La revue du mois de mai 2016

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USPC HUMANITÉS MÉDICALES
N° 1
Mai 2016
DANS CE NUMÉRO
p1-2
CAS CLINIQUE
VIH: prise en charge et
secret médical ? Le refus
de soin.
p3THÉMATIQUES
Les limites du soin
LE CAS CLINIQUE DU MOIS
Voici le résumé d’un cas présenté par StudLa- DES
Médecine générale. Vous pouvez retrouver l’intégralité
du cas clinique au sein de la plateforme collaborative.
« VIH: prise en charge et secret médical »
M
me X, 56 ans, est admise aux urgences
avec pour large motif « altération de l’état
général ». Très peu bavarde, ne répondant pas aux
questions, je trouve un compte-rendu de 2015 qui
conclut à une découverte de séropositivité VIH. La
p4INTERVIEW
patiente a arrêté son traitement, vit seule, dans de
Martine Ruszniewsky,
très mauvaises conditions. Sa nièce l’a amenée plus ou
l’Annonce.
moins de force aux urgences. La patiente n’a aucune
plainte, et refuse qu’on la prenne en charge. L’examen
neurologique est normal, tout comme l’examen
cardio-pulmonaire, et je ne vois pas de lésion sur la
peau. Elle ne semble pas douloureuse, ni affaiblie. La
senior conseille de ne rien faire, de ne demander aucun
bilan, mais d’orienter la patiente vers un médecin
qui suit ses patients en consultation. La patiente m’affirme qu’elle
Mots clés
le contactera, mais je n’y crois absolument pas. Elle m’autorise à
aller voir sa nièce, mais m’interdit de lui parler de sa séropositivité.
secret médical
Cette dernière m’interpelle, ne comprenant pas que sa tante ne soit
pas hospitalisée. J’ai du mal à trouver les réponses adéquates, lui
refus de soin
expliquant l’importance que sa tante soit suivie. Elle me demande
famille
avec insistance un diagnostic et des explications sur son état de
autonomie
santé actuel. Je répète que je dois respecter le secret médical, que je
conflit entre principes
n’ai pas le droit de lui en dire davantage. Une semaine plus tard, je
retrouve cette patiente hospitalisée dans mes lits, avec une ulcération
au niveau du palais. La trithérapie était débutée à nouveau devant
le taux très faible de CD4. J’ai généralement un bon contact avec
Cette publication vous est proposée par USPC Humanités Médicales, dispositif de formation en éthique et humanités médicales à destination des étudiants de médecine des Universités
Paris 7, Paris 5 et Paris 13.
mes patients, mais dans ce cas, je n’ai pas réussi à
instaurer un dialogue. La démarche de soin était à
sens unique : elle parlait peu, n’exprimait jamais de
plainte. Elle n’était pas opposante aux examens mais
cachait ses médicaments. J’ai sûrement eu tort de ne
pas insister pour que la patiente obtienne une prise
en charge psychologique. Durant l’hospitalisation
la nièce appelait fréquemment pour prendre des
nouvelles et me posait avec insistance les mêmes
questions pour connaître le diagnostic exact et son
pronostic. J’avais beau lui répéter que je ne pouvais
pas lui donner plus d’information sans l’accord de sa
tante, elle recommençait. Au final, la patiente a été
transférée dans un service de maladies infectieuses
dans un hôpital voisin.
L’analyse du cas clinique
Le questionnement de l’interne était centré sur
la question du secret médical : doit-on ou pas,
pour aider la patiente, informer la nièce de son
état de santé ? Apparaît alors un autre enjeu
majeur de ce récit : celui du refus de soin.
La situation implique de manière évidente la
question du secret médical par rapport à laquelle
le médecin a peu de marge de manœuvre : les
devoirs de la profession sont clairement indiqués
dans le code de déontologie médicale, texte à la
fois déontologique et juridique. Ici, la loi s’opposait
absolument à ce que la séropositivité de la patiente
soit révélée à sa nièce, cette situation ne relevant
pas des cas peu nombreux et strictement définis
où la loi permet ou oblige à rompre le secret. Le
respect du secret n’est pas seulement un devoir
médical, c’est aussi un droit du malade inscrit dans
la loi (L 1110-4 du Code de la santé publique). Si le
secret s’imposait ici clairement, la situation relevait
une autre difficulté majeure : le problème, très
déstabilisant, de l’absence de demande de soin face
à une pathologie grave et avérée. Sur le plan éthique
s’opposent alors les principes de bienfaisance et
de respect de la personne dans son autonomie.
Résumé de l’analyse
La problématique du secret médical semble au
centre de ce cas clinique pour l’interne. « Au
delà de la situation inconfortable vécue par
le médecin, entre le malade et la famille, le
maintien du secret médical ne fait aucun doute,
aussi bien légalement que humainement. La
situation la plus déstabilisante et interrogatrice
apparaît dans le refus de soin, ou tout du moins
sa non demande. Le métier de soignant, comme
son apprentissage, ne prépare pas à ce refus. »
(L’analyse du cas est extraite des commentaires
de Christophe Frot, Claude-Olivier Doron et
Philippe Amiel)
Comment concilier la bienfaisance (rassurer la
nièce, faciliter une prise en charge de la patiente
par sa famille) avec le respect de la patiente dans
son autonomie ? Les soignants sont effectivement
mal préparés au quotidien à ces situations de refus,
lorsqu’ils se heurtent à une absence apparente de
demande, alors qu’ils désirent précisément soigner.
Il s’agira alors d’essayer de prendre en compte les
raisons d’un refus de soin, pour entrer en dialogue
avec la patiente : vision particulière du VIH ? Trop
grande fragilité ? Isolement ? S’appuyer sur l’aide
de la nièce, déjà très présente, orienter la patiente
vers des associations, dialoguer sur les raisons de
son refus, peut lui permettre d’évoluer. Enfin,
c’est un point avec lequel l’interne de médecine
doit malheureusement se confronter : soit pour
des raisons organisationnelles, soit pour des
raisons liées à l’autonomie même des personnes
et leur mode de fonctionnement, il faut accepter,
à un moment, les limites de son action, et ne pas
les ressentir comme un échec ou avec culpabilité.
Les ressources associées
Articles
Paris, Belles Lettres, 2008
▶▶ Gillon R. «Medical ethics: four principles plus attention
to scope». BMJ. 1994;309(6948):184 8.
▶▶ Childress J., Beauchamp T. Principles of Medical Ethics,
1985 ; en français : Les Principes de l’éthique biomédicale,
▶▶ Engelhardt HT, The Foundations of Bioethics, Oxford
University Press, 1996 ; en français : Les Fondements de
la bioéthique, Paris, Belles Lettres, 2015.
▶▶ Cours de C-O Doron, «l’éthique du secret médical».
2 • USPC Humanités Médicales • N°1 • Mai 2016
LES THÉMATIQUES DU MOIS:
LES LIMITES DU SOIN
Les limites du soin traversent les problématiques
abordées ce mois-ci par les étudiants : refus de soin,
impossibilité de rentrer en communication avec
le patient, incurabilité, limites du savoir médical.
Confrontés aux limites du curatif, c’est leur place
même de soignant que les internes interrogent.
Tous évoquent le malaise qui s’installe face à
l’absence apparente de solution. Leurs ressources
se trouvent alors, dans les récits rapportés, dans le
compagnonnage. En se tournant vers leurs séniors,
les internes trouvent une réponse qui leur semble
inattendue : savoir accepter ces limites, savoir ne rien
faire, et explorer les possibilités offertes par le réseau
de relations et plus généralement par une autre vision
du soin. « Cette relation suppose alors du côté du
soignant non seulement de la compétence, mais aussi
de l’attention à autrui et un engagement personnel.
Lorsque les gestes techniques de soin ont été effectués,
ou bien lorsqu’il n’existe pas de geste technique qui
répondent aux besoins d’autrui, la présence seule
constitue (encore) un soin, voire seule la présence
constitue le soin approprié, parfois sans parole,
sans tentative de minimiser la souffrance, mais dans
l’attention à l’autre et dans la reconnaissance et le
respect de sa souffrance » (voir C. Lefève - cours sur
l’éthique du care). Dans L’éthique du care, Brugère
écrit : « La puissance d’activité du « prendre soin
de » tient dans une attention à la vulnérabilité et
aux chaînes de vulnérabilité (la sienne propre, celle
des autres dont on a la responsabilité, etc.) Elle est
Sélection de ressources documentaires
une manière de faire en fonction des dépendances et
des interdépendances » (p. 38). Or, dans ces chaînes
de dépendance, les relations avec la famille ont
également été beaucoup interrogées. Comme nous le
rappelle Martine Ruszniewski (Interview p.4) dans la
relation de soin, « les proches sont du côté du sujet,
ils sont le signal que ce patient est un sujet avec son
histoire, ses relations, son existence, ses proches…
et tout cela doit continuer de faire irruption dans le
service. Au risque de gêner, de perturber, en sachant
qu’il est possible de se nourrir de cet inconfort pour
rendre la relation vivante ». (L’annonce, p.128).
Actualités du mois
Colloque international « Savoirs, pratiques, politiques.
Les transformations contemporaines des mondes de la
santé » organisé par le Cermes 3, Paris, 25-26-27 mai
2016.
Cours
▶▶ « L’éthique du care », par C. Lefève.
▶▶ « L’éthique du secret médical », par C-O. Doron.
▶▶ «L’erreur médicale », par M.Wolff et A.Tanase.
▶▶ Emanuel, E., Emanuel, L., « Fours models of the physicianpatient relationship », JAMA, 267, 1992, p. 2221(6).
« Soin primaire: vous avez dit économie ou
économies ? », Dpt Médecine générale de P7, Paris,
2 juin 2016 à 20h.
▶▶ Lefève, C., « De la philosophie de la médecine de G.
Canguilhem à la philosophie du soin médical», Revue de
Métaphysique et de Morale, N°2, 2014.
Journée de recherche sur « l’interruption médicale de
grossesse », MSH Ange-Guépin, Nantes, 10 juin 2016.
▶▶ Zielinski, A., « Avec l’autre, la vulnérabilité en partage »,
Etudes, Tome 406, 2007/6, pp. 769-778
« Questions d’éthique», Association EthicA, Nantes,
5-6 novembre 2016.
Articles
3 • USPC Humanités Médicales • N°1 • Mai 2016
ENTRETIEN AVEC...
Martine Ruszniewski
Psychanalyste à l’Institut Curie,
membre et leader accrédité de la
Société Médicale Balint.
À lire
1995 Face à la
maladie grave.
2012 Groupe de
« Ce que les patients veulent :
un sujet pleinement présent
face à eux »
Entretien autour de
L’annonce, Dire la maladie
grave, paru chez Dunod en
2015. Un accompagnement
précieux pour les soignants.
parole à l’hôpital.
2015 L’annonce,
Dire la maladie
grave.
Votre ouvrage se positionne du côté des soignants. On
sent une volonté constante de les déculpabiliser face
à la peur de « mal dire ». Comment percevez-vous la
souffrance des soignants dans ce rôle « d’annonceurs » ?
risque étant de faire de l’annonce une transmission
brute d’information. Voyez-vous naître une attitude
militante face à cette organisation ?
MR: La souffrance des médecins se joue dans l’ambivalence
médecins. Ils sont constamment sélectionnés, sur ce qu’ils font,
entre les très nombreuses recommandations, les obligations
sur ce qu’ils écrivent et doivent publier, et sanctionnés pour ce
légales de dire la vérité, et la réalité psychique du patient. Si
qu’ils ne font pas. Or, l’humanité est entièrement laissée de côté,
d’un point de vue livresque, cette obligation de vérité ne pose
non prise en compte dans le temps hospitalier. Or, si on n’écoute
pas de problème, si les patients et les associations de patients
pas les médecins, c’est à ce moment que peut surgir le burn-out.
la réclament à juste titre, on observe également que lorsque
Pour ne pas s’épuiser, il faut qu’ils puissent paradoxalement se
la médecine atteint des limites, les patients eux-mêmes sont
dire « aujourd’hui, je n’ai pas réussi à faire telle ou telle chose,
ambivalents face à cette information médicale brute. Cette
mais il y a eu cette rencontre, ce moment de partage ». Retrouver
réalité est en fait très violente, aussi bien pour les patients que
du sens à ce métier est indispensable. Il est absolument capital
pour les médecins. S’il y a une chose à dire avant tout, c’est de
que la direction hospitalière puisse préserver et reconnaître
rappeler aux médecins qu’avant de suivre les recommandations,
l’importance du temps et de l’humanité. La jeune génération
ils doivent s’attacher à montrer - ou retrouver - leur humanité.
doit s’emparer de ces questions. Le métier est en train de
C’est d’ailleurs ce que les patients veulent : un sujet pleinement
devenir insupportable. Il doit y avoir une reconnaissance de la
présent face à eux.
part du gouvernement et des citoyens.
Vous en appelez à la subjectivité du médecin. Comment
la caractériseriez-vous ?
MR: Etre sujet signifie qu’il ne faut pas avoir peur de s’engager
Vous parlez du « phénomène transférentiel dans la
relation de soin ». Est-ce ce transfert qui fait entrer le
médecin dans la relation avec le patient ?
avec sa personne entière dans la relation. Or, il existe également
MR: Pour le dire autrement, l’amour de son métier est capital.
le cas où le médecin n’est pas investi comme sujet par le patient.
Exercer un métier médical ou paramédical exige une vocation.
La relation de sujet à sujet ne se met pas en place. Parfois, le
J’espère que ceux qui choisissent médecine aujourd’hui le font
malade ne veut pas rencontrer le sujet médecin, il veut s’en tenir
en toute conscience, sinon cela risque d’être dur pour eux, et
au savoir médical. Dans ces cas, il faut savoir accepter que la
pour les malades. D’ailleurs, c’est une vraie interrogation : pour
relation ne s’installe pas. Du côté des médecins, il faut rappeler
être avocat, on fait passer un oral. La sélection en médecine se
cette notion indispensable à relation de soin : aller en vérité,
joue plus sur une mention Très Bien au bac que sur le désir et la
avec toute sa personne, dans la relation. Et se sentir armé pour
volonté des candidats. Il y a 50 ans, de vrais humanistes faisaient
cela, c’est savoir reconnaître et accepter ses limites.
médecine, aujourd’hui beaucoup de candidats ne passent pas
MR: On voit bien sûr cette révolte chez les praticiens, les jeunes
la sélection de la première année, alors qu’ils auraient fait
Vous décrivez la réduction du temps hospitalier, le
d’excellents médecins. Ça aussi, il faudrait s’en préoccuper.
Cette publication vous est proposée par USPC Humanités Médicales, dispositif de formation en éthique et humanités médicales à destination des étudiants de médecine des Universités
Paris 7, Paris 5 et Paris 13.
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