La Piazza d’Ascona, le trem-
plin vers le sud, un palmier à
Palanzza: le Lac Majeur se
donne un petit air estival avant
l’heure.
ainsi relié à la mer. Il s’agit là d’une vieille voix de navi-
gation, véritable noeud de communication historique et
géographique de l’Europe».
A chaque nouvelle vague, Edouard aborde un nouveau
chapitre. Il nous explique les influences qu’ont eues les
rois, les princes et les combattants pour la liberté espa-
gnols, français et italiens tels que Garibaldi. Il parle aussi
des légionnaires romains, des chevaliers du Moyen Age
et des pèlerins. Il décrit les troupes napoléoniennes, la
bataille de Solferino, plus bas dans la plaine, les violen-
tes batailles navales et les Américains qui conclurent une
paix séparée avec les Allemands peu avant la fin de la
2e Guerre mondiale. Les deux ennemis se rencontrèrent
à Ascona où aujourd’hui, les chaises des restaurants sont
déjà sorties et les clients profitent d’un bon bain de so-
leil, alors que nous sommes seulement à la mi-février.
Mais entre les grands chapitres de l’histoire, plusieurs
destins individuels se sont également dessinés dans la
région. C’est notamment le cas de Narciso Bazzi, de
Brissago. Celui-ci traversa le Gothard afin de travailler
comme remplaçant steward de cabine dans la classe la
plus basse du Titanic et il sombra avec le bateau en plein
océan Atlantique.
Une frontière liquide
Entrée en vigueur cet automne, la convention de Schen-
gen traite également de la traversée des frontières sur
l’eau. Mais cela ne concerne que les personnes et non
les marchandises. Il faut observer les règles internatio-
nales lorsque l’on traverse une frontière sur l’eau: Si l’on
navigue de la Suisse à l’Italie et que l’on transporte des
biens soumis aux droits de douane, il faut accoster au
poste de douane italien situé sur la rive ouest. Celui-ci
se trouve malheureusement dans une zone sans airs, de
telle sorte que le drapeau italien obligatoire du pays
d’accueil ne flotte que très rarement à bord des bateaux.
Du côté suisse, il n’est pas nécessaire de se déclarer pour
autant que l’on n’ait pas à payer de droits de douane.
Mais si l’on a acheté des produits à déclarer en Italie, il
est tout à fait possible d’accoster dans le port d’où l’on
vient au retour et d’informer les douaniers par téléphone.
Ceux-ci viendront ensuite au port.
Après la frontière, dans le détroit de Cannobio, le lac
est moins large et l’Inverna, un vent du sud constant,
augmente en moyenne d’un Beaufort. C’est le lieu de
prédilection des véliplanchistes. A Cannobio, on se re-
trouve dans une ambiance typiquement italienne avec
une culture piémontaise bien présente. Ce bourg his-
torique a reçu une distinction européenne pour sa Bel-
lezza offrant un fort contraste avec les accidents archi-
tectoniques des différents recoins de la rive suisse. Et
surtout de Brissago. Edouard sourit: «Lorsque l’on passe
par Brissago, on peut tout à fait tourner le dos à cet
endroit».
Des eaux aux visages multiples
Malgré la beauté incroyable de la région, naviguer sur
le lac Majeur demande certaines capacités. Il n’est pas
seulement grand, ses rives s’enfoncent très abrupte-
ment dans l’eau, parfois jusqu’à une profondeur de 372
mètres. Selon un vieux texte en latin écrit par un moine,
«le lac est parfois si terrible que l’on ne retrouve plus
l’endroit d’où l’on est parti». Les orages apparaissent
sans crier gare et sont très violents. Il arrive que des
éclairs frappent la surface du lac et l’eau vire alors du
bleu au vert.
Mais le lac propose aussi des airs parfaits pour faire de
la voile par beau temps, comme l’Inverna. En été, ce vent
est réglé comme une horloge: il commence à souffler en
Suisse à 13h30 à 4 bons Beaufort. Il disparaît ensuite
lorsque le soleil passe derrière les montagnes. Puis une
brise de terre se met à souffler à partir de 18h, souvent
à plus de force 4. Il remonte le lac pendant la nuit et re-
vient au lever du soleil sous le nom de Tramontane, un
vent du nord de 3 à 4 Beaufort. La situation se corse
avec le foehn venu du nord qui souffle souvent à 7-8
Beaufort. Et parfois, un cylindre de vent froid atteignant
les 6 Beaufort descend du Gridone (2188 m) sur la rive
ouest. Ce vent porte le même nom que la montagne et
signifie «le cri».
Une autre particularité du lac est le niveau de ses eaux.
Celui-ci peut subir des variations allant jusqu’à quatre
mètres. Après un orage, la Maggia gonfle et se trans-
forme en un véritable torrent. Les talus abrupts de la
vallée très étendue ne peuvent plus contenir les eaux et
le lac se remplit.
Durant les vingt dernières années, le lac a débordé plu-
sieurs fois sur ses rives et son niveau a même augmenté
de deux à trois mètres en un seul jour. La dernière fois,
c’était en 2002. Les habitants des petites villes de la
côte italienne devaient alors traverser la place en canot
pour aller à la pizzeria. Le niveau des eaux du lac est éga-
lement influencé par le barrage: avec ses ouvertures et
ses déversoirs, il se trouve à la sortie du lac près de Sesto
Calende. C’est de là que les Italiens gèrent l’apport d’eau
destinée aux rizières de la plaine du Pô. «Le lac est un
véritable défi continu. Changements de météo et de
vents, préparations pour accoster... Après une sortie en
voilier, je ne suis jamais rentré chez moi en disant que je
m’étais ennuyé», nous confie Edouard.
Croisière-souvenir spéciale
Au Tessin, la saison de voile commence plus tôt et se
termine plus tard que dans le reste de la Suisse. Et le lac
n’est pas seulement parfait pour les longues croisières,
mais aussi pour les petites sorties. Les 15 kilomètres du
côté suisse ont, à eux seuls, beaucoup à offrir. Pour pas-
ser un bel après-midi, rien de tel en effet que de met-
tre le cap sur les îles de Brissago et d’y accoster. Navi-
guer le long du delta de la Maggia et profiter du
spectacle époustouflant offert par les montagnes vaut
également le détour. A la hauteur du delta, le lac ne fait
que deux kilomètres de large et il est recommandé d’y
être spécialement prudent à cause des hauts-fonds. Un
danger tout autre menace les navigateurs, les baigneurs
La saison a commencé, Canno-
bio l’Italienne est prête.