dramaturge sont retravaillées par le réalisateur, dans un processus que la chercheuse suédoise
Birgitta Steene nomme « digestion ». Le réalisme de son recueil de nouvelles Mariés !, où
l’auteur expose le conflit des sexes radicalisé par les normes de la société du XIXe siècle, valut à
Strindberg d’être poursuivi en Justice, ainsi qu’une éternelle réputation de misogyne. Bergman,
90 ans plus tard, transformera la crise des sexes des années 1970 en une série de télévision,
Scènes de la vie conjugale, qui reste une réussite majeure du petit écran en Suède. Dans Les
Communiants, Bergman retravaille, pour le XXe siècle, âge de l’existentialisme et du « silence de
Dieu », la recherche sans espoir de la spiritualité moderne. Obsédé par ce thème, Strindberg
relate, dans ses romans Inferno et Légendes, les oscillations dont il fit l’expérience, entre le
matérialisme, le spiritisme, l’occultisme et le catholicisme, pendant qu’il flânait à travers les rues
du Paris des années 1890. « Il serait pourtant injuste de croire que Bergman copiait Strindberg. Il
convertissait l’influence en une matière créative profondément personnelle et très actuelle »,
argumente Nicole Cordery, qui obtint récemment un Master sur Strindberg à la Sorbonne. En
réalisant cette recherche, elle eut l’idée de proposer la fusion de Persona et La Plus Forte en un
seul spectacle.
La tournée de Strindbergman s’insère dans un moment de redécouverte de l’œuvre de
Strindberg au Brésil. Aussi au Viga, un « Festival Strindberg », avec exposition photographique,
lecture de pièces et séminaires aura lieu en décembre. Depuis 2006, le Brésil a eu plusieurs mises
en scène de textes de l’auteurs, tels que Camarades, Le Songe et Paria. En 2010, débuteront La
Sonate des Spectres et Le Père. Pour les admirateurs de Bergman, la programmation du Festival
International de Cinéma de São Paulo propose une rétrospective de ses films, ainsi que
l’installation « Ingmar Bergman : l’homme qui posait des questions difficiles », à la
Cinémathèque de la ville.
Un autre dialogue de la pièce est technique et cherche la réponse à une question vivante
du théâtre contemporain, explique Marie Dupleix. La pièce emploie des technologies de vidéo
pour renforcer la fusion des deux auteurs : le texte théâtral est traduit en images et le scénario du
film est vécu sur scène. « Avec ces deux géants, il fallait inventer des codes pour les lier, sans
rivaliser avec leur génie. Ainsi, pas question de faire du Bergman sur scène ou de filmer
Strindberg. Il fallait les unir. » La stratégie comporte pourtant des risques : « Il ne s’agit pas d’un
travail à part. Il faut être conscient du fait que la lumière et la vidéo s’ajoutent à une œuvre qui
existe déjà en soi », avertit Nicolas Simonin, éclaireur, scénographe et responsable de la
projection. « La vidéo est en même temps décor, éclairage et récit. Elle ne peut pas s’écarter de
l’esthétique de l’œuvre. » Dans Strindbergman, l’intégration radicale des langages produit des
interprétations multiples chez le public. « En France, nous avons écouté des hypothèses très
variées. Une qui me surprend beaucoup est celle qui compare Alma et Elisabeth aux personnages
du film Ève », se souvient Janaïna Suaudeau, infirmière sur scène et épouse à l’écran.
Les comédiennes racontent avec fierté la façon dont la tournée brésilienne fut financée,
sans avoir recours à des fonds publics ou privés. « Les gens ont senti que nous étions sérieuses et
que nous allions faire marcher ce projet. Nous avons pensé à la campagne d’Obama, alors nous
avons lancé le microfunding [mécénat à petite échelle], et ça a marché ! Nous avons cru et les
personnes, en conséquence, ont cru aussi en nous et au projet », narre Janaïna Suaudeau. Avec 42
réponses positives de mécènes, le voyage fut possible. Clara Carvalho, comédienne du groupe
TAPA, accepta l’invitation pour prendre le rôle de la Doctoresse, remplaçant la française
Geneviève Monguillot. Après São Paulo, la troupe présente Strindbergman à Rio de Janeiro, au
théâtre Sérgio Porto, en janvier et février.