THÉÂTRE-LABORATOIRE SFUMATO Trilogie August Strindberg MARGARITA MLADENOVA Julie, Jean et Kristine La Danse de mort IVAN DOBCHEV Strindberg à Damas 1 Théâtre-laboratoire SFUMATO Trilogie August Strindberg Spectacles en bulgare surtitrés en français Julie, Jean et Kristine Margarita Mladenova La Danse de mort Margarita Mladenova Strindberg à Damas Ivan Dobchev Durée : 1h30 Durée : 1h30 Durée : 1h40 Théâtre de la Bastille Festival d’Automne à Paris 20 au 26 octobre 19h, dimanche 15h, relâche jeudi 13 € et 22 € – abonnement 13 € Théâtre de la Bastille Festival d’Automne à Paris 20 au 22 octobre 21h 13 € et 22 € – abonnement 13 € Théâtre de la Bastille Festival d’Automne à Paris 24 et 25 octobre 21h, dimanche 26 octobre 17h 13 € et 22 € – abonnement 13 € Festival Passages 15 au 17 mai 09 10 € et 20 € – abonnement 5 € et 10 € D’August Strindberg Mise en scène, Margarita Mladenova Scénographie et costumes, Daniela Oleg Liahova Avec Albena Georgieva, Hristo Petkov, Miroslava Gogovska Production Teatro Sfumato – Sofia Coréalisation Theâtre de la Bastille, Festival d’Automne à Paris Festival Passages 19 et 20 mai 09 10 € et 20 € – abonnement 5 € et 10 € D’August Strindberg Adaptation et mise en scène, Margarita Mladenova Scénographie et costumes, Daniela Oleg Liahova Musique, Assen Avramov Avec Svetlana Yancheva, Vladimir Penev, Tzvetan Alexiev Production Teatro Sfumato – Sofia Coréalisation Theâtre de la Bastille, Festival d’Automne à Paris Toutes les photos de ce programme ont été réalisées par Simon Varsano © RÉSERVATIONS Festival Passages 22 et 23 mai 09 10 € et 20 € – abonnement 5 € et 10 € De Georgi Tenev et Ivan Dobchev D’après August Strindberg Mise en scène, Ivan Dobchev Scénographie, Ivan Dobchev et Daniela Oleg Liahova Costumes, Daniela Oleg Liahova Musique, Assen Avramov Vidéo, Lubomir Mladenov Avec Rumen Traikov, Snezhina Petrova, Hristo Petkov, Elena Dimitrova, Malin Krastev Coréalisation Theâtre de la Bastille, Festival d’Automne à Paris La trilogie Strindberg reçoit le soutien de l’Onda Théâtre de la Bastille 76, rue de la Roquette – 75011 Paris. Métro : Bastille, Voltaire, ou Bréguet-Sabin Location par téléphone et sur place du lundi au vendredi de 10h à 18h le samedi de 14h à 18h – 01 43 57 42 14 – www.theatre-bastille.com Manifestation présentée dans le cadre de la Saison culturelle européenne en France (1er juillet – 31 décembre 2008) Avec le soutien de : Festival d’Automne à Paris 156, rue de Rivoli – 75001 Paris. Métro : Louvre-Rivoli Informations et réservations du lundi au vendredi de 11h à 18h et le samedi de 11h à 15h – 01 53 45 17 17 – www.festival-automne.com Festival Passages, à Nancy Théâtre de la Manufacture – CDN Nancy Lorraine 10, rue Baron Louis – 54014 Nancy cedex Renseignements, location 03 83 37 42 42 – www.festival-passages.fr 2 Avec le soutien du Ministère de la culture de Bulgarie. Partenaires média du Festival d’Automne à Paris : Nous avons une attitude Margarita Mladenova et commune : la curiosité et Ivan Dobchev venaient une histoire mêlée, qui, bien d’avoir quarante ans lorsqu’ils souvent,s’estfaiteparlevoyage.Ainsi le Théâtre de la Bastille et le Festival d’AutomneàParissont-ilsdepuislongtempsassociésparleursaccueilsinternationaux.L’histoireestd’autantplus remarquable qu’elle procède d’une grande liberté réciproque, d’une conscience aiguë de nos complémentarités,etdurespectdenosdirections artistiques indépendantes. Un festival sans théâtre et un théâtre sans festival ! Nous connaissons l’un et l’autre le Théâtre Sfumato depuis des années et ce n’est que maintenant que nous pouvons proposer aux parisiens de partager notre admiration. C’est un accueil bref, certes, lié à nos contraintes, mais important puisque nous présentons une trilogie. Trois spectaclesrépartisdanslesdeuxsalles du Théâtre de la Bastille dont la configuration devrait permettre cette découverte dans d’excellentes conditions.Prolongementheureuxetautrement signifiant de ces nouvelles façons de travailler ensemble, le Festival Passages de Nancy, sous l’impulsion de Charles Tordjman et de Jean-Pierre Thibaudat, est partie prenante de ce projet en programmant la trilogie Strindberg en mai 2009, le Sfumato étant déjà venu à Nancy par deux fois. Ce programme, conçu en collaboration par nos trois maisons, est un signe tangible du souci d’accueillir autrement. Alain Crombecque, directeur du Festival d’Automne à Paris, Jean-Marie Hordé, directeur du Théâtre de la Bastille, Charles Tordjman, directeur de Passages ont créé le Théâtre Sfumato en 1989 à Sofia. L’un et l’autre étaient déjà des metteurs en scène reconnus et des pédagogues appréciés – et ils embarquèrent dans l’aventure une poignée de jeunes acteurs qu’ils avaient formés. Ils avaient contribué au renouveau du théâtre bulgare depuis trop longtemps pris dans les rets de l’empire soviétique : lourdes institutions et fossilisation dogmatique de l’enseignement de Stanislavski. Si cette union fit leur force, c’est qu’elle se fondait sur une commune et exigeante vision du théâtre que résume bien le nom de leur troupe emprunté à Léonard de Vinci, et que leur union allait radicaliser. Le sfumato désigne une technique de dessin, de peinture, qui consiste à brouiller les contours, à cerner, à peindre l’air, l’impalpable. « Le nom de notre troupe reflète notre stratégie poétique », disaient Mladenova et Dobchev. Autrement dit, moins le trait que son mouvement, plutôt l’indistinct et ses mystères que l’affirmation péremptoire, la dynamique du geste que son accomplissement, le processus que le résultat. « Nous ne cherchons pas un théâtre descriptif mais,danslejeudesacteurs,unevérité du courant intérieur qui ne s’épuise pas dans la réalité visible », ajoutentils. Comme l’écrit Heinz Wismann, « le théâtre Sfumato met l’accent sur le surgissement initial de l’élan et fait en sorte qu’il ne soit pas absorbé par la logique de l’efficacité ». « Pour nous, poursuivent Margarita et Ivan, le spectacle est une action, un rite spirituel qui a lieu ici et maintenant. Car le rite ne peut être ni imité, ni répété. C’est cela qui détermine la nature de la présence de l’acteur dans nos spectacles : tout le travail de répétition consiste à le diriger vers des réflexes non conditionnés, à favoriser une impulsion créatrice ». Trèsvite,ilstomberontsurcettephrase du peintre Odilon Redon qui devien- dra leur mot d’ordre et leur règle d’or : « la logique du visible au service de l’invisible ». Tous les spectacles du Sfumatosedéroulentsoushautetension. Découvrir une telle aventure dans un pays alors surtout connu pour ses yaourts et ses parapluies et qui venait tout juste de s’ouvrir au monde occidental, fut un choc. Cela se passait en 1990 dans un recoin d’un gigantesque et prétentieux Palais de la culture de Sofia où Lénine avait été plus d’une fois le héros de spectacles grandiloquents.Là,aveclacomplicitéd’unviceministre clairvoyant, le Sfumato avait installé une sorte de campement, un ilôt de théâtre vivant et incandescent au sein d’un mausolée. À la lueur de bougies, des acteurs aux traits acérés nous entraînaient dans les méandres de Petar Atanassov, un Rimbaud bulgare dont l’œuvre avait été longtemps interdite, ou nous promenaient dans l’œuvre de la russe Ludmilla Petrouchevskaïa que nous avait fait connaître la perestroïka. Dès l’année suivante, ils campaient sous des bâches dans le sous-sol de Beaubourg, invités par le Festival d’Automne à Paris. Dobchev venait avec la mise en scène de Témoignage de lumière pendant la peste, un spectacle conçu à partir de l’œuvre d’Atanassov dialoguant avec des passages de la Bible et du Festin au temps de la peste de Pouchkine. Mladenova signait post scriptum, un voyage dans l’œuvre de Tchekhov à partir de la scène finale de La Mouette : le suicide de Constantin GavrilovitchTreplev,lefilsdelagrande actrice Akardina. Cinq ans plus tard, le Sfumato était au Festival Passages à Nancy avec deux Tchekhov, Oncle Vania (Dobchev) et Les Trois Sœurs (Mladenova). Et cette saison, la trilogie Strindberg ayant pour titre Vers Damas ira au Festival Passages en mai 2009 après sa venue au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne. Désormaisdénommée« Théâtre-laboratoire Sfumato » (un clin d’œil au mythique théâtre Laboratoire de Grotowski avec lequel le Sfumato partage 3 plusieurs visées), la compagnie n’empile pas les spectacles mais conçoit sa démarche exploratoire à partir d’un projet, généralement autour d’un auteur. Tchekhov, de 89 à 96, puis Lovkov, Raditchkov, les mythes, Dostoïevski de 2003 à 2005, le projet Exit autour des derniers jours de Léon Tolstoï et Marina Tsvetaeva, et maintenant, Strindberg. Autant de voyages au long cours, de répétitions, d’improvisations des mois durant, un temps lent nécessaire pour pénétrer « l’esprit » de l’auteur, approcher son « secret » et, au-delà, interroger « la grande énigme de l’existence ». Il y a longtemps que les gens du Sfumato ont quitté la soupente du Palais delaculture désormais voué aux spectacles de divertissement. Après bien des péripéties – un théâtre qui brûle, un autre dont ils sont expulsés pour cause d’opération immobilière – ils sont désormais installés au bord d’un jardin au centre de Sofia, dans un théâtre que toute l’équipe du Sfumato a façonné de ses mains dans d’anciens bainsdelavilledepuislongtempsabandonnés. Jean-Pierre Thibaudat « Le théâtre représente pour nous une autre forme de vie – plus concentrée, plus pure et plus élevée. Soit l’existence d’une communauté de personnes qui ont quelque chose à échanger, qui se réjouissent de leur rencontre, la partagent et sont prêts à donner beaucoup d’eux-mêmes. Une vie de personnes étroitement liées où chacun se découvre à travers l’autre, en échangeant avec lui son énergie spirituelle, dans une complicité qui s’avère un rite mystérieux des âmes et peut nous restituer un sentiment perdu de sainteté, de pureté, et de chaleur humaine. Le théâtre est une vie bouillonnante. Le théâtre n’est pas le lieu de la rencontre, il est la rencontre elle-même ». Margarita Mladenova Ivan Dobchev 4 Mademoiselle Julie, d’Eros en Thanatos Première étape de la trilogie Vers Damas qui traverse l’œuvre d’August Strindberg à la nage et souvent en apnée, Mademoiselle Julie, une pièce en un acte, en un souffle, fulgurante. En 1883, l’auteur avait quitté la Suède et ses théâtres, mettant en péril la carrière d’actrice de son épouse Siri. À la veilleduprintemps1888,auDanemark, il met un point final à son Plaidoyer d’un fou (écrit en français), l’une de ses œuvres autobiographiques où il dissèque à l’envi sa vie de couple. Peu après,il découvre FriedrichNietzsche, le lit avec exaltation, « Tout y est ! », écrit-il à un ami. La famille Strindberg (deuxenfants)passel’étéauDanemark, à Lyngby, louant des chambres dans un château tenu par une comtesse extravagante. C’est là qu’August écrit Mademoiselle Julie en deux semaines, s’inspirant sans doute des personnes qui vivent dans ce château, dont la jeune Marta, avec laquelle Strindberg aura une brève aventure. En scène, trois personnages : Mademoiselle Julie, la fille du comte, Jean, un valet, Kristine, la cuisinière. L’action se déroule dans la cuisine du château, la nuit de la Saint-Jean. Une nuit defête,unenuitdefolie.«CesoirMademoiselle Julie est folle, complètement folle », première réplique de la pièce. Au bout de la nuit, la fille du comte ayant couché avec le valet fiancé à la cuisinière,obéitàl’ordredesonamant : elle sort pour aller se suicider. Dans une longue préface, Strindberg s’attarde sur l’ambivalence des personnages. Mademoiselle Julie « est un caractère moderne » mais « elle est également une survivance de l’ancienne noblesse guerrière ». Jean, fils dejournalier, «montedéjàsurl’échelle socialeetilestsuffisammentfortpour ne pas se gêner en profitant d’autrui ». Seigneur en herbe, il hésite « entre la sympathie pour les hautes sphères et la haine pour ceux qui les occupent ». Enfin Kristine est « une esclave féminine » qui va « à l’église pour se décharger sur Jésus de ses larcins domestiques et acquérirunenouvelle provision d’innocence ». Quand elle entre en scène, Mademoiselle Julie invite Jean à danser avec elle encore une fois. Il obéit. Elle règne en maîtresse, elle le désire, mais l’acte consommé, tout se renverse. D’Eros en Thanatos. « La victoire de Julie devient vite la victoire du valet. Jean, ayant mêlé son sang à celui de la race des forts, devient fort à son tour. Julie n’aura plus qu’à lui obéir, et quand il lui donnera l’ordre de se tuer, elle se soumettra, comme hypnotisée », écrit Arthur Adamov dans l’essai qu’il a consacré à Strindberg. Et ce dernier d’ajouter : « Il en est de l’amour comme de la jacinthe : elle doit se développer par ses racines dans l’obscurité avant de donner des fleurs durables. Ici, l’amour pousse trop vite, il fleurit et monte tout de suite en graine et c’est pourquoi la plante meurt aussi rapidement ». Tournant le dos à ce qu’il nomme « le dialogue à la française », Strindberg laisse « les cerveaux travailler sans règles comme ils le font dans la réalité, où une conservation n’épuise jamais un sujet, mais où les cerveaux s’envoient mutuellement des leurres quileurpermettentderebondir».Ainsi la nuit blanche de la Saint-Jean est-elle zébréed’undialogue«erratique»mais on ne peut plus serré. « Prenez une côte de mouton, écrit Strindberg, elle paraît large, mais elle est aux trois quartsfaited’osetdegraisse,etcomme les Grecs, je vous donne la noix ». Strindberg parle de Kristine comme d’un personnage secondaire. Ce n’est pasl’avisduthéâtreSfumatoquiaretitrélapièce(tropsouventmiseenscène autour d’une actrice star jouant le rôle titre), Julie, Jean et Kristine soulignant ainsi le jeu de tensions entre les trois personnagesetlesravagesquienrésultent à tous les étages dans un monde où l’être humain « cesse d’être l’objet absolu de la civilisation », dit Margarita Mladenova qui signe la mise en scène. Une froide cuisine métallique occupe la scène, aseptisée comme un laboratoire, une clinique. Propre jusqu’à l’effroi. L’eau bout dans des bassines pour laver la saleté. À la face, une rigole rigoureuse charrie les eaux usées. C’est adossé à ce paysage quasi cliniquequeleSfumatocuisinelapièce. J.-P. T. 5 La Danse de mort, ou le triomphe de la haine comme passion Le voyage Vers Damas du Sfumato à travers l’œuvre de Strindberg se poursuitavecLaDansedemort,pièce adaptée et mise en scène par Margarita Mladenova. Douze ans ont passé depuis l’écrituredeMademoiselle Julie. Strindberg a divorcé d’avec sa première femme, une ancienne actrice ; lui a succédé une journaliste, nouvel échec. Et voici qu’auprintemps1900,ilfaitlaconnaissanced’unejeuneactricenorvégienne devingt-deuxans,HarrietBosse.Après unelongue période où il côtoie la folie, après Inferno, il a retrouvé les voies de l’écriture dramatique. En 1898, il a écrit les deux premières parties du Chemin de Damas. L’année suivante sont venus ses grands drames historiques, et à l’automne 1900, coup sur coup,ilécritsansguèrederaturesdeux grandes pièces, une dizaine de jours pour chacune, Pâques et La Danse de mort. La première se termine par une scène de réconciliation, la seconde est 6 marquée de bout en bout par la haine. Dans La Danse de mort, tout se passe suruneîle queleshabitantsnomment « le petit enfer ». Là, dans la tour circulaire d’une forteresse qui fut une ancienne prison, vit un couple que l’on croirait uni puisqu’il a tenu le coup et s’apprête à fêter ses noces d’argent (vingt-cinq ans de mariage). Il n’en est rien. La haine habite Edgar, capitaine d’artillerie, et Alice, son épouse, une ancienne actrice. La haine de l’un envers l’autre, la haine des autres, la haine de soi. Leurs enfants sont partis,ilsn’ontpasd’amis,lesdomestiques ne s’attardent pas, l’argent manque, le garde-manger est vide, et la cave n’a plus vu de bouteilles depuis cinq ans. En coulisses, on entend de la musique comme dans Mademoiselle Julie, un voisin, le docteur, a invité des amis, Edgar et Alice n’en font pas partie. D’ailleurs, d’amis, ils n’en ont pas ; la détestation est absolue, et c’est peutêtre ce qui les réunit. Le capitaine rumine son absence de promotion, Alice sa carrière d’actrice avortée, elle joue du piano mais leurs goûts musicauxsontopposés.Ilsn’ontriend’autre à se dire que de s’envoyer à la figure le néant de leur vie à coups de « vieilles répliques éculées », comme dit le capitaine. Le sarcasme et la saillie agressive sont la monnaie courante de leur dialogue quotidien, en attendant la mort qui est déjà à l’œuvre. « Leurs âmes sont mortes. Ce sont deux corps –deuxmomiesressemblantàdesêtres humains – qui entament une lente danse à travers le néant », dit Margarita Mladenova. Arrive Kurt, un ami du temps jadis. Une chance, une possibilité de salut ? Rien de tel. C’est Kurt qui est entraîné dans leur cercle infernal, sa présence ne faisant qu’exacerber la haine, l’abjection et la destruction, tiraillé qu’il est entre l’un et l’autre. Deux chiens se disputant un os. Et à son tour devenu chien, Kurt mord le cou d’Alice, son amour de jeunesse. Il prendra la fuite, et le couple se retrouvera face à face au fond d’un commun abîme. « Et là, dit Mladenova, de cet abîme, s’élève un absurde espoir, aussi faible que le cri d’unnouveau-né,l’espoirde«quelque chose de mieux » face à la mort imminente (Edgar étant réellement condamné et le disant). Pour se purger. Pour commencer après la fin ». Vanité du couple, faillite de l’amour, triomphe de la haine comme passion, et de la mort dans la vie même. « La joie ? Qu’est-ce-que c’est ? », demande le capitaine à son épouse. « Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander », répond-elle du tac au tac. C’est l’une des premières répliques de la pièce. Et la dernière : « Donc, noces d’argent… passer l’éponge et continuer. Continuons », dit le capitaine. C’est déjà du Beckett, ce que souligne Mladenova : « La mort maintient le pouls des cœurs en pierre, elle gouverne“l’espritéclairé”impuissantface à elle. Le grand projet de civilisation – l’Homme avec un grand H – échoue dans l’homme (l’humain). Effondrement:duSurhomme(Nietzsche)àl’animal. De là à l’absurde-ridicule du tragique, à Fin de partie (Beckett), il n’y a qu’un pas ». J.-P. T. 7 8 Strindberg à Damas Le dernier volet de la traversée Strindberg du théâtre Sfumato part du Chemin de Damas, une longue pièce en trois parties (rarement montée intégralement) que l’auteur écrira en deux temps sur une période s’étalant sur dix ans. « C’est un poème qui repose sur une terrible demi-réalité », écritil. L’histoire d’un Inconnu, de ses errances, de ses questionnements, de ses rencontres… Strindberg propose à Harriet Bosse, une jeune actrice d’origine norvégienne de vingt-deux ans, d’interpréter le rôle de la Dame après l’avoir vue jouer le rôle de Puck dans Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Dans son journal, il rapporte un « incident inexplicable » qui s’est produit le jour de la répétition générale, le 15 novembre 1900. Dans l’une des scènes cruciales, la Dame qui porte une voilette doit donner un baiser à l’Inconnu. Strindberg monte sur scène, s’approche de l’actrice et lui parle de ce moment du baiser. Alors, écrit-il, « le petit visage de Bosse se transforme, s’épanouit et s’emplit d’une beauté surnaturelle ; il semblait s’approcher du mien et ses yeux m’enveloppèrent de flammes noires. Puis, sans raison, elle partit en courant, et je suis resté interdit, ayant l’impression d’un miracle et d’avoir reçu un baiser qui venait de m’enivrer ». Quand il l’épouse en mai 1901, il a cinquante-deux ans. Quelques jours plus tard, il colle dans son journal une dépêche d’un journal qui lui apprend la mort de Dagny Juel, assassinée par un amant avec lequel elle s’était enfuie à Tbilissi. Strindberg avait connu cette jeune femme fascinante au Cochon noir, un célèbre pub de Hambourg. Grande buveuse d’absinthe, militante de l’amour libre, surnommée Aspasie (en référence à la maîtresse de Périclès), elle fut un modèle aimé d’Edvard Münch. Elle avait été l’amante de Strindberg (alors marié avec Frida, la journaliste autrichienne) avant de partager la vie de l’écrivain et essayiste polonais Przybyszewski. On retrouve tous ces éléments et d’autres (la correspondance entre Strindberg et Nietzsche, son Journal occulte, son obsession des psychiatres) dans Strindberg à Damas, titre donné par le Sfumato à ce troisième volet qui s’éloigne du texte même de la pièce Le Chemin de Damas (mais non de certaines scènes) pour cheminer plus avant, avec et dans Strindberg. « L’exaltation de ce texte nous a fait imaginer un voyage à travers les rêves de Strindberg, à travers des documents entremêlés à des faits réels et des suppositions émergeant de la biographie de l’écrivain, à travers des hypothèses sur ses crises, sur son épreuve humaine – trop humaine – de l’esprit, sur son étirement au-delà des limites de la réalité, d’où le retour parfois est impossible », explique Ivan Dobchev qui signe la mise en scène et a établi le texte avec Georgi Tenev, suite à deux très longs workshops avec les acteurs du Sfumato. Une tentative pour « atteindre le non réalisé, le rêve absolu. L’inexplicable. Au-delà du visible, audelà du possible. Dans Damas ». Da- mas (ou Tbilissi) comme métaphore. Le Sfumato prolonge la forme dramatique du « drame itinérant » ou du « pèlerinage dramatique » chère à Strindberg (sa dernière pièce aura pour titre La grand-route) qui n’aura jamais cessé d’entremêler l’histoire de ses pièces et celle de sa vie. Mais c’est un voyage qui délaisse le monde extérieur pour explorer le monde intérieur. Il en va des personnages de cette pièce comme de ceux des trois parties du Chemin de Damas décrits ainsi par Arthur Adamov : ils « sont à la fois Strindberg lui-même, et ceux avec qui la vie l’a mis aux prises. Et cela donne une assez grandiose réunion, où chacun ressemble à l’autre par un certain côté, où tout le monde cligne des yeux dans une connivence épouvantable ». À travers cette trilogie, à travers ce cheminement dans les méandres de la « blessure » de Strindberg, – « cette blessure que chacun porte en son cœur », disent Margarita Mladenova et Ivan Dobchev –, le théâtre Sfumato n’a peut-être jamais si bien porté son nom. J.-P. T. 9 Margarita Mladenova Ivan Dobchev Metteursenscèneetco-fondateursdu LaboratoireSfumatoàSofia,Margarita Mladenova et Ivan Dobchev, qui assurent respectivement les fonctions de directriceetdirecteurartistiqueduSfumato, sont, par ailleurs, professeurs à l’Académienationalebulgaredethéâtre et de cinéma / NATFA. Ils ont réalisé de très nombreuses mises en scène de textes classiques bulgares, russes et ouest-européens, tant au théâtre ou à l’opéra que pour la télévision. Margarita Mladenova a notamment présenté des œuvres de Molière, de Sophocle, d’Alfred de Musset, de Peyo Yavorov, d’Ivan Tourguenev, d’Anton Tchekhov, au Théâtre National Ivan Vazov de Sofia, au Théâtre Satirique, etdansplusieurscentresdramatiques nationaux en Bulgarie. Ivan Dobchev a réalisé plus de cent vingt mises en scène, d’Ivan Vazov d’après Yordan Raditchkov au Théâtre National, à Georg Büchner, Samuel Beckett,HeinerMüller,YordanYovkov… L’un et l’autre sont lauréats de nombreux prix décernés tant au niveau national que par les festivals de Croatie et de Bosnie. Tous deux ont donné des cours à l’Académie des arts modernes et à la Sorbonne. Théâtre-laboratoire SFUMATO Fondé par Margarita Mladenova et Ivan Dobchev en 1989, le SFUMATO est un acteur culturel indépendant 10 reconnu par les pouvoirs publics bulgares. Il propose une démarche originale par son activité de laboratoire artistique d’innovation théâtrale. Le jeu d’acteur y est considéré en tant que processus, le spectateur est invité à découvrir le cheminement des artistes à travers l’univers d’un auteur ou d’un texte. LeThéâtre-laboratoireSFUMATOanime des ateliers artistiques et réalise des productionsthéâtrales.Ilorganiseégalementdesévénementsculturelsainsi qu’un festival, la « Petite Saison », destiné à promouvoir le travail des jeunes professionnels bulgares et des compagnies théâtrales émergentes. www.sfumato.info August Strindberg (1849-1912) Écrivain et auteur dramatique, il est le fils d’un membre de la bonne bourgeoisie suédoise, Oskar Strindberg, et d’une fille d’auberge devenue gouvernante puis maîtresse de son père, ce dont porte trace son récit autobiographique Le Fils de la servante (1886). Bachelier en 1867, il s’inscrit à l’université sans trop savoir ce qu’il veut faire. Pour des raisons financières, il s’essaie parallèlement aux métiers de journaliste, de comédien au Théâtre Royal Dramatique, d’employé du télégraphe ou de la Bibliothèque royale de Stockholm. Après une période de tâtonnements, il fonde l’association Runa, vouée au culte du passé et de l’idéal nordiques. Il découvre alors Schiller, Byron et Kierkegaard, et commence à écrire : La Fin de l’Hellade, tragédie en vers couronnée par l’Académie suédoise (1869), Maître Olof (1872), ou encore L’Apostat. Après son mariage à Siri von Essen (1877), dont il divorceraquelquedixansplustard,ilpublie Le Peuple suédois, un récit historique (1882), et Le Nouveau Royaume, un roman qui ridiculise la société suédoiseetlesinstitutionsparlementaires justeinstaurées,toutencritiquantdes personnalités en vue. Attaqué pour son irrévérence et abattu par ses malheurs conjugaux, Strindberg tombe sérieusementmalade.Ildécidedes’exiler en France, où il publie des articles dansdiversesrevuesparisiennes,ainsi qu’un recueil de poèmes qui fait de lui l’un des pionniers du modernisme lyrique scandinave. Ce séjour, durant lequel il découvre Zola et les frères Goncourt ainsi que les études d’Hippolyte Bernheim et celles de Jean Charcot sur le psychisme, donne lieu à une série de tragédies d’empreinte naturaliste : Père (1887), Mademoiselle Julie – la plus jouée de ses pièces – ou encore Créanciers (1888). À revers du courant romantique alors sensible en Suède, Strindberg écrit des œuvres satiriques sur la vie de couple, le creuset social et les contingences matérielles. Inspiré par Nietzsche, avec lequel il entame une correspondance au milieu des années 1880, il fonde sa conception des rapports humains sur la notion d’inégalité psychique et sur l’idée du « surhomme » : toute vie sociale est combat, et c’est toujours l’être le plus fort psychiquement qui l’emporte. Au milieu des années 1890, aprèsl’échecdesondeuxièmemariage, il erre de l’Allemagne à l’Autriche, en passant par le Danemark et l’Angleterre. À nouveau malade, hospitalisé àSaint-Louis,ilsecroitpersécuté,tente de mettre fin à ses jours, et fuit son entourage. Il décrit la violente crise psychique qu’il traverse dans Inferno (roman écrit en français en 1897, puis traduit en suédois). Il retourne ensuite à Stockholm, où il se fixe définitivement. S’ouvre alors une période d’intense production : il écrit des pièces historiques – Gustav Adolf (1899), La ReineChristine(1901)–etd’autresdites expressionnistes, presque toutes « itinérantes » car les héros y sont perpétuellement en marche. C’est la trilogie composée duChemin de Damas(18981904), de L’Avent (1898) et de Pâques (1901), mais aussi La Danse de mort (1900) et Le Songe (1901). Après un troisième mariage qui se termine par un nouvel échec, Strindberg continue d’écrire et anime un théâtre d’avantgarde. Reconnu par la ville de Stockholm qui le gratifie d’une souscription nationalepoursonsoixante-troisième anniversaire, il meurt d’un cancer quelques mois plus tard. Assen Avramov a fait ses études à l’Académie nationale de musique. Entre 1991 et 1997, il est chef d’orchestre et compositeur du Théâtre Derrière le Canal. Co-fondateur d’Ars Digital Studio (audio, video, télévision) et professeur en théorie de la musique à l’Académie nationale de théâtre et de cinéma de Sofia, il a composé la musique de toutes les créations de Margarita Mladenova et d’Ivan Dobchev au Sfumato. Il travaille également avec d’autres metteurs en scène bulgares reconnus au plan européen, comme Yavor Gardev, Alexander Morfov, Stoyan Kambarev, et Galin Stoev. Georgi Tenev a étudié les langues slaves à l’Université de Sofia, puis il a fait partie de la classe de Margarita Mladenova et d’ Ivan Dobchev à l’Académie nationale de théâtre et de cinéma de Sofia. Il a écrit des romans dont La Centrale du parti (prix de la Fondation Vick 2007), Variations Karamazov (2004), et le recueil de récits Retour de La Haye (2008), des pièces de théâtre comme L’ Atoll (avec Yavor Gardev et Assen Avramov, Prix européen de la Meilleure pièce radiophonique), et Strindberg à Damas (avec Ivan Dobchev, nomination Askeer 2007). En 1999, il a publié La Peur du résident du rappel, un recueil de poèmes en prose et de pièces dramatiques. Enfin, il est l’auteur du poème La Citadelle (2002) Daniela Oleg Liahova Elle a fait des études de scénographie à l’Académie nationale des beaux arts de Sofia. Elle travaille dans les domaines de la scénographie, de la peinture et du graphisme. Depuis 1997, elle est scénographe aux côtés de Margarita Mladenova et d’Ivan Dobchev au Sfumato. En 2007, elle a reçu les deux prix bulgares les plus prestigieux pour son décor de Julie, Jean et Kristine. Lubomir Mladenov a fait ses études à l’Académie nationale de théâtre et de cinéma de Sofia, dans le département de réalisation cinématographique (1991–1996). Il a participé aux festivals de cinéma de Gyor, Kiev, Munich, Angers, et Clermont-Ferrand. En 1998, il a fait son service militaire au Centre audiovisuel de l’armée et a monté des films produits par l’armée elle-même. Il a fait ses débuts au cinéma en 2002 avec Truth or Dare (Vérité ou Oser). Entre 2003 et 2007, il a créé deux documentaires et deux courts métrages, dont le dernier a gagné le prix de Meilleur film balkanique au Festival Filmini à Sofia. Le Théâtre de la Bastille Depuis 1982, le Théâtre de la Bastille est, au cœur de Paris, un théâtre aussi instable que productif. Ses deux salles offrent aux artistes et aux spectateurs une relation rare, faite de proximité et d’espace. La Bastille fut et reste attentive à toute sorte d’innovations chorégraphiques et théâtrales, saisissant au mieux les rapports inédits entre le texte, le mouvement et l’image. Cette attention nous amena à une grande ouverture internationale et contribua à fonder notre relation avec le Festival d’Automne à Paris. Le théâtre est un lieu de « passage » : des carrières s’y inaugurent, d’autres s’y confirment. Un goût singulier s’y affirme devant de très nombreux spectateurs curieux. Jean-Marie Hordé Le Festival d’Automne à Paris Pluridisciplinaire,internationaletnomade, le Festival d’Automne à Paris a été créé en 1972 par Michel Guy avec l’appui du Président Georges Pompidou. Il a lieu tous les ans de septembre à décembre. Ses missions : – passer commande à des créateurs, – aménager des structures de travail entre professionnels français et étrangers, –présenter et susciter des démarches d’ordre expérimental, – accueillir en France des œuvres significatives inédites et témoigner de cultures non-occidentales. Association régie par la loi de 1901, le Festival d’Automne à Paris existe par la confiance et le soutien du Ministère de la culture et de la communication, de la Ville deParis,duConseilRégionald’Île-de-France et du cercle de ses amis mécènes. Depuis 1992, il est dirigé par Alain Crombecque ; sa direction artistique est confiée à Marie Collin et à Joséphine Markovits . Le Festival Passages Passages est un festival de rencontres autant que de spectacles qui regarde vers l’Est du monde. Après la chute du mur de Berlin, alors que les Balkans et la Tchétchénie comptaient leurs morts, que les expays de l’Est se tournaient vers l’Europe et que la Russie se transformait, une ville de l’est de la France se tournait vers l’Est et accueillait des troupes de théâtre venues de là-bas et qui souvent se rencontraient pour la première fois à Passages. Douze ans après, les visées de Passages sont plus que jamais d’actualité. Le festival s’est élargi, il a désormais deux têtes de pont, Nancy et Metz, et sillonne la région. L’édition 2009 sera faite comme toujours de découvertes et de fidélités. 11 14 – 23 mai / 11e édition Albert Camus Gwénaël Morin Prochains spectacles théâtre Les Justes Edward Albee Qui a peur de Virginia Woolf ? DE KOE Bertolt Brecht François Orsoni Lloyd Newson / DV8 To Be Straight With You Maison des Arts Créteil Jean la Chance Tiago Rodrigues / Rabih Mroué / Tony Chakar L’homme d’hier Spiro Scimone Francesco Sframeli Carlo Cecchi La busta / Nunzio / Due amici Théâtre du Rond-Point Bulgarie, Théâtre-laboratoire Sfumato Julie, Jean et Kristine (Mademoiselle Julie) La Danse de mort Strindberg à Damas Biélorussie, Théâtre libre de Minsk Génération Jeans Nikolaï Khalezine Zone de silence Vladimir Scherban Ekaterinbourg Hamlet, Le Roi Lear, Le Révizor Nikolaï Kolyada Hongrie Shakespeare – C.Schiaretti Coriolan Théâtre Nanterre-Amandiers L’Opéra paysan Les Enfants du démon Béla Pintér Toshiki Okada Lituanie Five days in March Théâtre2Gennevilliers Freetime Le CENTQUATRE Le Pays lointain Gintaras Varnas HORS-SÉRIE Georges Bataille Jean-Michel Rabeux Cédric Orain Un si funeste désir (extraits des livres Les Charmilles de Jean-Michel Rabeux et Le Mort de Georges Bataille) Daniil Harms Marie Ballet Oui, aujourd’hui j’ai rêvé d’un chien Kaori Ito Lewis Carroll Madeleine Louarn Jean-François Auguste Alice ou le monde des merveilles La Scène Watteau / Nogent-sur-Marne La Ferme du Buisson / Marne la Vallée, Noisiel Noctiluque (danse) Marivaux / Luc Bondy Gertrude Stein Emma Morin La Seconde Surprise de l’amour Théâtre des Bouffes du Nord Listen to Me Ludovic Lagarde Paroles d’acteurs Théâtre de la Cité Internationale Programme complet sur www.theatre-bastille.com 12 théâtre, musique, danse, cinéma, arts plastiques. Programme complet sur www.festival-automne.com Arrêtez le monde, je voudrais descendre Igor Dromesko République Tchèque Obludarium Matej et Petr Forman Chine Le Roi singe et la montagne de feu Opéra national de Chengdu du Sichuan Haute École de Théâtre de Suisse Romande Meurtres de la princesse juive Armando Llamas Andrea Novicov ...et musique, danse, cabarets politiques Programme à venir sur www.festival-passages.fr