Une encyclique à vivre et pour vivre

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La Lettre
des Semaines sociales de France
N°79 juillet 2015
www.ssf-fr.org
ÉDITORIAL
Une encyclique à vivre
et pour vivre
I
◗ 2 à 5 Dossier
■ La
Création entre
les mains de l’homme
par René Poujol
■6
Entretien avec
Jérôme Vignon
« À Calais se joue une scène
de l’Europe et du Monde »
◗ 7 Carnets d’Europe
«L’expérience Europe»
un site de référence
par Johanna Touzel
◗ 8 Chronique du Ceras
« La Doctrine sociale
en langage “jeunes” »
par Christian Mellon, sj
◗ 10 Interview
Yann Raison du Cleuziou
« Mettre les catholiques face
à leur diversité »,
par René Poujol
◗ 12 Livres
Notre sélection
◗ Encart : Bulletin de soutien
et d’abonnement
DR
SOMMAIRE :
l ne manquera pas de commentaires excellents de l’encyclique Laudato si’. Leur foisonnement sera déjà le signe
qu’elle a atteint son but : convier à un dialogue universel croyants et incroyants issus de toutes les extrémités du
monde, autour de « notre sœur la terre », susciter un temps
d’arrêt pour débattre et réfléchir aux voies d’une restauration
de notre « maison commune ».
Pourtant, on ne saurait trop recommander d’en faire une
lecture personnelle. Cette lecture vaut une expérience de vie spirituelle. Lire l’encyclique
procure une forme d’allégresse. Est-ce la facture poétique, la récapitulation jubilatoire de
la sagesse de l’Église de siècle en siècle, la force unificatrice d’une écologie « intégrale »
intrinsèquement environnementale et sociale, l’émotion d’une prière qui culmine autour
de l’hymne de Saint François ? Sans doute tout cela !
En même temps, il s’agit bien d’une encyclique pour vivre, tant elle est ancrée dans la
compréhension des problèmes environnementaux et sociaux ; tant elle est charpentée
sur une analyse philosophique et politique des racines humaines de la crise écologique.
Les condamnations sont radicales : celles de la finance en général, de son alliance avec un
paradigme technologique de responsables politiques dominés par l’obsession du pouvoir,
de grandes entreprises sans authentique responsabilité sociale, d’une conscience écologique sans prise sur les comportements. Le langage est sans compromission car ce dont
il s’agit, c’est d’une révolution culturelle, d’une autre vision du progrès.
Les quelques pistes d’orientation et d’action sont-elles à la hauteur du diagnostic ? Je
répondrai sans hésitation par l’affirmative. Laudato si’ enrichit magistralement l’acquis de
la tradition sociale catholique tout en s’y adossant. Elle ouvre aussi un vrai dialogue, à
hauteur mondiale, avec le mouvement écologique. Sans vouloir opposer le pape François
à ses prédécesseurs, remarquons comme il complète et enrichit leurs messages. Nous
étions restés, avec l’encyclique Caritas in Veritate, sur le sentiment d’un effacement du
« politique », dépassé par la mondialisation, et sur une conception de « l’économique »
prioritairement dépendant de la droiture éthique des responsables d’entreprise. Le pape
François appelle le politique et l’économique à se réinventer : au premier, de reprendre
possession d’enjeux et de visions à long terme ; au second, de concevoir des chemins
productifs qui donnent priorité à l’économie réelle, qui assument la décélération de certaines formes insoutenables de croissance, qui assignent au progrès technologique une
autre finalité que de remplacer de plus en plus le travail humain.
Ainsi, face aux impasses actuelles, l’encyclique ouvre-t-elle de nouveaux chantiers auxquels nous sommes invités à participer. « Avançons en chantant ». Laissons-nous gagner
par l’esprit de communion et de fraternité universelle qui s’en dégage. ●
Jérôme Vignon
La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015 1
DOSSIER
La Création entre
les mains de l’homme
Laudato si’ publié le 18 juin par le pape François est
un grand texte qui récapitule, consolide et élargit
la pensée chrétienne sur l’écologie en lui donnant
sa pleine dimension, au service de toute la famille
humaine.
L
Pape François,
Laudato si’,
encyclique sur
la sauvegarde
de la maison
commune,
Co-édition
Bayard-CerfMame.
200 p., 4,50 €.
e texte était très attendu, dans la
perspective de la conférence COP21
qui se tiendra à Paris en décembre.
Attendu à la mesure de la menace écologique qui pèse sur notre terre et du sentiment d’une totale impuissance à faire prévaloir le bien commun que donnent parfois
les dirigeants des États. Comme si, au bord
de l’abîme, les peuples se souvenaient qu’ils
sont les héritiers d’antiques sagesses où il
serait encore possible d’aller puiser de nouvelles raisons de vivre et d’espérer.
La menace d’une catastrophe
écologique
« La détérioration progressive de ce que qu’il
est convenu d’appeler l’environnement risque
de conduire à une véritable catastrophe écologique.» (1) Nous sommes le 16 novembre
1970 et c’est le pape Paul VI qui s’exprime en
ces termes à la tribune de la FAO, à Rome.
Quarante-cinq ans et quatre pontificats plus
tard, le constat du pape François est identique, formulé avec les mêmes mots : « Le
rythme de consommation, de gaspillage et de
détérioration de l’environnement a dépassé les
possibilités de la planète à tel point que le style
de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut
seulement conduire à la catastrophe. » (2) Car
ce qui est en cause est bien un modèle de
développement économique qui a cru pouvoir prélever sans limite sur les richesses de
la terre, sans se soucier même de recycler
ses propres déchets, parfois exportés et
stockés dans les pays du Sud, transformant
la culture mondiale en « culture du déchet ».
Avec des conséquences, déjà visibles en
terme de réchauffement et de dérèglement
2 La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015
climatiques, qui menacent les plus pauvres
par la montée des océans, l’assèchement des
terres fertiles, la pollution de l’eau et de l’air,
sources possibles de conflits armés et de
phénomènes migratoires sans précédent.
En reprenant l’analyse, aujourd’hui partagée
par la plupart des experts, selon laquelle c’est
bien l’activité humaine qui est ici en cause et
non le simple retour de cycles naturels, le
pape François sait parfaitement qu’il touche
là un point sensible et qu’il ne va pas se faire
que des amis. En reconnaissant l’existence
d’une «vraie dette écologique, entre le Nord et
le Sud» (51), il souligne combien les victimes
de la crise écologique sont indissociablement la nature et l’homme. « Il n’y a pas deux
crises séparées, l’une environnementale et l’autre
sociale, mais une seule et complexe crise socioenvironnementale » (139) vis-à-vis de laquelle
l’Eglise ne peut se taire, parce que « la terre
est notre maison commune » (21) et qu’il nous
faut aujourd’hui « écouter la clameur de la terre
et des pauvres ». (49)
La science et la technique
au service du profit
Comment l’humanité qui, longtemps, a
vécu sur l’idée d’un progrès sans limites qui
finirait bien par bénéficier aussi aux pays du
Sud, en est-elle arrivée là ? Les racines du mal
résident dans ce que le pape François nomme
le « paradigme technocratique dominant »
(102). C’est-à-dire le fait que les progrès de la
science et de la technologie, caractéristiques
de notre siècle, ne sont plus orientés vers la
recherche du bien commun, mais vers le seul
profit. Ainsi l’économie se met-elle au service d’un paradigme technocratique asservi
par la finance, sous le regard impuissant du
politique. De sorte que « La soumission de
la politique à la technologie et aux finances se
révèle dans l’échec des sommets mondiaux sur
l’environnement. » (54) Diagnostic impitoyable
sur des sociétés qui ont vendu leur âme.
Aussi « La culture écologique ne peut pas se
réduire à une série de réponses urgentes et par-
aussi l’embryon, le pauvre et le handicapé,
aussi bien que les richesses culturelles de
l’humanité aujourd’hui laminées par la standardisation des modes de vie consuméristes.
Face aux menaces qui pèsent désormais
sur notre « maison commune », « un consensus mondial devient indispensable » (164). Un
consensus sur la mise en œuvre d’un autre
type de croissance, respectueux du droit
au développement des pays pauvres, mais
qui chez nous substituerait à la frénésie de
consommer et, à l’accumulation, des biens
une vie plus sobre mais plus riche de relations humaines et, au final, plus heureuse car
répondant au désir profond que tout homme
porte en lui et qui n’est pas de courir après
« l’avoir ». « Nous devons nous convaincre que
ralentir un rythme déterminé de production et
de consommation peut donner lieu à d’autres
formes de progrès et de développement. » (191)
Sur ces questions, les justes
milieux ne suffisent pas
tielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement des réserves naturelles
et à la pollution. Elle devrait être un regard différent, une pensée, une politique, un programme
éducatif, un style de vie et une spiritualité qui
constitueraient une résistance face à l’avancée
du paradigme technocratique. » (111)
Pour une écologie humaine
intégrale
C’est en cela que, pour le pape, toute écologie bien comprise ne peut être qu’intégrale. Cette conviction se nourrit, pour les
chrétiens, de la lecture des Écritures et des
récits de la Création qui illustrent merveilleusement la triple relation constitutive de
tout humain : à l’autre, à la terre et à Dieu.
La crise écologique n’est jamais que l’expression d’une autre crise profondément éthique
et spirituelle, de sorte que « Nous ne pouvons
pas prétendre soigner notre relation à la nature
et à l’environnement sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain. » (119)
L’écologie humaine suppose donc un égal
respect pour «tout le vivant» qui englobe
« Sur ces questions,
les justes milieux
retardent
seulement un peu
l’effondrement. »
■
Mais, que l’on ne s’y trompe pas, nous dit
le pape, face aux désordres du monde, ce que
nous commande aujourd’hui la simple raison
et pour nous chrétiens, la Bonne Nouvelle de
l’Évangile, est ni plus ni moins une révolution
copernicienne, une totale «conversion intérieure» du cœur et de l’esprit qui doit trouver sa traduction dans l’organisation même
de nos sociétés. Car « il ne suffit pas d’inclure
des considérations écologiques superficielles à la
culture actuelle. » (197) Et il poursuit, comme
pour enfoncer encore un peu plus le clou,
face à ce qu’il redoute d’immobilisme des
gouvernants, par-delà les bonnes résolutions
des Conférences mondiales : « Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un
peu l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. » (194) Un progrès qui soit à la
mesure de l’homme.
La conviction du pape François est
aujourd’hui totale que le sursaut est possible
mais que c’est des peuples et d’eux seuls, qu’il
pourra venir. Et que dans un monde où une
majorité d’hommes et de femmes se disent
croyants, appartenant à différentes traditions,
il est du devoir des responsables religieux de
mobiliser leurs fidèles. Une conviction partagée par tous ceux qui, depuis le jour de son
élection, le pressent de prendre solennellement la parole sur ces questions cruciales
pour l’avenir de l’humanité. C’est pourquoi
La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015 3
DOSSIER
il invite chacun, sans plus tarder, à « Changer de style de vie pour faire pression sur les
détenteurs du pouvoir. » (206) Avec la claire
vision de la difficulté de sa tâche de pasteur :
« Il faudra inviter les croyants à être cohérents
avec leur propre foi, et à ne pas la contredire par
leurs actions. » (200)
Laudato si’
sur le blog des SSF
Pour les chrétiens sociaux, la
publication de Laudato si’ du pape
François est incontestablement
l’événement de l’année. Les
Semaines sociales de France ont
décidé d’y consacrer une large place
sur ses médias. Retrouvez sur son
blog www.latribunedessemaines.fr
les commentaires de nos
collaborateurs, et laissez-nous,
à votre tour, vos réactions et
observations.
Vous l’aurez compris : il faut lire Laudato si’.
Une encyclique que le pape François a située
résolument dans la continuité de la doctrine
sociale de l’Église catholique, de la réflexion
propre au patriarche orthodoxe Bartholomeos 1er (3) comme de l’enseignement de
ses prédécesseurs : Jean XXIII, Paul VI, JeanPaul II et Benoît XVI. (4) Et ce n’est pas la
moindre surprise, à sa lecture, que de redécouvrir la force étonnante des citations
de l’évêque de Rome émérite Benoît XVI,
aujourd’hui voisin du pape François, extraites
de Caritas in veritate. Laudato si’ est donc
bien un « grand texte ». Peut-être sera-t-il
à l’écologie ce que Populorum progressio fut
au développement : l’appel à considérer ces
défis dans leur vraie dimension, intégrale,
c’est-à-dire à la fois technique et profondément humaine. Bref : la charte de toute une
génération aujourd’hui mobilisée par l’avenir
de la planète comme une autre le fut jadis par
celui du Tiers-monde.
Mais si le fond s’inscrit dans la continuité (5)
Laudato si’ porte profondément la marque de
son auteur. Elle tient à la poésie, à la tendresse
qui transparaît dans l’écriture du texte où
le pape François invite à s’émerveiller de la
beauté de la nature comme don d’amour de
Dieu dans la Création ; elle tient au refus de
recourir à tout moralisme, à toute condamnation du « monde » que pourrait justifier le
saccage de la planète ; elle tient enfin au souci
de la collégialité qui conduit le pape à citer,
à de nombreuses reprises, les déclarations
de conférences épiscopales du monde entier
comme pour mieux les associer à son propre
magistère. (6)
DR
Laudato si’ : un grand texte
Au service d’un dialogue ouvert
et généreux
Voilà des années qu’en France même, un
scientifique comme Jacques Blamont(7), un
acteur de l’écologie comme Nicolas Hulot et
un homme politique comme Michel Rocard
pressent le chef de l’Église catholique de
4 La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015
peser de tout le poids de son autorité spirituelle pour mettre les dirigeants du monde
face à leurs responsabilités. Heureux revirement de situation où la société civile se
tourne, comme en dernier ressort, vers les
responsables religieux qu’en d’autres débats
elle préfère tenir à l’écart, au nom de la laïcité
et d’un soupçon d’obscurantisme.
Et l’on voit le pape François répondre
sereinement à l’appel qui lui est lancé. Et
avec la détermination et la malice qui le
caractérisent s’autoriser à « déplacer » la
question qui lui est posée pour en situer
l’enjeu à son vrai niveau : celui de l’homme,
responsable de la Création reçue en héritage, mais aussi de son propre apport à cette
Création, au travers de la culture, comme
il y est invité par Dieu. Ce qui permet au
pape François, dans un même mouvement,
de reconnaître humblement que, sur ces
questions, « L’Église n’a pas de parole définitive » (61) et d’ajouter : « L’Église n’a pas la
prétention de juger des questions scientifiques
ni de se substituer à la politique mais j’invite à
un débat honnête et transparent, pour que les
besoins particuliers et les idéologies n’affectent
pas le bien commun.» (188)
Laudato si’ se veut au service de ce dialogue
ouvert, dénué de toute arrière-pensée prosélyte, et parfaitement loyal car « Le fait que
(les principes éthiques) apparaissent dans un
langage religieux ne les prive pas de toute valeur
dans le débat public. » (199) Le pape François
sera-t-il entendu ? Il est possible que, tout
comme le début de son pontificat, son encyclique soit reçue, ici ou là, avec plus de ferveur et de gratitude à l’extérieur de l’Église
que dans ses propres rangs. Pour autant, bien
des catholiques lui sont d’ores et déjà reconnaissants de donner de leur Église un visage
d’engagement et de générosité au service des
hôtes de «notre maison commune». ●
René Poujol
La Documentation catholique n°1575, p. 10511056, citée dans le livre du Père Dominique Lang
L’Eglise et la question écologique, Ed. Arsis, 2008, p.
37. Citation à l’usage de certains commentateurs
qui, tout en saluant l’encyclique du pape François, se croient autorisés à ironiser sur le fait que
l’Eglise prendrait le train de l’écologie en marche.
En France, le thème est réellement devenu populaire à partir de 1974 avec la candidature de René
Dumont à l’élection présidentielle.
(2)
Pape François, Laudato si’, encyclique sur la sauvegarde de la maison commune, Co-édition BayardCerf-Mame. Dans la suite de cet article les numéros mis entre parenthèses après les citations, renvoient aux paragraphes de l’encyclique. Ici n°161
(3)
Bartholomeos 1er avait signé, en 2002, un texte
commun avec le pape Jean-Paul II dit « Déclaration
de Venise ». Voir Documentation catholique n°2278,
p. 868-870.
(4)
Chacun d’eux ayant, tour à tour, enrichi la
réflexion de l’Église sur les grands défis de
l’heure : la paix pour Jean XXIII, le développement
du tiers-monde pour Paul VI, la crise financière
pour Benoît XVI.
(5)
Voilà qui devrait rassurer les tenants de l’herméneutique de la continuité.
(6)
Il évoque tour à tour : les États-Unis, l’Allemagne, le Canada, le Japon, le Brésil, la République
Dominicaine, le Paraguay, la Nouvelle-Zélande, le
Portugal, la Bolivie, l’Australie...
(7)
Jacques Blamont, membre de l’Académie des
sciences, dans son livre Lève-toi et marche, Ed.
Odile Jacob.
(1)
« Avec nos
pensées, nous créons
le monde »
Bouddha
religions
et
cultures
ressources
pour
imaginer
le monde
90e session
des Semaines
sociales
de France
Les 2, 3 et 4 octobre 2015
à l’Unesco, Paris.
Programme complet
et inscriptions
sur www.ssf-lasession.org
La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015 5
RAPPORT ARIBAUD / VIGNON
À Calais se joue une scène
de l’Europe et du monde
En septembre dernier, le ministre de l’Intérieur Bernard
Cazeneuve confiait à deux personnalités indépendantes, l’ancien
préfet de région Jean Aribaud et Jérôme Vignon, président des
SSF, une mission de proposition en vue de trouver des solutions
durables et si possible consensuelles au problème des migrants
qui se concentrent dans le Calaisis. Leur rapport devait être
rendu public le 1er juillet 2015. Jérôme Vignon s’en explique.
Jérôme Vignon, cette mission étaitelle liée au contexte de l’afflux des
migrants sur les côtes européennes ?
Pas vraiment. En 2012, le Secours catholique, très engagé sur le terrain à Calais avec
d’autres associations locales, a voulu porter
témoignage, d’une décennie d’accompagnement des migrants, piégés dans les jungles et
les squatts, entre expulsions et passages clandestins. Il s’agissait, au-delà d’une protestation
prophétique d’en appeler à l’action de l’État,
indispensable face à l’épuisement des bénévoles. L’afflux exceptionnel des migrants à
partir de 2013 a rendu cet appel encore plus
urgent. La mission confiée par Bernard Cazeneuve à Jean Aribaud et moi-même, se veut
une partie de la réponse qui se joue aussi dès
maintenant sur le terrain.
Cet afflux a-t-il eu néanmoins un
impact sur la situation de Calais ?
Oui, sans aucun doute. Nous avons pu établir une corrélation claire entre les arrivées
massives de migrants par voie maritime ou
terrestre en Grèce et en Italie et l’accroissement du nombre de migrants recensés à
Calais. Cette évidence constitue même la base
de notre rapport. Nous sommes, à Calais, solidaires des Italiens et des Grecs, en des points
névralgiques de l’une des routes migratoires
permanentes qu’empruntent les migrants
asiatiques et africains, poussés par la misère et
la violence des guerres. Les solutions durables
ne peuvent donc qu’être européennes.
Quelle est la situation
actuelle à Calais ?
Les mois de mai à octobre sont critiques,
depuis deux ans, car propices aux passages
maritimes les plus accessibles aux migrants les
6 La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015
plus pauvres. En ce moment même la situation
à Calais est extrêmement tendue entre forces
de l’ordre et migrants. Dans ce contexte un
rapport est de peu de poids. Mais nous voudrions qu’il aide à ne pas se laisser gagner par
la peur, en montrant qu’il existe des solutions
qui font appel à la coopération de tous, y compris des migrants eux-mêmes.
Qui sont ces migrants ?
Ce que nous
avons voulu
mettre en
évidence, c’est
la richesse des
compétences et
des projets des
migrants.
■
Toutes les catégories sont présentes à
Calais : réfugiés, demandeurs d’asile, migrants
économiques, avec une part très importante
de personnes venues d’Érythrée et du Soudan
qui ont besoin d’une protection définitive ou
temporaire. Offrir l’asile en France, comme
l’État a commencé de le faire, n’est donc pas
une solution médiocre. Mais ce que nous avons
voulu mettre en évidence, c’est la richesse
des compétences et des projets des migrants.
Nombreux sont les professionnels qualifiés et
les universitaires pourchassés par les dictatures
et les chefs de guerre. En prenant en compte
ces compétences et ces projets, le fonctionnement des règles abstraites de l’asile en Europe
serait grandement amélioré.
Que propose votre rapport ?
Maîtriser le flux migratoire par une coopération européenne inspirée des dernières
propositions de la Commission ciblée sur
quelques pays ; améliorer les conditions de l’accueil avec l’objectif d’une mise à l’abri ; constituer en divers lieux de transit en France et en
Europe des lieux de mise à l’abri où le choix
de demandeur d’asile serait fait en connaissance de cause ; encourager la coopération
permanente de tous les acteurs sur place à
Calais ; appliquer effectivement les décisions
de retour lorsque l’asile ne peut être accordé
en trouvant une issue aux cas difficiles ; mettre
vraiment en échec les filières qui exploitent ou
privent les migrants des protections élémentaires ; mieux réguler les trafics de camions ;
constituer une avant-garde de pays décidés
à appliquer entre eux les règles de l’accès à
l’asile de manière coopérative. ●
Propos recueillis par R.P.
« L’expérience Europe »
un site de référence
L’encyclique du pape François, consacrée en grande partie au défi climatique,
constitue un bon de coup de pied dans la fourmilière. Depuis des décennies,
les grandes conférences de l’ONU sur le climat se succèdent, sans que les
gouvernements puissent parvenir à un accord. Or les faits sont là et l’absence
d’engagements et de décisions politiques menace désormais de façon claire la
survie de notre planète et de ses habitants
L
e texte était très attendu,
notamment parmi les décideurs
européens. Cela prouve à quel
point les politiques ont plus que jamais
besoin de puiser dans un fondement
éthique le courage d’agir.
C’est parce que nous
sommes convaincus de l’urgente nécessité de faire dialoguer politique et éthique,
dont la pensée sociale de
l’Église, que nous avons lancé
en 2014 le site « L’Expérience
Europe ». Le site développe
notamment les points de
contact entre politiques européennes et réflexion théologique et éthique.
● Son discernement quant aux repères
anthropologiques et éthiques issus de
sa tradition et susceptibles d’éclairer
ce débat. L’Église entend stimuler
une recherche respectueuse de la
Un site web
performant
Réflexion sur la
recherche scientifique
Une dizaine de théologiens issus
de différents centres de recherche
en Europe ont ainsi contribué, depuis
2014, par leurs réflexions, à éclairer les
enjeux européens. Parmi ces théologiens réputés, Marie-Jo Thiel, membre
du Groupe européen d’éthique (GEE)
qui conseille la Commission européenne, a récemment rédigé pour
nous une réflexion sur la « Prudence
audacieuse » en matière de recherche
scientifique européenne. (1)
Elle y explique que l’Église envisage
son rôle à l’égard de la recherche
scientifique sur trois points :
● Le souci d’accueillir les innovations
biomédicales, de les étudier et d’en
comprendre les enjeux.
construction européenne, en encourageant et facilitant un dialogue des
chrétiens, comme citoyens européens, avec les institutions européennes et notamment le Parlement
européen.
dignité humaine (Gaudium et spes) de
chacun et du bien commun de tous :
« Promouvoir tout homme et tout
l’homme », selon le mot de Paul VI
(Populorum progressio, 1967, N°15).
● Enfin son devoir de faire œuvre de
sagesse pratique en proposant une
attitude de prudence audacieuse, justifiée par l’évaluation des pratiques
biomédicales à l’aune de repères fondamentaux et de l’analyse des pratiques en question. Grâce à ces réflexions, mais aussi
aux propositions politiques de nombreuses ONG chrétiennes, le site
« L’Expérience Europe » atteint
progressivement son objectif : susciter la réflexion sur l’évolution de la
Depuis son lancement
en avril 2014 jusqu’à la fin
d’avril 2015, soit sur un an,
le site web a été visité par
48 405 internautes de toute
l’Europe. La fréquence fut
particulièrement élevée dans
la période précédant les élections européennes ainsi que
lors de la diffusion en direct
des auditions des commissaires
désignés,
durant
laquelle il a atteint des niveaux de 400
à 500 visites par jour.
L’aventure continue en 20152016 et le site est appelé à s’étoffer
et à continuer à vous aider à mieux
décrypter les enjeux du débat européen et de la construction de notre
maison commune. ●
Johanna Touzel
Coordinatrice pour les SSF du
Groupe IXE (Initiative de chrétiens pour l’Europe)
Coordinatrice du Site
http://theeuropeexperience.eu
http://theeuropeexperience.eu/site/fr/
dveloppementdurabledanslu/inspirezvousarticle/1500.html
(1)
La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015 7
La Doctrine sociale
en langage “jeunes”
Pour qui veut s’initier à la Doctrine sociale de l’Église, il existe déjà de bons
livres, sites internet ou parcours pédagogiques. Mais il n’existait encore
rien qui soit adapté à la culture des jeunes.
C
ette lacune est désormais
comblée, grâce au webdocumentaire « Jeunes et
engagés, portraits d’une Église qui
(se) bouge ». Son objectif : donner
aux jeunes chrétiens le désir d’en
savoir plus sur ce « trésor caché » de
l’Église qu’est sa doctrine sociale. Il a
été présenté à quelque 200 jeunes
et « prescripteurs », le 16 avril, lors
d’une soirée qui s’est tenue dans les
locaux de la Conférence des évêques
de France. Celle-ci est en effet l’un
des partenaires du projet, qui en
regroupe bien d’autres, très divers :
Scouts et Guides de France, Guides
et Scouts d’Europe, CCFD-Terre
solidaire, Fondacio, JOC, ESH (fondation liée aux EDC), MRJC, Secours
catholique, Mission de France, Centre
d’études pédagogiques ignatien, Fondation de Montcheuil, Association
Georges Hourdin et, bien sûr, les
Semaines sociales de France (Jérôme
Vignon et Elena Lasida figurent parmi
les experts interviewés).
Tous ces partenaires ont été
coordonnés par le Ceras, maître
Retrouvez cette chronique
sur le site
www.doctrine-socialecatholique.fr
onglet « la fabrique de la
doctrine sociale »
d’œuvre et producteur de ce nouvel
outil de formation. L’histoire de ce
« webdoc » commence en février
2013, lors de la session annuelle du
Ceras, consacrée cette année-là à la
Doctrine sociale de l’Église. Parmi les
participants, Martin de Lalaubie, 24
ans, découvre avec joie l’existence et
le contenu de cette pensée sociale,
dont il ignorait tout. Jugeant vraiment
Les jeunes chrétiens sont
désireux de connaître la
doctrine sociale de l’Église
regrettable que les jeunes chrétiens
ignorent tout des grands principes
de la pensée sociale chrétienne, qu’ils
mettent pourtant en œuvre sans en
avoir toujours conscience, il décide
de réaliser un outil spécifiquement
destiné à ce public. Le Ceras l’embauche pour ce travail, qu’il réalise
en un an et demi, tout en poursuivant en alternance une formation de
journaliste.
Le webdocumentaire « Jeunes et
engagés » se compose de vingt-etune vidéos d’environ cinq minutes
chacune, entre lesquelles l’internaute
peut « naviguer » à son gré. Chacun
des sept grands principes de la doctrine sociale catholique – dignité de
8 La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015
la personne humaine, bien commun,
solidarité, destination universelle des
biens, option préférentielle pour les
pauvres, subsidiarité, justice sociale
– est présenté en trois vidéos très
complémentaires : le portrait d’un
jeune dont l’action illustre le principe, l’enseignement d’un « expert »
montrant le lien entre l’engagement
du jeune et telle ou telle insistance
des encycliques sociales, enfin le
témoignage d’un acteur s’efforçant
d’incarner ce principe dans les institutions de la vie sociale, économique,
politique. Occasion de rappeler qu’il
existe une « voie institutionnelle de
la charité », comme le dit Benoît XVI
dans Caritas in veritate.
Quelques « fenêtres » complètent
le tout, proposant des compléments utiles : définitions, questions
pour animer un débat, bibliographie
pour aller plus loin, liens vers des
mouvements proposant un engagement actif, etc. ●
Christian Mellon, sj
Ceras
Site à visiter et à signaler
sans modération à tous les
jeunes chrétiens avec qui
vous êtes en contact :
www.jeunes-et-engages.fr
Un “ webdoc ” qui marche
V
oilà deux mois que
« Jeunes et engagés, portraits d’une Église qui
(se) bouge » vit sa vie sur internet. Il a déjà reçu la visite de plusieurs milliers d’internautes et
les médias catholiques lui ont fait
un bel écho. La plus grande satisfaction est de savoir que notre
intuition de départ s’est trouvée confirmée : les jeunes chrétiens sont désireux de connaître
la doctrine sociale de l’Église.
Grâce à ce webdocumentaire,
tous nos partenaires, dont la collaboration a été fructueuse, sont
désormais équipés d’un outil
pour diffuser largement cette
doctrine dans leur réseau et y
former leurs (jeunes) membres.
Depuis le lancement de
« Jeunes et engagés » en avril,
j’ai déjà eu l’occasion de le présenter et de m’en servir comme
support d’animation dans différents lieux : une soirée du
service jeunes de la Mission de
France ou de la plateforme solidarité du Réseau jeunesse ignatien ; à JPentecôte, rassemblement porté par la CoJP (Coordination des Jeunes Professionnel)
et les Semaines sociales ; auprès
des adultes référents jeunes du
Secours catholique. D’autres
présentations sont prévues tout
au long de l’été, notamment à
la session de « La politique, une
bonne nouvelle » et à la rentrée.
C’est une vraie chance d’accompagner la diffusion d’un
projet devenu réalité après y
avoir travaillé pendant presque
deux ans. Sa sortie ne marque
pas une fin en soi, mais le début
d’un nouveau chapitre. Aller
rencontrer tous ces jeunes
vivant la doctrine sociale de
l’Église, échanger avec eux sur
leurs engagements : voilà de
riches ressources pour imaginer
la suite ! ●
Martin de Lalaubie
Si vous voulez organiser une
présentation du webdocumentaire, contactez-moi :
[email protected]
Revue Projet
N° 346, JUIN 2015
« Social : réparer ou
reconstruire ? »
Le rêve social français voulait
les mêmes droits pour tous.
Signifier que l’on compte sur
chacun. Aujourd’hui, 10 millions
de personnes subissent
l’isolement ou le chômage.
Et se demandent à quoi elles
servent. État, associations,
citoyens… quelle réponse
apporter ?
Avec des articles de JeanFrançois Serres, Denis
Clerc, Fabienne Brugère, les
contributions de l’association
Magdala et du groupe Fous
d’art solidaires…
En partenariat avec : le Secours
catholique et les Petits frères
des pauvres.
Et bientôt :
N° 347, août 2015
« Les spiritualités au
secours de la planète ? »
A commander (13 €) en ligne
sur Revue-Projet.com
ou en envoyant un chèque à l’ordre
de Ceras-Projet à Revue Projet, 4 rue
de la Croix-Faron, 93217 La Plaine
Saint-Denis. Tél. : 01.48.22.40.18
La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015 9
Livre
Interview
YANN RAISON DU CLEUZIOU
« Mettre les catholiques face
à leur diversité »
Le livre n’a que quelques mois.
Quels échos a-t-il suscité ?
La crise de l’Église catholique de France est
devenue un lieu commun. Nombre de livres
de sociologues se proposent d’en actualiser les
symptômes ou d’en identifier les causes. Or voici
qu’un ouvrage vient renouveler l’approche en
examinant comment les catholiques eux-mêmes
vivent cette crise et imaginent pour leur Église les
moyens d’en sortir ! Le résultat est passionnant !
Les échos sont bons. Les lecteurs disent
y découvrir une diversité du monde catholique qu’ils ne soupçonnaient pas, exprimée
au travers de portraits et de témoignages
très riches. Le livre offre un panorama
assez exhaustif des catholiques engagés, de
toutes sensibilités, capables d’exprimer ce
que l’Église représente pour eux. Il permet
à chacun de se situer personnellement, ainsi
que ses proches ou connaissances, et de se
confronter à « l’intelligence » de ceux qui
ne pensent pas comme lui. C’était là tout le
projet de Confrontations.
DR
Ce panorama se déploie autour
de douze groupes correspondant
à des portraits types.
YANN RAISON
DU CLEUZIOU
est sociologue,
chercheur, maître
de conférence
à l’Université
de Bordeaux.
Yann Raison du Cleuziou, d’où
vient ce projet de livre ?
Il a été initié par l’association Confrontations, héritière de l’ancien Centre catholique
des intellectuels français, avec une volonté
affichée de tendre aux catholiques de France
une sorte de miroir qui puisse les inciter
à entrer en dialogue. Le livre résulte d’une
enquête en profondeur menée entre 2010 et
2013, donc sous le pontificat de Benoît XVI.
Mais ses conclusions demeurent pertinentes
sous le pape François.
10 La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015
Douze portraits classés en quatre catégories parfois hétérogènes. L’une de ces catégories, par exemple, accueille trois groupes
qui ont cette caractéristique de se penser
essentiellement par rapport au Concile, soit
pour nourrir à son égard une forme de nostalgie, soit pour se réjouir de certaines de
ses innovations soit, à l’inverse, pour y voir la
cause majeure du déclin de l’Église. De même
peut-on identifier trois autres groupes qui
partagent un même sentiment de blessure
vis-à-vis de l’institution catholique peu fidèle,
selon eux, à « l’esprit de Évangile » : certains
ont pris leurs distances, d’autres, au cœur de
leur engagement, vivent douloureusement
leur situation de divorcés remariés ou de
femmes en quête de reconnaissance.
Une troisième catégorie concerne, elle,
ceux que l’on pourrait appeler les artisans
optimistes de la reconstruction : soit qu’ils
considèrent, simplement, que l’Église a toujours su traverser les crises, soit qu’ils croient
à l’attractivité d’un catholicisme identitaire
décomplexé, soit qu’ils misent sur un catholicisme pluriel. Enfin, il était intéressant de
terminer sur trois groupes de jeunes très différenciés : les premiers s’inscrivant sans com-
plexe dans une fidélité à l’Église liée à une
grande liberté personnelle, les deuxièmes
se percevant comme les fers de lance d’une
reconquête spirituelle, les derniers correspondant plutôt à une forme d’attachement
aux valeurs chrétiennes, indépendamment
d’une institution jugée archaïque.
Est-il possible de quantifier
chacun de ces groupes ?
Non, pas actuellement, bien que la question soit à l’étude. Mais cette incertitude est
préférable car elle nous oblige à essayer de
comprendre l’autre indépendamment de ce
qu’il pèse réellement. Cela supprime la tentation de vouloir tout ramener à un simple
rapport de force.
Quel critère vous semble le plus
discriminant lorsqu’il s’agit d’y voir
plus clair dans cette diversité ?
sur les réseaux sociaux, souvent critiques visà-vis du clergé local ou de leur évêque. Prenez
à l’inverse les conciliaires revendiqués. Ils
trouvent que les prêtres ont trop de pouvoir,
que le magistère est à côté de la plaque... Or
dans le même temps ce sont les plus investis
dans les structures paroissiales et diocésaines.
Ils incarnent une position de critique de l’institution alors qu’ils y sont totalement intégrés...
Tous les
catholiques
revendiquent
une forme
d’autonomie
face au
magistère. ■
Eternelle question pour le sociologue. Avec
la tentation permanente de la simplification.
Je pense par exemple que l’opposition entre
catholiques d’ouverture et d’identité, souvent
utilisée, est réductrice. Sans doute le critère le
plus pertinent est-il celui du regard sur Jésus
avec quatre possibilités : le Sauveur qui offre
la vie éternelle ; le Libérateur des hommes
opprimés ; le Dieu-amour personnellement
rencontré dans un moment de conversion ;
enfin le Miséricordieux qui transgresse les
normes sociales pour inclure l’exclu. Ce sont
là des accentuations différentes d’une même
foi que l’on retrouve dans toutes les tranches
d’âge alors qu’on serait tenté parfois de s’en
tenir à une opposition de type générationnel.
Là encore l’opposition est à nuancer.Tous les
catholiques revendiquent une forme d’autonomie face au magistère. Il existe deux sensus
fidei qui s’affrontent, comme on le voit dans le
débat actuel autour du synode sur la famille.
Ce qui divise est le discernement de ce qui,
dans le magistère, est l’essentiel de l’accessoire.
Avec cette question : qu’est-ce qui est religieusement authentique dans l’expérience propre
des laïcs ? De même pour l’identité. Elle est
présente des deux côtés : du côté d’un retour
à la soutane, aux processions, à une visibilité
« décomplexée », comme du côté de ceux qui
refusent tout prosélytisme et optent pour la
discrétion comme autre forme de visibilité.
Cette diversité est souvent perçue
comme source de divisions et vous
constatez, dans votre étude, que
l’Eglise répugne à la culture du
débat, ce qui conforte l’absence de
dialogue entre les uns et les autres.
A travers les témoignages cités dans
le livre on a pourtant l’impression
que pour reconstruire l’Église les
uns misent plutôt sur la hiérarchie,
le clergé, la paroisse traditionnelle
là où d’autres pensent que le
renouveau viendra des laïcs...
La réalité est plus complexe. Prenez les
catholiques néoclassiques qui correspondent
bien à votre premier groupe. Ils montrent en
effet, au niveau du discours, une grande déférence vis-à-vis du pape, de l’autorité, de la hiérarchie, de la verticalité de l’Église. Dans la pratique, ce sont souvent des laïcs parfaitement
autonomes, organisés en réseaux, créateurs
d’écoles hors contrat, initiateurs de pétitions
D’autres oppositions semblent
émerger entre les tenants du magistère
et ceux du sensus fidei, ceux de
l’identité et ceux de l’enfouissement...
Yann Raison
du Cleuziou,
Qui sont les
catholiques
aujourd’hui ?,
DDB, 2014,
340 p., 18,90 €
Ce qui domine en France est la culture de
la docilité. Or la disputatio est parfaitement
légitime et féconde. Le débat a existé dans
l’Église de France. Pensons aux décennies
1950-1970... aux grandes figures d’intellectuels catholiques, à des journaux comme TC
ou France catholique. Chez les évêques existe
une vraie crainte des clivages et de la division, et la conviction que tout débat institué
ne pourrait que les mettre en lumière et les
exacerber. Ce qui est une erreur. Débattre
permet aussi de savoir sur quoi on s’accorde.
Il faut aujourd’hui chercher le débat du côté
des blogs ou du courrier des lecteurs des
journaux et magazines qui, à leur manière,
défendent l’idée d’élargir le pensable des
catholiques afin d’ouvrir les possibles. ●
Propos recueillis par René Poujol
La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015 11
Livres
Notre sélection
Fin de vie, un enjeu
de fraternité
Par Mgr Pierre d’Ornellas, Ed. Salvator,
160 p., 15 €.
Il s’agit là de la réflexion du groupe de travail
de la Conférence des évêques de France, en lien
avec le récent débat parlementaire sur la fin de
la vie. Un débat qui, quelque en ait été l’issue,
en termes législatifs, ne rend que plus nécessaire l’appropriation, par les citoyens que nous
sommes, d’une argumentation éthique solide sauf
à se résigner à un glissement inéluctable vers une
culture réellement euthanasique. Il faut reconnaître deux qualités majeures à l’ouvrage : un
refus de toute surenchère qui ferait apparaître
l’Église comme détentrice, sur le sujet, d’une
vérité définitive opposable à tous au nom de la
raison ; une approche extrêmement concrète
et pédagogique avec, notamment, des « résumés » pour chacun des chapitres : développer la
médecine palliative ; gérer les « directives anticipées », apaiser les souffrances... Une contribution
ouverte et courageuse à un débat citoyen qui
reste encore largement devant nous.
René Poujol
L’homme et
les technosciences, le défi
Collectif, actes de la session 2014 des SSF,
252 p., 20 € *
Smartphones, imprimantes 3D, robots, objets
connectés, cours en ligne, accès quasi gratuit au
savoir, etc. Les technosciences progressent à une
vitesse d’autant plus grande qu’elles profitent
d’un effet de convergence entre nanosciences,
biotechnologies, technologies de l’information et
de la communication et neurosciences.
Cette « Transition fulgurante » qui recouvre
une multitude de domaines est en train de transformer notre relation au monde, aux autres et
à nous-mêmes. Pas question donc de porter un
jugement a priori sur ces évolutions sans tout
d’abord les toucher du doigt, en débattre en
ateliers ou au cours de grandes conférences à
plusieurs voix, permettant aux différentes sensibilités de s’exprimer. Le livre qui rend compte
des grands moments de la session et recueille
les conférences des intervenants, offre aussi un
choix d’articles du journal la Croix sur ces questions. D’où un ouvrage dense, nuancé, qui constitue une véritable mine d’informations et fournit
des pistes d’appréciation multiples de ce phénomène aux innombrables facettes. Parmi les
65 intervenants, citons pour mémoire : Martine
Aubry, Alain Caillé, Claude Evin, Isabelle FalquePierrotin, Bruno Latour, Thierry Magnin, Bruno
Patino…
Jean-Pierre Rosa
* Edité par les SSF en édition à la demande, le livre est disponible dans les librairies de notre partenaire La Procure
ou peut être commandé en ligne sur le site BoD.fr. Il existe
aussi en e-book. 7,99 € sur le site de la Fnac et d’Amazon
Dieu s’intéresse-t-il
à notre travail ?
Collectif, Ed. Mcc, 224 p., 10 € ✱
« Dieu s’intéresse-t-il à notre travail ? » C’est par
cette question abrupte que s’ouvre un ouvrage
collectif édité à l’occasion du cinquantenaire du
Mouvement chrétien des cadres et dirigeants. Le
MCC et les Semaines sociales de France sont issus
du même tremblement de terre, l’encyclique
Rerum Novarum qui a bouleversé le monde catholique pour lui faire découvrir que l’Evangile se
jouait aussi sur la scène de la société, de l’économie et de l’industrie, pas seulement dans l’intimité du cœur. Le livre anniversaire du MCC fait
vivre ces dimensions multiples de la conversion
de, par et pour l’entreprise. Il montre le chemin
par lequel des responsables professionnels, toutes
générations mêlées, en cessant d’idolâtrer le travail, ont pu en redécouvrir le sens : celui d’un appel
à servir, créer du neuf, reconnaître et solliciter des
talents, faire naître autrui à la responsabilité.
Jérôme Vignon
Le livre peut être commandé en ligne sur www.
mcc.asso.fr ou par correspondance à MCC, 18, rue
de Varennes, 75007 Paris. 10 € + 4 € de frais de port.
✱
Les SSF sur Internet
Entre chaque numéro de la Lettre, l’information
se poursuit sur le site www.ssf-fr.org et le débat
s’organise autour du forum latribunedessemaines.fr.
Rejoignez-nous et faites connaître le site à vos amis.
La Lettre des Semaines sociales de France : trimestriel édité par l’association Semaines sociales de France
18, rue Barbès, 92 128 Montrouge cedex - Téléphone : 01 74 31 69 00 - E-mail : [email protected]
Site : www.ssf-fr.org - Directeur de la publication : Jérôme Vignon. Rédacteur en chef : René Poujol.
Maquettiste : Martine Ullmann - Commission paritaire : CPPAP-0911G90019 - ISSN 1270-4687
Impression : DB print (Lille) - Abonnement 12 € pour quatre numéros.
12 La Lettre des Semaines sociales - juillet 2015
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