INSTABILITE ECONOMIQUE ET INCERTITUDE EN AFRIQUE
PhilippeHUGON
ProfesseurdeSciencesEconomiques
UniversiParisX
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INSTABILITE ECONOMIQUE ET INCERTITUDE EN AFRIQUE
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Philippe HUGON
Professeur de Sciences Econom
iques
Université Paris 10 -
Nanterre
CERED/LAREA – GEMDEV
Dans un monde turbulent, voire chaotique, les thèmes de l'instabilité, du risque et
de l'incertitude sont devenus essentiels. La recherche collective menée au sein du
CERED/LAREA de l'Université Paris 10 - Nanterre sous la direction de Guy POURCET,
Suzanne QUIERS-VALETTE et de moi-même cherche à questionner ces catégories
dans le cas de l'Afrique subsaharienne. Nous avons publié un propos d'étape où sont
intervenus notamment Stéphane COLLIGNON, Olivier FAVEREAU, Régis MAHIEU,
Denis REQUIER-DESJARDINS, Olivier SUDRIE.
Nous allons, en nous inspirant de ces travaux tout en développant des propos
personnels, aborder trois questions.
1/ Comment repenser la micro-économie orthodoxe mais également l'anthropologie
économique en intégrant le risque et l'incertitude ; notamment en mettant l'économie des
organisations à l'épreuve des économies africaines ?
1. Cette étude "Instabilis, incertitudes et efficience des organisations africaines" a été financée par le
projet SAAUF du
Ministère de la Coopération et du Développement.
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2/ Comment à un niveau macro-économique analyser l'impact des turbulences
internationales, des instabilités et des chocs extérieurs sur les économies africaines,
en utilisant la modélisation macro économétrique ?
3/ Comment enfin penser la crise africaine ? Comme un changement de
trajectoire et une bifurcation traduisant l'épuisement d'une économie de rente et
d'anciens modes de régulation, en mettant à l'épreuve la théorie des systèmes
complexes ?
1. Risque, incertitude et comportement micro-économique
1.1 Leshypothèses
Les agents africains évoluent dans un univers de règles et de normes, mais ils ont
des marges de jeu. Il importe, dès lors, de voir les limites tant de la micro-économie
standard qui privilégie la rationalité substantielle que de l'anthropologie qui met en
avant les effets de structure.
Les agents sont en situation d'information imparfaite et asymétrique. Ils ont des
rationalités adaptatives ou limitées qui se réfèrent à plusieurs registres. Ils
appartiennent à des groupes qui leur imposent des obligations redistributives. Il faut, à
la limite, inverser les hypothèses de la théorie standard. Les règles sociales
conduisent à des consommations nécessaires puisque l'ajustement porte, non pas sur
le choix des consommations, mais sur le revenu (allocation du temps, polyactivités).
Plus précisément, les agents interviennent dans un univers risqué voire incertain.
Le risque, probabilisable, conduit les agents à un comportement de minimisation
de risque, il y a logique de diversification de portefeuille ou d'externatisation du risque
sur l'environnement.
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L'incertitude correspond au contraire à un univers non probabilisable. Il faut, dès
lors, abandonner la théorie de la maximisation de l'espérance mathématique de l'utilité.
Les agents peuvent ajuster, comme le dit KEYNES à propos des "esprits animaux",
leurs anticipations sur les anticipations des autres ; ce qui conduit à des prophéties
auto-réalisantes pouvant expliquer, entre autre, l'afro-pessimisme actuel des
décideurs. Les agents créent des règles et choisissent des modalités de coordination
de leurs transactions réductrices d'incertitude. Ils peuvent, comme l'analyse
FAVEREAU à la suite de BOLTANSKY et de THEVENOT, prendre des décisions qui
constituent un premier lieu de coordination. En situation d'incertitude, les agents n'ont
pas une optimisation dynamique séquentielle. Ils ont une forte préférence pour la
liquidité ou pour l'immédiateté. Ils préfèrent des actifs monétaires et financiers aux
actifs physiques leur donnant un éventail de choix et évitant l'irréversibilité de la
décision.
1.2 L'applicationenAfrique
La mise à l'épreuve de ce questionnement semble pertinente dans le cas africain.
L'importance des réseaux communautaires, des logiques de transferts et de
prestations, redistribution ou des droits et obligations dont parlent Régis MAHIEU ou
Mamadou KOULIBALY, les imbrications entre les sphères domestiques et marchandes
que traite Guy POURCET à propos de l'informel ou la permanence des habitudes
alimentaires analysées par Denis REQUIERS-DESJARDINS peuvent être
réinterprétés à la lumière de l'économie des conventions et des organisations. Le
traitement de l'incertitude à travers les règles de décision conduit à des dynamiques
spécifiques des unités collectives ; elles peuvent aboutir, selon qu'il y a effet de
composition ou de compensation, à une
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amplification ou à une réduction des instabilités au niveau collectif.
Plusieurs illustrations peuvent être faites sur le cas de l'Afrique :
Les investisseurs étrangers préfèrent l'attentisme et des formes de
placement à taux de retour rapide du capital. Leur comportement s'explique selon
Suzanne QUIERS-VALETTE par le passage d'une situation de risque à celle de
l'incertitude.
Les agents de l'informel en situation de risque ou d'incertitude pratiquent
la polyactivité, reportent sur l'environnement ces risques, s'appuient sur de la main
d'œuvre familiale. Il en résulte des seuils organisationnels interdisant le
développement graduel des petites unités et leur transformation en PME (G.
POURCET).
Les agents africains (paysans, producteurs informels) ont des logiques
de minimisation de risques. Les parents qui investissent dans l'école, les producteurs
qui font de la polyactivité, ou les migrants urbains affectent une probabilité subjective
aux revenus escomptés et raisonnent en terme d'espérance mathématique de gains
ou de l'utilité. Les agents ont intérêt à extensifier leurs activités plus qu'à intensifier, à
diversifier leurs portefeuilles au lieu de se spécialiser. Le poids du quotidien conduit à
une très forte préférence pour le présent, d'où des taux d'intérêt usuraires. La
caractéristique des sociétés à faible détour productif est l'instabilité, la faible espérance
de vie, l'insécurité, la précarité empêchant un horizon de long terme et induisant une
préférence pour l'immédiateté. Mais ces logiques se situent également dans l'horizon
de long terme des appartenances communautaires. La communauté est, en l'absence
de welfare state, un réducteur d'incertitude. Les règles tontinières permettent de
réaliser un décaissement immédiat face à un événement aléatoire. Les mécanismes
de prestation/redistribution
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