SISEUL LE SOLEIL
ATTIRAIT NOTRE
planète, celle-ci décrirait en permanence,
comme l’avait prévu Kepler, la même ellipse
autour de son étoile. Mais la Lune et les autres
planètes du système solaire exercent, elles
aussi, des effets gravitationnels sur la Terre,
modifiant lentement son orbite elliptique et la
direction de son axe de rotation. Ces varia-
tions ne sont pas sans influence sur la quan-
tité d’énergie que la Terre reçoit du Soleil
pour une saison et un lieu donnés. À l’échelle
de temps des astronomes, l’évolution du
climat ne peut ainsi s’interpréter qu’à la
lumière des trois principaux paramètres qui
régissent les variations de l’orbite terrestre:
l’excentricité, l’obliquité et la précession (VOIR
l’encadré : «La valse astronomique du cli-
mat», p. 30).
C’est au XIXesiècle, alors que démarrent
les recherches sur les glaciers, que les chan-
gements d’insolation liés à la seule préces-
sion sont d’abord rapprochés des variations
climatiques. Un siècle plus tard, le Serbe
Milutin Milankovitch construit une théorie
astronomique des climats qui prend en
compte les trois paramètres. Sa théorie, qui
attribue la succession des âges glaciaires et
interglaciaires aux variations de ces para-
mètres orbitaux, a longtemps été critiquée,
faute de preuves suffisantes. Vers la fin des
années 1960-1970, l’avènement de méthodes
de datation absolue et l’irruption de l’ordina-
teur changent la donne: on met alors en évi-
dence, dans l’évolution passée des glaciers,
des périodicités correspondant précisément à
celles des paramètres de Milankovitch(1). Mais
les calculs astronomiques se sont depuis affi-
nés, de même qu’ont progressé les techniques
d’analyse des carottes issues des sédiments
marins ou des glaces polaires. Et de nom-
breux paradoxes ont été mis au jour…
Selon Milankovitch, ce sont les hautes
latitudes de l’hémisphère Nord qui, parce
qu’elles sont dominées par des continents,
sont les plus sensibles aux changements d’in-
solation. Quand l’insolation y diminue en
été, la neige tombée durant l’hiver persiste et
peut s’accumuler d’une année sur l’autre.
Ayant un albédo*très élevé, celle-ci réfléchit
vers l’espace une grande partie du rayonne-
ment qu’elle reçoit: l’atmosphère est refroi-
die. Cela facilite le maintien de la neige sur
les continents durant la saison chaude et, par
rétroaction, aboutit à la construction de
grandes calottes de glace. À l’inverse, lorsque
l’insolation estivale vers 60° nord augmente,
les neiges fondent et les calottes se rétractent,
LA RECHERCHE HORS SÉRIE 15 -LE SOLEIL-AVRIL 2004
28
On le sait depuis plusieurs
décennies, les fluctuations
de l’insolation de la Terre sont
à l’origine de l’alternance des âges
glaciaires et interglaciaires.
Mais, aujourd’hui encore,
à cause des divers phénomènes
de rétroaction à l’œuvre dans
la machine climatique, ce lien
entre insolation et climat est mal
compris. Et si, au lieu de regarder
exclusivement le Soleil, il fallait
se tourner vers l’océan austral
et son rôle dans le cycle du CO2?
Didier Paillard
est chercheur au laboratoire
des sciences du climat
et de l’environnement,
Gif-sur-Yvette.
Frédéric Parrenin
est chercheur au laboratoire
d’études en géophysique
et océanographie spatiales,
Toulouse.
cnes.fr
*ALBÉDO :pourcentage du rayonnement solaire
incident qui est réfléchi vers l’espace, et ne sert
donc pas à réchauffer la planète.
*QUATERNAIRE,ou pléistocène : ère géologique
s’étendant de – 1,8 million d’années à nos jours.
LE PARADOXE DE
LA FONTE DES GLACES
Pourquoi l’existence d’une énorme calotte glaciaire favorise un réchauffement
laissant filer moins d’énergie vers l’espace,
d’où une hausse globale des températures.
Enfin, les variations de l’excentricité ayant
un impact bien moindre sur l’insolation que
celles de l’obliquité et de la précession (on
estime aujourd’hui les changements qu’elles
engendrent respectivement à 0,1 %, 1 % et
10 %), Milankovitch pense que les principaux
cycles climatiques sont de 23000 ans (en
réponse au mouvement de précession) et de
41000 ans (obliquité).
Un lien
plus complexe
que prévu. Partant de ces postulats, le
mathématicien serbe établit une chronologie
des âges glaciaires du quaternaire*conforme
à celle que donne alors l’observation des
moraines et autres traces laissées par les gla-
ciers. Mais de nos jours, par l’analyse d’élé-
ments radioactifs, on sait dater les roches avec
beaucoup de précision. Et il est désormais clair
que le cycle qui domine, dans les reconstitu-
tions climatiques du quaternaire, n’est ni
celui de 23000, ni celui de 41000, mais celui
de 100000 ans! Par ailleurs, on sait qu’une
déglaciation majeure est survenue voici envi-
ron 420000 ans, sans doute la plus importante
du dernier million d’années. Or, à cette
époque, les changements d’insolation étaient
faibles! À l’inverse, de fortes variations ne sont
parfois associées qu’à de faibles changements
du volume des calottes polaires. Le lien entre
astronomie et climat n’est donc pas aussi
simple que Milankovitch l’avait imaginé…
Dans la logique de Milankovitch, la pla-
nète se réchauffe globalement après qu’une
augmentation locale de l’insolation eut pro-
voqué la fonte des calottes de l’hémisphère
Nord. Or, par différentes mesures isotopiques
effectuées ces dernières décennies, il est
apparu qu’à la fin d’une période glaciaire,
dans de nombreuses régions, la température
grimpe pendant plusieurs milliers d’années
avant que les calottes du Nord ne commen-
cent à fondre: c’est donc le climat global qui
agit sur elles, et non l’inverse. Par ailleurs,
via l’analyse des gaz dans les bulles d’air
qu’elle renferme, la célèbre carotte de Vostok
(Antarctique) a montré que tous les quelque
100000 ans (il y a 310000, 240000, 135000
et 15000 ans), le réchauffement se produit en
même temps qu’une augmentation très
importante du taux de CO2atmosphérique : il
passe alors de 180 à 280 parties par millions
en volume(2). Il semble donc bien que la
reconstitution des climats à cette échelle ne
puisse se faire sans tenir compte du CO2. Mais
comment expliquer que son taux varie ainsi
tous les 100000 ans?
Tout le monde considère aujourd’hui
qu’en période glaciaire, le carbone doit être
en grande partie stocké dans l’océan, donc
moins présent dans l’atmosphère. Mais en
dépit de nombreuses hypothèses, personne
ne sait vraiment expliquer ce phénomène.
Nous avons tenté d’y répondre en examinant,
dans un premier temps, les différentes étapes
nécessaires pour passer d’une période gla-
ciaire à une déglaciation. Nos recherches ont
montré que celle-ci ne survient qu’après un
maximum glaciaire(3) : autrement dit, une
énorme calotte fond facilement, alors qu’une
petite a tendance à grossir. On sait pourtant
que les calottes refroidissent le climat.
Pourquoi, passée une certaine limite, favori-
sent-elles au contraire un réchauffement? Ce
dernier, on l’a vu, est contemporain à une
LA RECHERCHE HORS SÉRIE 15 -LE SOLEIL-AVRIL 2004 29
ÉNIGMES
DÉGLACIATIONS
Pendant le quaternaire, une déglaciation
ne survient qu’après un maximum
glaciaire. La clé du phénomène résiderait
dans la capacité des eaux de l’Antarctique
à piéger le carbone.
©Y. Arthus-Bertrand/Altitude
augmentation du CO2atmosphérique. Un
maximum glaciaire pourrait-il induire une
hausse rapide et massive de ce CO2? La mer
jouant un rôle clé dans le bilan du CO2, c’est
vers elle qu’il convient de se tourner…
En mesurant la concentration en ions
chlorure dans les eaux interstitielles des sédi-
ments marins, des chercheurs ont montré
qu’en période glaciaire, les eaux profondes, et
particulièrement celles de l’océan austral,
sont beaucoup plus salées qu’elles ne
devraient l’être, eu égard à la baisse du niveau
marin(4). On sait de plus, par un modèle cou-
plant l’océan et l’atmosphère, qu’en climat
très froid, le fond des océans peut se remplir
d’eaux de basse température et de salinité éle-
vée provenant du pourtour de l’Antarctique(5).
Pourquoi? L’explication en est simple. Quand
le thermomètre descend dans cette région, les
précipitations diminuent et la salinité aug-
mente; et ce, d’autant plus qu’il y a formation
de glace de mer, le processus libérant des sels
dans les eaux environnantes (VOIR l’encadré:
«Quand la mer gèle», p. 31). La densité de
l’eau étant fonction de sa température et de sa
salinité, ces eaux plongent et laissent leur
place à des eaux moins salées et moins froides.
Lorsque la profondeur est relativement faible,
comme sur le plateau continental*en mer
de Weddell ou en mer de Ross (Antarctique),
ce brassage vertical permet de refroidir l’eau
quasiment jusqu’au fond. Avec un climat
suffisamment froid, en période glaciaire, il est
donc possible que cette eau soit extrêmement
dense et se répande, via la circulation thermo-
haline*, au fond de tous les océans.
Après un maximum glaciaire, les grandes
calottes de l’hémisphère Nord peuvent
cependant faire baisser le niveau marin de
120 mètres. L’extension de la calotte antarc-
tique est alors facilitée, et celle-ci peut
s’étendre jusqu’au bord du plateau conti-
nental(6), lequel est cerné de mers profondes.
Le brassage vertical s’en trouve limité: si des
eaux froides et salées plongent, la profon-
deur est telle qu’elles ne parviennent pas à
refroidir toute la colonne d’eau. Les eaux de
fond sont donc moins denses. Quel rapport
LA RECHERCHE HORS SÉRIE 15 -LE SOLEIL-AVRIL 2004
30
Àlong terme, trois facteurs astronomiques gouvernent les fluctuations de
l’insolation terrestre :
L’exc en trici(périodicité principale : 400 000 ans ; périodicité secondaire :
100 000 ans) : dans son mouvement autour du Soleil, la Terre décrit une ellipse
plus ou moins aplatie. Cet aplatisse-
ment, ou excentricité, est donné par le
rapport c/acest la distance entre
le Soleil et le centre de l’ellipse, et a le
demi grand axe de l’ellipse. Il est aujourd’hui de 1,67 % mais a varié entre 0 % et 6 %
au cours du dernier million d’années.
L’ob liq uit é (périodicité principale : 41 000 ans) : la Terre tourne sur elle-même
autour d’un axe plus ou moins incliné par rapport au plan de son orbite. Cette incli-
naison, qui porte le nom d’obliquité, est actuellement de 23°27’ et a varié d’environ
22° à 25° au cours du dernier million d’années.
La précession climatique résulte de la combinaison de deux phénomènes : d’une
part, la rotation du grand axe de l’ellipse par rapport aux
étoiles (périodici : 135 000 ans) modifie le moment de
l’année où la Terre est au périhélie; d’autre part, l’attrac-
tion qu’exercent le Soleil et la Lune sur le bourrelet équa-
torial terrestre engendre un mouvement de toupie
(périodicité de cette précession axiale : 26000 ans). Ainsi,
la Terre ne se trouve pas toujours au même point de son
orbite lors des solstices et équinoxes.
la valse astronomique
du climat
Soleil
Terre
Excentricité
Obliquité
périhélie
Précession climatique
grand axe
*CIRCULATION THERMOHALINE :ensemble
des courants marins profonds générés
par les variations de température (thermo)
et de salinité (haline) des eaux de surface.
©C.Chalier
avec le CO2? Dans les océans, les eaux pro-
fondes accumulent le carbone qui tombe de
la surface par dégradation de la matière
organique. En période glaciaire, les eaux
profondes venues de l’Antarctique sont telle-
ment denses que, dans leur voyage autour
du monde, elles se mélangent peu aux eaux
sous lesquelles elles glissent. Le carbone
qu’elles renferment est donc bel et bien
piégé. En revanche, dès qu’est atteint un
maximum glaciaire, la calotte Antarctique
s’étend sur le plateau continental, et la for-
mation d’eaux profondes est contrariée.
Moins denses, les eaux profondes vont alors
davantage se diluer dans d’autres. En cir-
culant à travers les océans, elles vont ainsi
progressivement relâcher leur carbone vers
la surface, lequel finira par rejoindre l’atmo-
sphère et réchauffer la terre entière. Ce qui
fera fondre les calottes des deux hémi-
sphères, et signera l’entrée dans une période
interglaciaire…
Des rétroactions
à prendre en compte. Un tel scénario
ne remet pas en cause la théorie de
Milankovitch: ce sont bien les variations des
paramètres orbitaux qui imposent les grands
rythmes glaciaire-interglaciaire. Les choses
s’avèrent cependant bien plus compliquées
que le mathématicien serbe ne l’imaginait,
nombre de rétroactions devant être prises
en compte. Les modifications de la végétation
ou de la circulation océanique jouent notam-
ment un rôle déterminant dans les cycles
climatiques de 23000, 41000 ans ou 100000
ans; et ces derniers ne s’expliquent qu’en
invoquant les variations du taux de CO2
atmosphérique.
Si, aujourd’hui, on parvient tant bien que
mal à simuler l’évolution passée des calottes
de glace, cela ne se fait qu’en introduisant
artificiellement un certain nombre de
valeurs, notamment pour le CO2. Le modèle
que nous proposons devrait permettre de se
passer d’un tel artifice. Il reste cependant à
valider ses différentes étapes en les confron-
tant aux modèles de circulation océanique,
de dynamique des glaciers et au cycle du car-
bone, mais aussi et surtout à des données
paléoclimatiques plus précises. D. P., F. P.
LA RECHERCHE HORS SÉRIE 15 -LE SOLEIL-AVRIL 2004 31
ÉNIGMES
DÉGLACIATIONS
RÉFÉRENCES
(1) J.D. Hays et al., Science,
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Nature, 268, 44, 1977.
(2) J.-R. Petit et al., Nature
399, 429, 1999.
(3) D. Paillard, Nature, 391,
378, 1998 ; F. Parrenin et
D. Paillard, Earth and
Planetary Science Letters,
214, 243, 2003.
(4) J.F. Adkins et al., Science,
298, 1769, 2002.
(5) R. J. Stouffer, S. Manabe,
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(6) C. Ritz et al., J. Geophys.
Res., 106, 31943, 2001.
POUR EN SAVOIR PLUS
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G. Lambert, La Terre chauffe-t-elle ?, EDP Sciences, 2001.
A. Berger, Le Climat de la Terre: un passé pour quel avenir ?,
De Boeck, 1992.
J.-C. Duplessy, Quand l’océan se fâche, Odile Jacob, 1996.
wwUn site du CNRS dédié au climat :
www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim/index.htm
wwDes éléments pédagogiques :
www.inrp.fr/Acces/biotic/environ/paleoclimats/html/synthese.htm
www.doc.mmu.ac.uk/aric/eae
wwwww.larecherche.fr
Pour que l’eau de mer se transforme en glace, elle doit refroidir jusqu’à
son point de congélation, soit –1,9 °C pour une salinité de 35 ‰. Le pro-
cessus s’accompagne d’une dilatation, qui rend la glace plus légère que
l’eau. Il a aussi pour effet de séparer eau
pure et sels, l’eau formant des cristaux
de glace et les sels augmentant la salinité des eaux qui les entourent.
Devenues plus salées, tout en étant froides, ces eaux voient leur densité
augmenter et plongent. Des eaux moins salées et plus chaudes remontent
et prennent leur place. Une fois refroidies en surface, elles sont à leur tour
transformées en glace et en sels, et le processus se répète.
Aux premiers cristaux de glace, succèdent des aiguilles qui finissent par
donner à l’océan l’ap-
parence d’un gigan-
tesque « sorbet ».
Les plongées d’eau
se font alors sur
des profondeurs
croissantes, jusqu’au
moment où l’épais-
seur de la banquise
est telle qu’elle forme
un isolant thermique.
Durant l’été, des
vents venus de terre
l’entraînentversle
large oùellefond
par morceaux. Ce qui
reste sur place per-
siste pendant plu-
sieurs années, se
couvrant de neiges
transformant peu à
peu sa composition
chimique.
Aujourd’hui (FIG.1),
sur le pourtour du
continent austral, les
précipitations abon-
dantes limitent la
salinité locale. Les
eaux qui plongent
sont donc peu denses
et le carbone nest
pas piégé de façon
optimale.
En période glaciaire
(FIG.2), les précipi-
tations diminuant, ce
brassage vertical per-
met en revanche de refroidir l’eau jusqu’au fond du plateau continental :
la stratification de l’océan alentour est alors telle que le carbone peut
difficilement remonter.
Mais dès qu’un maximum glaciaire est atteint (FIG.3), la calotte antarc-
tique envahit le plateau. Résultat : la profondeur d’eau devient impor-
tante, et la formation d’eaux de fond denses contrariée. La stratification
de l’océan en est diminuée, et le carbone peut atteindre la surface puis
rejoindre l’atmosphère.
quand la mer gèle
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