de fin de vie fœtale). Chez les animaux “KO”, il y a excès de stimulation AT1 et des facteurs de croissance, sans que cette stimulation ne puisse être antagonisée par la mise en jeu de récepteurs AT2. Les vaisseaux sont plus épais et les animaux apparaissent prédisposés à la vasoconstriction et au développement de l’hypertension artérielle. Si l’on provoque une hyperplasie de l’intima par constriction de l’artère fémorale de l’animal au moyen d’un collet en plastique, une réexpression locale du récepteur AT2 intervient pour limiter les phénomènes de croissance. Chez les animaux “KO” pour le récepteur AT2, il n’y a pas de réexpression des récepteurs AT2, et les lésions de l’intima au cours de la procédure d’agression de la paroi artérielle sont beaucoup plus importantes. C’est un argument supplémentaire pour indiquer que les récepteurs AT2 se réexpriment dans les situations où il y a surexpression du récepteur AT1. Au niveau du myocarde, beaucoup de travaux ont été consacrés aux conséquences de l’expression des récepteurs AT1 et AT2. Dans les conditions expérimentales où peut être produite une hypertrophie du myocarde (infarctus expérimental), le rapport AT2/AT1 augmente par réexpression des récepteurs AT2 visant à moduler les effets AT1. Dans un modèle d’insuffisance cardiaque, par ligature des coronaires (Liu et coll.), une hypertrophie cardiaque, avec augmentation de taille des myocytes et excès de collagène dans l’interstitium myocardique, se développe. Le traitement par AT1-bloquant prévient ces phénomènes. Par contre, l’association anti-AT1 et anti-AT2 supprime les effets favorables exercés par les AT1 administrés seuls. Cela suggère qu’une partie des effets favorables des AT1-bloquants passent par une stimulation AT2 dont est responsable l’angiotensine II qui circule en grande quantité du fait du blocage des récepteurs AT1 (4). Le tableau II indique les conséquences de la stimulation respective des récepteurs AT1 et AT2. Références 1) Dzau V.J., Horiuchi M. : Differential expresssion of angiotensin receptor subtypes in the myocardium : a hypothesis. Eur. Heart J., 1996, 17 : 978-980. 2) Hayashida W., Horiuchi M., Dzau V.J. : Intracellular third loop domain of angiotensin II type-2 receptor. Role in mediating signal transduction and cellular function. Journal Biol.Chem., 1996, 271 (36) : 21985-21992. 3) Hein L., Stevens M.E., Barsh G., Pratt R.E., Kobilka B.K., Dzau V.J. : Overexpression of angiotensin AT1 receptor transgene in the mouse myocardium produces a lethal phenotype associated with myocyte hyperplasia and heart block. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 1997, 94 : 6391-6396. 4) Liu Y.H., Yang X.P., Sharov V., Nass O., Sabbah H., Peterson E., Carretero O.A. Effects of angiotensin-converting enzyme inhibitors and angiotensin II type 1 receptor antagonists in rats with heart failure. Role of kinins and angiotensin II type 2 receptors. J. Clin. Invest., 1997, 99 : 19261935. 5) Yamada T., Horiuchi M., Dzau V.J. Angiotensin II type 2 receptor mediates programmed cell death. Proc.Natl. Acad. Sci. USA, 1996, 93 : 156-160. Tableau II. Mise en jeu des récepteurs AT1 et AT2 de l’angiotensine II. AT1 Conséquences de la stimulation Expression AT2 vasoconstriction croissance cellulaire prolifération antinatriurèse radicaux libres sécrétion d’aldostérone libération d’endothéline, de catécholamines, molécules d’adhésion, facteurs de croissance vasodilatation inhibition de la croissance cellulaire différenciation cellulaire apoptose natriurèse production de monoxyde d’azote (NO) permanente réexpression seulement dans des situations pathologiques Propos recueillis par le Pr Michel Andrejak au cours des journées de l’HTA, décembre 1997. Act. Méd. Int. - Hypertension (10), n° 8, octobre 1998 202