Nous avons une attitude
commune : la curiosité et
une histoire mêlée, qui, bien
souvent,s’estfaiteparlevoyage.Ainsi
le Théâtre de la Bastille et le Festival
d’AutomneàParissont-ilsdepuislong-
tempsassociésparleursaccueilsinter-
nationaux.L’histoireestd’autant plus
remarquable qu’elle procède d’une
grande liberté réciproque, d’une
conscienceaiguëdenoscomplémen-
tarités,etdurespectdenosdirections
artistiques indépendantes. Un festi-
val sans théâtre et un théâtre sans
festival !
Nous connaissons l’un et l’autre le
Théâtre Sfumato depuis des années
et ce n’est que maintenant que nous
pouvons proposer aux parisiens de
partager notre admiration.
C’est un accueil bref, certes, lié à nos
contraintes,maisimportantpuisque
nous présentons une trilogie. Trois
spectaclesrépartisdanslesdeuxsalles
duThéâtredelaBastilledontlaconfi-
guration devrait permettre cette
découvertedansd’excellentescondi-
tions.Prolongementheureuxetautre-
ment signifiant de ces nouvelles
façons de travailler ensemble, le Fes-
tivalPassagesde Nancy,sousl’impul-
sion de Charles Tordjman et de
Jean-PierreThibaudat,est partiepre-
nante de ce projet en programmant
la trilogie Strindberg en mai 2009, le
Sfumato étant déjà venu à Nancy
par deux fois. Ce programme, conçu
en collaboration par nos trois mai-
sons, est un signe tangible du souci
d’accueillir autrement.
Alain Crombecque,directeurduFesti-
val d’Automne à Paris, Jean-Marie
Hordé,directeur duThéâtredelaBas-
tille, Charles Tordjman, directeur de
Passages
Margarita Mladenova et
Ivan Dobchev venaient
d’avoirquaranteans lorsqu’ils
ont créé le Théâtre Sfumato en 1989
à Sofia. L’un et l’autre étaient déjà des
metteurs enscène reconnusetdespé-
dagogues appréciés –et ilsembarquè-
rent dans l’aventure une poignée de
jeunes acteurs qu’ils avaient formés.
Ilsavaient contribuéaurenouveaudu
théâtrebulgaredepuistroplongtemps
pris dans les rets de l’empire sovié-
tique : lourdes institutions et fossili-
sation dogmatiquedel’enseignement
de Stanislavski. Si cette union fit leur
force, c’est qu’elle se fondait sur une
commune et exigeante vision du
théâtre que résume bien le nom de
leur troupe emprunté à Léonard de
Vinci, et que leur union allait radica-
liser.
Lesfumato désigneunetechnique de
dessin, de peinture, qui consiste à
brouiller les contours, à cerner, à
peindre l’air, l’impalpable. « Le nom
de notre troupe reflète notre straté-
gie poétique », disaient Mladenova
et Dobchev. Autrement dit, moins le
trait que son mouvement, plutôt l’in-
distinct et ses mystères que l’affir-
mationpéremptoire,ladynamiquedu
geste que son accomplissement, le
processus que le résultat. « Nous ne
cherchons pas un théâtre descriptif
mais,danslejeudesacteurs,unevérité
du courant intérieur qui ne s’épuise
pas dans la réalité visible », ajoutent-
ils.Commel’écrit HeinzWismann, « le
théâtre Sfumato met l’accent sur le
surgissementinitialdel’élanetfaiten
sorte qu’il ne soit pas absorbé par la
logique de l’efficacité ». « Pour nous,
poursuiventMargaritaetIvan,lespec-
tacle est une action, un rite spirituel
qui a lieu ici et maintenant. Car le rite
ne peut être ni imité, ni répété. C’est
cela qui détermine la nature de la
présence de l’acteur dans nos spec-
tacles : tout le travail de répétition
consiste à le diriger vers des réflexes
non conditionnés, à favoriser une
impulsion créatrice ».
Trèsvite,ilstomberontsurcettephrase
du peintre Odilon Redon qui devien-
draleur mot d’ordre etleur règle d’or :
« la logique du visible au service de
l’invisible».TouslesspectaclesduSfu-
matosedéroulentsoushautetension.
Découvrir une telle aventure dans un
pays alors surtout connu pour ses
yaourtsetsesparapluieset quivenait
tout juste de s’ouvrir au monde occi-
dental, fut un choc. Cela se passait en
1990dansunrecoind’ungigantesque
et prétentieux Palais de la culture de
Sofia où Lénine avait été plus d’une
fois le héros de spectacles grandilo-
quents.Là,aveclacomplicitéd’unvice-
ministreclairvoyant,leSfumatoavait
installé une sorte de campement, un
ilôt de théâtre vivant et incandes-
cent au sein d’un mausolée. À la lueur
debougies,des acteursauxtraitsacé-
rés nous entraînaient dans les
méandresdePetarAtanassov,unRim-
baud bulgare dont l’œuvre avait été
longtemps interdite, ou nous prome-
naient dans l’œuvre de la russe Lud-
millaPetrouchevskaïa que nousavait
fait connaître la perestroïka. Dès l’an-
née suivante, ils campaient sous des
bâchesdanslesous-soldeBeaubourg,
invités par le Festival d’Automne à
Paris. Dobchev venait avec la mise en
scènede Témoignage delumière pen-
dant la peste, un spectacle conçu à
partir de l’œuvre d’Atanassov dialo-
guant avec des passages de la Bible
et du Festin au temps de la peste de
Pouchkine. Mladenova signait post
scriptum, un voyage dans l’œuvre de
Tchekhovàpartirde lascènefinale de
La Mouette : le suicide de Constantin
GavrilovitchTreplev,lefilsdelagrande
actrice Akardina. Cinq ans plus tard,
le Sfumato était au Festival Passages
à Nancy avec deux Tchekhov, Oncle
Vania (Dobchev) et Les Trois Sœurs
(Mladenova). Et cette saison, la trilo-
gie Strindberg ayant pour titre Vers
DamasiraauFestivalPassagesenmai
2009 après sa venue au Théâtre de la
Bastilledansle cadreduFestivald’Au-
tomne.
Désormaisdénommée«Théâtre-labo-
ratoire Sfumato » (un clin d’œil au
mythiquethéâtreLaboratoiredeGro-
towskiaveclequelleSfumato partage
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