© Sauramps Médical. La photocopie non autorisée est un délit.
A l’heure actuelle, il n’est pas concevable
d’aborder une pathologie posturale sans se
préoccuper du complexe odonto-gnathique
(COG). Inversement, tout traitement d’une
pathologie odonto-gnathique doit veiller à ne
pas déclencher de trouble postural. Les théra-
peutes impliqués dans la prise en charge des
pathologies odonto-gnathiques ou posturales
sont nombreux (médecins, chirurgiens-den-
tistes, thérapeutes manuels, orthophonistes,
orthoptistes et ophtalmologistes, podo-
logues), et doivent nécessairement communi-
quer et synchroniser leurs pratiques pour per-
mettre une prise en charge thérapeutique
optimale. Les relations entre le COG et la pos-
ture sont très complexes et ont fait l’objet de
nombreuses théories depuis plusieurs décen-
nies. Nous définirons d’abord les systèmes
étudiés, puis nous effectuerons ensuite un
panorama des données de la littérature
concernant les liens supposés et établis entre
COG et posture de l’individu. Puis nous don-
nerons quelques clés neurophysiologiques et
biomécaniques pour éclairer les relations
entre le COG et le système postural. Enfin,
nous donnerons les grandes lignes de
l’approche clinique du patient présentant une
symptomatologie odonto-gnathique ou postu-
rale, de la sémiologie à la prise en charge thé-
rapeutique.
Complexe odonto-gnathique et
posture : définition des termes et
mise en place
Le complexe odonto-gnathique présente trois
composants : l’articulation temporo-mandibu-
laire (ATM), les muscles manducateurs et les
dents des arcades maxillaire et mandibulaire.
Ces trois composants sont dans leur fonction-
nement indissociables des muscles linguaux
et péri-hyoïdiens. Le COG possède trois fonc-
tions fondamentales que sont la mastication,
la déglutition et la phonation, dont les dys-
fonctions sont susceptibles d’interférer les
unes avec les autres. L’état de repos mandi-
bulaire correspond à une position d’inocclu -
sion, ménageant un espace libre d’inoc clu sion
antérieur de 2 mm environ, qui définit la
dimension verticale de repos. Dans cette posi-
tion, les muscles élévateurs de la mandibule
présentent une contraction tonique pour lutter
contre la pesanteur, sous la double dépen-
dance de la boucle myotatique réflexe et du
système nerveux central. Cet état de repos
est la position habituelle de la mandibule, en
dehors des phases de déglutition, mastication
et phonation [90]. La position d’intercuspi -
dation maximale (PIM) est la position de
dimension verticale d’occlusion la plus faible.
1 )–
Complexe odonto-gnathique et posture
D. GASQ, L. BUSQUET, R. MONTOYA, J. GAUJAC, P. DUPUI
La PIM est une position transitoire, observée
uniquement lors des mouvements de dégluti-
tion fonctionnelle, où elle assure un calage
fonctionnel aux muscles de la langue et du
cou, durant une demie seconde environ. Les
mouvements de déglutition physiologiques
sont basés sur la succession d’un réflexe de
fermeture et d’ouverture. Ils sont répétés
autour de 1 500 fois par jour pour compenser
la production salivaire quotidienne d’environ
1,5 litre, et avaler les aliments préalablement
mastiqués. Le temps total de PIM est de
l’ordre de 15 minutes/jour [8, 23]. Des épi-
sodes de serrage dentaire physiologiques
existent toutefois en dehors de la déglutition
ou de la mastication, notamment lors de la
réalisation de travaux de force ou dans la pra-
tique sportive [66, 71]. En dehors de ces
situations physiologiques, le fait d’avoir les
dents en contact relève le plus souvent de
parafonctions (souvent pathologiques) à type
de serrage dentaire (ou clenching) diurne
et/ou nocturne (stade 1 du sommeil lent, juste
avant le sommeil paradoxal) centré ou excen-
tré, ou de bruxisme [1, 44].
Seulement 25 % des sujets présentent une
déglutition fonctionnelle en PIM, correspon-
dant au contact de la pointe linguale sur le
palais dur, en arrière des incisives maxillaires.
75 % des sujets présentent une déglutition
dysfonctionnelle (dite atypique, primaire ou
infantile également), avec une malposition lin-
guale, le plus souvent par interposition entre
les arcades dentaires. La position de la
langue en situation de repos et lors de la
déglutition est un facteur important en raison
de sa probable implication sur la croissance
du massif dento-facial et la genèse de
troubles occlusaux [17]. Une obstruction
nasale responsable d’une respiration buccale
lors de la croissance, entraîne une glossopto-
se (langue basse), qui pourrait être un facteur
favorisant le développement d’une endomaxil-
lie [44]. La persistance d’une déglutition aty-
pique serait un des principaux facteurs de
récidive après traitement orthodontique [23].
La prise en charge d’une déglutition dysfonc-
tionnelle ou d’une langue basse sera donc
essentielle en cas de pathologie du COG [58].
La mastication physiologique est unilatérale
alternée, avec souvent un côté préférentiel.
Elle est sous la dépendance d’un générateur
central situé dans le tronc cérébral, lui-même
modulé par le cortex cérébral. La mastication
unilatérale exclusive est fréquemment liée à
une atteinte de l’ATM homolatérale ou à des
douleurs dentaires. Elle est pathologique,
notamment chez l’enfant elle conduit à un
développement maxillo-facial asymétrique [4].
La pathologie du complexe odonto-gnathique
est extrêmement riche et variée. Dans notre
exposé nous abordons uniquement le cadre
des ADAM ou Algies et Dysfonctionnement de
l’Appareil Manducateur (temporomandibular
joint disorders des Anglo-Saxons), connu
depuis les travaux de Costen en 1934 [22].
L’ADAM est un cadre nosologique plus ou
moins défini, qui regroupe trois signes cli-
niques principaux : limitation de l’ouverture
buccale, bruits articulaires lors de la mastica-
tion et de l’ouverture buccale, et douleurs oro-
faciales jugales ou pré-auriculaires. Dworkin
et Le Resche proposent de classer ces
troubles en trois catégories : troubles muscu-
laires (douleurs, hypomobilité), déplacements
du disque articulaire réductibles ou non
(bruits, mobilité limitée ou altérée), et atteintes
articulaires proprement dites (dégénératives
ou inflammatoires) [31]. D’autres symptômes
sont également décrits dans le cadre de
l’ADAM : céphalées temporales ou frontales
(souvent matinales en lien avec un serrage
dentaire nocturne), sensations d’oreilles bou-
chées ou acouphènes, sensations vertigi-
neuses, douleurs et contractures cervicales,
fatigabilité. La plupart des signes cliniques
sont aspécifiques et fréquents : 60 à 70 % de
la population aurait au moins un des signes
d’ADAM, mais seulement 5 % de ces per-
sonnes suivraient un traitement, la plupart
étant des femmes adultes jeunes. Certains
Sphère odonto-gnathique et thérapies manuelles
–( 2
signes sont plus spécifiques comme les bruits
articulaires. Ils sont éventuellement associés
avec un trajet en baïonnette de la mandibule
lors des mouvements d’ouverture/fermeture,
ou avec une limitation des mobilités, et sont
liés à des déplacements réductibles ou non
du disque articulaire [11, 28, 42]. Une étude
par imagerie des ATM de 76 sujets sains et
102 patients présentant un ADAM montre que
33 % des sujets asymptomatiques présentent
une luxation discale. Cette malposition disca-
le, majoritairement antéro-latérale, est plus
importante en cas d’ADAM (77 %), avec un
odds ratio à 3.9 en cas de luxation discale
réductible, et à 42.7 en cas de luxation irré-
ductible [50]. Les causes d’ADAM relevées
dans la littérature sont extrêmement nom-
breuses : traumatismes des ATM ou du rachis
cervical, anomalies occlusales (prématurité,
interférence non-travaillante, instabilité de
l’occlusion en intercuspidie maximale, décen-
trage transversal, articulé inversé, classes
d’Angle dentaires II et III, perte de calage pos-
térieur, dysfonction du guide incisivo-canin)
[65], parafonctions (serrage dentaire diurne
ou nocturne, et bruxisme), foyers dentaires
infectieux ou inflammatoires (granulomes api-
caux), micro-galvanismes, contractures des
muscles manducateurs secondaires à un
désordre postural à distance (troubles de
l’oculomotricité par exemple), arthropathie de
l’ATM, et facteurs psychiques (stress notam-
ment). Il semble que les parafonctions (élé-
ment dynamique) aient réellement un pouvoir
pathogène car elles favorisent l’apparition
d’un ADAM à long terme. Les troubles occlu-
saux semblent être moins pathogènes de
manière directe, mais participent probable-
ment au développement des parafonctions.
L’étiologie de l’ADAM est de toute manière
plurifactorielle. Les limites de l’adaptation au
niveau dentaire, musculaire et articulaire sont
difficiles à cerner, et variables selon les indivi-
dus. Il est fréquent de voir des situations
d’instabilité occlusale longtemps bien tolé-
rées, basculer brutalement dans le domaine
de la pathologie, ce qui correspond probable-
ment à un défaut d’adaptation des systèmes
de compensation de l’individu. Les patients
évoluent souvent dans un contexte de douleur
chronique. Il est difficile de faire la part des
choses entre les éléments organiques et psy-
chologiques, et d’établir un lien de causalité
entre les plaintes du patient et les anomalies
observées. Il n’y a souvent pas de proportion-
nalité entre les anomalies constatées clinique-
ment et les plaintes du patient. Nous verrons
que la prise en compte de cette dimension
psychosociale de l’ADAM est un des éléments
majeurs de la prise en charge. L’ADAM n’est
souvent qu’une des plaintes du patient, reflé-
tant la souffrance du complexe odonto-gna-
thique, et s’intègre dans un défaut d’adap -
tation de l’individu aux contraintes externes et
internes [11, 20, 28, 31, 39, 41, 43, 44, 52,
55, 82].
La posture d’un individu se définit par la posi-
tion des différents segments corporels entre
eux d’une part, et par rapport à la verticale
gravitaire d’autre part. Trois approches per-
mettent de caractériser la posture d’un sujet.
L’approche statique est basée sur
l’observation du sujet en position orthosta-
tique de repos et consiste à relever les défor-
mations des différents segments corporels
(massif céphalique, rachis, ceintures scapu-
laire et pelvienne, membres) dans les trois
plans de l’espace. Elle est complétée par
l’étude de l’état de tension (ou tonus) de cer-
tains groupes musculaires lors de mouve-
ments passifs et actifs. L’approche dyna-
mique étudie la cinématique des différents
segments lors d’activités motrices automa-
tiques (marche ou course par exemple) ou
imposées (geste sportif par exemple). Enfin,
le contrôle postural est appréhendé en propo-
sant au sujet des tests fonctionnels cliniques,
ou en analysant les déplacements de son
centre de pression résultant sur plate-forme
de force, en conditions statique ou dyna-
mique, dans différentes conditions de disponi-
Complexe odonto-gnathique et posture
3 )–
© Sauramps Médical. La photocopie non autorisée est un délit.
bilité (yeux ouverts et fermés, repos mandibu-
laire ou serrage dentaire, mousse podale) ou
perturbation sensorielle (cotons inter-den-
taires, serrage dentaire en latérodéviation). La
définition du trouble postural est vaste étant
donné qu’il correspond à une anomalie rele-
vée lors de cet examen : simple asymétrie
anatomique asymptomatique, limitation ou
altération des mouvements liées à une hyper-
tonie musculaire, douleurs musculo-squelet-
tiques, ou encore altération du contrôle postu-
ral. Le syndrome de déficience posturale est
une entité nosologique décrite depuis 30 ans,
qui mêle de nombreux symptômes : douleurs
de l’axe rachidien, sensations vertigineuses,
troubles oculomoteurs, signes d’ADAM, per-
turbations du “tonus postural” [36]. La patho-
logie dite posturale n’est pas bien caractéri-
sée, car elle correspond souvent à des dou-
leurs ou plaintes chroniques, avec ou sans
déformation anatomique, pour lesquelles la
médecine classique n’a pas trouvé de cause,
ou du moins de traitement efficace.
Une différenciation entre l’ADAM, dysfonc-
tionnement locorégional du complexe odonto-
gnathique, et la pathologie posturale propre-
ment dite n’est pas toujours aisée, mais doit
être établie par les cliniciens.
Données de la littérature sur
les liens entre complexe odonto-
gnathique et posture
Notre pratique clinique peut se résumer de
manière simple, comme étant le fruit d’un
compromis entre notre expérience individuel-
le (avec nos représentations et convictions),
les souhaits et attentes du patient, et les don-
nées validées de la médecine factuelle. Cette
brève revue de la littérature concernant les
liens entre la posture et la sphère odonto-gna-
thique, va nous permettre d’éclairer le troisiè-
me point, et de mieux appréhender la com-
plexité de la question. Nous pouvons déjà
remarquer que malgré l’engouement pour la
posturologie et la multiplicité des théories
énoncées, très peu de travaux de bon niveau
méthodologique sont publiés. Hanke et al. ont
évalué le niveau de preuve de 355 articles
concernant les liens entre la sphère odonto-
gnathique et le système posturo-moteur,
publiés de 1925 jusqu’en 2005 : 99.2 % ont un
niveau de preuve faible III, IV ou V) [45].
Les paradigmes expérimentaux utilisés pour
établir des liens entre une pathologie de la
sphère odonto-gnathique et un trouble postu-
ral peuvent être catégorisés en quatre types :
perturbations de l’occlusion chez des sujets
sains et évaluations des conséquences sur la
posture, relevé des anomalies occlusales
chez des sujets sains et suivi longitudinal afin
d’évaluer le potentiel pathogène de ces ano-
malies, études transversales établissant dans
une cohorte de sujets des corrélations entre
anomalies occlusales et troubles posturaux,
et enfin comparaison des effets de plusieurs
modalités thérapeutiques.
Complexe odonto-gnathique et
posture cervico-céphalique
En position de repos mandibulaire, les rap-
ports entre mandibule et maxillaire sont
dépendants de la position de la tête par rap-
port au tronc, dans le plan frontal et sagittal :
l’extension cervicale est associée à une aug-
mentation de l’espace libre d’inocclusion et à
un recul de la mandibule, et inversement lors
d’une flexion cervicale [73, 90]. Lors de la réa-
lisation d’une fermeture buccale active, il
semble y avoir peu d’influence de la posture
corporelle (assis/décubitus dorsal) sur la PIM
de sujets sains avec une dentition complète
[59, 86]. Les liens potentiels entre la posture
cranio-cervicale et la morphologie dento-
faciale ont été étudiés par de nombreux
auteurs. La position du crâne par rapport au
Sphère odonto-gnathique et thérapies manuelles
–( 4
rachis cervical en fonction de la classe
d’Angle dentaire (fig. 1) fait l’objet de nom-
breux résultats contradictoires : la présence
d’une classe II (rétrognathie) est tantôt asso-
ciée avec une hyperextension sous-occipitale,
tantôt avec une majoration de la flexion [80].
La lordose cervicale semble augmentée en
présence d’une classe II, et diminuée en pré-
sence d’une classe III [25, 33].
Une association est notée entre la présence
de chevauchements dentaires et une hyper-
extension du rachis cervical supérieur.
L’hyperextension serait responsable d’une
mise en tension des tissus cutanés et sous-
cutanés de la face, représentant une gêne au
développement des arcades mandibulaire et
maxillaire [80]. La mise en place d’un disposi-
tif d’expansion maxillaire dans le cadre d’une
endomaxillie avec troubles de la ventilation
nasale, s’associe à une augmentation de la
flexion cervicale haute et à une translation
postérieure du rachis cervical de faibles
amplitudes [84]. Matheus et al. n’objectivent
pas de lien entre la présence d’un ADAM avec
ou sans luxation discale, et la posture cranio-
cervicale [57]. Quelques revues de la littératu-
re récentes s’accordent sur le fait qu’il y ait de
très nombreux travaux objectivant des asso-
ciations entre posture cervicale et pathologie
du COG, mais peu de résultats concordants
et de travaux de bonne qualité pour en tirer
des conclusions [2, 45, 64]. Il ne semble pas
y avoir d’association stéréotypée entre la pos-
Complexe odonto-gnathique et posture
5 )–
© Sauramps Médical. La photocopie non autorisée est un délit.
Fig. 1 : Schématisation de la classification d’Angle des rapports dentaires
(I : incisives, PM : premières prémolaires, M : premières molaires) (modifié d’après Lejoyeux, 1996 [53]).
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