D OSSIER thématique Greffe de moelle allogénique Coordinateur : G. Socié, hôpital Saint-Louis, service de greffe de moelle, 75745 Paris Cedex 10. ! Différentes sources de cellules souches hématopoïétiques utilisées dans les greffes allogéniques - V. Rocha " Complications infectieuses des greffes de cellules souches hématopoïétiques allogéniques - P. Ribaud ! Allogreffe de cellules souches : indications, résultats et complications non infectieuses - L. Adès, G. Socié Complications infectieuses des greffes de cellules souches hématopoïétiques allogéniques ! P. Ribaud* Les complications infectieuses des greffes de cellules souches hématopoïétiques sont fréquentes et potentiellement graves. Il existe schématiquement trois périodes de risques distincts après la greffe associées à des infections caractéristiques et dictées par les étapes de la reconstitution immunitaire post-greffe : la période de la neutropénie, la période de la réaction aiguë du greffon contre l’hôte et à partir du quatrième mois après la greffe, la phase dite tardive dont la durée peut être extrêmement prolongée. La connaissance de ces périodes de risques distincts, mais qui peuvent se chevaucher, est nécessaire pour la prise en charge de ces patients. Mots-clés : Greffe allogénique - Complications - Infections - Neutropénie - Réaction du greffon contre l’hôte. a greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques permet L de remplacer le tissu hématopoïétique anormal d’un patient par le tissu hématopoïétique sain d’un donneur. Malgré d’importants progrès dans leur compréhension, leur prévention et leur traitement, les infections restent un écueil majeur de la greffe. Il existe schémati- * Service d’hématologie - greffe de moelle, hôpital Saint-Louis, 75745 Paris Cedex 10. 111 quement trois périodes de risques distincts après la greffe, dictées par les étapes de la reconstitution immunitaire post-greffe (1). De plus, les risques liés à la susceptibilité génétique pour ces infections se surajoutent vraisemblablement (2, 3). LA PÉRIODE DE LA NEUTROPÉNIE La première période correspond à la phase de neutropénie induite par le conditionnement, avant la prise de greffe, et Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 3 - juillet-août-sept. 2002 D OSSIER thématique dure deux à trois semaines. Les facteurs de risque d’infection sont principalement la neutropénie, la mucite et le cathéter veineux central. C’est la période des infections bactériennes, fongiques et éventuellement à virus Herpès simplex. Grâce à l’isolement en flux laminaire, aux mesures d’hygiène et d’asepsie, à la décontamination digestive et aux antibiotiques à très large spectre prescrits dès la survenue d’un épisode fébrile, le problème des infections bactériennes précoces a presque complètement disparu, avec une réserve pour les infections à streptocoques. Les réactivations fréquentes des infections à virus Herpès simplex, qui aggravent la mucite, sont facilement prévenues par de petites doses d’aciclovir. Les septicémies à levures, en particulier du genre Candida, restent une préoccupation. Leur fréquence est de moins de 5 à 10 %, mais la mortalité est de 40 à 80 %. Les facteurs de risque les plus forts sont la durée de la neutropénie, la corticothérapie, l’existence d’une réaction du greffon contre l’hôte (GVH) et la présence d’une colonisation à levures (4, 5). La médiane de survenue est d’environ deux semaines après la greffe (J0). Le pronostic dépend de la rapidité d’institution de l’antifongique et surtout du nombre des polynucléaires neutrophiles. Dans cette situation, l’apport des facteurs de croissance hématopoïétique est potentiellement bénéfique. Les modalités de prévention sont controversées. Les polyènes, non absorbés, n’ont pas diminué le risque de candidose systémique. Le fluconazole, prescrit à la dose de 400 mg/j, est efficace dans la prévention des septicémies à Candida albicans, mais pourrait favoriser l’émergence de levures à sensibilité diminuée (Candida glabrata) ou qui lui sont naturellement résistantes (Candida krusei) (6-8). La survenue d’une candidose invasive pendant et même après une prophylaxie prolongée par le fluconazole doit faire craindre une levure résistant à cet azolé (9). À noter que l’association ciclosporine A-amphotéricine B est néphrotoxique et que la prescription des formulations lipidiques de l’amphotéricine B est souvent nécessaire. LA PÉRIODE DE LA GVH La deuxième période est celle de la GVH aiguë éventuelle et s’étend par convention jusqu’au centième jour après la greffe. Les facteurs de risque essentiels sont l’existence d’une GVH et l’intensification du traitement immunosuppresseur qu’elle impose. C’est la période des infections à cytomégalovirus (CMV), à Aspergillus et à parasites. Historiquement, les maladies à CMV représentaient la deuxième cause de mort après la GVH. La fréquence de l’infection (ou réactivation), définie par la présence du CMV dans le sang et détectée par la présence de l’antigène pp65 ou par détection de l’ADN viral par PCR, est de 60 %, et le pic de survenue se situe aux sixième et septième semaines après la greffe. Les facteurs de risque majeurs sont la séropositivité du receveur (car il s’agit le plus souvent d’une réactivation virale) et l’existence d’une GVH aiguë. L’infection à CMV, assez souvent asymptomatique, a deux conséquences : # Elle est le lit de la maladie à CMV. La pneumopathie interstitielle (PNI) hypoxémiante en est la manifestation la plus fréquente et la plus redoutable. La fréquence de cette PNI a diminué grâce à un meilleur contrôle de la GVH ainsi qu’à un diagnostic plus précoce et un traitement plus efficace de l’infection ; néanmoins, la mortalité de la PNI avérée reste élevée, malgré le traitement qui associe classiquement ganciclovir et gammaglobulines polyvalentes à fortes doses. # L’infection à CMV entraîne une augmentation de la mortalité liée à la greffe (transplant-related mortality [TRM] des Anglo-Saxons) indépendante de toute maladie à CMV (10). L’augmentation de la TRM est en rapport avec une augmentation de la GVH, de l’insuffisance médullaire secondaire (liée au virus ou au traitement) et des autres infections (bactéries, champignons, autres virus). Lorsque le receveur est séronégatif vis-à-vis du CMV, la prophylaxie est assurée efficacement par les transfusions de produits sanguins séronégatifs ou filtrés. Les stratégies de prévention de la maladie à CMV, chez les receveurs séropositifs, reposent 112 soit sur une prophylaxie administrée à tous les patients séropositifs pour le CMV, soit sur un traitement immédiat (préemptif) de l’infection (11-13). La prophylaxie repose sur le ganciclovir administré pendant trois mois à partir de la prise de greffe. Le traitement préemptif de l’infection, qui est recherchée de façon hebdomadaire pendant trois mois et plus en cas de GVH, fait appel au ganciclovir ou au foscarnet (en cas de cytopénie), prescrit le plus souvent pendant une durée de 2 à 3 semaines (13, 14). En termes de survie, les deux attitudes donnent des résultats équivalents. Le traitement préemptif a l’avantage de ne pas traiter inutilement les 30 à 40 % de patients qui n’auraient de toute façon pas eu d’infection et, par une durée d’administration du ganciclovir plus courte, d’entraîner moins d’insuffisances médullaires secondaires et moins d’infections fongiques. Inversement, le risque de PNI précoce pourrait être plus élevé, et ce d’autant plus que la technique de détection est moins sensible. Le traitement prophylactique reste donc justifié dans les centres où la détection de l’infection se fait par culture du virus. Quelles que soient les modalités de prévention, l’écueil actuel est la survenue de maladies à CMV dites tardives, qui sont observées chez 8 à 15 % des patients en vie après le centième jour. La mortalité peut dépasser 80 %, notamment à cause des infections opportunistes associées. Ces maladies tardives, plus fréquentes en cas de greffon T-déplété, sont favorisées par l’existence d’une GVH chronique et par les traitements antérieurs prolongés par le ganciclovir (15). La maladie à CMV, en général, est d’autant plus à craindre que la reconstitution immunitaire spécifique est retardée et que la charge virale est élevée (16, 17). Ces deux paramètres peuvent maintenant être surveillés au laboratoire. En cas d’infection à CMV difficile à contrôler par les antiviraux, la détection d’un taux faible de lymphocytes T CMV-spécifiques peut être l’indication d’une immunothérapie adoptive. Des résultats extrêmement encourageants ont déjà été obtenus par l’injection des lymphocytes T CMV-spécifiques du donneur, générés in vitro (18). Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 3 - juillet-août-sept. 2002 D OSSIER thématique Les réactivations du virus HHV-6 (human herpesvirus-6) sont fréquentes après allogreffe de moelle, le plus souvent asymptomatiques, et parfois contemporaines d’une insuffisance médullaire secondaire ou d’une PNI (19). Le lien HHV-6-encéphalite est plus certain (20). Le foscarnet ou le ganciclovir sont actifs contre ce virus. L’aspergillose pulmonaire invasive représente l’une des premières causes de mortalité infectieuse après greffe de moelle allogénique. Sa fréquence varie de 5 à 15 %. Le pic de survenue se situe au troisième mois après la greffe, soit environ un à deux mois après la sortie de l’environnement protégé (21). Les facteurs de risque indépendants les plus importants sont la neutropénie profonde et prolongée, la GVH aiguë modérée à sévère ou chronique extensive, la corticothérapie (avec un seuil de risque mal défini) et la charge de l’air en spores aspergillaires (21-23). L’isolement en flux laminaire assure une protection quasi totale pendant la période de neutropénie : au cours de cette période, la survenue d’une aspergillose invasive peut faire évoquer une colonisation antérieure à l’hospitalisation. Le problème reste entier lorsque le malade sort du service, après en moyenne un mois et demi d’hospitalisation, car, à ce jour, aucune prophylaxie médicamenteuse n’a fait ses preuves. La mortalité liée a cette infection reste élevée, notamment parce que les localisations cérébrales, qu’il faut rechercher systématiquement, au mieux par IRM, sont fréquentes. La présence concomitante d’une GVH évolutive et une dose de prednisone de plus de 1 mg/kg sont des facteurs de mauvais pronostic (24). Néanmoins, ce pronostic s’améliore d’année en année grâce à un diagnostic plus précoce (apport de la tomodensitométrie pulmonaire au moindre doute et de la détection sériée de l’antigénémie aspergillaire) et à la disponibilité d’antifongiques moins toxiques et plus efficaces que le déoxycholate d’amphotéricine B i.v. (25). Les infections parasitaires à Pneumocystis carinii et à Toxoplasma gondii ont pratiquement complètement disparu grâce aux prophylaxies médicamenteuses qu’il faut poursuivre pendant toute la durée de l’immunosuppression. Les infections à virus respiratoires communautaires, qui se voient principalement lors de la première et de la deuxième périodes, peuvent être l’objet d’épidémies à caractère nosocomial et sont potentiellement graves. La transmission des virus étant aéroportée et manuportée, les patients doivent être isolés, et l’entourage médical et familial doit prendre des précautions (lavage des mains, gants, sarraus, masques) pour limiter les risques d’épidémie nosocomiale. Le virus respiratoire syncytial (VRS) est l’un des plus fréquents, avec un taux d’attaque de 5 %, variable selon les pays. Les voies respiratoires hautes sont, comme chez les sujets immunocompétents, atteintes en premier, mais l’atteinte interstitielle pulmonaire est d’autant plus fréquente (50 % et plus) et vraisemblablement d’autant plus grave que l’infection survient plus précocement après la greffe. La mortalité liée aux pneumopathies à VRS varie de 60 à 100 %. Il est fortement recommandé de traiter dès la détection du virus dans le nasopharynx (26). Le traitement “standard” repose sur la ribavirine en aérosols, en pratique impossible à réaliser dans les services en surpression, théoriquement pendant une à deux semaines, parfois beaucoup plus. Il est possible, mais non démontré, que l’addition d’immunoglobulines polyvalentes soit bénéfique. L’adjonction de ribavirine i.v., aux posologies étudiées, ne semble pas augmenter le taux de guérison. Très récemment, il a été suggéré que l’adjonction de palivizumab, un anticorps monoclonal anti-VRS d’origine murine, pouvait être bénéfique (27). Les infections à adénovirus, plus fréquentes chez l’enfant, sont en rapport avec une primo-infection ou une réactivation virale. Les atteintes viscérales qui définissent la maladie sont, en dehors de la cystite hémorragique, souvent multiples et gravissimes : pneumopathie, hépatite, entérocolite et encéphalite. Les principaux facteurs de risque pour la survenue 113 d’une maladie sont classiquement la détection d’une excrétion virale dans plus de deux sites, la GVH modérée à sévère, la T-déplétion du greffon et le caractère non apparenté du donneur (28, 29). Plus récemment, il a été montré que la détection de l’ADN viral dans le sérum de ces patients était hautement prédictive de la survenue d’une infection systémique (30). Il est conseillé de traiter le plus précocement possible. La ribavirine i.v. a une activité très limitée. Le cidofovir, qui a une bonne activité in vitro sur les adénovirus, est prometteur (31). La mesure sériée de la charge virale dans le sang permettra de “monitorer” au mieux le traitement (32). Les infections à virus influenza A ou B sont fréquentes en hiver. Elles sont d’acquisition nosocomiale ou communautaire et se compliquent de pneumopathies avec une fréquence mal connue. En cas de pneumopathie, la mortalité est de 0 à 40 % selon les séries. Le diagnostic repose sur la détection des cellules infectées par immunofluorescence sur les liquides d’aspiration nasopharyngée ou de LBA. Il n’y a pas de traitement reconnu de la pneumopathie vraie, avec peut-être un rôle pour une association de plusieurs antiviraux comme la rimantadine (active contre le virus A seulement), la ribavirine et/ou les inhibiteurs de la neuraminidase, car les émergences de souches résistantes sous traitement sont fréquentes. C’est dire, d’une part, le rôle des mesures physiques de protection (en sachant que l’excrétion virale peut être extrêmement prolongée chez ce type de patients) et, d’autre part, l’importance de la vaccination du patient et de l’entourage familial et soignant. Les infections à virus para-influenza (VPI), essentiellement VPI-3, ont une incidence de 5 à 10 % et surviennent en moyenne deux mois après la greffe. Les pneumopathies, très souvent révélatrices, représentent plus de 50 % des cas d’infection. La mortalité en cas d’infection respiratoire basse avérée est élevée (plus de 50 %), en partie à cause de l’association à d’autres pathogènes, dont Aspergillus. Il a été montré que le seul risque individualisable de survenue d’infections à VPI était le caractère non apparenté de la greffe, et que plus Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 3 - juillet-août-sept. 2002 D OSSIER thématique la dose de corticoïdes était élevée au moment de l’infection, plus le risque de développer une atteinte pulmonaire basse était important (26). Il n’y a pas de traitement reconnu pour cette infection. LA PHASE TARDIVE La troisième période est caractérisée par un déficit immunitaire humoral et cellulaire persistant ainsi que par des anomalies de fonctionnement du système réticuloendothélial (asplénie fonctionnelle). Cette période est d’autant plus prolongée qu’il existe une GVH chronique marquée. C’est la période de risque pour les infections à virus varicelle-zona (VZV) et à bactéries encapsulées. Le pronostic des infections à VZV a été transformé par l’aciclovir. Les infections à bactéries encapsulées (Streptococcus pneumoniae, Neisseria meningitidis, Haemophilus influenzae) représentent un danger potentiellement mortel. La prophylaxie, assurée le plus souvent par une pénicilline, doit être poursuivie pendant plusieurs années. La vaccination contre le pneumocoque peut être faite à partir d’un an après la greffe, mais sa protection est incomplète. Un vaccin conjugué contre le pneumocoque est en cours d’étude. La vaccination contre H. influenzae (vaccin conjugué) est conseillée quatre à six mois après l’allogreffe. Enfin, lorsque le taux d’immunoglobulines est bas, il est souhaitable de le supplémenter. Insistons, pour conclure, sur le rôle favorisant majeur de la GVH aiguë ou chronique (et du traitement par la cortisone) dans la survenue d’infections graves après allogreffe, qu’elles soient précoces $ ou tardives (33, 34). R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Brown JM, Weissman IL, Shizuru JA. Immunity to infections following hematopoietic cell transplantation. Curr Opin Immunol 2001 ; 13 : 451. 2. Chen Y, Rocha V, Bittencourt H et al. Relationship between HLA alleles and cytomegalovirus infection after allogeneic hematopoietic stem cell transplant. Blood 2001 ; 98 : 500. 3. Mullighan CG, Heatley S, Doherty K et al. Mannose-binding lectin gene polymorphisms are associated with major infection following allogeneic hemopoietic stem cell transplantation. Blood 2002 ; 99 : 3524. 4. Goodrich JM, Reed EC, Mori M et al. Clinical features and analysis of risk factors for invasive candidal infection after marrow transplantation. J Infect Dis 1991 ; 164 : 731. 5. 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