M I S E A U Prise en charge des ptôsis de l’adulte ■ Management of adult’s ptosis C. Papeix*, C. Vignal-Clermont** P o i n t s P O I N T conjonctif élastique cutané formant un dermatochalasis qui alourdi la paupière supérieure. Il convient dans cette situation de ne pas multiplier les explorations et de proposer une chirurgie correctrice. Dans le deuxième cas, lorsque le ptôsis révèle une pathologie neuromusculaire, une prise en charge neurologique est nécessaire. Si le ptôsis est d’apparition brutale, celleci doit s’effectuer en urgence. L’interrogatoire, l’examen clinique et l’électromyogramme permettront d’orienter le diagnostic vers une origine neurogène, myogène ou myasthénique. f o r t s RAPPEL ANATOMIQUE ET PHYSIOLOGIQUE L’examen d’un patient présentant un ptôsis doit comporter une étude complète de l’oculomotricité extrinsèque et intrinsèque. Devant tout ptôsis, il faut rechercher une fatigabilité et tester les orbiculaires à la recherche d’une myasthénie. Les ptôsis dangereux sont des ptôsis neurogènes ; ils ne sont pas isolés (CBH douloureux et III) et sont souvent douloureux (dissection, anévrysme). Ils doivent être pris en charge en milieu neurologique. Un ptôsis bilatéral associé à une ophtalmoplégie bilatérale et progressive doit faire pratiquer un bilan étiologique de myopathie avant tout geste chirurgical. * Service de neurologie 1, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris. ** Service d’ophtalmologie du Dr S. Morax, fondation ophtalmologique A. de Rothschild, Paris. Le ptôsis est défini comme une chute de la paupière supérieure par impotence fonctionnelle plus ou moins importante du muscle releveur. Chez l’adulte, deux situations cliniques distinctes peuvent s’observer. Le ptôsis peut être d’origine mécanique ou révéler une pathologie neuromusculaire. Dans le premier cas, la ptôse est secondaire à un étirement ou à une désinsertion de l’aponévrose du muscle releveur de la paupière, le plus souvent après des microtraumatismes répétés (port de lentilles rigides, etc.) : on parle alors de ptôsis involutionnel. Les ptôsis d’origine mécanique peuvent aussi être secondaires à un simple vieillissement du tissu Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 1 - février 2005 L’ouverture de la paupière supérieure est assurée par le muscle releveur de la paupière supérieure (RPS) doublé du muscle de Müller. Le RPS est un muscle strié, innervé par le rameau supérieur du III. Le muscle de Müller est un muscle lisse innervé par le sympathique. L’excursion normale du muscle releveur de la paupière supérieure est comprise entre 12 et 15 mm, dont 2 mm correspondant à la seule action du muscle de Müller. L’EXAMEN DU PTÔSIS DOIT ÊTRE COMPLET L’interrogatoire précisera la date d’apparition du ptôsis (congénital versus acquis) et le délai d’apparition (brutale versus progressive). Les antécédents personnels (traumatismes) et familiaux (maladies musculaires) doivent aussi être précisés. Il faut rechercher une variabilité à la fatigue, orientant vers une myasthénie, et des signes d’accompagnement (douleur, diplopie, troubles de la déglutition, dysphonie, dysphagie, fatigabilité musculaire). L’examen des photos antérieures du patient est indispensable car elles renseignent sur la chronologie des troubles. L’examen clinique : • doit être statique et dynamique. La première partie (statique) apprécie l’aspect du visage et des téguments, le degré du ptôsis, la hauteur de la fente palpébrale et la position du pli palpébral, et recherche une exo- ou une énophtalmie. L’examen dynamique mesure l’excursion du muscle releveur, note la qualité du déroulement palpébral dans le regard vers le bas, apprécie la force des orbiculaires et recherche une variabilité du ptôsis. 11 M I S E A U • doit rechercher des éléments d’orientation diagnostique : – recherche d’une atteinte neurogène par l’examen de l’oculomotricité extrinsèque et intrinsèque (appréciation de la taille et de la dynamique pupillaire), qui doit être systématique ; – recherche d’une majoration du ptôsis lors des manœuvres d’ouverture/fermeture répétées des paupières ou de la manœuvre de Cogan, ces éléments orientant vers une myasthénie oculaire. Au moindre doute, un test au glaçon doit être pratiqué (figures 1a et 1b). – appréciation de l’ensemble des muscles du visage, en particulier des muscles du front. Une limitation de l’oculomotricité bilatérale et symétrique, souvent sans diplopie, associée à un ptôsis également bilatéral fera suspecter une myopathie. Figure 1. a : patient présentant une myasthénie oculaire avec un ptôsis gauche. b : nette amélioration après glaçon sur la paupière supérieure gauche. P O I N T mydriase homolatérale aréactive. Il est nécessaire de localiser l’atteinte et de déterminer sa cause ; l’existence d’une anomalie pupillaire impose une imagerie rapide pour éliminer une compression. L’atteinte du III dans le tronc cérébral peut s’observer au cours des syndromes vasculaires alternes de Claude Bernard-Horner (CBH), de Benedick ou de Weber. Lors d’une atteinte du noyau du III, le ptôsis peut être bilatéral, car un sous-noyau unique dans le complexe nucléaire du III est à l’origine de fibres qui se dirigent vers les deux muscles releveurs. Le III peut également être comprimé lors de son passage dans le sinus caverneux (rechercher une atteinte du IV, du V1, du V2 et du VI homolatéraux) ou au contact de la communicante postérieure. Ainsi, un III douloureux avec atteinte pupillaire doit être considéré jusqu’à preuve du contraire comme symptomatique d’une compression par un anévrysme de la communicante postérieure, et le patient doit être dirigé en urgence en milieu neurologique. Chez le patient diabétique, il peut aussi s’agir d’une mononeuropathie ischémique avec une atteinte purement extrinsèque et proportionnelle. L’atteinte du III est plus rarement secondaire à une hypertension intracrânienne ou à une hypotension du LCR. Dans le cas d’une atteinte du sympathique, c’est le muscle de Müller qui est en cause. Son déficit est responsable d’une discrète ptôse de la paupière supérieure et d’une surélévation de la paupière inférieure, conduisant à un rétrécissement de la fente palpébrale et donnant un faux aspect d’énophtalmie (figure 2). Il s’y associe un myosis réactif, lié à une atteinte du dilatateur irien, avec une anisocorie plus marquée à l’obscurité. L’ensemble forme le syndrome de CBH. Si un doute persiste, le test à la cocaïne permettra de confir- LA PRISE EN CHARGE NEUROLOGIQUE ✓ Le ptôsis neurogène Son installation est brutale. Il est secondaire soit à une atteinte du III, soit à une atteinte du sympathique. Dans le cas d’une atteinte du III, le ptôsis est exceptionnellement isolé. Il est le plus souvent associé à une diplopie liée à des troubles oculomoteurs extrinsèques, par parésie du droit supérieur, droit médial et droit inférieur, et parfois à une paralysie accommodative secondaire à une 12 Figure 2. CBH droit acquis lié à une dissection carotidienne. Discret ptôsis et myosis relatif réactif homolatéral. À la lumière, la différence entre les pupilles est peu marquée. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 1 - février 2005 Prise en charge des ptôsis de l’adulte mer le diagnostic en majorant l’anisocorie : la cocaïne bloque la recapture de la noradrénaline (NAD) et augmente donc la concentration de médiateur dans la synapse. Dans le cas d’une atteinte des voies sympathiques, il n’y a pas de NAD dans la synapse, et la dilatation ne peut pas s’effectuer. Ce test ne permet pas de localiser l’atteinte, mais quelques signes cliniques peuvent orienter le diagnostic : ainsi, l’atteinte préganglionnaire est généralement associée à une anhidrose cutanée, une vasodilatation de l’hémiface, une hyperhémie conjonctivale, un larmoiement et une obstruction nasale. L’existence d’un syndrome de CBH récent impose un bilan étiologique en milieu neurologique. L’association d’un CBH récent et d’une douleur cervicale ou retro-auriculaire homolatérale est une urgence et doit faire éliminer une dissection carotidienne. ✓ Le ptôsis myogène Il est en général bilatéral, d’installation progressive, associé à des troubles oculomoteurs. Il est observé au cours des myopathies oculaires : ophtalmoplégies externes progressives (myopathie mitochondriale), dystrophies oculopharyngées, atteintes oculaires des dystrophies myotoniques (maladie de Steinert) et atteintes oculomotrices de certaines “myopathies congénitales” (myopathies myotubulaires, centronucléaires). Les ophtalmoplégies externes progressives se rencontrent à tous les âges. Le ptôsis est constant et bilatéral, parfois asymétrique et donc possiblement unique au début. Il est partiellement compensé par les muscles frontaux, entraînant un plissement du front. Il s’associe le plus souvent à une atteinte oculomotrice qui s’installe très progressivement et aboutit en quelques années à une ophtalmoplégie complète. La diplopie peut exister au début de l’évolution, mais elle est souvent transitoire. Dans les maladies mitochondriales, l’atteinte oculaire peut rester isolée, mais elle peut aussi être associée à d’autres atteintes : atteinte de la musculature faciale, laryngée ou vélopalatine des racines. Elle peut également être associée à une rétinite pigmentaire (syndrome de Kearns-Sayre), une cataracte, une atteinte cardiaque (bloc auriculoventriculaire) ou une atteinte neurosensorielle (surdité, myoclonies, ataxie cérébelleuse, épilepsie, retard mental). La biopsie musculaire confirme le diagnostic en révélant des ragged-red-fibers, visibles à la coloration trichrome. Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. III - n° 1 - février 2005 Habituellement, dans les dystrophies musculaires, l’atteinte oculomotrice est absente. En revanche, dans la dystrophie oculopharyngée, l’atteinte oculomotrice est majeure. Les troubles apparaissent tardivement, à l’âge de 40 ans. Le ptôsis est souvent le premier signe ; il est bilatéral et symétrique. La limitation des mouvements oculaires est généralement secondaire, touchant surtout la verticalité. La dysphagie survient généralement plus tard au cours de l’évolution. Une dysphonie par atteinte des muscles laryngés est fréquemment associée. Le diagnostic repose sur la biopsie musculaire et sur les études génétiques moléculaires. ✓ Le ptôsis myasthénique Le ptôsis est fréquent au cours de la myasthénie. Il peut être unilatéral, bilatéral ou à bascule. Sa principale caractéristique est sa fluctuation au cours de la journée. Il peut apparaître au moindre effort musculaire ou au cours d’un effort d’attention. Le ptôsis est majoré par la fermeture forcée et prolongée des yeux, et par les efforts prolongés d’élévation des yeux. Le test au glaçon (application d’un glaçon sur la paupière occluse pendant 2 mn) conduit à sa disparition. Il est souvent associé à une diplopie. L’atteinte oculomotrice peut simuler une atteinte du III, du IV ou du VI, voire une paralysie de fonction comme l’ophtalmoplégie internucléaire. La motricité pupillaire est toujours respectée. Il existe très fréquemment une atteinte des orbiculaires. Le diagnostic de myasthénie oculaire est essentiellement clinique. La négativité des examens complémentaires n’élimine pas le diagnostic. La recherche d’anticorps antirécepteurs à l’acétylcholine n’est positive que dans 50 % des formes oculaires pures. La recherche de bloc myasthénique à l’électromyogramme, dans ces formes, peut aussi être négative. On peut alors pratiquer un examen sur fibre unique, plus complexe à réaliser, mais plus sensible. Le test pharmacologique à la Prostigmine® (le Reversol® n’étant actuellement plus commercialisé) entraîne une réversibilité transitoire du ptôsis. Le principe consiste à restaurer la conduction neuromusculaire par l’injection d’un produit anticholinestérasique. Le test est positif quand il existe une amélioration temporaire des signes ; cependant, tous les patients avec une myasthénie avérée n’ont pas un test positif. Le traitement par anticholinestérasique doit systématiquement être débuté, mais il n’a généralement qu’une faible efficacité sur les 13 M I S E A U formes oculaires. L’introduction de ce traitement ne dispense pas d’une surveillance très rapprochée des patients, à la recherche de l’apparition de signes extra-oculaires (dysphonie, dysphagie, fatigabilité musculaire), car la généralisation des symptômes myasthéniques est imprévisible et peut mettre en jeu le pronostic vital. Si les symptômes oculaires persistent malgré un traitement anticholinesthérasique bien conduit, une corticothérapie devra être instaurée à doses progressives jusqu’à 1 mg/kg/j et sous surveillance hospitalière. En effet, l’introduction des corticoïdes peut s’accompagner d’une aggravation transitoire des symptômes. Un bilan thyroïdien doit systématiquement être effectué, car les associations sont fréquentes. Au total, l’examen d’un ptôsis acquis de l’adulte doit être soigneux. La principale difficulté pour le neurologue est de diagnostiquer les faux ptôsis et, pour l’ophtalmologiste, d’éliminer ou de détecter une urgence neurologique : anévrysme de la communicante postérieure (III douloureux), dissection carotidienne (CBH douloureux), myas- 14 P O I N T thénie généralisée. Devant un ptôsis bilatéral progressif associé à une ophtalmoplégie, il faut penser à une myopathie et faire un bilan étiologique complet avant de proposer une chirurgie palpébrale. ■ RÉFÉRENCES 1. Adams RD, Victor M, Ropper AH. Disorder of ocular movements and pupillary function. In: Adams RD, Victor M (ed). Principles of neurology 6th ed. Mc Graw Hill, 1997: 258-84. 2. Fardeau M, Fardeau C. Myopathies oculaires. In: Vignal C, Miléa D et al. (ed). Neuro-ophtalmologie. Paris: Elsevier, 2002:284-90. 3. 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