avec le CO2? Dans les océans, les eaux pro-
fondes accumulent le carbone qui tombe de
la surface par dégradation de la matière
organique. En période glaciaire, les eaux
profondes venues de l’Antarctique sont telle-
ment denses que, dans leur voyage autour
du monde, elles se mélangent peu aux eaux
sous lesquelles elles glissent. Le carbone
qu’elles renferment est donc bel et bien
piégé. En revanche, dès qu’est atteint un
maximum glaciaire, la calotte Antarctique
s’étend sur le plateau continental, et la for-
mation d’eaux profondes est contrariée.
Moins denses, les eaux profondes vont alors
davantage se diluer dans d’autres. En cir-
culant à travers les océans, elles vont ainsi
progressivement relâcher leur carbone vers
la surface, lequel finira par rejoindre l’atmo-
sphère et réchauffer la terre entière. Ce qui
fera fondre les calottes des deux hémi-
sphères, et signera l’entrée dans une période
interglaciaire…
Des rétroactions
à prendre en compte. Un tel scénario
ne remet pas en cause la théorie de
Milankovitch: ce sont bien les variations des
paramètres orbitaux qui imposent les grands
rythmes glaciaire-interglaciaire. Les choses
s’avèrent cependant bien plus compliquées
que le mathématicien serbe ne l’imaginait,
nombre de rétroactions devant être prises
en compte. Les modifications de la végétation
ou de la circulation océanique jouent notam-
ment un rôle déterminant dans les cycles
climatiques de 23000, 41000 ans ou 100000
ans; et ces derniers ne s’expliquent qu’en
invoquant les variations du taux de CO2
atmosphérique.
Si, aujourd’hui, on parvient tant bien que
mal à simuler l’évolution passée des calottes
de glace, cela ne se fait qu’en introduisant
artificiellement un certain nombre de
valeurs, notamment pour le CO2. Le modèle
que nous proposons devrait permettre de se
passer d’un tel artifice. Il reste cependant à
valider ses différentes étapes en les confron-
tant aux modèles de circulation océanique,
de dynamique des glaciers et au cycle du car-
bone, mais aussi et surtout à des données
paléoclimatiques plus précises. D. P., F. P. ◆
LA RECHERCHE HORS SÉRIE N°15 -LE SOLEIL-AVRIL 2004 31
ÉNIGMES
DÉGLACIATIONS
RÉFÉRENCES
(1) J.D. Hays et al., Science,
194, 1121, 197; A. Berger,
Nature, 268, 44, 1977.
(2) J.-R. Petit et al., Nature
399, 429, 1999.
(3) D. Paillard, Nature, 391,
378, 1998 ; F. Parrenin et
D. Paillard, Earth and
Planetary Science Letters,
214, 243, 2003.
(4) J.F. Adkins et al., Science,
298, 1769, 2002.
(5) R. J. Stouffer, S. Manabe,
Clim. Dyn., 20, 759, 2003.
(6) C. Ritz et al., J. Geophys.
Res., 106, 31943, 2001.
POUR EN SAVOIR PLUS
✑✑S. Jousseaume, Climats d’hier à demain, CNRS Éditions, 1999.
✑✑G. Lambert, La Terre chauffe-t-elle ?, EDP Sciences, 2001.
✑✑A. Berger, Le Climat de la Terre: un passé pour quel avenir ?,
De Boeck, 1992.
✑✑J.-C. Duplessy, Quand l’océan se fâche, Odile Jacob, 1996.
wwUn site du CNRS dédié au climat :
www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosclim/index.htm
wwDes éléments pédagogiques :
www.inrp.fr/Acces/biotic/environ/paleoclimats/html/synthese.htm
www.doc.mmu.ac.uk/aric/eae
wwwww.larecherche.fr
Pour que l’eau de mer se transforme en glace, elle doit refroidir jusqu’à
son point de congélation, soit –1,9 °C pour une salinité de 35 ‰. Le pro-
cessus s’accompagne d’une dilatation, qui rend la glace plus légère que
l’eau. Il a aussi pour effet de séparer eau
pure et sels, l’eau formant des cristaux
de glace et les sels augmentant la salinité des eaux qui les entourent.
Devenues plus salées, tout en étant froides, ces eaux voient leur densité
augmenter et plongent. Des eaux moins salées et plus chaudes remontent
et prennent leur place. Une fois refroidies en surface, elles sont à leur tour
transformées en glace et en sels, et le processus se répète.
Aux premiers cristaux de glace, succèdent des aiguilles qui finissent par
donner à l’océan l’ap-
parence d’un gigan-
tesque « sorbet ».
Les plongées d’eau
se font alors sur
des profondeurs
croissantes, jusqu’au
moment où l’épais-
seur de la banquise
est telle qu’elle forme
un isolant thermique.
Durant l’été, des
vents venus de terre
l’entraînentversle
large oùellefond
par morceaux. Ce qui
reste sur place per-
siste pendant plu-
sieurs années, se
couvrant de neiges
transformant peu à
peu sa composition
chimique.
Aujourd’hui (FIG.1),
sur le pourtour du
continent austral, les
précipitations abon-
dantes limitent la
salinité locale. Les
eaux qui plongent
sont donc peu denses
et le carbone n’est
pas piégé de façon
optimale.
En période glaciaire
(FIG.2), les précipi-
tations diminuant, ce
brassage vertical per-
met en revanche de refroidir l’eau jusqu’au fond du plateau continental :
la stratification de l’océan alentour est alors telle que le carbone peut
difficilement remonter.
Mais dès qu’un maximum glaciaire est atteint (FIG.3), la calotte antarc-
tique envahit le plateau. Résultat : la profondeur d’eau devient impor-
tante, et la formation d’eaux de fond denses contrariée. La stratification
de l’océan en est diminuée, et le carbone peut atteindre la surface puis
rejoindre l’atmosphère. ◆◆
quand la mer gèle