Le cancer de l estomac : épidémiologie descriptive et

La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - février 1998 9
INTRODUCTION
Bien que son incidence ait diminué depuis plusieurs années
dans presque toutes les régions du monde, le cancer de l’esto-
mac reste un cancer fréquent et grave qui a suscité l’intérêt de
nombreux épidémiologistes. Les données de l’épidémiologie
descriptive ont permis d’orienter vers la recherche de facteurs
de risque environnementaux ou infectieux permettant de propo-
ser un schéma de la cancérogenèse. Des progrès concrets ont été
réalisés, notamment avec l’identification du rôle de H. pylori.
Des études d’intervention sont en cours, pour préciser le rôle de
certains facteurs alimentaires et mieux identifier les sujets à
risque pour ce cancer.
INCIDENCE DU CANCER GASTRIQUE
Incidence en France
Le cancer de l’estomac est encore un cancer fréquent. Le taux
d’incidence standardisé sur la population mondiale, calculé à
partir des données du registre de la Côte-d’Or, pour la période
1976-1995 était de 12,3 pour 100 000 habitants chez l’homme,
et de 7,0 pour 100 000 habitants chez la femme. Une estima-
tion réalisée à partir des données de neuf départements fran-
çais couverts par un registre pour la période 1983-1987 situe
le cancer de l’estomac au troisième rang des cancers digestifs
chez l’homme, après le cancer colorectal et le cancer de l’œ-
sophage, et au deuxième rang chez la femme, après le cancer
colorectal ( 1 ) . Il représente 8 % de l’ensemble des cancers
avec un nombre estimé de 8 666 nouveaux cas par an. Il
n’existe pas de disparités d’incidence marquées entre les dif-
férents départements fraais. Le cancer de l’estomac était un
peu plus fréquent dans les départements du Haut-Rhin, du
Bas-Rhin, du Calvados, de la Côte-d O r, de la Somme et du
Doubs, que dans les départements de l’Isère, de l’Hérault ou
du Tarn. Le ratio d’incidence entre les départements à fort taux
et les départements à taux plus faible oscillait entre 1 et 2.
Partout, le cancer gastrique était 2 à 3 fois plus fréquent chez
les hommes que chez les femmes (tableau I).
Le cancer de l’estomac :
épidémiologie descriptive et étiologie
A.M. Benhamiche, J. Faivre*
* Registre Bourguignon des Cancers Digestifs (INSERM CRI 95 05),
Faculté de Médecine, Dijon Cedex.
Le cancer de l’estomac est un cancer fréquent. Bien qu’en
déclin, il est, en France, parmi les cancers les plus fréquents
et il se situe au deuxième rang mondial, avec 755 000 nou-
veaux cas annuels. Il existe des variations importantes d’inci-
dence d’une région à l’autre.
Le rôle d’H. pylori, une consommation élevée en sel, sont
des facteurs agissant sur les stades initiaux de la cancéroge-
nèse. Les nitrosamines, le tabac, l’alcool, les hydrocarbures
polycycliques ainsi que le reflux bilieux sont incriminés lors
des étapes ultérieures. Le rôle protecteur des fruits et des
légumes est bien établi, celui de la vitamine C et du ß-carotè-
ne est en cours d’évaluation.
Le pronostic du cancer est très mauvais, et serait transfor-
mé si on savait le diagnostiquer lorsqu’il est limité à la paroi.
Un quart des sujets atteints de cancer superficiel de l’estomac
ont un antécédent d’ulcère gastrique :la surveillance endo-
scopique de ces ulcères est donc essentielle. Disposer d’un
vaccin contre H. pylori, et augmenter l’efficacité des traite-
ments adjuvants permettrait peut-être d’en améliorer le pro-
nostic.
P O I N T S F O R T S
P O I N T S F O R T S
Tableau I. Incidence du cancer de l’estomac en France.
Calvados 13,4 4,9
Côte-d’Or 11,1 4,0
Doubs 10,7 3,7
Haut-Rhin 15,4 6,5
Hérault 9,7 4,0
Isère 11,8 4,7
Bas-Rhin 15,2 6,7
Sâone-et-Loire 13,0 5,1
Somme 9,8 4,1
Tarn 8,6 3,3
Taux standardisés pour 100 000 habitants selon la population mondiale
(période 1988-1992).
Hommes Femmes
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - février 199810
D
O S S I E R T H É M A T I Q U E
Distribution géographique dans le monde
Le cancer de l’estomac se situe au deuxième rang mondial,
après le cancer du poumon, avec un nombre estimé de 755 000
nouveaux cas annuels. Les données nationales dont nous dispo-
sons peuvent être comparées à celles publiées dans une mono-
graphie récente par le Centre international de la recherche sur le
cancer (CIRC), qui inclut les données d’incidence des registres
existant dans le monde et couvrant également la période 1988-
1992 (2) (tableau II). La France se situe dans les régions à
faible risque de cancer gastrique, comme les autres pays
d’Europe occidentale, comme l’Amérique du Nord ou comme
les zones d’Océanie peuplées de blancs (Australie, Nouvelle-
Zélande). Les pays d’Europe du Sud, particulièrement l’Italie et
le Portugal, d’Europe de l’Est, d’Europe du Nord et d’Amérique
du Sud sont à taux plus élevés. Les taux les plus forts sont ceux
du Japon. C’est un cancer rare en Inde et en Afrique.
Evolution de l’incidence
Jusqu’à la fin des années 80, le cancer de l’estomac était la pre-
mière cause de mortalité dans le monde. Son incidence a dimi-
nué depuis plusieurs années dans toutes les régions du monde.
Cette diminution a d’abord été constatée aux Etats-Unis, avant
la Seconde Guerre mondiale, sur les données de mortalité. Cette
tendance s’est affirmée les années suivantes ; les taux de morta-
lité aux Etats-Unis par cancer gastrique en 1985 étaient la moi-
tié de ceux observés 20 années auparavant. Cette diminution a
été observée en Europe, à partir de 1950, plus tardivement dans
certains pays comme l’Espagne ou la Grèce. Les données mon-
diales, provenant des pays dotés de registres, confirment la bais-
se des taux d’incidence dans l’ensemble des pays (2) (tableau
II). Dans les pays de la Communauté Européenne, en 15 ans,
l’incidence a diminué de 10 à 30 % tous les 5 ans, chez les deux
sexes, sauf au Portugal les taux d’incidence restent élevés
(3). Plus récemment, l’incidence du cancer gastrique a diminué
dans l’ensemble des pays d’Asie, y compris au
Japon.
En Côte-d’Or, entre 1976 et 1995, la diminution
de l’incidence du cancer gastrique, par période
de 5 années, était de -8,3 % pour les hommes et
de -11,9 % pour les femmes. La baisse de l’inci-
dence a tendance à se ralentir depuis quelques
années. Elle a surtout concerné les cancers dis-
taux, alors que l’incidence des cancers du cardia
est restée stable avec le temps. Des résultats
similaires ont été rapportés dans le
Calvados (4). Une modélisation des données
issues de neuf départements français couverts
par un registre suggère que le nombre de can-
cers de l’estomac est passé de 9 800 cas en 1975
à 7 310 en 1995 (5).
SUJETS A RISQUE
Le cancer de l’estomac est un cancer rare avant
50 ans pour les deux sexes. L’âge moyen au
moment du diagnostic est de 70,1 ans pour les hommes, et de
75,2 ans pour les femmes. Entre 50 et 80 ans, le cancer de l’es-
tomac fait plus que doubler chaque décennie, plus rapidement
chez l’homme que chez la femme (figure 1). Il existe une pré-
dominance masculine avec un sex ratio entre 2 et 3,5. Le
déclenchement du cancer de l’estomac survient tôt dans la vie.
La première étape de la carcinogenèse est le passage d’une
muqueuse normale à une gastrite chronique atrophique, elle-
même prédisposant au développement d’une métaplasie intesti-
nale puis d’une dysplasie, et finalement d’un authentique cancer
(figure 2). Les résultats des études histochimiques suggèrent
que la métaplasie intestinale incomplète de type III serait un
indicateur de risque élevé de cancer de l’estomac. Plus de la
moitié des dysplasies sévères deviendront des cancers (6).
Figure 2. Schéma de la carcinogenèse gastrique.
Figure 1. Incidence du cancer de l’estomac par âge et par sexe dans le
département de la Côte-d’Or.
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - février 1998 11
ETIOLOGIE
Facteurs de risque
Les variations géographiques et temporelles observées ont
conduit à chercher dans l’environnement, et surtout dans l’ali-
mentation, les facteurs influençant l’évolution de ce cancer.
Le rôle d’H. pylori, que le Centre international de la recherche
sur le cancer a classé en 1994 parmi les carcinogènes certains,
est développé dans un autre article.
Plusieurs études ont montré le rôle favorisant d’une consom-
mation excessive de sel sur le cancer gastrique. Il agirait de
façon précoce, sur les stades initiaux de la cancérogenèse. Le
changement du mode de conservation des aliments, avec aban-
don progressif des salaisons dans la plupart des pays, l’utilisa-
tion plus modérée du sel dans l’alimentation ont entraîné une
baisse de la consommation de sel expliquant en partie la baisse
d’incidence des cancers de l’estomac.
La progression vers la métaplasie intestinale de type III et vers
la dysplasie serait liée à la présence de carcinogènes. Le rôle des
nitrates et des nitrites issus de l’alimentation et de l’eau, trans-
formés en nitrosamines dans l’estomac est discuté. Les dérivés
nitrosaminés seraient particulièrement agressifs en cas d’hypo-
ou d’achlorhydrie, principalement après gastrectomie, vagoto-
mie, ou lors d’une anémie pernicieuse.
D i frentes études épidémiologiques ont souligné le le
d’autres facteurs étiologiques. Le tabac et l’alcool sont des fac-
teurs de risque de cancer gastrique, dont le rôle ne semble tou-
tefois pas essentiel. L’ensemble des études concernant la rela-
tion entre tabac et cancer, et entre alcool et cancer, ne retrouvent
pas toutes une relation positive entre ces facteurs et le cancer
gastrique (8/40 pour l’alcool, 29/42 pour le tabac). Un excès de
consommation dhydrocarbures
polycycliques, issus notamment
des aliments fumés, ainsi que le
reflux bilieux seraient également
des facteurs de risque du cancer
de l’estomac.
Le rôle protecteur des légumes
et des fruits, principalement des
agrumes, est maintenant bien éta-
bli. Le risque de cancer de l’esto-
mac est diminué de moitié en
moyenne chez les forts consom-
mateurs de légumes et de fruits,
par rapport aux faibles consom-
mateurs. Le rôle de la vitamine C
semble particulièrement net, par
une action antioxydante.
Plusieurs études épidémiolo-
giques suggèrent qu’une supplé-
mentation en vitamine C pourrait
diminuer de moitié le risque de
cancer gastrique (7). Dans une
vaste étude d’intervention menée
jusqu’en 1993 en Chine, dans le
Lixian, et ayant inclus près de
33 000 individus, plusieurs associations d’agents antioxydants
ont été étudiées. Les résultats suggèrent que l’association de ß-
carotène, vitamine E et sélénium diminue le risque de cancer
gastrique (OR = 0,79 [0,64-0,99]), cette diminution concernant
surtout les cancers proximaux (8). Toutefois, ces effets n’ont pas
été confirmés dans deux autres études concernant, l’une les
sujets atteints de dysplasie œsophagienne, et pour l’autre des
gros fumeurs (9, 10). Trois autres études d’intervention sont
encore en cours en Colombie, au Venezuela et en Europe sur des
sujets porteurs de métaplasie ou de lésions précancéreuses.
Elles testent respectivement les effets de l’éradication de H.
pylori et/ou une supplémentation vitaminique en vitamine C
et/ou ß-carotène. Les résultats de ces diverses études d’inter-
vention permettront sans doute d’évaluer la faisabilité et l’op-
portunité de vastes programmes de prévention.
Lésions précancéreuses
Certaines lésions précancéreuses ont été identifiées. La notion
d’antécédents d’ulcère gastrique est retrouvée chez 8 % des cas
dans le département de la Côte-d’Or et 13 % des cas dans le
département du Calvados (4). Il peut s’agir d’un ulcère trans-
formé ou d’un authentique cancer dont le diagnostic n’a pas été
fait auparavant. En Côte-d’Or, de tels antécédents étaient
retrouvés chez plus de 25 % des sujets atteints d’un cancer gas-
trique superficiel, c’est-à-dire limité à la muqueuse ou la sous-
muqueuse (11). Ces résultats confirment l’utilité d’une sur-
veillance endoscopique en cas d’ulcère, avec biopsie lors de
chaque poussée, afin de ne pas manquer une transformation
maligne précoce. Près de 5 % des cas surviennent chez des
sujets avec une gastrectomie faite plus de 15 ans auparavant.
D’autres maladies prédisposantes existent, mais elles ne sont
1978-82 1983-87 1988-92 1978-82 1983-87 1988-92
Canada (Québec) 14,5 15,2 12,1 6,4 6,4 5,2
Etats-Unis (Seattle) 9,1 8,1 7,5 4,0 3,6 3,0
Australie (Victoria) 14,8 14,1 11,7 6,2 6,0 4,9
Chine (Shangai) 58,3 51,7 46,5 24,6 21,9 21,0
Japon (Osaka) 76,9 73,6 65,5 35,9 32,7 27,3
Allemagne (Saarland) 25,5 22,2 18,5 12,3 11,2 9,0
Italie (Varese) 39,0 32,7 26,6 17,1 15,0 12,7
Espagne (Tarragone) 16,9 15,1 13,5 7,8 7,9 6,2
Angleterre (Oxford) 20,2 17,5 13,6 7,8 6,8 5,1
Taux standardisés pour 100 000 habitants, sur la population mondiale.
Hommes Femmes
Tableau II. Evolution de l’incidence du cancer de l’estomac dans le monde.
La Lettre de L’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - février 199812
responsables que d’une très faible proportion de cancers gas-
triques : maladie de Biermer, maladie de Ménétrier, adénomes.
Globalement, seulement près 15 à 20 % des cancers de l’esto-
mac apparaissent chez des sujets porteurs d’une lésion précan-
céreuse connue.
PRONOSTIC
Le pronostic du cancer de l’estomac est sombre. Les résultats de
l’étude EUROCARE, qui inclut 12 pays d’Europe occidentale,
rapportent des taux de survie relative à 5 ans pour la période
1983-85 variant entre 8 et 21 %. Les taux de survie les plus éle-
vés étaient ceux de l’Allemagne, de la Suisse ou de l’Italie, les
plus bas ceux de l’Angleterre ou du Danemark (12).
En Côte-d’Or, le pronostic s’est significativement amélioré
entre les périodes 1976-78 et 1988-90, les taux de survie à 5 ans
passant de 12,8 % à 26,4 % (13). La diminution du taux de mor-
talité postopératoire, l’augmentation de la proportion des exé-
rèses effectuées à visée curative ainsi que la légère augmenta-
tion du nombre de cancers diagnostiqués à un stade précoce
expliquent cette amélioration. Cette amélioration n’est pas
retrouvée dans le département du Calvados, mais sur une pério-
de plus courte. Après exérèse chirurgicale, le taux de survie à 5
ans varie entre 25 et 29 % selon les séries. Dans le département
de la Côte-d’Or, la moitié des sujets seulement peuvent bénéfi-
cier d’un traitement à visée curative (13). Les facteurs pronos-
tiques essentiels sont ceux liés à l’extension tumorale et aux
possibilités thérapeutiques : le stade d’extension pariétale, la
localisation de la tumeur et l’âge au moment du diagnostic.
Moins de 20 % des cancers gastriques sont diagnostiqués avant
qu’ils n’envahissent la musculeuse (4, 14).
CONCLUSION
Malgré la baisse de lincidence constatée dans presque
tous les pays, le cancer de l’estomac reste un problème
important de santé publique. Les taux dincidence
devraient continuer à diminuer dans les pays développés,
mais compte tenu de la croissance démographique des pays
en voie de développement, on peut sattendre à une aug-
mentation du nombre des cancers gastriques dans le monde
pour les années à venir. Lamélioration du niveau de vie
dans les pays sous-développés, la réduction de la consom-
mation excessive de sel dans certains pays, mais surtout la
mise au point d’un vaccin contre H. pylori seraient des
mesures de prévention particulièrement eff i c a c e s .
Diagnostiquer le cancer à un stade précoce et augmenter
l ’ e f ficacité des traitements adjuvants permettrait, peut-
être, d’en améliorer le pronostic.
R
É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S
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