D o s s i e r t h é m a t i q u e Syndrome du releveur ● S. Sultan* Le syndrome du releveur se manifeste par une algie ano-rectale, en général chronique, touchant surtout la femme d’âge moyen. Son diagnostic repose en général sur l’interrogatoire (syndrome postural caractéristique) et l’examen clinique (contracture douloureuse caractéristique des muscles releveurs de l’anus). Les explorations complémentaires, rarement nécessaires, permettent d’écarter les diagnostics différentiels. Son mécanisme n’est pas clairement élucidé : spasme musculaire du releveur ? micro-traumatismes répétés avec contusion ostéo-ligamentaire ? hyperlordose à l’origine d’une élévation douloureuse du releveur par horizontalisation du sacrum et fuite du coccyx en haut et en arrière ? Son traitement difficile repose sur des divers moyens visant à diminuer la contracture du releveur. ce n’est pas une coccygodynie. Les termes de coccygodynie à forme rectale, spasme du releveur, syndrome du pubo-rectal, proctalgie chronique, myalgie pelvienne, syndrome du piriforme ne devraient plus être utilisés dans la littérature comme synonymes du syndrome du releveur, sous peine de continuer à maintenir la confusion entre ces différentes entités. Le syndrome du releveur a été reconnu par la classification de Rome II des troubles fonctionnels digestifs (ensemble de symptômes gastro-intestinaux chroniques ou récurrents non expliqués par une anomalie organique ou biologique) comme un véritable syndrome douloureux fonctionnel ano-rectal de même que la proctalgie fugace, qui peut lui être associée (3). ANATOMIE Mots Syndrome du releveur - Clinique clés Mécanisme - Traitement. L ES douleurs ano-rectales représentent le motif de consultation le plus fréquent en proctologie. Elles sont liées en général à des lésions organiques locales plus ou moins facilement reconnaissables par le simple examen proctologique. Parfois, aucune lésion évidente ano-recto-périnéale n’est retrouvée lors du bilan clinique, alors que les douleurs évoluent souvent depuis déjà plusieurs mois, voire plusieurs années : il s’agit de malades qui présentent des algies ano-rectales chroniques. Représentant environ 5 % des motifs de consultation en proctologie, ces algies ano-rectales se caractérisent par leur prédominance féminine, leur * Service de proctologie médico-chirurgicale, groupe hospitalier Diaconesses - Croix SaintSimon, Paris. évolution chronique et leur résistance habituelle au traitement. D’emblée, il faut insister sur l’intérêt majeur du diagnostic étiologique de ces algies chroniques, afin d’éviter des thérapeutiques inadaptées et agressives sur des lésions proctologiques associées, latentes en elles-mêmes. Par ailleurs, un diagnostic trop hâtif d’algie fonctionnelle doit être évité devant une douleur d’apparition récente, dont l’origine organique peut devenir évidente après quelques jours ou semaines d’évolution. Le syndrome du releveur (levator syndrome) a été introduit par Smith en 1959 mais décrit la première fois par Thiele dans les années 1930, sous le terme de coccygodynie (bien qu’il ait montré que les douleurs ne venaient pas du coccyx), apportant une certaine confusion entre les deux entités (1, 2). En effet, la coccygodynie obéit à une définition stricte : douleur très localisée au niveau du coccyx, n’irradiant pas et majorée en station assise. Si la douleur irradie ou si elle est aussi intense en position debout, Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 3 - juill - août - sept 2003 63 Le muscle releveur de l’anus (muscle levator ani) constitue avec l’ischio-coccygien la formation essentielle du plancher pelvien. Il s’agit d’un diaphragme musculaire, étalé et mince, dont la forme a été comparée à un hamac dans lequel reposent les organes pelviens. Il est composé de trois faisceaux : ilio-coccygien, pubo-coccygien et puborectal (1). Le faisceau ilio-coccygien naît de l’épine ischiatique et du bord postérieur du fascia obturateur, se dirige en bas en arrière et en dedans puis s’insère sur les deux dernières pièces sacrées et le raphé ano-coccygien. Le pubo-coccygien naît de la moitié antérieure du fascia obturateur et de la partie postérieure du pubis ; les fibres se dirigent de façon médiane en arrière et en bas où elles rejoignent les fibres du côté opposé, constituant une fine aponévrose qui s’insère sur la face antérieure du coccyx et le bord inférieur du sacrum. Le faisceau pubo-rectal est la portion la plus développée du releveur qui naît de la face postérieure de la symphyse pubienne, puis se dirige de façon oblique vers le bas et l’ar- D o s s i e r rière pour croiser le rectum et cravater la jonction recto-anale en formant une boucle derrière la partie haute du canal anal ; les fibres s’intriquent ensuite avec la couche musculaire lisse externe de la paroi rectale, surtout en avant et sur les côtés pour constituer l’arcade de Laime ; la partie la plus inférieure du muscle est ainsi contiguë avec la partie profonde du sphincter interne. Il assure l’angulation recto-anale à la manière d’une puissante fronde et constitue de ce fait un élément fondamental de la continence. Les trois contingents sont innervés par leur face pelvienne à partir de S3 et de S4. Les deux releveurs circonscrivent entre eux, sur la ligne médiane, en avant du rectum, une large ouverture appelée fente urogénitale. CLINIQUE L’interrogatoire et l’examen clinique proctologique suffisent en général à poser le diagnostic de syndrome du releveur (2-5). Rares sont les situations nécessitant le recours à des examens complémentaires à la recherche d’une pathologie organique spécifique (abcès intramural, néoplasie pelvienne péri-rectale, prolapsus interne du rectum, endométriose périnéale, prostatite, etc.). Le syndrome du releveur toucherait 6 à 7 % de la population générale, mais seulement un tiers des patients consultent un praticien (4). Il atteint surtout la femme (75 % des cas), d’âge moyen (40-60 ans). La douleur apparaît, en général, progressivement dans le temps : d’abord discrète, fugace, elle se fait de plus en plus présente au fil des mois ou parfois des années. Il s’agit d’une douleur d’intensité souvent modérée, de siège anal et/ou rectal, volontiers localisée à gauche. Le type en est imprécis : pesanteur profonde, brûlure rectale, ténesme donnant l’impression d’un corps étranger intra-rectal ou de boule intrarectale, sensation d’être assis sur une balle. Les irradiations sont assez fréquentes et variables, intéressant, selon les cas, le pli interfessier, le pelvis, les fesses, la face postérieure des cuisses ou les organes génitaux. La douleur n’est jamais nocturne. t h é m a t i q u e Tableau. Critères diagnostiques du syndrome releveur (3). – Douleurs ou brûlures rectales chroniques ou récurrentes et – Épisodes douloureux durant plus de 20 minutes et – Évoluant depuis plus de 3 mois non consécutifs dans les 12 derniers mois et – Absence de cause évidente (fissure, hémorroïdes, abcès, etc...) et – Contracture des releveurs au toucher rectal et douleur à la traction du muscle La position assise prolongée ou le passage de la position assise à la station debout exacerbent la douleur, et le malade est souvent contraint de s’asseoir sur l’une ou l’autre fesse, parfois seulement de côté sur le bord d’une chaise ; la douleur est aggravée après la défécation (pouvant être soulagée au moment de l’évacuation de gaz ou de selles). La station debout, la marche ou le décubitus soulagent le plus souvent ce syndrome douloureux, qui apparaît alors comme un véritable syndrome postural. L’examen proctologique est normal, mais retrouve un signe essentiel : une contracture douloureuse des muscles releveurs de l’anus (spasme du releveur de l’anus, particulièrement du pubo-rectal), perceptible sous la forme d’un cordon, le plus souvent unilatéral et à gauche, tendu de la ligne médiane postérieure à la symphyse pubienne, la pression avec le doigt sur le muscle déclenchant la douleur. Une douleur moins intense peut être également ressentie à la mobilisation du coccyx rendant les limites avec les coccygodynies parfois difficiles à cerner. Toutefois, ici, la contracture douloureuse d’un ou des deux releveurs de l’anus prédomine sur la douleur, quand elle existe, engendrée par la palpation du coccyx. Le rôle de la manométrie dans le diagnostic de ce syndrome n’a pas été établi. La possible observation d’un anisme et/ou d’une hypertonie à la partie haute du canal anal a pu être rapportée en manométrie anorectale lors de ce syndrome (6). Il existe souvent un contexte psychologique particulier, dominé par une instabilité psychique pouvant aller jusqu’à la névrose ; une relation entre les symptômes et les périodes de stress ou de dépression est habi- 64 tuelle. Il faut garder présent à l’esprit que la répétition des investigations, la mise en œuvre de certaines thérapeutiques traumatisantes réitérées et souvent inefficaces risquent d’aggraver les symptômes, ou tout au moins de fixer plus intensément l’esprit du malade sur la pathologie. Le caractère très stéréotypé de la douleur est tout à fait différent de la variabilité d’une douleur psychogène et l’état névrotique apparaît dans le cas précis plus comme conséquence que comme cause du syndrome du releveur. Au total, un comité international a proposé des critères diagnostiques précis (3) (tableau) mais le diagnostic reste “probable” même si les critères de l’examen clinique ne sont pas retrouvés. MÉCANISME Le mécanisme pathogénique en cause n’est pas clairement élucidé. Il donne lieu à diverses hypothèses, puisqu’on invoque principalement la responsabilité d’un spasme musculaire du releveur, singulièrement du pubo-rectal, mais aussi celle, possible, de micro-traumatismes répétés avec contusion ostéo-ligamentaire, ou encore d’une hyperlordose à l’origine d’une élévation douloureuse du releveur par horizontalisation du sacrum et fuite du coccyx en haut et en arrière (7). Une mauvaise position assise pourrait entraîner une bascule antérieure du coccyx qui déclencherait le spasme du releveur. L’anamnèse peut retrouver la notion de facteurs favorisants : travail ou loisir nécessitant une position assise prolongée, de surcroît en position vicieuse, c’est-àdire en position écrasée (secrétaire, joueur de bridge, “accros” de la télé), micro-trau- Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 3 - juill - août - sept 2003 D o s s i e r matismes à répétition d’origine posturale et/ou liés à certains modes de transport (longs voyages en train ou en voiture) ou pratique de certains sports (équitation), multiparité, chirurgie pelvienne (hystérectomie), rectale (résection antérieure ou amputation abdomino-périnéale) ou vertébrale (hernie discale), syndrome de l’intestin irritable, plus rarement lors des relations sexuelles (l’orgasme qui en est le point culminant consiste, entre autres, en une violente contraction du releveur et en particulier de son faisceau pubien ; s’il est contracturé, l’orgasme deviendra douloureux). t h é m a t i q u e UN DIAGNOSTIC À CONNAÎTRE : LE SYNDROME DU PIRIFORME V. de Parades* Bien connu des rhumatologues, le syndrome du muscle piriforme (ou pyramidal) se manifeste par des algies situées au niveau de la fesse et majorées par la position assise prolongée ainsi que par certains efforts physiques (montée d’escaliers). Ces algies latéralisées peuvent irradier vers le bas en cas d’irritation du nerf sciatique ou du nerf cutané postérieur de la cuisse au contact du bord inférieur du muscle. À l’examen clinique, la douleur peut être déclenchée par la palpation appuyée de l’insertion trochantérienne du muscle piriforme, par la pression de la région médiane du muscle au niveau du passage du nerf sciatique, par le toucher sur la paroi rectale postéro-latérale à proximité de l’épine ischiatique et/ou par la mobilisation du membre inférieur. Le traitement dépend de la cause mais repose surtout sur le repos, les antalgiques, les anti-inflammatoires, la kinésithérapie et/ou les infiltrations cortisoniques (1, 2). DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL L’histoire clinique et les examens complémentaires permettront d’éliminer l’éventualité d’une vraie coccygodynie (clichés dynamiques du coccyx assis/debout), d’une prostatite, d’une infection urinaire, d’une endométriose, d’un trouble de la statique pelvienne (défécographie), d’une pathologie osseuse ou neurologique (scanner rachidien et pelvien) telle que hernie discale, canal médullaire étroit, tumeur neurologique glomique, kyste de la queue de cheval, tumeur rétro-rectale (kyste vestigial, chordome, tératome), syndrome du canal d’Alcock (potentiels évoqués du nerf pudendal) (8). TRAITEMENT Le traitement est souvent difficile ; les thérapeutiques sont disparates, illustrant les incertitudes nosologiques et pathogéniques. Aucune de ces thérapeutiques n’a été évaluée par des études contrôlées. Les différents traitements sont proposés en raison de leur capacité à diminuer la contracture musculaire au niveau du canal anal et/ou du releveur ; aucun traitement n’a réellement fait la preuve de sa supériorité. Il n’est pas rare de remarquer que certains patients sont soulagés en apprenant qu’ils n’ont pas de cancer et que d’autres sont satisfaits de pouvoir désigner une anomalie musculaire comme explication physique à leur douleur. R É F É R E N C E S 1. Parziale JR, Hudgins TH, Fishman LM. The piriformis syndrome. Am J Orthop 1996 ; 25 : 819-23. 2. Bauer P. Syndrome du muscle piriforme (pyramidal du bassin) à l’usage des proctologues. Act Med Int 2001 ; 15 : 191-3. * Service de proctologie médico-chirurgicale, groupe hospitalier Diaconesses - Croix Saint-Simon, Paris. Les conseils d’hygiène “statique” sont ici important : il importe, en effet, de recommander d’éviter les sièges mous ou à dossier incliné et de choisir, au contraire, des sièges durs, qui permettent un appui antérieur sur les ischions, le dos restant parfaitement droit (7). Les bains de siège chauds (40°) avant le coucher, les antalgiques, les myorelaxants, les sédatifs (diazépam), les anti-inflammaEncadré. Méthode de Thiele (9). Patient en décubitus latéral gauche, le doigt rectal perpendiculaire aux fibres du releveur se déplace le long de la corde contracturée, la face palmaire de l’index au contact du bord latéral du muscle. Massage d’abord doux et court, puis plus prolongé et plus appuyé lorsqu’on sent céder la contracture musculaire. Ces séances bi- ou tri-hebdomadaires, d’une à six minutes, doivent être répétées 5 ou 6 fois pour juger des résultats. Le Courrier de colo-proctologie (IV) - n° 3 - juill - août - sept 2003 65 toires non stéroïdiens, le massage des muscles releveurs de l’anus selon la méthode de Thiele (encadré) sont classiquement utilisés avec une efficacité variable (2, 9). Le diltiazem et les dérivés nitrés en application locale ont été efficaces chez certains patients alors qu’ils ont une action myorelaxante du sphincter interne (lisse) de l’anus et que le muscle releveur de l’anus est un muscle strié ; l’association au syndrome du releveur d’un spasme d’un contingent musculaire lisse est donc probable. La rééducation par biofeedback, dénuée de tout effet secondaire, peut également aider certains patients (10-12). Dans l’étude de Kang, portant sur 104 patients, l’infiltration transanale, à l’aide d’une seringue et d’une aiguille courbe, d’un mélange de lidocaïne 2 % (1 ml) et de triamcinolone (40 mg) au niveau du point douloureux repéré par le toucher ano-rectal (branche pubienne inférieure gauche dans les trois quarts des cas) a permis une amélioration ou une dispari- D o s s i e r tion complète de la douleur dans environ 90 % des cas avec un recul de six mois (13). Le bloc épidural caudal (association d’anesthésique et de corticoïde) a pu être proposé comme une alternative thérapeutique (14). La stimulation électrogalvanique est la méthode thérapeutique la plus documentée (15-18). Le principe est d’obtenir une fatigue musculaire afin de rompre le “cycle spastique” en entraînant une relaxation post-tétanique. Cette stimulation s’effectue à l’aide d’une sonde intra-rectale et un courant électrique de basse fréquence (80 cycles par seconde) ; le voltage est graduellement augmenté jusqu’au seuil de la douleur et alors réduit au niveau de tolérance (150 à 400 volts). Les séances quotidiennes durent de 15 minutes à une heure jusqu’à la résolution des symptômes. Les résultats en sont très variables selon les équipes, avec de 25 à 90 % de succès. La chirurgie est, quant à elle, inappropriée et inutile. Enfin, la psychothérapie de soutien est toujours utile. ■ t h é m a t i q u e R and predictors of success. Dis Colon Rectum 1997 ; 40 : 190-6. 11. Heach SM, Ho YH, Tan M, Leong AFK. Biofeedback is effective treatment for levator ani syndrome. Dis Colon Rectum 1997 ; 40 : 187-9. 12. Ger GC, Wexner SD, Jorge JMN et al. Evaluation and treatment of chronic intractable rectal pain - a frustrating endeavor. Dis Colon Rectum 1993 ; 36 : 139-45. 13. Kang YS, Jeong SY, Cho HJ et al. Transanally injected triamcinolone in the levator syndrome. Dis Colon Rectun 2000 ; 43 : 1288-91. 14. Yoon KS, Choi SK, Amaranath A et al. Caudal epidural block with methylprednisolome acetate in the management of chronic idiopathic rectal pain. Coloproctology 1994 ; 16 : 161-6. 15. Sohn N, Weinstein MA, Robbins RD. The levator syndrome and its treatment with high-voltage electrogalvanic stimulation. Am J Surg 1982 ; 144 : 580-2. 16. Nicosia JF, Abcarian H. Levator syndrome : a treatment that works. Dis Colon Rectum 1985 ; 28 : 406-8. 17. Billingham RP, Isler JT, Friend WG, Hostetler J. Treatment of levator syndrome using high-voltage electrogalvanic syndrome. Dis Colon Rectum 1987 ; 30 : 584-7. 18. Hull Tl, Milsom JW, Church J et al. Electrogalvanic stimulation for levator syndrome : how effective is it in the long term ? Dis Colon Rectum 1993 ; 36 : 731-3. É F É R E N C E S 1. Thiele GH. 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Coccygodynia : cause and traitment. Dis Colon Rectum 1963 ; 6 : 422-36. 10. Gilliland R, Heymen JS, Altomare DF et al. Biofeedback for intractable rectal pain. Outcome ✁ O UI, À découper ou à photocopier JE M’ABONNE AU TRIMESTRIEL Courrier de Colo-proctologie Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. 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