2 La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015
La Création entre
les mains de l’homme
DOSSIER
Le texte était très attendu, dans la
perspective de la conférence COP21
qui se tiendra à Paris en décembre.
Attendu à la mesure de la menace écolo-
gique qui pèse sur notre terre et du senti-
ment d’une totale impuissance à faire pré-
valoir le bien commun que donnent parfois
les dirigeants des États. Comme si, au bord
de l’abîme, les peuples se souvenaient qu’ils
sont les héritiers d’antiques sagesses où il
serait encore possible d’aller puiser de nou-
velles raisons de vivre et d’espérer.
La menace d’une catastrophe
écologique
« La détérioration progressive de ce que qu’il
est convenu d’appeler l’environnement risque
de conduire à une véritable catastrophe éco-
logique.» (1) Nous sommes le 16 novembre
1970 et c’est le pape Paul VI qui s’exprime en
ces termes à la tribune de la FAO, à Rome.
Quarante-cinq ans et quatre ponticats plus
tard, le constat du pape François est iden-
tique, formulé avec les mêmes mots : « Le
rythme de consommation, de gaspillage et de
détérioration de l’environnement a dépassé les
possibilités de la planète à tel point que le style
de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut
seulement conduire à la catastrophe. » (2) Car
ce qui est en cause est bien un modèle de
développement économique qui a cru pou-
voir prélever sans limite sur les richesses de
la terre, sans se soucier même de recycler
ses propres déchets, parfois exportés et
stockés dans les pays du Sud, transformant
la culture mondiale en « culture du déchet ».
Avec des conséquences, déjà visibles en
terme de réchauffement et de dérèglement
Laudato si’ publié le 18 juin par le pape François est
un grand texte qui récapitule, consolide et élargit
la pensée chrétienne sur l’écologie en lui donnant
sa pleine dimension, au service de toute la famille
humaine.
climatiques, qui menacent les plus pauvres
par la montée des océans, l’assèchement des
terres fertiles, la pollution de l’eau et de l’air,
sources possibles de conits armés et de
phénomènes migratoires sans précédent.
En reprenant l’analyse, aujourd’hui partagée
par la plupart des experts, selon laquelle c’est
bien l’activité humaine qui est ici en cause et
non le simple retour de cycles naturels, le
pape François sait parfaitement qu’il touche
là un point sensible et qu’il ne va pas se faire
que des amis. En reconnaissant l’existence
d’une «vraie dette écologique, entre le Nord et
le Sud» (51), il souligne combien les victimes
de la crise écologique sont indissociable-
ment la nature et l’homme. « Il n’y a pas deux
crises séparées, l’une environnementale et l’autre
sociale, mais une seule et complexe crise socio-
environnementale » (139) vis-à-vis de laquelle
l’Eglise ne peut se taire, parce que « la terre
est notre maison commune » (21) et qu’il nous
faut aujourd’hui « écouter la clameur de la terre
et des pauvres ». (49)
La science et la technique
au service du prot
Comment l’humanité qui, longtemps, a
vécu sur l’idée d’un progrès sans limites qui
nirait bien par bénécier aussi aux pays du
Sud, en est-elle arrivée là ? Les racines du mal
résident dans ce que le pape François nomme
le « paradigme technocratique dominant »
(102). C’est-à-dire le fait que les progrès de la
science et de la technologie, caractéristiques
de notre siècle, ne sont plus orientés vers la
recherche du bien commun, mais vers le seul
prot. Ainsi l’économie se met-elle au ser-
vice d’un paradigme technocratique asservi
par la nance, sous le regard impuissant du
politique. De sorte que « La soumission de
la politique à la technologie et aux nances se
révèle dans l’échec des sommets mondiaux sur
l’environnement. » (54) Diagnostic impitoyable
sur des sociétés qui ont vendu leur âme.
Aussi « La culture écologique ne peut pas se
réduire à une série de réponses urgentes et par-
Pape François,
Laudato si’,
encyclique sur
la sauvegarde
de la maison
commune,
Co-édition
Bayard-Cerf-
Mame.
200 p., 4,50 €.