ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE – Enjeux, normes et acteurs

ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE
– Enjeux, normes et acteurs –
SYNTHÈSE
Colloque co-organisé par
le Centre d’Etudes et de Recherches internationales
(CERI Sciences Po)
&
la Direction générale de la Coopération internationale et du Développement
(ministère des Affaires étrangères)
Paris, 12 décembre 2001
N°ISBN : 2-11-093552-9
PRÉSENTATION ET OBJECTIFS DU COLLOQUE
Béatrice Pouligny & Javier Santiso
Responsables scientifiques du colloque
Centre d’Etudes et de Recherches internationales (CERI – Sciences Po)
On ne dénombre plus les ouvrages et articles consacrés à l’éthique des affaires et à la respon-
sabilité sociale des entreprises. Les développements éthiques nont eu en effet de cesse de se
multiplier dans la sphère économique. Quil sagisse denvironnement, de sécurité alimentaire
ou de normes sociales, les entreprises sont désormais interpellées par leurs consommateurs,
leurs actionnaires, voire leurs salariés. Nike, Shell, ou encore Monsanto sont ainsi interpellés
par des sociétés incivilesde consommateurs et dactionnaires qui se découvrent également
être des citoyens du monde. Les firmes financières elles-mêmes n’échappent pas à cette
montée de la vague éthique. Les fonds éthiques(également baptisés fonds dinvestissement
socialement responsablesou fonds de développement durable) tentent eux aussi de réconci-
lier performance financière et éthique sociale et environnementale. Les sommes qui y sont
engagées sont loin d’être anecdotiques. Aux Etats-Unis, un peu plus dun dollar sur dix est
investi dans des supports financiers “éthiqueset, de la Grande Bretagne à la France, cest
désormais toute lEurope qui est saisie par cet appel éthique.
Lactuel engouement pour les questions éthiques des milieux daffaires tout comme les
campagnes menées sur ces thèmes par des associations de consommateurs, des ONG et des syn-
dicats posent néanmoins un certain nombre de questions. En réunissant acteurs de ce nouveau
marché de la vertu, chercheurs et analystes, experts et professionnels, le colloque co-organisé
par le Centre dEtudes et de Recherches internationales (CERI Sciences Po) et la direction
générale de la Coopération internationale et du Développement du ministère des Affaires
étrangères visait à sinterroger sur les différentes fabriques de normes en matière
d’éthiques économiques. En dautres termes, il sagissait de sinterroger, au-delà des discours,
sur les systèmes de référence, les pratiques, les procédures, les répartitions des rôles qui appa-
raissent dun cas à lautre. Tous ces éléments peuvent, en effet, varier considérablement, avec des
conséquences importantes quant au type de régulation qui se met en place. Ce faisant, à rebours
dune vision qui distinguerait les normes formelles (ou juridiques) des normes informelles (du
marché ou de la solidarité), hard law et soft law, les organisateurs ont proposé de considérer le
continuum existant dans les processus de fabrication de normes et de sintéresser aux processus
dinstitutionnalisation à l’œuvre (effets de jurisprudence ou de rapports de force...).
Par ailleurs, les organisateurs ont souligné demblée la nécessité de tenir compte de la multi-
plicité des conceptions éthiques et de leurs déclinaisons pratiques, ce que symbolise le plu-
riel du terme “éthiquedans le titre du colloque. Les contextes nationaux peuvent expliquer
dimportantes différences dans les approches ; ainsi, entre les Etats-Unis et la France. Le
recours à des qualificatifs différents pour expliquer les démarches (éthique, équitable, soli-
daire) signale, au-delà de la sémantique ou des différences de critères et de grilles danalyse,
des démarches qui diffèrent fondamentalement.
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Commerce et finance éthiques reposent sur le respect de critères déterminés notamment par des
agences de notation. Ces critères de l’équité voire de la moralité varient, selon les systèmes
de référence des acteurs eux-mêmes. Renvoient-ils à des choix du constructeur dindice ? de
lactionnaire (voire du salarié-actionnaire) ? des ONG et organisations religieuses ? du consom-
mateur ? De fait, les critères suivis reposent sur des modèles implicites qui se retrouvent tout
autant dans les choix qui président à la traduction de ces critères en indicateurs mesurables que
dans leur pondération et hiérarchisation.
Dautres acteurs préfèreront parler de ce qui est “équitable,juste,solidaire. Ces qualifica-
tifs (avancés notamment par des ONG mais aussi certains syndicats) visent notamment à souli-
gner un souci de distanciation par rapport aux démarches éthiques courantes et, au fond, à
interroger la place occupée par l’éthique dans le dispositif densemble.
A rebours dune démarche qui leur paraît ressembler plus à une opération de labellisation,
permettant dinsuffler un peu d’éthique dans un système économique et financier qui obéit lar-
gement à dautres règles, le projet défendu en particulier par un certain nombre dacteurs
sociaux en faveur dun commerce et dun système financier plus juste, vise à interpeller les
mécanismes de l’économie eux-mêmes et certaines options de politique publique. Il propose la
mise en place de circuits financiers et commerciaux qui répondent, dans leur ensemble, à des
critères d’équité et de justice, en permettant notamment à certains acteurs marginalisés (en par-
ticulier ceux originaires des pays du Sud) d’être des partenaires à part entière, davoir accès à
certaines facilités, et de voir leurs intérêts garantis, ce que ne permettrait pas le seul fonction-
nement de la loi du marché.
Dautres organisations comme Global Witness, également soucieuses que l’éthique ne
devienne pas un simple vernisqui rassureles actionnaires comme les gouvernants, deman-
dent, elles, que discussions et bonnes intentions générales ne dispensent pas les entreprises
d’être mises concrètement devant leurs responsabilités, en particulier lorsquelles interviennent
dans des situations conflictuelles, dans des alliances bien réelles avec les entrepreneurs de
conflits (cas en particulier de lAngola). Ces organisations militent pour plus de transparence
dans les pratiques de commissions et de prêts aux entrepreneurs politiques et économiques
locaux. Elles plaident pour une démarche éthique qui ne renvoie pas à des labels donnés par des
cabinets de conseil et daudit privés, constituant autant d’écrans supplémentaires, mais passe
par une information publique, objective et comparable, un effort concret de transparence per-
mettant à tout un chacun d’évaluer concrètement les pratiques des entreprises. Elle suppose, de
fait, un rôle accru dun certain nombre dorganismes de régulation et pose la question centrale
du contrôle, de l’évaluation et de la sanction.
Dautres encore, en particulier des syndicats, soulignent la nécessité que les normes sociales
fassent lobjet dune négociation propre, incitative, et ne deviennent pas un instrument au ser-
vice dautres enjeux et dautres rapports de force, en particulier commerciaux.
Ces quelques exemples soulignent combien, derrière des démarches et terminologies différentes
sont posées des questions politiques de fond.
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Pour avancer sur ces questions, le cœur du colloque a été consacré à des études de cas, par sec-
teur (commercial puis financier) qui ont permis, dans une perspective tout à la fois comparative
et cumulative, daborder en des termes très concrets les différents enjeux des évolutions en
cours. Une grille danalyse commune, identifiée lors des différentes séances de brain-storming
organisées conjointement par le CERI et la DGCID avec différents intervenants pressentis, avait
été communiquée aux différents intervenants :
objectifs des normes ;
acteurs, légitimités et rôles ; qui participe à la prise de décision ? Rôle des actionnaires,
des consommateurs, des cabinets dexperts, mais aussi des organisations internationales
entre lesquelles sexerce une certaine concurrence institutionnelle, etc. ;
différents systèmes de référence qui sous-tendent les procédures mises en place ;
origines des critères ;
procédures et fonctionnement du marché des normes dans le domaine (concurrence
entre systèmes de normes, cas dinstitutionnalisation pour imposer une norme, etc.) ;
problèmes de transparence et dinformation ;
contrôle et vérification (qui sen charge, sur quelles bases, etc.) ;
procédures de règlement des litiges.
Ceci renvoie à un certain nombre denjeux en termes de procédure, d’équité,defficacité,de
légitimité et de responsabilité. Ces points ont été plus particulièrement abordés lors dune table
ronde sur le rôle des acteurs publics.
Afin de faciliter les débats et de permettre des échanges entre des personnes disposant dun
niveau similaire dinformation, le choix avait été fait dun colloque semi-fermé, accessible sur
invitation. La priorité avait été donnée aux débats entre les différentes catégories dacteurs
concernés par le sujet, avec la contribution dexperts et danalystes présents pour en éclairer les
termes. Se sont exprimés des représentants de différents ministères ou agences gouverne-
mentales (MAE, DREE, Agence française de développement, etc.), de lAssemblée nationale,
dorganisations internationales (OCDE, ONU, OMC), dorganisations non gouvernementales,
de syndicats, dentreprises (distribution et dindustrie), dinstitutions financières et de cabinets
daudits et de conseils. On trouvera le programme de cette journée en annexe.
Une remarque de Monique Canto-Sperber, auteur du Dictionnaire d’éthique et de philosophie
morale, résume lesprit dans lequel avait été préparé ce colloque : « Cest un usage inquiet
plutôt quauto-satisfait du terme “éthiqueque je voudrais voir se répandre. Il me semble que
nous avons tout à gagner à remplacer la pure déclaration de bonnes intentions par une réflexion
éthique complexe ».
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