Bienvenue dans la chimie du cerveau Entretien avec Frédérique Virol

LE CERCLE PSY Date : SEPT/NOV 15
Pays : France
Périodicité : Trimestriel Page de l'article : p.58-61
Journaliste : Jean-François
Marmion
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TRAJECTOIRE 9221945400507
Tous droits réservés à l'éditeur
NEUROSCIENCES
Bienvenue dans
la chimie du cerveau
Entretien avec Frédérique Virol
Notre cerveau produit des produits chimiques, les neurotransmetteurs,
qui résonnent à chaque instant avec nos émotions et nos pensées. Le
stress, une mauvaise alimentation ou certains médicaments peuvent
remettre en question leur équilibre fragile...
> FREDERIQUE VIROL
Neuropsychologue, elle intervient en maison de santé et dans Ie cadre de l'Association
Coup de Pouce Midi-Pyrénées Elle a publie Cerveau, chimie et psychologie
(Grancher, 2015)
Comment décrire le plus simplement possible I action des
neurotransmetteurs dans le cerveau 7
Chaque neurone se termine par une partie évasée, la
synapse, qui contient des ventricules recelant des produits
chimiques, les neurotransmetteurs A chaque activation
electrique d'un neurone, ces petites vésicules s avancent
au bord de la synapse, s'ouvrent, et libèrent les neurotrans
metteurs Ceux ci donnent l'impulsion qui active le neu-
rone voisin, en l'excitant ou l'inhibant, et qui lui permet, le
cas échéant, de transmettre a son tour l'information II
existe plusieurs dizaines de neurotransmetteurs, et on en
découvre sans cesse Chacun est lie a des contextes et a des
impressions subjectives différents Par exemple, pour nous
en tenir aux principaux, et a quèlques unes de leurs
fonctions
La dopamine est en lien avec tout ce qui nous pousse vers
laction, nos désirs, nos objectifs Elle se degrade en nora-
drenalme quand on passe a I action pour obtenir notre
objectif, quand on agit (carotte) ou quand on réagit a un
contexte, qu'on est énerve ou frustre (bâton) Ou bien la
dopamine se degrade en adrénaline si le contexte nous
inspire de la peur La dopamine va de pair avec l'acetylcho-
line, elle-même en lien avec la vigilance et l'attention
Dopamine et acetylcholme sont impliquées dans I appren-
tissage, entre autres
La sérotonine, qui fait penser au mot sérénité, est le neu-
rotransmetteur du bien être Elle se degrade
en melatonme, hormone du sommeil Si on manque de
sérotonine, on manquera aussi de melatonme, ce qui sera
a l'origine de troubles du sommeil Les endorphines agis-
sent souvent de concert avec cette sérotonine et sont
libérées en cas de soulagement, de satisfaction d'avoir
accompli une tâche Ce sont aussi des anti douleurs
Le glutamate et Ie OABA sont des neuromodulateurs, c'est-
à-dire qu'ils modulent l'activité des autres neurones En
cas d hyperexcitation, par exemple, le glutamate stimule
excessivement la dopamine Le glutamate se degrade en
OABA, qui accompagne le lâcher prise L'un excite, l'autre
inhibe L'ocytocine est le neurotransmetteur de la
confiance en soi et dans les autres, de l'amour, de l'attache-
ment de la mere a lenfant, du man a la femme C'est une
substance chimique qui constitue a la fois un neurotrans-
metteur et une hormone, car aussi véhiculée par le sang
Ces suistonces chimiques sont produites par notre
cerveau, maîs leur déséquilibre peut avoir des
conséquences graves sur notre sante Lesquels 7
En effet, c'est d'abord notre cerveau et/ou notre corps lui-
même qui produit ces neurotransmetteurs a partir de
l'alimentation Ils peuvent être en déficit ou en exces, plus
ou moins bien metabolises, et engendrer des troubles plus
ou moins importants, voire des pathologies graves
Si vous êtes quelqu'un de particulièrement serein, votre
glutamate va se dégrader en OABA Maîs si vous êtes tres
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« L'ocytocinefait baisser l'esprit critique.
Par exemple, quand l'amour nous aveugle ! »
tendu, stresse, psychorigide, il ne se dégradera pas Ce qui
peut constituer un des facteurs dalzheimer, par exemple,
maladie neurodegenerative favorisée, entre autres, par un
exces de glutamate Tout comme par un déficit d'acetyl
choline, qui peut aussi, d'autre part, prédisposer aux
troubles de la memoire A contrario, un exces d'acetylcho-
line est un facteur de Parkinson, de même qu un déficit de
dopamme Tandis qu'un exces de dopamme est typique de
pathologies telles que la schizophrenie, les psychoses en
general Un défaut de serotonme prédispose a la depres-
sion Un déficit de melatonme accompagne les troubles du
sommeil En exces, I ocytocine fait complètement baisser
l'attention et I esprit critique Par exemple, quand lamour
nous aveugle ! Ou la religion Bien sûr, c'est comme un
cocktail, les neurotransmetteurs n'agissent pas de maniere
isolée maîs simultanément
Ainsi, un déficit a la fois de dopamme et d'acetylcholme
peut freiner les apprentissages et entraîner l'hyperactivite
et une baisse de serotonme un enfant, par exemple, est en
souffrance Un déficit d'ocytocme avec un exces de gluta
mate se retrouve dans les cas d'autisme et un déficit
d'endorphines et de serotonme peut prédisposer a la
fibromyalgie
Vous insistez sur le fait que nous produisons ces
substances pas seulement avec nos pensées maîs aussi
avec notre alimentation Or notre cerveau a évolue pour
s adapter a certains types de nourriture, et celle qu 'on
nous propose n 'est pas forcement la plus adéquate
Lalimentation a en effet toute son importance, car elle est
un précurseur Plus elle est équilibrée, variée non trans-
formée industriellement, mieux cela vaut ' Nos aliments
se dégradent en acides aminés, qui se metabohsent et se
transforment en neurotransmetteurs (a l'exception de
l'ocytocme synthétisée par l'hypothalamus et sécrétée
par l'hypophyse)
Les articles scientifiques se contredisant parfois, il est
pratiquement impossible de dire précisément quels ali-
ments génèrent quels neurotransmetteurs En gros, on
pense quand même, par exemple, qu'on va trouver dans
la banane beaucoup de tryptophane, précurseur de la
serotonme Que dans l'avocat, on va trouver de la tyro-
sine, précurseur de la dopamme Et ainsi de suite Rien
encore de bien défini, alors autant manger varie ' En
revanche, on sait que nous avons tous trop de glutamate,
dont des etudes ont montre la toxicite a forte dose pour
le cerveau Or il y en a énormément dans tous les plats
industriels congelés ou pas car il permet d'augmenter
leur saveur Ce n'est pas précise sur l'étiquette, maîs
dissimule dans la rubrique « epices» ou «arômes natu-
rels » Ce type de glutamate est fabrique a partir de bac-
téries issues de legumes, donc, c'est cense ètre naturel!
Maîs le reel procede de fabrication de ces bactéries gene
tiquement modifiées est chimique Ce n'est pas anodin
pour notre sante a long terme On connaît aussi les
dangers du transglutammase, du gluten pour les mtes
tms, lieu de dégradation essentiel de nos aliments
« Glu », ils ont un rôle de glu, de colle qui se dépose sur les
villosites de nos intestins, semblables a la «peau de lait»
a la surface d'une casserole de lait entier bouilli, générant
malabsorption inflammations, porosité
Lalimentation a son importance, maîs lenvironnement
aussi Aujourd'hui hélas, le glutamate se degrade diffi
cilement en OABA, neurotransmetteur du lâcher prise,
dans notre mode de vie moderne, et stressant On peut
comprendre que les gens actifs, voire les enfants hype
ractifs, soient a bout de nerfs Quand on est stresse,
angoisse, rigide, on libere encore plus de glutamate, on
déclenche notre dialogue interne, on rumine, on est lom
du lâcher prise ' Au niveau digestif ce n'est pas mieux
le principal producteur de serotonme dysfonctionne
aussi
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Compléments alimentaires :
une fausse bonne solution
Dans Cerveau, chimie et
psychologie, Frédérique
Virol met en garde
contre le raccourci qui
I consisterait, pour
; augmenter notre dose
de certains
neurotransmetteurs, à
prendre des
>mpléments
imentaires. Une
lution de facilité...
cp belle pour être
•aie.
l s'agit d'un
magnifique marché en
fort développement !
Dont le marketing sait
influencer, voire berner
éments alimentaires sont des
réés à partir de bouillons de culture
de légumes /fèves, choux...] générant des bactéries. Elles
sont génétiquement modifiées pour être produites en
plus grand nombre, et traitées avec divers acides et
solvants, puis réduites en poudre pour produire une
gélule. Ces produits chimiques ne sont pas anodins! Il
faut être extrêmement vigilant, et comprendre comment
c'est fabriqué. Ce n'est plus naturel du tout. Ces produits
sont censés produire les mêmes effets que les
antidépresseurs (tryptophanel, les anxiolytiques {OABA,
mélatonine...), tes amphétamines (tyrosine...I... Tous les
neurotransmetteurs vus précédemment optimisant le
fonctionnement de notre cerveau sont déclinés
maintenant en gélules et vantés sur internet. Le marché
est très fructueux! Mais les compléments alimentaires
ont, en réalité, des effets secondaires délétères... Or, les
fabricants ne sont pas obligés de les préciser sur
l'étiquette, comme on doit le faire sur la notice d'un
médicament. Alors, autant manger les fèves fraîches!»
Propos recueillis par J.-F.M.
Oui, maîs on ne va pas passer {ajournée a manger de
la banane pour fabriquer de la serotonme '
Bienr que non, d'autant que se stresser avec la nourri-
ture nous fait libérer de la noradrenalme (regime frustra
tion), a contre sens de ce que I bn veut «être bien » ' Sauf si
vous aimez les bananes (regime plaisir) ' Limitons autant
que faire se peut la nourriture industrielle Mangeons varie
et equilibre ' Si vous mangez vos legumes du jardin, pas de
souci Je ne suis pas a 100% pour le bio Moi même, ilm'ar-
rive de manger des legumes du supermarche, en évitant
les legumes les plus traites J'élimine les plats cuisines, les
gâteaux, les céréales de l'industrie alimentaire C'est un
choix soit on continue le nez dans Ie guidon a consommer
de la malbouffe, soit on opte dans la mesure du possible
pour des produits naturels Notre sante, y compris cere
brale, est a ce prix J'insiste sur Ie fait qu'il vaut mieux
manger de tout, que ce soit varie, qu'il faut se faire plaisir
(serotonme et dopamme), plutôt que chercher sélective-
ment tel ou tel nutriment
A vous entendre, entre le stress et les aliments, le cerveau
est agresse en permanence par notre environnement ' A
tout prendre, quel est le plus grand danger pour lui ?
Tout ce qui nous procure du stress Les transports en com-
mun, Ie bruit, l'agression du voisinage, les medias, les
conflits Comme nous sommes tous différents, nous
n'avons pas le même degré de tolérance au stress, maîs s en
préserver est une priorité, et demande d'être informe, de
prendre conscience, de faire des choix et de se positionner,
dans notre alimentation et dans notre environnement
(professionnel, social, familial )
En comptant davantage s w soi que sur des
medicaments, écrivez-vous
Bien évidemment ' Ce livre est ne de ma rencontre avec de
multiples patients me disant que leurs antidépresseurs,
anxiolytiques ou neuroleptiques leur paraissent inefficaces
et qu'ils ne se reconnaissent pas comme ils étaient avant
De plus, ils en ressentent des effets secondaires indési-
rables Or, quand on comprend les agissements de leurs
molecules, on voit que les antidépresseurs, par exemple,
censés augmenter le taux de serotonme, ce qui atténue la
depression font baisser Ie niveau de dopamme, le neuro-
transmetteur de la motivation Comment voulez-vous que
le patient rebondisse sur des buts, des objectifs, des pro-
jets ll en est dans l'impossibilité II tourne en rond,
rumine sa depression et n'en sort pas ' Quel est Ie medecin
ou le psychiatre qui I en informe 7 Par contre, au vu des
effets indésirables possibles mentionnes sur la notice du
traitement, vous comprendrez a la lecture des symptômes
quels autres circuits de neurotransmisson sont touches,
pour peu que vous sachiez comment cela fonctionne C'est
Ie but de ce livre comment faire autrement pour limiter
ces traitements et apprendre a « gerer» notre cerveau
Je ne suis pas anti medicaments pour autant quand j ai
mal a la tête, j'en prends un Pour la douleur, il est
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important de pouvoir se faire aider Maîs je suis tres
méfiante envers les medicaments contre Alzheimer, recon-
nus aujourd'hui comme inefficaces et délétères Pour cette
maladie, on dispose par exemple de marqueurs biologiques
comme les protéines tau et les bêta-amyloides, maîs on
n'évoque jamais un excellent indicateur pour poser le
diagnostic un défaut d'acetylcholme L'attention baisse
souvent quand on quitte lavie professionnelle pour entrer
en retraite Avec cette nouvelle routine quotidienne, notre
vigilance et notre curiosité sont moins mobilisées, d'où un
affaiblissement des circuits de l'acetylcholme et la dispa
« Quand vous savez commentfonctionne votre
cerveau, il vous est plus facile d'aller bien. »
rition progressive des neurones concernes, ce qui constitue
un des marqueurs dalzheimer Si on prêtait attention a ces
facteurs en amont, et si on travaillait sur l'attention et la
vigilance, donc sur l'acetylcholme, avant même Ie déclen-
chement de la maladie ou en stade précoce, on pourrait
agir en restreignant au maximum la prescription de medi-
caments Un autre bon moyen naturel de retarder
Alzheimer est de limiter ie stress, puisque la serotomne
empêche la formation des plaques amyloides qui caracté-
risent cette maladie, en segmentant les acides aminés qui
les composent et en permettant leur liberation dans les
urines. Avec des personnes âgees déjà malades, a des
stades plus avances, il est bon de faire travailler la stimu
Iationcognitiveetlestechmques«anhsrress»pourdeve
lopper l'attention et la vigilance, la flexibilite, le
lâcher-prise, la sérénité, chez elles aussi
Finalement, la meilleure prevention, c'est rester cuneux,
aimer la vie, être heureux 7
Oui '
Maîs
c'est
quoi,
être
heureux, pour vous9
II
est
difficile
de prescrire aux gens d'être bien dans leur peau, de savoir
se positionner pour connaître le moins de frustration
possible et suivre leur chemin ll faut savoir précisément
et clairement ce qui les met dans ces etats internes, et leur
apprendre a les gerer Libérer de la dopamme ne produit
pas en nous le même effet que libérer de l'ocytocme
Quand on en est conscient, on a plutôt envie de libérer des
endorphines plutôt que la noradrenalme ' Le tout est d'ap-
prendre ce qu'il faut faire au quotidien pour libérer tel
neurotransmetteur plutôt que tel autre, dans la mesure du
possible Autant faire du sport pour libérer sa dopamme,
ou s'intéresser a sa melatonme pour eviter les somnifères
Une fois que vous savez comment fonctionne votre ccr
veau, il vous est plus facile de savoir comment aller bien
La chimie influence nos pensées, nos emotions, maîs l'in-
verse est vrai aussi Vous mangez une tranche de citron,
elle a un effet sur votre chimie (salivation ou hérissement
des poils sur les bras, etc acetylchohne), vous en aimez ou
pas les sensations, vous vous forgez des croyances sur ce
fruit, des pensées Inversement, le simple fait d'imaginer
de mordre un citron fait ressentir de l'acidité Fimagina-
tion seule suffit a changer notre physiologie Donc, dans
certaines situations plus difficiles, il est important que le
sujet travaille sur lui, ses croyances, ses représentations,
ses positionnements, s'auto-recadre par rapport a son
histoire de vie pour s'en libérer lui même, se recentrer et
se realiser en tant qu identité C'est possible grâce a la
plasticité cérébrale, et important pour bien gerer sa vie et
son cerveau
Faut-il alors encourager la pensée positive, voire la
methode Coue?
La pensée positive, certainement, maîs en en comprenant
les ficelles Sinon on en revient a la methode Coue Si
c'est pour se persuader de quelque chose d'irréalisable,
ce n'est pas la peine, on court a la frustration Si c'est pour
augmenter nos pensées positives, en sachant qu'elles
mobilisent la dopamme, la serotomne, l'acetylcholme,
l'ocytocme, les endorphines oui, a condition d'en avoir
conscience, et d'y goûter II y en a, des livres sur la pensée
positive ' Les gens ont des «recettes» maîs ne peuvent pas
les comprendre s'ils ne font pas le lien avec leur physio-
logie, ils ne savent pas que cette pensée positive a
diverses actions sur la chimie du cerveau Les psycholo-
gues eux-mêmes n'ont pas forcement envie de savoir tout
cela, car ces considérations rapprochent la psychologie
de la physiologie Et les psychologues n'ont pas forcement
envie de travailler en ce sens, par goût (filiere sciences
humaines vs filiere scientifique) ou par méconnaissance,
car lenseignement universitaire cloisonne les connais
sances, qui passent par la spécialisation, I expertise La
synthèse et les ponts entre les divers domaines ne se font
pas La recherche universitaire française n'est pas encore
prête a évoluer vers une compréhension globale de l'hu-
main, a regrouper tous les savoirs pour en faire un enri-
chissement Y a-t-il une intention positive ?
PROPOS RECUEILLIS
PARJEAN-FRANÇOIS MARMION
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