La protection des personnes qui se prêtent à la recherche médicale

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[Lemaire F., La protection des personnes qui se prêtent à la recherche médicale : de la Loi Huriet à la Directive européenne, rapport au ministre de la santé, 2002.]
La protection des personnes qui se prêtent à la recherche
médicale : de la Loi Huriet à la Directive Européenne
Pr. François Lemaire
Service de Réanimation Médicale
Hôpital Henri Mondor
94010 CRETEIL
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (1/1)
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Sommaire Page
Introduction
3
Recommandations
6
A. Pourquoi faut-il modifier la loi de décembre 1988, dite loi HurietSérusclat ?
7
7
1. L'amélioration de la protection des patients
2. L'insatisfaction persistante des investigateurs et des promoteurs
institutionnels
3. La directive européenne sur la recherche médicamenteuse
9
11
B. Les difficultés de la loi et de la réglementation actuelle en France
12
a) les principes
1. La distinction des recherches avec et sans BID
2. Le patient incompétent et l'absence de représentant
3. Le régime de responsabilité
12
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15
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b) l’organisation de la recherche
4. L'autorisation de lieux agréés pour la recherche sans BID
5. La promotion institutionnelle/industrielle
6. L’obligation de gratuité à la charge du promoteur
7. L'évaluation scientifique des projets
8. La recherche sur les enfants
9. La recherche en génétique
10. Les dispositifs médicaux
11. Le suivi de l'essai
12. L'information des patients/famille à la fin de l'essai
13. un cas particulier : la recherche médicale en situation d’urgence
20
21
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c) sa structuration
14. la CNIL
15. Les conditions de fonctionnement des CCPPRB
16. L'organisation administrative de la recherche clinique
37
38
41
C. La directive européenne
43
Conclusion
45
Références
47
Annexes
49
51
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (2/2)
Introduction
Il était indispensable en 1988 de doter la France d’une loi qui à la fois organiserait la
recherche biomédicale et garantirait la protection des patients. A l’origine, on retrouve en effet
la forte demande des milieux de l’industrie pharmaceutique, alarmés à juste titre de ce que
les essais de médicaments de phase I, pourtant réglementés depuis décembre 1975,
restaient illégaux et exposaient les investigateurs à des poursuites pénales. Une autre
motivation essentielle était la nécessité d’organiser la protection des patients, après que
l’"affaire" d’Amiens eût révélé au public certaines formes contestables de la recherche
médicale. Un projet de loi rédigé par Jacques Dangoumeau avait vu le jour en 1985, suivi
deux ans plus tard d’un rapport du Conseil d’état "De l’éthique au droit", commandé par le
Premier Ministre de l’époque, Jacques Chirac (1). S’inspirant des grands textes éthiques
internationaux (la déclaration d’Helsinki, surtout, dans sa version de 1975) et du guide des
Bonnes Pratiques Cliniques, que le Ministère des Affaires sociales venait de traduire et de
publier, le sénateur Huriet présentait devant la Commission des affaires sociales du Sénat un
projet de loi "relative aux essais chez l’homme d’une substance à visée thérapeutique ou
diagnostique destinée à faire l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché". Le
champ d’application de la loi, initialement restreint aux essais de médicaments, a été alors
élargi à la totalité de la recherche biomédicale, sans que son architecture ait été modifiée de
façon à intégrer les contraintes propres à d’autres types de recherche, notamment la
recherche physio-pathologique, dite aussi recherche cognitive.
Malgré les profonds bouleversements que la loi a introduits dans l’organisation de la
recherche en France, elle a été immédiatement bien accueillie, aussi bien par l’industrie
pharmaceutique qui l’avait souhaitée que par l’immense majorité des médecinsinvestigateurs. Ceux-ci rencontraient alors de grandes difficultés à publier leurs travaux dans
les revues internationales à comité de lecture, et avaient été à l’origine des comités
d’éthiques hospitaliers ou de sociétés savantes auxquels ils soumettaient leurs protocoles,
comme l’avait demandé le manifeste des éditeurs de revues médicales réunis à Vancouver
en 1983 (2). La loi organisait désormais l’obtention du consentement des patients sur des
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (3/3)
bases reconnues, universellement admises, éventuellement opposables. Il faut redire avec
force que la loi Huriet était indispensable, que ses effets ont été bénéfiques, et que nul
aujourd’hui ne songe à revenir à l’état de non droit qui lui préexistait. Les aménagements
dont il sera question ici sont soit rendus nécessaires par l’évolution du droit communautaire,
soit doivent être proposés à la lumière de l’évolution de la recherche biomédicale elle-même,
si rapide, des résultats des essais cliniques publiés, notamment pour ce qui concerne la
sécurité des patients, et enfin de la pression des associations de malades.
Dès le premier bilan d’application de la loi Huriet, réalisé en 1993 à la demande
d’Edouard Balladur, et sans remettre en cause son bien-fondé, JF Mattei proposait quelques
aménagements De nombreuses difficultés étaient en effet apparues dès le début des années
quatre-vingt-dix, dont la plupart tenaient à l’inadaptation de la loi à la recherche non
médicamenteuse. Les décrets d’application avaient renforcé la rigidité du dispositif, légitime
dans le cas des traitements innovants, nécessairement à risque, mais qui s’est avéré
inadapté et inutilement dissuasif pour de nombreuses recherches sans risques. La recherche
en génétique, par exemple, dont le développement explosif ne pouvait guère être prévu en
1988, s’en trouve aujourd’hui notablement freinée. Signalons ici aussi les difficultés
persistantes du recueil du consentement chez les patients "incapables de fait" (Alzheimer,
autres démences, patients de réanimation ou atteints d’affections neurologiques,
psychiatriques, etc.), en dehors du contexte de l’urgence, et qui amènent les CCPPRB à
accepter de bien étranges contorsions pour que la recherche ne soit pas totalement stoppée
dans ces secteurs.
A côté de la recherche promue par l’industrie s’est amplifiée depuis une dizaine
d’années en France une recherche clinique de qualité, aussi bien thérapeutique que
physiopathologique, promue par des institutions publiques (INSERM, ANRS, centres
hospitaliers, …) ou par divers organismes (FNCLCC) et financée par le Programme
Hospitalier de Recherche Clinique (un milliard de francs en huit ans) ou d’autres institutions
publiques ou privées (EORTC, GELA, AFM, …). Et c’est de ce milieu que se sont exprimées
les demandes les plus insistantes d’aménagement de la loi, résumées dans une "plate-forme"
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (4/4)
transmise en avril 2001 à Bernard Kouchner, Ministre délégué à la santé à cette époque, et
qui en retour a souhaité que soit menée une « mission de réflexion et de proposition sur
l’évolution du cadre législatif applicable à la recherche médicale ».
Cette mission s’est déroulée du printemps 2001 à l’été 2002 (Annexes I et II). Elle a
bénéficié de l’aide de Catherine Grillot-Courvalin, membre de la cellule d’appui scientifique de
la DGS. Dans un premier temps, l’urgence a été de profiter du calendrier parlementaire pour
régler par amendement un des problèmes les plus irritants auxquels étaient confrontés les
chercheurs, l’inadaptation de la réglementation concernant les lieux dans lesquels se déroule
la recherche sans bénéfice individuel direct. C’est dans la loi « droits des malades » votée en
mars 2002 qu’a été introduite du Ministère de la santé, un article réglant ce problème, ainsi
qu’une incitation à prévoir l’information des personnes qui se prêtent à la recherche à la fin de
l’essai. La deuxième partie de cette mission a été consacrée à une réflexion sur la
transposition dans le droit national de la directive européenne d’avril 2001 sur la recherche
clinique (concernant les médicaments), qu’il incombera au gouvernement sorti des urnes en
juin 2002 de mener à son terme. Les décisions que devra prendre dans les prochains mois le
Ministre de la santé, le Pr. Jean-François Mattei, vont être cruciales pour l’avenir de la
recherche clinique dans norte pays : adaptation rapide de la directive pour se conformer à un
calendrier particulièrement contraignant, en se limitant à la recherche médicamenteuse, ce
qui est certainement une solution pragmatique ; ou reprendre plus profondément notre
dispositif législatif et réglementaire, pour régler au fond les nombreux problèmes laissés
pendants ou apparus depuis quinze ans. Quelle que soit la solution retenue, l’enjeu est
immense : il s’agit certes de la recherche clinique et de sa place dans la compétition
internationale, mais aussi et surtout de la protection des personnes qui se prêtent à cette
recherche.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (5/5)
Recommandations
1. Elargir le champ d’application de la directive européenne, aujourd’hui limité à la recherche sur les
médicaments, à toute la recherche biomédicale, correspondant à celui de la loi Huriet.
2. En accord avec la directive, remplacer la distinction entre les recherches avec et sans bénéfice
individuel direct par l’évaluation de la balance bénéfice/risque de chaque protocole individuellement, et
de chaque partie de ce protocole.
3. Définir dans la loi le représentant légal du patient incapable de fait, qui ne peut consentir à la recherche
biomédicale et qui sera alors habilité à consentir à sa place.
4. Unifier les deux régimes de responsabilité, ce qui sera de toutes façons nécessaire si la distinction
recherche avec et sans bénéfice individuel direct est supprimée
5. Identifier et définir dans la loi les deux types de promotion, industrielle et institutionnelle
6. Moduler l’obligation de gratuité à la charge du promoteur, notamment en cas de recherche promue par
une institution publique.
7. Préciser dans la loi quelle(s) instance(s) est (sont) responsables(s) de l’évaluation scientifique des
projets de recherche
8. Préciser les modalités du consentement à la recherche en génétique. Clarifier et harmoniser les
différentes dispositions concernant les banques et collections de matériel biologique
9. Préciser les caractéristiques des essais qui rendent nécessaire la constitution d’un comité de suivi ad
hoc indépendant (DMSB). Prévoir une disposition demandant aux CCPPRB de se prononcer
systématiquement sur la nécessité de créer un tel comité.
10. Préciser dans un texte explicatif les conditions concrètes de l’information a posteriori des participants
ou de leur famille sur les résultats d’un essai (article L.1122-1).
11. Mettre à la disposition du public sur un site Internet un registre où figureraient au minimum l’intitulé de
tous les essais cliniques déclarés, le nom et les coordonnées de l’investigateur principal, ainsi que leur
date de début et éventuellement d’interruption de l’essai. Si une telle banque de données était
accessible sans restriction, c’est par elle que pourrait être porté à la connaissance des intéressés les
résultats de l’essai une fois terminé
12. Repositionner le CCTRIS : à la CNIL ? ou plutôt à la DGS, possiblement au sein de son comité
d’expert. Préciser ou réécrire ses missions dans un règlement intérieur. Unifier les dispositions du V
bis et du V ter. Faciliter au maximum les procédures simplifiées.
13. L’optimisation du fonctionnement des comités et leur coordination sont une priorité, dépendant
cependant plus de la réglementation que de la loi.
14. Reformuler l’arrêté de 1994 qui portait création à la DGS d’un groupe d’experts sur les recherches
biomédicales. En repréciser les missions.
15. Décentraliser l’analyse des projets de recherche non transmis à l’AFSSAPS. Déterminer l’instance qui
en sera chargé et lui donner les moyens de le faire
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (6/6)
A. Pourquoi faut-il modifier la loi de décembre 1988, dite loi Huriet-Sérusclat ?
1. L’amélioration de la protection des patients
L’évolution de la recherche clinique depuis une dizaine d’années, la multiplication des essais
thérapeutiques, une meilleure connaissance des accidents qui leur sont imputables, l’éclosion ou le
développement de nouvelles disciplines médicales (l’épidémiologie clinique, la génétique, la thérapie
cellulaire ou génique, etc.) ainsi que la pression grandissante des associations de malades, rendent
nécessaire de reconsidérer les dispositions garantissant la protection des patients ou des volontaires qui se
prêtent à la recherche
Aucune donnée ne permet aujourd’hui de savoir si la loi a effectivement protégé les patients ou les
volontaires qui se sont depuis 10 ans prêtés à la recherche médicale en France, même si la réponse est très
vraisemblablement positive. Il est inutile de rechercher le nombre et la nature des contentieux qui en auraient
résulté, il n’y en a pratiquement pas eu jusqu’ici. Cette situation pourrait cependant rapidement évoluer : le
Département d’Inspection des Essais Cliniques et Non Cliniques de l’AFSSAPS a récemment transmis à la
justice une douzaine de dossiers susceptibles d’entraîner des sanctions pénales (3). L’une de ces affaires
est actuellement (06-02) devant les tribunaux (4).On peut penser que le régime de responsabilité des
recherches avec BID, celui de la faute présumée, n’incite guère les investigateurs à la transparence. On peut
aussi faire l’hypothèse que la confusion entre soin et recherche, inhérente à la notion de bénéfice individuel
direct inscrite dans la loi (voir plus loin), n’aide pas les patients ou leur famille à incriminer spécifiquement un
protocole de recherche à l’origine d’un accident.
Une autre approche consiste à suivre la littérature médico-scientifique, et à relever qu’un certain
nombre de essais thérapeutiques multicentriques publiés dans les plus grandes revues internationales à
comité de lecture ont entraîné une surmortalité dans le groupe "nouveau traitement". Quelques exemples :
en France, un essai de traitement du syndrome de Lyell par la thalidomide est interrompu parce qu’il devient
rapidement apparent que la mortalité du groupe traitement est bien supérieure à celle du groupe contrôle
(Lancet, 1998) ; de même, surmortalité dans le traitement par l’hormone de croissance des patients admis en
réanimation dans une vaste étude multicentrique européenne (New England Journal of Medicine, 1999) ;
interruption d’un essai très attendu d’une hémoglobine artificielle dans le choc hémorragique aux Etats-Unis,
en raison d’une très lourde mortalité des patients qui avaient reçu le nouveau traitement en médecine
d’urgence (JAMA, 1999). S’il est prévisible que les essais réalisés pour des pathologies graves, en
réanimation ou en traumatologie, exposent le plus à des accidents, ces disciplines n’ont pas l’exclusivité de
la recherche à risque. Ainsi, l’interruption d’un essai sur les effets de la flexicaïne dans les troubles du rythme
cardiaque (NEJM, 1989) ou celle de l’essai français "MAST", qui testait l’intérêt de la fibrinolyse dans certains
accidents vasculaires (Lancet, 1994). Cette liste n’est certainement pas exhaustive. La publication de ces
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essais dans la littérature internationale a suscité de nombreux commentaires (5), d’où il ressort que la
prévention de tels accidents réside essentiellement dans l’analyse scientifique préalable des projets de
recherche et dans le suivi de l’essai réalisé par un comité ad hoc indépendant (le "Data Monitoring and
Safety Board"), deux dispositions non prévues explicitement actuellement par la loi. La plupart des analystes,
certes médecins, notent également que les propositions faites pour remédier à ces accidents sont
habituellement un renforcement de l’encadrement réglementaire, alors que ce sont les évaluations
scientifiques et éthiques (CCPPRB) préalables qu’il faudrait selon eux renforcer.
La situation des comités éthiques apparaît actuellement préoccupante aux Etats-Unis, où plusieurs
accidents abondamment médiatisés sont survenus récemment. Un décès lors d’un essai de thérapie génique
à Philadelphie en 1999, la mort en juin 2001 d’une volontaire lors d’un essai sans bénéfice à John Hopkins
ont été attribués à un défaut de vigilance de la part des comités éthiques locaux (IRBs), réputés débordés
par le nombre de protocoles qu’ils doivent examiner. Les comités d’éthique locaux ont été unanimement
condamnés par la grande presse et désavoués par la FDA et les instances fédérales compétentes en
matière de protection des patients et de contrôle de la recherche (6, 7, 8).
En ce qui concerne les CCPPRB français, leurs conditions de fonctionnement ne seraient guère plus
satisfaisantes, ainsi que vient opportunément de le démontrer un rapport récent de Claude Huriet (9). Ce
texte dénonce à la fois l’absentéisme des membres (surtout non-médecins) des comités, les carences en
matière de nomination et de renouvellement de ces membres, l’hétérogénéité des comités, leurs relations
"limitées" avec la tutelle (DRASS et DGS surtout), l’opacité du circuit financier. Le rapport relève aussi
l’absence de base de données disponible à l’Administration Centrale et donc de visibilité des essais conduits
en France. Pour remédier à ces dysfonctions, Claude Huriet a proposé sous forme d’amendement à la loi de
modernisation sociale, en juillet 2001, de créer un établissement public qui regrouperait les fonctions de
coordination et de contrôle des CCPPRB.
Tableau I : Dispositions garantissant la sécurité des patients habituellement retenues dans la
littérature internationale
1) L'évaluation de la balance risque/bénéfice des protocoles par les CCPPRB, de
chaque partie de ces protocoles (+++).
2) L'évaluation scientifique du protocole (+++). En France :
- par l’AFSSAPS (comité d’experts) dans le cas des essais médicamenteux (ou
dispositifs)
- par le promoteur s’il est institutionnel (DRC des CHU, INSERM, ANRS, etc.),
puis par l’autorité compétente (DDGS)
- par les CCPPRB (encore quelquefois discuté)
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (8/8)
3) Autorisation préalable explicite pour les recherches à risque : thérapie génique et
cellulaire
Information et consentement des patients/familles : qualité de la notice
d’information et du formulaire de consentement (CCPPRB)
4) Identification et dénonciation des conflits d’intérêts des investigateurs (position
rémunérée de consultant ou possession d’actions dans la firme promotrice de
l’essai, etc.)
5) Le consentement éclairé
- du patient lui-même
- de son représentant légal ou de sa famille en cas d’urgence (art 209-9) ; cette
disposition est jugée essentielle car elle laisse ouverte la possibilité d’un refus
(+++)
6) Le suivi de l’essai
- déclaration des effets indésirables : AFSSAPS, DGS ; promoteur ; et le CCPPRB,
dans la directive européenne (effets indésirables inattendus)
- le comité de sécurité indépendant : DMSB (+++)
2. L’insatisfaction persistante des investigateurs et des promoteurs institutionnels
Dès 1991, soit quelques années à peine après la promulgation de la loi Huriet, un rapport de l’IGAS
(10) dénonçait son inadaptation aux essais de phase IV et proposait de les sortir du champ d’application de
la loi, proposition qui sera reprise 2 ans plus tard par la mission parlementaire conduite par JF Mattei (11). En
outre, le rapport de l’IGAS identifiait déjà de nombreuses autres difficultés ou dysfonctions, dont la plupart,
régulièrement dénoncées depuis, sont pourtant toujours là. Citons, pêle-mêle, le problème du consentement
en réanimation, en gériatrie ou en psychiatrie, l’obligation en pédiatrie d’obtenir le consentement des deux
parents, le manque de moyens de l’Administration centrale, les ambiguïtés du champ d’application de la loi,
la lourdeur du mécanisme des fonds de concours, l’inadaptation des lieux autorisés pour les recherches
SBID autres que les phases I, de même que celle du fichier national…Dans son rapport au Premier Ministre
remis en 1993, « La vie en question : pour une éthique biomédicale », JF Mattei constatait que : « …dans
son principe, la loi du 20 décembre 1988 est une bonne loi et qu’elle rencontre l’adhésion de la quasi-totalité
des personnes auditionnées. En revanche, il est indispensable et urgent de simplifier certaines des
procédures mises en place, et d’assurer un meilleur suivi par l’administration. » Le rapport posait le problème
des « premières » chirurgicales, encore non résolu aujourd’hui, se prononçait pour un aménagement de la
disposition qui obligeait le responsable de la recherche à être médecin, repoussait l’hypothèse de CCPPRB
spécialisés en maintenant leur compétence territoriale, et émettait aussi des réserves sur le principe des
« fonds de concours ».
Le ministère de l’industrie a confié au CNEH en 1994 une mission d’étude de la loi Huriet sur
l’industrie du génie biomédical. Cette étude publiée en 1994 (12) révèle à la fois le désarroi des industriels et
des investigateurs devant de nouvelles contraintes, dont il est permis d ‘espérer qu’il a été surmonté depuis,
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mais aussi des inadaptations de notre dispositif qui ont perduré : le lancinant problème de la gratuité des
dispositifs pendant les essais, la lourdeur et la rigidité des dispositions réglementaires, la méconnaissance
par les CCPPRB des problèmes spécifiques des dispositifs. Surtout, ce domaine est soumis à une
réglementation à la fois française et européenne, avec l’obligation du marquage CE. Les directives
européennes de 1990 et de 1993 ont été transposées en droit français, notamment par la loi de juillet 1998,
elles régissent donc également les essais cliniques, en parallèle avec la loi Huriet. Les professionnels
relèvent l’accumulation de textes pas toujours coordonnés…
Un peu plus tard, en 1995, la commission scientifique de l’INSERM soulignait cette spécificité
française qu’est la distinction entre des recherches avec et sans bénéfice individuel direct (ABID/SBID) et en
relevant déjà les inconvénients. Ce texte (13) relevait la bizarrerie qui consiste à prévoir le régime le moins
protecteur pour les essais avec BID, très vraisemblablement les plus à risque. L’INSERM rappelait à son tour
que l’ensemble du dispositif consacré à ces essais SBID avait été conçu dans l’unique perspective des
essais de phase I sur les volontaires sains et déplorait les obstacles à la recherche non thérapeutique qui en
résultait. L’avis 58 du CCNE, en 1998 (14), relevait également l’inutilité, voire le côté pernicieux, de la
distinction entre recherche avec et sans BID. Il montrait comment l’existence du supposé "bénéfice direct"
masque en fait le véritable objectif de la recherche, qui n’est précisément pas le bénéfice du patient qui s’y
soumet, mais le progrès médical et l’amélioration de la santé du groupe de patients atteints de la même
maladie, nuisant ainsi gravement à la transparence vis-à-vis des patients et/ou de leur famille. L’avis du
CCNE montrait aussi que cette nécessité pour le législateur français de n’autoriser vraiment la recherche
qu’en fonction de ce bénéfice individuel direct provient du principe d’inviolabilité du corps humain, introduit
dans le code civil à l’occasion du vote des lois bioéthiques en 1994, et qui n’autorise l’accès au corps de
l’autre que pour son bien, et donc en pratique exclusivement par nécessité thérapeutique. Depuis,
l’Assemblée Médicale Mondiale, lors de son Assemblée plénière de juin 2000 n’a d’ailleurs retenu cette
distinction dans sa cinquième révision de la déclaration d’Helsinki. Une procédure "allégée" pour les
recherches sans risque était aussi proposée dans le texte du CCNE, qui appelait enfin les juristes à se
pencher sur l’épineux problème du consentement des patients incapables de fait, dits "incompétents" mais
capables juridiquement (urgences, réanimation, coma, Alzheimer, autres déments, etc.).
En avril 2001, Bernard Kouchner recevait une "plate-forme" (15), signée de la quasi-totalité des
sociétés savantes françaises, de la Conférence des doyens, des deux Conférences nationales de présidents
de CME et d’associations de malades, critiquant et appelant à modifier certaines dispositions essentielles de
la loi : la distinction BID/SBID, l’interdiction des recherches SBID sans consentement, la lourdeur dissuasive
de la loi pour les recherches SBID sans risque (simple prélèvement de sang) ou pour les comparaisons de
pratiques ou de traitements déjà validés, son inadaptation aux recherches génétiques (annexeIII). Anne
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (10/10)
Fagot-Largeault, dans un rapport commandé par la MIRE (16), au ministère de la Santé, dénonce la
persistance de la confusion soin/recherche, et appelle à une évolution du rôle des patients (ou volontaires)
sujets de recherche, passifs jusqu’ici, vers plus de participation active. De même ce rapport note la faible,
voire inexistante information des patients sur les résultats de l’essai, lorsque ceux-ci sont connus. Claudine
Esper et Maître Lucas-Baloup, dans un projet de recherche promu par le CHU de Brest (PHRC 1998)
consacré à la recherche en chirurgie, relèvent les mêmes dysfonctions (la moitié des innovations
chirurgicales recensées se seraient déroulées hors loi Huriet) et recommandent également une évolution
significative de la loi.
Les principaux promoteurs institutionnels français (INSERM, ANRS, DRC des établissements
hospitaliers, notamment celle de l’AP-HP) ont régulièrement dénoncé la rigidité des décrets d’application de
la loi, notamment pour ce qui concerne l’obligation de gratuité à la charge du promoteur (Art. R.2038).
L’INSERM a pour sa part fait parvenir en juillet 2000 à D. Gillot, secrétaire d’Etat à la santé, une note dans
laquelle sont réitérées ses demandes exprimées de longue date de modifications de la procédure
d’autorisation des lieux de recherche SBID, et de suppression de l’obligation de gratuité à la charge du
promoteur dans les cas bien particuliers de recherche non promue par l’industrie pharmaceutique (annexe
II). Dans un rapport de septembre 2001 au Conseil économique et social, B. Barataud (17) identifie à son
tour les difficultés de la recherche en génétique que la loi et la réglementation actuelles ont du mal à
appréhender, dans un domaine il est vrai nouveau, complexe, et très rapidement évolutif. Dans un rapport
très complet de la DGS, le « Plan cancer » sur les essais cliniques en cancérologie (DGS, Min des affaires
sociales, mars 2001), D. Maraninchi insiste à son tour sur les difficultés d’une législation calquée
exclusivement sur l’étude du médicament. Enfin, l’AFSSAPS réclame depuis longtemps que lui soit reconnue
sa mission d’expertise scientifique et les moyens de la mener à bien. En particulier, elle demande à recevoir
les protocoles et les brochures dites investigateurs, dont pour l’instant seuls les CCPPRB sont destinataires,
considérant que les « lettres d’intention » qui lui sont adressées sont insuffisantes pour mener à bien sa
mission.
Nombre des difficultés de la recherche clinique en France ont été récemment reprises par une table
ronde aux Entretiens de Giens, publiées en 2001 (annexe V)
3. La directive européenne sur la recherche médicamenteuse
Si les deux raisons précédentes n’étaient pas suffisantes, le vote de la directive européenne en avril
2001 rend désormais indispensable une réécriture au moins partielle de la loi Huriet, et ce avant le 1-05-03.
Mais l’ampleur de cette révision dépendra évidemment de la conviction du gouvernement et du législateur
que la sécurité des patients doit être améliorée et que l’insatisfaction des chercheurs et des promoteurs
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (11/11)
mérite d’être entendue. Sur certaines dispositions essentielles, la directive diffère de la loi française, et ouvre
la porte à des modifications réclamées depuis longtemps. La directive ne concerne que les essais
médicamenteux, mais il apparaît cependant difficile de ne transcrire en droit national que les articles de loi
ayant trait aux médicaments en laissant en place un dispositif législatif et réglementaire distinct pour les
autres recherches (thérapeutiques non médicamenteuses, génétiques, épidémiologiques, physiopathologiques…)
Recommandation 1 :
Elargir le champ d’application de la directive européenne, aujourd’hui limité
à la recherche sur les médicaments, à toute la recherche biomédicale,
correspondant à celui de la loi Huriet
B)
Les difficultés de la loi et de la réglementation actuelle en France
a) les principes
1. La distinction des recherches avec et sans BID
Cette distinction n’était pas incluse dans le code de Nuremberg, qui précise au contraire que la
recherche doit "fournir des résultats importants pour le bien de la société", ce qui s’inscrit dans la morale
utilitariste de l’immédiat après-guerre. Mais une distinction fondamentale a été introduite vingt ans plus tard
dans la déclaration d'Helsinki entre "la recherche médicale dont le but est essentiellement diagnostique ou
thérapeutique pour le patient" et la recherche dont l'objet "est purement scientifique et sans valeur
diagnostique ou thérapeutique pour la personne qui y est soumise". Cette différence conceptuelle, d’ailleurs
abandonnée dans la version actuelle résultant de la cinquième révision promulguée en 2000 à Edimbourg
(18), n'a cependant jamais été transposée en termes opérationnels dans les textes qui réglementent la
recherche clinique aux Etats-Unis ou dans la plupart des pays européens. Les « International guidelines »
publiées par l’OMS-SIOMS en 1982 et 1993 n’opposent pas plus recherche thérapeutique et non
thérapeutique. En revanche, cette distinction a été exprimée avec force en France dans le rapport Braibant
(1) qui opposait les essais "à but thérapeutique … justifiant seuls la violation du principe de l'impossibilité de
porter atteinte au corps humain", et les essais sans justification thérapeutique, telles les recherches
cognitives, dont "les sujets ne retirent aucun bénéfice personnel". La loi Huriet-Sérusclat l’a ensuite reprise,
en définissant les essais avec et sans bénéfice individuel direct. Toute son architecture est d’ailleurs
façonnée par l’opposition entre ces deux types de recherche, alors que la directive européenne s’en tient au
concept de balance bénéfice/risque. Dans l’introduction à son rapport "De l’éthique au droit", G. Braibant était
bien conscient de cette spécificité française lorsqu’il écrivait : "le conseil d’Etat a retenu beaucoup de ces
principes traditionnels…Certains font l’objet d’un consensus en France et à l’étranger, puisqu’ils sont
consacrés par les directives internationales, par exemple la dignité de la personne humaine et l’exigence du
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (12/12)
consentement ; d’autres correspondent plutôt à une position française souvent d’ailleurs jugée exemplairegratuité, finalité thérapeutique". Du rapport de G Braibant en 1988 aux réactions des députés français au
Parlement européen en 2001 (cf encart), lors de la discussion de la directive, on ne peut que constater la
force de la conviction des juristes français selon laquelle il n’y a pas d’autre légitimité à la recherche
biomédicale que la nécessité thérapeutique.
a) la recherche avec bénéfice individuel direct
Tous les textes classiques aussi bien nationaux qu’internationaux ont pourtant répété que la finalité
de la recherche médicale était de "produire de la connaissance généralisable", de la Commission du
Président nord-américaine de 1983 au projet de rapport explicatif au Protocole additionnel à la convention du
Conseil de l’Europe signée à Oviedo le 4-04-1997 (19), en passant par les deux premiers articles de la loi
Huriet ("aucune recherche ne peut être effectuée … si elle ne vise à étendre la connaissance scientifique de
l’être humain et les moyens susceptibles d’améliorer sa condition") et l’avis # 58 du CCNE (14). La légitimité
de la recherche sur l’homme ne se fonde pas sur le bénéfice que le sujet qui s’y prête en tirerait, mais bien
au contraire sur l’incertitude que l’essai va s’efforcer de lever. Mais, alors que le bénéfice est collectif ("le
progrès médical"), le risque, lui, est bien individuel, conduisant pour le limiter à l’évaluation de la balance
risque / bénéfice. Il est impossible, dans la conception française d’un BID de la recherche, d’expliquer ou
d’accepter la randomisation, le groupe contrôle ou le placebo, dogmes aujourd’hui inébranlables de la
recherche médicale, ainsi que les accidents qui peuvent malheureusement survenir. Plus le bénéfice d’une
recherche est évident, moins celle-ci est éthique. La "therapeutic misconception", décrite et ainsi nommée
par Appelbaum et col (20), consiste en une croyance excessive et infondée dans les bénéfices que procure
la recherche. Elle est d’abord le fait des patients, notamment cancéreux, y compris dans les phases I. Cette
« illusion thérapeutique », véritable aveuglement sur la finalité de la recherche, peut faire accepter (au
patient, à sa famille, au CCPPRB.) des risques inconsidérés. Elle est d’ailleurs fréquemment partagée par les
médecins eux-mêmes, plongés alors dans un véritable conflit d’intérêt lorsqu’ils proposent un protocole à un
patient ou à une famille : leur mission de médecin versus celle de chercheur. A un degré extrême, de plus,
elle va empêcher la participation de médecins ou d’infirmières à un essai thérapeutique, tant est forte leur
conviction que le traitement proposé est bénéfique, au point de refuser d’affecter des patients à un groupe
contrôle ! C’est ainsi que Gattinoni et col. n’ont pu mener à sa fin un essai visant à démontrer l’effet de la
mise en décubitus ventral sur la survie de patients en insuffisance respiratoire ( NEJM 2001 ; 345 : 368). Les
infirmières, convaincues de son efficacité de cette manœuvre, ont refusé l’inclusion de patients dans le
groupe contrôle, le changement de position des patients ne pouvant bien évidemment pas être réalisée de
façon aveugle. L’essai, interrompu avant que l’échantillon ait atteint la taille suffisante, a manqué de
puissance statistique et n’a pu apporter la réponse à une importante question clinique, toujours sans réponse
aujourd’hui.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (13/13)
Il est d’ailleurs remarquable que la recherche avec BID jouisse d’un régime de responsabilité
nettement moins protecteur que la recherche SBID (faute présumée versus responsabilité sans faute), alors
qu'elle expose bien plus les patients qui s'y soumettent. En face d’un BID très affirmé (art L.121-5 : « un
bénéfice direct et majeur »), le consentement en devient même accessoire, ce qui explique le paradoxe
français (art L. 122-1) de la possibilité de recherche en urgence sans consentement, s’il y a BID, à la
différence des USA, terre de l’autonomie, où l’"emergency research" sans consentement n’est possible que
depuis 1997 (voir plus loin),ou de l’Allemagne, où elle ne l’est pas du tout.
b) La recherche sans bénéfice direct, privée ainsi de l’alibi de la nécessité thérapeutique,
s’en trouve, par contrecoup tenue en haute suspicion.
La recherche SBID n’a été abordée dans la loi Huriet que sous l’angle du volontaire sain qui se prête
aux essais médicamenteux de phase 1 (cf. le chap. IV, Art. 1124-1 à 1124-7) ; ceux-ci son potentiellement
une recherche à risque ; ainsi, l’encadrement rigoureux que la loi a mis légitimement en place pour cette
recherche bien spécifique n’est pas adapté à d’autres types de recherche SBID, telle la recherche
institutionnelle cognitive sur malades déjà hospitalisés ou la recherche épidémiologique et/ou génétique. Le
législateur a fait une règle générale d’un cas bien particulier, ainsi que le montre le tableau 2.
Tableau 2 : Dispositions particulières aux recherches sans bénéfice individuel direct
(Loi Huriet : Titre IV)
Art. L. 1124-1 : recherches…précédées d'un examen médical résultat
communiqué par un médecin de leur choix
Art. L. 1124-2 : le promoteur peut verser une indemnité
Art. L. 1124-3 : affiliation à la Sécurité Sociale obligatoire
Art. L. 1124-4 : période d'exclusion ;
Art. L. 1124-4 le fichier national
Art. L. 1124-6: dans un lieu autorisé par l’AFSSAPS ou le Ministre
La recherche SBID sans risque, par exemple celle qui ne nécessite qu’une simple prise de sang
(constitution de bases d’ADN en génétique), voire l’utilisation de "fonds de tube", se trouve fortement
dissuadée par la lourdeur de la procédure réglementaire en vigueur aujourd’hui, ou rendue impossible par
l’obligation d’être réalisée dans des lieux agréés. En pédiatrie, par exemple, des mesures non invasives
telles la température des enfants pendant leur sommeil, à leur domicile, ou la prise la pression artérielle de
nouveau-nés dans les crèches ne peuvent être réalisées. En épidémiologie, des prélèvements sur le lieu de
travail (exemple de recherche sur la toxicité des pesticides en milieu rural) sont également impossibles.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (14/14)
L’obligation jugée unanimement la plus contraignante était celle de devoir recourir obligatoirement à des lieux
agréés, qui n’existent pratiquement qu’en milieu hospitalier (voir plus loin).
La recherche SBID est très difficile à mettre en œuvre, voire rendue impossible, en l’absence de
consentement. On retrouve ici le corollaire -négatif- de la survalorisation de la notion de bénéfice individuel
direct. Juristes ou législateurs ont régulièrement depuis 1988 dénoncé comme scandaleuse la recherche
SBID sans consentement (voir tableau IV). Mais pourra t-on toujours aussi facilement interdire la recherche
physiopathologique dans des affections aussi graves que l’Alzheimer ou le choc septique, étape
indispensable avant toute proposition thérapeutique ? Le poids grandissant des associations de patients
permet d’en douter.
Dans la pratique des comités de protection des personnes, établir la distinction entre les deux
catégories de recherche (BID/SBID) pour qualifier un projet s’est avéré difficile, source de manipulation par
les investigateurs, de conflit entre les différentes instances, et se trouve à l’origine fréquente de
requalification de ces projets par l’AFSSAPS ou la DGS; ce point est relevé par de nombreuses
personnalités auditionnées par le sénateur Huriet, qui recommande dans son rapport au Sénat une
clarification dans ce domaine. De nombreux CCPPRB acceptent en fait la qualification BID dès que le projet
est thérapeutique, même s’il n’y a pas de bénéfice individuel clairement identifiable. En outre, de nombreux
protocoles comportent de plus en plus souvent des composantes BID et SBID – par exemple, une étude de
pharmaco-génomique au cours d’un essai thérapeutique -, posant le problème de la filière dans laquelle ils
devraient être rangés C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les comités anglo-saxons ont depuis longtemps
reçu mission d’étudier isolément la balance bénéfice/risque de chaque partie de ces protocoles.
Recommandation 2 :
En accord avec la directive, remplacer la distinction entre les recherches
avec et sans bénéfice individuel direct par l’évaluation de la balance
bénéfice/risque de chaque protocole individuellement, et de chaque partie
de ce protocole
2. Le patient incompétent et l'absence de représentant
En France comme ailleurs, le patient doit consentir au soin ou à la recherche qui lui sont proposés.
Mais pour qu’un consentement soit valide, il doit émaner d’un patient "compétent", qui comprenne ce qu’on
lui propose et qui soit en mesure de le refuser.
Aujourd’hui, dans le droit français, le patient adulte est soit compétent, et capable juridiquement, soit
incapable majeur, alors placé sous tutelle. Aucun texte ne prend en compte le cas du patient incapable de
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (15/15)
fait mais encore capable juridiquement, de façon transitoire ou définitive, en raison d’un trouble de ses
fonctions supérieures (choc, coma, réanimation, démences, Alzheimer, maladies neurologiques,
psychiatriques …), Cette lacune n’a cependant jusqu’ici pas posé de problème, parce que dans le domaine
du soin l’exigence thérapeutique permettait au médecin d’agir sans le consentement du patient, bien entendu
dans son intérêt. Le « privilège thérapeutique », cette dérogation au consentement éclairé a toujours été
reconnue par la jurisprudence (Cour administrative d’appel de Paris ; 9-06-98). Elle est aussi inscrite dans le
code de déontologie (articles 36 et 42 ; JO 8-09-95).
Mais c’est évidemment dans le domaine de la recherche biomédicale que la question de ces patients
incapables de fait se pose, car la recherche SBID est interdite depuis 1994 en France dans certaines
populations de patients vulnérables. Nous avons vu plus haut qu’il est artificiel d’évoquer ici une quelconque
nécessité thérapeutique, la recherche étant par nature différente du soin. Cette situation a été dénoncée à
maintes reprises depuis le début des années 90, car la loi a ainsi créé une injustice, en accordant à certains
groupes de patients le bénéfice du progrès médical et en en privant certains autres, les plus vulnérables
sans doute, mais ceux aussi qui ont le plus besoin de ce progrès. Il n’a pas été possible jusqu’ici de remédier
à cette anomalie. La loi du 4 mars 2002 comporte bien la recommandation de susciter la désignation à
l’avance d’une personne de confiance (article L 1111-6) ; mais celle-ci ne serait que consultée, ce qui est
certes mieux que informée, mais reste encore loin de l’autorisation à consentir pour autrui qu’exige la
recherche biomédicale. De plus, cette personne de confiance doit avoir été désignée à l’avance, ce qui laisse
entier le problème des patients arrivant inconscients à l’hôpital, sans avoir au préalable identifié leur
« représentant ».
La solution pragmatique au problème du patient incompétent retenue dans les pays anglo-saxons et
ceux du Nord de l’Europe est le recours à son représentant "naturel", la famille ou les proches, qu’ils soient
désignés à l’avance par le patient lui-même (durable power of attorney ) ou désignés par une instance
extérieure. Cette solution s’est heurtée en France à notre tradition juridique, qui établit que "nul ne peut
consentir pour autrui".
Tableau 3 : La recherche sans consentement et droit français : exemples
Dominique Thouvenin. .In: Commentaire législatif, actualités législatives
Dalloz, 1989
Page 29 :
"Pourtant, si la personne est d'abord et avant tout une volonté, lorsque cette
dernière ne peut s'exprimer, toute expérimentation devrait être impossible".
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (16/16)
Page 46 :
"Puisque la loi cherche à protéger la liberté d'accepter ou non une recherche, on
aurait pu croire qu'elle interdirait toute recherche lorsque … l'altération des
facultés mentales empêche l'expression d'un choix véritable"
Page 47 :
"Ou bien le point de vue des personnes qui se prêtent à une recherche
biomédicale est fondamental, et l'on ne saurait dès lors s'en passer ; par voie de
conséquence, chaque fois que le recueil de leur "consentement" est impossible
à obtenir, aucune recherche ne saurait être possible. Ou bien l'organisation de
la recherche biomédicale est si essentielle qu'elle l'emporte sur la prise en
compte de l'accord individuel, et dans ces conditions toute référence au
consentement n'est pas nécessaire".
Directive européenne concernant l'application des bonnes pratiques
cliniques dans la conduite d'essais de médicaments à usage humain
(juillet 2000)
Proposition (de la Commission de Bruxelles)
Art. 3. Il incombe aux Etats membres de fixer les règles assurant la garantie de
la protection des personnes tels que les mineurs et les incapables majeurs, qui
ne sont pas en mesure de donner leur consentement ; il convient que ce
consentement soit donné par une personne ou un organisme prévu par la loi.
Amendement parlementaire # 23 (proposé par Béatrice Patrie, France,
octobre 2000)
De manière générale, les personnes qui ne sont pas en mesure de donner leur
consentement éclairé, telles que les mineurs et les incapables majeurs, ne
peuvent participer à des essais cliniques sauf si l'administration du
médicament leur procure un bénéfice individuel direct.
Justification :
Afin de protéger les personnes qui ne sont pas en mesure de donner leur
consentement, il convient de poser comme règle générale l'interdiction de leur
participation aux essais cliniques. Cependant, ces essais peuvent être
diligentés si le fait d'administrer le médicament qui fait l'objet d'un essai
procure un bénéfice individuel direct à ces personnes.
Cette interdiction a été renforcée en 1994 par l’introduction dans le code civil d’un article 16-3, qui
proclame l’inviolabilité du corps humain, sans aucune autre dérogation que la nécessité thérapeutique : "Il ne
peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne.
Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une
intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir.". Il est intéressant de noter ici que C.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (17/17)
Huriet en 1988 puis JF Mattei en1992 avaient tenté en vain d’introduire comme dérogation à ce principe des
"circonstances prévues par la loi" (la recherche dans le contexte).
Tableau 4 : Le statut juridique du corps humain
SENAT – Session 88 : Rapport de M. Claude Huriet (Proposition de
modification du Code Civil)
Les bases de l'ordre public reposent sur des principes traditionnels tels que
l'indivisibilité du corps et de l'esprit, l'inviolabilité du corps et son indisponibilité.
Ce dernier principe n'est reconnu que de manière implicite en se déduisant de
l'article 1128 du Code Civil selon lequel : "il n'y a que les choses qui sont dans
le commerce qui puissent être l'objet de conventions"; or l'indivisibilité du corps
et de l'esprit constitutif de la personne humaine et juridique interdit de
considérer le corps comme un bien ou une chose. Notre droit positif, qui repose
sur ces principes traditionnels se trouve parfois, et risque dans l'avenir d'être
souvent en porte à faux avec l'évolution de notre société. Il importe donc que le
législateur prenne en compte ces nouveaux éléments, et les traduisent, après
les avoir confrontés aux principes traditionnels, en droit positif. C'est ainsi que
l'article 3 de la proposition de loi se propose d'inscrire de façon explicite dans le
code civil le droit de chacun au respect de son intégrité corporelle à moins qu'il
ne donne son consentement à autrui pour y porter atteinte et que ce dernier y
ait été autorisé par la loi.
Proposition de modification du Code Civil. Art. 3 :
"Nul ne peut porter atteinte à l'intégrité corporelle sans son consentement et
sans y avoir été autorisé par la loi " (2 exigences cumulatives)
Projet de loi n° 661, adopté par l'Assemblée Nationale le 25-11-19921
Art. 17. La loi garantit la dignité du corps humain. Elle assure l'inviolabilité et
l'indisponibilité du corps humain.
Art. 19. La nécessité thérapeutique ou la loi autorisent seules une atteinte à
l'intégrité du corps humain.
Loi du 27-07-19942,
Titre 1 du livre 1 du Code Civil - Chapitre II du respect du corps humain
Art. 16.1. Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est
inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire
l'objet d'un droit patrimonial
Art. 16.3. Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de
nécessité thérapeutique pour la personne. "Le consentement de l'intéressé doit
être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une
intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir".
Décision du 27-07-1994 du Conseil Constitutionnel2:
1
2
Nouvelle tentative en 1992 : exceptions (à l'inviolabilité) proposées pour la thérapeutique ou la loi
Ce texte est validé par le Conseil constitutionnel
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (18/18)
considérant que les dites lois énoncent un ensemble de principes, au nombre
desquels figurent la primauté de la personne humaine, … l'inviolabilité,
l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain
que ces principes tendent à assurer le respect du principe institutionnel de
sauvegarde de la dignité de la personne humaine (elles) sont conformes à la
constitution
Cette situation de blocage devrait maintenant évoluer, en raison du vote en avril 2001 de la directive
européenne sur les essais de médicaments. Cette directive n’autorise en effet aucune dérogation au
consentement, pas plus en raison de l’urgence que d’un éventuel bénéfice thérapeutique, mais précise que
ce consentement peut être direct, exprimé par le patient lui-même, ou indirect, recueilli auprès d’un
représentant légal du patient, qui doit être défini dans chaque droit national : en Allemagne, il est désigné par
le juge, disposition souvent jugée impraticable par les praticiens, notamment la nuit ou pendant le weekend… Au Portugal, ce sont les membres de la famille, selon un ordre déterminé par la loi. Au Royaume-Uni,
la famille doit impérativement consentir. Le Parlement Belge étudie aujourd’hui un intéressant projet de loi
sur la recherche biomédicale qui dit (art 8) : en ce cas (= le patient incapable de consentir) et sauf urgence,
l’investigateur doit recueillir l’autorisation soit du représentant légal de la personne concernée soit d’un
membre de sa famille ou de la personne de confiance désignée à qui il fournira l’ensemble des informations
reprises à l’article 6 § 1 1°.
La Loi française a déjà prévu un tel ordre de priorité décroissante pour l’internement des malades
psychiatriques (Art L.3212-9 du CSP) : "la levée de l’hospitalisation est requise par : 1° le curateur, 2° le
conjoint, 3° sinon, les ascendants, 4° sinon les descendants majeurs, 5° la personne qui a demandé la
demande d’admission…6° une personne autorisée par le conseil de famille, 7° la commission mentionnée à
l’article L 3225-5"
Recommandation 3
Définir dans la loi le représentant légal du patient incapable de fait, qui ne
peut consentir à la recherche biomédicale et qui sera alors habilité à
consentir à sa place
3. Le régime de responsabilité
La recherche SBID bénéficie d’un régime de protection favorable au patient, celui de la responsabilité
sans faute. Il n’en va pas de même de la recherche ABID, pour laquelle la loi a prévu un régime de
responsabilité pour faute présumée. Ce qui signifie que des patients ayant subi un dommage imputable à la
recherche mais pour lequel le promoteur et / ou les investigateurs pourraient démontrer l’absence de faute
ne pourraient être indemnisés. Une polémique récente , dans un cas d ‘accident mortel imputé à une
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (19/19)
recherche médicamenteuse a montré que cette situation n’incitait pas les investigateurs à la transparence et
à l’information des familles de patients décédés, leur interdisant alors toute possibilité d’indemnisation (21).
Cette problématique rejoint évidemment celle de l’aléa thérapeutique, pour lequel une solution
législative a enfin été trouvée dans la loi du 4 mars 2002. Sans modifier pour l’instant les articles du chapitre
VI de la loi Huriet (dispositions pénales), le titre III de la loi "droits des patients" votée en avril 2002 précise à
l’article L.1145-2 que "Les personnes qui subissent des dommages dans le cadre de la recherche
biomédicale peuvent …avoir accès aux commissions régionales …Dans le cas des recherches avec
BID…lorsque la responsabilité du promoteur n’est pas engagée, les victimes peuvent être indemnisées …".
Recommandation 4
Unifier les deux régimes de responsabilité, ce qui sera de toutes façons
nécessaire si la distinction recherche avec et sans bénéfice individuel direct
est supprimée
b) l’organisation de la recherche
4. L’autorisation de lieux agréés pour la recherche sans BID
La loi de décembre 1988 a fait obligation de réaliser toute recherche sans bénéfice dans des lieux
agréés par l’autorité compétente. Cette disposition est probablement celle qui a suscité le plus grand
mécontentement et la plus forte demande d’aménagement de la part des investigateurs, des promoteurs et
des CCPPRB. Un amendement à la loi “ droits des malades ” de mars 2002 devrait avoir résolu ce problème
pendant depuis plus de dix ans. On reprochait à cette disposition :
 de ne s’appliquer vraiment qu’aux essais de phase I sur malade ou volontaire sain, pour lesquels
elle a d’ailleurs été prévue
 d’être impraticable en dehors des centres hospitaliers, notamment en médecine de ville ou lors
des études épidémiologiques de terrain, aboutissant de facto à l’interdiction des recherches SBID
dans ces domaines
 d’être inutile dans les centres hospitaliers, dès lors que des soins y sont autorisés et réalisés, et
que la recherche envisagée s’inscrit dans le cadre des activités habituelles (et déjà autorisées) de
ce centre
 de n’être qu’une garantie exclusivement formelle, les autorisations étant données a priori, une fois
pour toutes, sans procédures de renouvellement, indépendamment des projets qui seront menés
 d’être une surcharge inutile pour les DRASS qui effectuent les démarches et les visites de site ,
source de retard pour les projets (plusieurs années selon la DRC de Brest…)
 de détourner l’attention des vrais problèmes concernant la sécurité des patients: par exemple, en
génétique, ce n’est pas la prise de sang qui pose problème, ni le lieu dans lequel elle est
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (20/20)
effectuée, mais bien la collection d’ADN et le consentement à l’utilisation peut-être décalée dans
le temps qui en sera faite.
 de favoriser de multiples façons le détournement de la loi : requalification en recherche avec BID,
présentation de la recherche comme du diagnostic médical ou du soin,…
L’article 15 de la loi de février 2002 prévoit maintenant une dérogation à cette obligation pour les
recherches en épidémiologie, génétique, physiologie et physiopathologie, à la condition que ces recherches
s’inscrivent dans le cadre habituel des activités des professionnels qui les conduisent, ce que les CCPPRB
devront vérifier. Un texte d’accompagnement de la DGS devrait préciser les modalités d ‘application de ce
texte, notamment en ce qui concerne l’inscription au fichier national des malades ou volontaires inclus dans
des recherches SBID correspondant aux dérogations prévues par la loi.
Art. 15 de la loi Loi n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé
L'article L. 1124-6 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé:
“Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, les recherches sans
bénéfice individuel direct en épidémiologie, génétique, physiologie, physiopathologie peuvent être réalisées par des professionnels de santé, dans leurs
lieux d'exercice habituel lorsque ces recherches ne nécessitent pas d'actes
autres que ceux qu'ils pratiquent usuellement dans le cadre de leur activité
médicale. Le comité consultatif de protection des personnes dans la recherche
biomédicale s'assure alors, avant de rendre son avis, que les conditions du
présent article sont satisfaites. ”
5. Promotion institutionnelle/industrielle
La loi Huriet de décembre 1988 s’inspire largement des Bonnes pratiques cliniques (22), traduites et
publiées peu avant, en 1987, par le Ministère de la santé. Il en va d’ailleurs de même de la directive
européenne, comme l’indique sans ambiguïté son article 1.
Il n’est donc guère surprenant que la promotion des essais cliniques, dans les deux textes, ne soit
envisagée que sous l’angle des études concernant les médicaments initiées par l’industrie pharmaceutique.
Sont ainsi légitimes les exigences concernant les médicaments eux-mêmes (traçabilité, toxicologie,
stockage, etc.), le monitoring de l’étude (contrôle des données, déclaration des effets indésirables, etc.),
aussi bien que la prise en charge des coûts de la recherche par l’industriel à l’origine de l’essai. La finalité de
la recherche dans ce contexte est bien la mise au point d’un médicament, avec en cas de succès, une
demande d’autorisation de mise sur le marché, garantissant à terme pour la firme le retour sur
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (21/21)
investissement. L’article R.2038, qui affirme le lien entre le promoteur et le payeur d’une étude, impose
logiquement à la charge de ce promoteur la gratuité des "médicaments et objets ou matériels", des " frais
supplémentaires liés à d’éventuelles fournitures ou examens complémentaires…" ainsi que ceux liés "au
fonctionnement des établissements publics ou privés". Ces dispositions n’étaient pas dans la loi Huriet ellemême, elles ont été introduites dans le décret de 1990.
Pour logiques qu’elles soient dans le contexte de la recherche promue par l’industrie
pharmaceutique, ces dispositions ne s’appliquent qu’avec difficulté à la recherche promue par des
institutions, tels les organismes publics de recherche ou les établissements hospitaliers. Leur rôle dans la
recherche clinique n’était vraisemblablement pas discernable au milieu des années quatre-vingt, mais il s’est
largement affirmé depuis. Trente à quarante pour cent de la totalité des essais cliniques recensés en France
par le Sénateur Huriet, cinquante pour cent des essais en cancerologie (rapport de D Maraninchi ; DGS
2001) ne sont pas promus par des industriels. Ils concernent des études de physio-pathologie,
d’épidémiologie, de génétique, mais aussi, dans le domaine du médicament, des essais post-AMM, des
évaluations de stratégies, de comparaisons ou des combinaisons de produits pharmaceutiques déjà sur le
marché et que l’industrie ne peut ou ne veut généralement pas financer et/ou promouvoir. Il va sans dire que
cette recherche est indispensable au progrès de la santé publique.
Quel qu’en soit le promoteur, les essais médicamenteux de phase 1, 2 ou 3 doivent obéir aux BPC,
aussi contraignantes soient-elles. En revanche, la recherche physio-pathologique (cognitive), l’épidémiologie
clinique, les évaluations ou comparaisons de pratique médicale, la recherche en génétique obéissent à
d’autres règles, même si les impératifs de sécurité pour les patients et de qualité des données sont
identiques :
 leur finalité n’est pas la même ; ce qui est visé dans la recherche institutionnelle, ce n’est pas la
mise sur le marché d’un médicament, mais une publication scientifique de qualité, après revue et
acceptation par les pairs ("peer reviewing")
 le plus souvent, c’est l’investigateur qui est à l’initiative du projet, à la différence de la promotion
industrielle, où le projet est initié par la firme et pour être ensuite confié aux cliniciens pour sa
mise en application
 la sanction d’une recherche de mauvaise qualité ne sera pas le refus d’une AMM, mais l’absence
de publication, ou la réfutation de ses conclusions apportée par des études contradictoires,
quelquefois après plusieurs années.
 les budgets mobilisés sont sans commune mesure, plusieurs dizaines de millions de francs dans
un cas, quelques centaines de milliers de francs le plus souvent dans l’autre.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (22/22)
 beaucoup de ces recherches étant sans risque (études observationnelles, simple prélèvement de
sang, mise au point de stratégies diagnostiques,…) , le monitoring peut être allégé, quelquefois
considérablement.
La Délégation à la Recherche Clinique de l’AP-HP a mis au point une échelle graduée de monitoring,
fonction du risque encouru par les patients (ou les volontaires) au cours de l’étude (Annexe VI)
Beaucoup de ces études étant simplement observationnelles, et, dans le cas d’essais de phase 4 ou
de mises au point de stratégie thérapeutique, les patients devant de toutes façons être traités, l’obligation de
gratuité à la charge du promoteur est inadéquate. En cas d’essai multicentrique, le décret de 1990 impose à
l’établissement promoteur de fournir aux autres hôpitaux participant à l’essai les médicaments qu’ils auraient
dû payer hors protocole. La directive européenne d’avril 2001 ouvre la porte à la reconnaissance de la
spécificité de la promotion institutionnelle dans son considérant #14 : "des essais cliniques non commerciaux
conduits par des chercheurs sans la participation de l’industrie pharmaceutique peuvent être très bénéfiques
pour les patients concernés."
Recommandation 5
Identifier et définir dans la loi les deux types de promotion, industrielle et
institutionnelle
6. L’obligation de gratuité à la charge du promoteur
Nous avons vu plus haut que le décret de 1990 avait obligé le promoteur (art. R.2038) a fournir
gratuitement les médicaments ou dispositifs soumis à évaluation dans le cadre de la loi Huriet. De plus, “ le
promoteur prend en charge les frais supplémentaires liés à d’éventuels fournitures ou examens
spécifiquement requis par le protocole de l’essai ”. Ces dispositions, dont on comprend bien la finalité dans le
cadre strict de la recherche médicamenteuse, posent des difficultés inextricables hors de celui-ci. Les
industriels du GBM ont maintes fois dénoncé les effets pervers de ces dispositions, qui les amènent à
transgresser la loi, à ne pas évaluer les dispositifs ou à délocaliser leur recherche. Mais l’absurde est atteint
dans le cadre des essais multicentriques d’évaluation ou de comparaison de pratiques médicales à
promotion institutionnelle. Dans ces cas en effet l’organisme promoteur, une DRC hospitalière, un
établissement public, doit prendre en charge la totalité des financements de traitements qui de toutes façons
nécessaires, auraient été payés par les hôpitaux.
L’obligation de gratuité a régulièrement été dénoncée par les promoteurs institutionnels et par des
associations de malades, notamment celles qui concernent la pathologie du VIH. L’ANRS (annexe VII) a
ainsi obtenu de la CNAMTS, par le passé, de façon exceptionnelle, une dérogation au principe de la gratuité
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (23/23)
pour certains grands essais multicentriques dont elle était promoteur (essais ANRS 073 Novadir, ANRS 089
Initio, ANRS 104 Puzzle). Un groupe de travail comprenant des représentants de la DGS, de la DHOS, de
l’AFSSAPS et de la CNAMTS, a été récemment constitué au Ministère de la santé, sous la présidence du Pr
Christine Katlama. Il est chargé de proposer une modification de l’article R-2038. Ses conclusions définitives
ne sont pas encore connues à l’heure actuelle (août 02), mais l’orientation des travaux serait de permettre
une dérogation au principe des la gratuité sous plusieurs conditions : que l’essai présente un intérêt de santé
publique, que le promoteur soit un organisme de recherche public, que ces dérogations soient étudiées par
un comité ad hoc.
Recommandation 6
Moduler l’obligation de gratuité à la charge du promoteur, notamment en
cas de recherche promue par une institution publique.
7. L’évaluation scientifique des projets
L'’évaluation scientifique des projets devrait être un des temps majeurs de la procédure d’autorisation ;
nous avons vu (tableau 1) qu’elle constitue une des mesures généralement reconnues comme étant
particulièrement protectrices des patients qui se prêtent à la recherche. L’article L.1121-2 de la loi Huriet dit
que la recherche n’est possible que si elle se fonde "sur le dernier état des connaissances scientifiques, et
sur une expérimentation pré-clinique suffisante". Le Projet de protocole additionnel à la Convention sur les
Droits de l’homme et la biomédecine relatif à la recherche biomédicale du Conseil de l’Europe insiste sur ce
point à plusieurs reprises (articles 8, 9, 10 et 12). Mais les modalités d’application de ce principe pourtant très
fort restent largement floues, et la loi ne précise jamais explicitement à qui revient finalement la
responsabilité de cette évaluation.
Trois acteurs dans la procédure d’autorisation peuvent en réalité revendiquer ce rôle, les CCPPRB, le
promoteur et l’autorité administrative.
a) les comités de protection
Ils ont certes une mission d’expertise scientifique, mais celle-ci est exprimée sous une forme
suffisamment modeste (art L.1123-7 : "le comité rend son avis…au regard de la pertinence générale du
projet et de l’adéquation entre les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre, ainsi que de la
qualification des investigateurs") pour qu’elle soit récusée par de nombreux investigateurs, qui ne
reconnaissent aux CCPPRB que leur mission éthique, voire même non revendiquée par certains comités
eux-mêmes. Il a souvent été reproché aux comités leur absence d’expertise dans certaines disciplines
médicales spécifiques, telles la cancérologie, la pédiatrie, la génétique ou le génie biomédical. La directive
européenne demande que dans certains cas, certes limités (la pédiatrie, art. 4 ; les incapables majeurs, art.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (24/24)
5), le comité soit doté de compétences dans le domaine considéré. On pourrait aussi à cet égard revenir sur
la compétence régionale des comités, inscrite dans la loi de 1988. La Hollande soumet certains projets sans
BID à un comité national, les Etats Unis ont récemment mis au point à l’échelle fédérale des comités
spécialisés dans l’étude des projets multicentriques (23). Même en restant dans le cadre actuel (des comités
“ généralistes ” de dimension régionale), une solution déjà utilisée par de nombreux comités consiste à
solliciter des experts extérieurs, parfois rémunérés, dans les domaines où ils n’ont pas la compétence
scientifique. Il faut réaffirmer ici que même si la mission première des CCPPRB est l’appréciation éthique des
protocoles, celle-ci ne peut s’effectuer de façon totalement découplée de la validation scientifique.
Néanmoins, il est généralement admis en France à cet égard que c’est la mission de l’autorité compétente
(DGS ou AFSSAPS) que d’assurer l’évaluation scientifique des projets, même si cela n’est pas explicitement
indiqué dans la loi. Il est intéressant de noter ici que cette conception, défendue à Bruxelles par les
représentants français dans le cadre de la rédaction des textes d’accompagnement de la directive, n’est pas
partagée par tous les Etats membres ; ainsi, en Italie et aux Pays Bas, la totalité de l’évaluation, éthique et
scientifique, est effectuée par les comités éthiques.
b) le promoteur
Suivant qu’il s’agisse ou non d’un essai médicamenteux, la situation diffère sensiblement.
 essais autres que médicamenteux, à promotion généralement institutionnelle, académique, non
industrielle. Le projet émane le plus souvent de cliniciens-chercheurs, il va être expertisé par le
promoteur avant d’être accepté. A l’INSERM, à l’ANRS, dans les Direction de la Recherche
Clinique des établissements hospitaliers, des comités d’experts assurent cette fonction
d’évaluation scientifique (au minimum 2 experts par dossier, dont l’un est généralement
extérieur à l’institution, voire étranger, et un rapporteur qui en fait la synthèse). Il en va de même
des organismes qui financent cette recherche clinique, sans la promouvoir pour autant : la
Fédération des centres de lutte contre le cancer, le PHRC du Ministère de la santé, les
fondations privées telles l’AFM, le GELA, la Ligue contre le cancer, etc... et qui soumettent à
des comités scientifiques les protocoles qui leur sont adressés avant de les financer,
indépendamment de l’évaluation qui sera répétée en aval.
 Les essais médicamenteux : le protocole est généralement élaboré par le promoteur industriel,
puis proposé à l’investigateur, et adressé sous une forme sommaire ("la lettre d’intention") à
l’Agence, avec l’avis du CCPPRB. Le promoteur dans ce cas ne peut exercer une fonction
d’expertise indépendante, même si son intérêt est bien évidemment que le protocole soit le
meilleur possible. L’analyse scientifique que doit réaliser en aval l’autorité compétente, ici
l’AFSSAPS, apparaît alors essentielle.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (25/25)
c) l’autorité administrative
Le niveau d’exigence en matière d’expertise scientifique de l’autorité compétente requis par la loi
Huriet n’est pas aujourd’hui très élevé. Les informations dont va disposer l’Agence pour accomplir cette
mission sont réglementairement très limitées, même si en pratique les dossiers transmis sont de plus en plus
détaillés. Outre le détail des informations toxicologiques se rapportant au médicament contenu dans l’article
R.2033, l’article R.2035 précise seulement que le promoteur transmet à l’autorité compétente le «protocole
de la recherche ».
La directive va se montrer plus contraignante. En transformant la lettre d’intention que le promoteur
adresse à l’autorité compétente en une demande expresse d’autorisation, la directive élève ce niveau
d’exigence, de façon à permettre à la tutelle de délivrer son autorisation avec discernement, ce que traduit la
liste des documents qui doivent lui être fournis (art 9.8-a). Lors de leur audition par le Sénateur Huriet (9), les
représentants de l’AFSSAPS ont souhaité la réalisation d’un document unique, destiné aux CCPPRB et à
elle-même, et qui contiendrait : le contenu du protocole, la brochure pour l’investigateur, la note d’information
pour le patient, les dates de début et de fin réelles de l’essai, etc.
Indiquons ici qu’une évaluation méthodologique supplémentaire est parfois réalisée lors du passage
du projet devant le comité consultatif de la CNIL (voir plus loin).
Recommandation 7
Préciser dans la loi quelle(s) instance(s) est (sont) responsables(s) de
l’évaluation scientifique des projets de recherche
8. La recherche sur les enfants
Les recherches sur les enfants sont à la fois essentielles et difficiles. Elles sont essentielles parce
que les enfants constituent une population vulnérable pour qui le progrès médical est à l’évidence
nécessaire. Mais aussi parce que les médicaments utilisés par les enfants sont sous évalués, pour de
nombreuses raisons éthiques, techniques, et économiques en raison du petit marché concerné. Certains
sont utilisés en pédiatrie sans avoir reçu une AMM de pédiatrie, ou avec une autorisation dans une autre
indication. Il n’y a pas assez de formes galéniques adaptées à l’enfant. Aux Etats-Unis, le Président Bush a
signé le 4 01 02 le ”Best Pharmaceuticals for Children Act ” destiné à développer la recherche
pharmacologique et les essais cliniques chez les enfants. Selon le Lancet du 9 mars 2002, cette nouvelle
législation aurait déjà considérablement stimulé ce secteur. Une récente résolution du Conseil de l’Europe,
publiée le 19 01 2001, recommande le développement des essais thérapeutiques en pédiatrie (24). La
directive européenne d’avril 2001 sur la recherche clinique, dans son considérant #3, y insiste pareillement.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (26/26)
Néanmoins, aucune de ces incitations à développer les essais ne s’attache à résoudre les
problèmes bien réels de la recherche en pédiatrie, car ces essais, pour souhaitables qu’ils soient, n’en sont
pas moins très difficiles à réaliser, tant sont grandes les réticences –compréhensibles- des parents à qui il
est demandé de consentir. Dutertre et collaborateurs (25) avaient en 1991 réalisé une enquête sur des
parents d’enfants qui venaient de naître dans deux maternités du CHU de Tours. Seuls 21% de ces parents
disaient qu’ils accepteraient qu’un de leurs enfants participe à un essai. Si l’on exigeait l’accord des deux
parents, conformément à la loi de décembre 1988 (ils étaient interrogés séparément), un essai ne devenait
possible que dans 12% des cas.
Les pédiatres, par la voix de leur société savante, la Société Française de Pédiatrie, insiste sur deux
difficultés supplémentaires introduites par la loi, le nécessaire consentement des deux parents et la nécessité
pour les recherches SBID d’être menées dans des lieux agréés. Nous avons déjà mentionné ce deuxième
point, en principe réglé par la loi “ droits des malades ” de février 2002.
Mais une difficulté récurrente reste que la loi Huriet demande que le consentement dans le cas des
mineurs soit donné par les deux parents. Cette disposition n’est pas contestable sur le fond, mais en pratique
elle rend impossible de nombreuses recherches, tant il est fréquent qu’un seul parent soit l’interlocuteur de
l’équipe médicale, au moins dans le cas des pathologies bénignes. Une association de pédiatres du Val de
Marne, ACTIV (annexe VVIII), propose que pour des essais sans risques supérieurs à ceux des soins
courants l’accord d’un seul parent soit demandé, conformément à l’article du 372-2 du code civil dans le cas
de soins dits “ usuels ”. Mais on bute à nouveau sur cette évidence que la recherche n’est pas du soin. Il est
à noter que la directive Européenne sur ce point précis demande aussi le consentement des parents (au
pluriel dans les deux versions, française aussi bien qu’anglaise).
Les difficultés propres à la pédiatrie sont encore accentuées en oncopédiatrie. La rareté des cancers
de l’enfant (et donc la difficultés d’obtenir des cohortes de patients de taille suffisante), l’urgence dans
laquelle les traitements doivent être débutés, le désarroi des familles, les lourdes contraintes des traitements
proposés (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie), tout concourt à rendre intolérables les choix devant
lesquels sont placés les parents. Il est probablement difficile, et pourtant indispensable, dans ce contexte
d’extrême souffrance de faire nettement la différence entre le soin courant, validé, usuel, et un protocole de
recherche, avec sa motivation altruiste et ses incertitudes. L’oncopédiatrie est sans doute le domaine où la
“ thérapeutic misconception ” (20) est la plus enracinée dans les pratiques médicales, dans ses deux
versants, médical et parental : la Société française d’oncologie pédiatrique (SFOP) indique que 80% des
enfants traités dans son réseau de soin sont inclus dans des ssais thérapeutiques. Le chiffre est pourtant
notoirement inférieur en cancérologie de l’adulte.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (27/27)
Après avoir été saisis par des parents d’enfants atteints de tumeurs malignes, par ailleurs en procès
avec l’Institut Gustave Roussy, le Médiateur de la République et le Défendeur des enfants ont conjointement
proposé en janvier 2002, à l’occasion de la révision des lois bioéthiques, des modifications de la loi Huriet
concernant les enfants (26). Ils proposent que les personnes incluses dans un essai, ou leurs ayants droits
en cas de décès, reçoisent après la fin de l’essai les conclusions qui en ont été tirées. Pour améliorer le
fonctionnent des comités de protection, ils proposent de rendre obligatoire l’information en fin d’essai du
CCPPRB par le promoteur. Ils demandent aussi à ces comités de se doter de compétence en pédiatrie si
cela n’est pas déjà le cas, comme le recommande d’ailleurs la directive. Ils s’interrogent sur l’introduction
d’associations de malades (de parents) dans le processus d’autorisation. Enfin, ils demandent aux CCPPRB
de bien veiller à ce que les documents remis aux parents soient lisibles, que le mot “ randomisé ” soit
remplacé par un équivalent moins obscur (tirage au sort ?) et que le placebo soit banni au profit du traitement
de référence.
9. La recherche en génétique
Alors que la recherche en génétique se développe à une vitesse extraordinaire depuis le milieu des
années quatre-vingt dix, le dispositif mis en place par la loi Huriet lui est particulièrement inadapté. Cette
recherche consiste pour l’essentiel en la réalisation de banques d’ADN à partir d’échantillons sanguins
prélevés sur les patients eux-mêmes et les membres de leur famille. Cette recherche étant SBID, les
prélèvements sanguins doivent impérativement être effectués dans des lieux autorisés, ce qui s’est révélé
impraticables dans le cas de familles étendues, éparpillées sur tout le territoire, et bien entendu concernant
des personnes non hospitalisées. Cette situation de blocage a, plus que dans d’autres disciplines médicales
encore, induit un contournement de la loi, que la recherche se retrouve assimilée à une activité de
diagnostic, donc qualifiée de soin, et échappant de ce fait à la loi ou que se multiplient des prélèvements dits
d’"opportunité", par exemple l’utilisation de "fonds de tubes" à l’insu des patients.
Même si on est là dans la situation caricaturale où une procédure inadaptée induit en fait une
diminution de la protection des patients, ou au moins une absence totale de transparence, il y a plus grave :
dans ce type de recherche, le prélèvement de sang sur lequel est concentré toute la vigilance de la loi n’est
rien, au regard de la difficulté du concept de consentement éclairé. Bernard Barataud (17) écrit qu’il s’agit ici
moins d’une action sur le corps de l’autre que d’une recherche sur les éléments détachés de son corps. Le
malade ou la personne prélevés n’en doivent pas moins être informés sur, et consentir à l’utilisation
potentielle de leur DNA, même dans un futur très lointain (leurs cellules ne sont-elles pas "immortalisées" ?),
même si l’on ne peut aujourd’hui décrire dans quel cadre et pour quelle recherche précisément. Dans ce cas
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (28/28)
très particulier, la loi devra vraisemblablement préciser le contenu de ce consentement, de façon à garantir le
contrôle que la personne aura sur l’utilisation future, y compris marchande, des éléments de son corps.
Dans le domaine de la génétique, les plus grandes difficultés rencontrées par les investigateurs et les
promoteurs sont l’accumulation de textes (lois bioéthiques, loi Huriet, décrets d’applications existants ou au
contraire non parus…), pas toujours concordants, traitant des banques et collections de « tissus » : « le
cadre légal français s’appliquant à ces essais est particulièrement composite et parfois lacunaire. » écrit B.
Barataud dans son rapport au conseil Economique et social.
Recommandation 8
Préciser les modalités du consentement à la recherche en génétique.
Clarifier et harmoniser les différentes dispositions concernant les banques
et collections de matériel biologique
10. Les dispositifs médicaux
Il n’y a pas d’autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs médicaux (DM), mais une
homologation valable pour toute l’union européenne (libre circulation des marchandises), qualifiée de
marquage CE. Elle est organisée par la loi du 18 janvier 1994, modifiée en 1995 et 1998, ainsi que par
l’ordonnance du 1er mars 2001, transcriptions en droit français des directives européennes de 1990 et 1993.
Le marquage CE est délivré par un “ organisme certifié ” (un seul en France), et non par l’AFSSAPS,
contrairement aux médicaments.
Les essais cliniques ne sont indispensables que pour certains dispositifs considérés à risque (de
classes III et II b). Selon l’annexe X du livre V bis du Code de la Santé Publique, l’homologation peut dans ce
cas se fonder sur deux voies distinctes : des essais proprement dit, ou une analyse pertinente de la
littérature, si le dispositif est considéré peu innovant par rapport à un produit déjà autorisé.
Les essais cliniques doivent se dérouler conformément à la loi Huriet. Plusieurs textes actuellement
en cours d’élaboration ou de révision (notamment la norme EN 540) devraient dans un proche avenir
préciser les spécificités de l’évaluation liées aux DM. A noter que ce travail s’effectue principalement au
niveau européen. A l’occasion de la présidence française de l’Union Européenne en 2001, la Direction de
l’évaluation des DM de l’AFSSAPS a préparé un rapport sur le “ développement de l’évaluation clinique des
DM ” et a relancé les travaux d’harmonisation européenne et de normalisation.
Les dispositifs médicaux comportent de nombreuses particularités : c’ est un domaine d’une très
grande hétérogénéité, puisque les dispositifs vont des compresses, attelles et stéthoscopes aux
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (29/29)
équipements radiologiques lourds, scanner et IRM compris, en passant bien entendu par les dispositifs
implantables, tels les stimulateurs, défibrillateurs et les stents. Les essais vont concerner en général de petits
nombres, de très courtes séries. Dans les essais, l’aveugle est rarement possible ; le pre-requis est moins
standardisé que pour les médicaments ; le coût unitaire de ces DM est parfois très élevé. Les industriels de
ce secteur mettent en avant d’autres particularités : une évolutivité très forte, ce qui implique la rapide
obsolescence de nombreux dispositifs, dont la durée de vie peut aller de 6 mois à quelques années. La firme
Medtronic déclare que 70% de son chiffre d’affaire est réalisé avec des produits de moins d’un an. Or les
processus habituels de validation, dans le domaine du médicament par exemple, sont beaucoup plus longs,
atteignant le plus souvent plusieurs années. Avec de nombreuses exceptions, c’est aussi un domaine
imprégné par une tradition d’ingénieur plus que par une culture médicale, notamment dans le domaine de
l’évaluation ; ainsi, l’étape de l’homologation (marquage CE) est ressentie comme essentielle, plus que celle
des essais cliniques, dans une conception de l’évaluation performance /risque plus que efficacité
(clinique)/risque. Les industriels de ce secteur développent aussi une conception très “ incrémentale ” de
l’évolution technologique dans leur domaine, avec des améliorations incessantes, de faible amplitude, et qui
conduisent à modifier un produit déjà utilisé, sans qu’il y ait véritablement à un moment donné de “ gold
standard ”. Cette particularité s’opposerait aussi selon eux à une évaluation traditionnelle basée sur de
grands effectifs, une randomisation, la comparaison avec un groupe contrôle et les grandes durées
habituellement jugées nécessaires pour réaliser ces essais.
Le problème de l’obligation de gratuité totale de l’essai à la charge du promoteur a été sans cesse
mis en avant par les industriels et leur représentant, le SNITEM. Pour les raisons listées plus haut (coût
unitaire élevé, forte évolutivité des produits incompatible avec les délais des essais cliniques habituels,
fréquente obligation de recourir au traitement, “ desimplantation ” impossible le plus souvent…) la mise à
disposition gratuite pendant la durée de l’essai est présentée par le SNITEM depuis dix ans comme un
obstacle majeur au développement des essais de DM en France, facteur de délocalisation des essais ou de
contournement de la loi. A l’AFSSAPS et à l’échelon européen, on dit être très intéressé par la solution nordAméricaine utilisée par la FDA : la réalisation, après une courte série d’essais pilotes, d’essais plus vastes,
mais au cours desquels les industriels ont la possibilité de vendre les dispositifs, à un prix négocié (“ pre
market approval ”). Signalons ici que le SNITEM demande inlasssableemnt : 1. La suppression (ou
modulation) de l’obligation de gratuité (Art. R. 2038) ; 2. La mise au point de procédures d’évaluation allégée,
identiques à ce que demandait la plate-forme des sociétés savantes.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (30/30)
11. Le suivi de l’essai
Il est généralement admis que le suivi de l’essai est un élément essentiel de protection des patients
(tableau 1). Par suivi, il faut entendre l’identification et la déclaration des effets indésirables, le monitorage de
l’essai par un comité indépendant, et aussi l’information des patients/familles à la fin de celui-ci.
Trente à 40 000 effets indésirables sont déclarés à l’AFSSAPS chaque année. Le chiffre donne une
idée de la difficulté de traiter cette masse d’informations, de faire la part des accidents effectivement
imputables à la recherche et qui vont justifier une intervention de la tutelle, et de ceux qui correspondent à
l’évolution de la maladie ou sont sans rapport ni avec l’une ni avec l’autre. Les représentants de l’industrie
pharmaceutique relèvent d’ailleurs que dans ce domaine les exigences sont bien supérieures en France à ce
qu’elles sont dans les autres pays européens ; la directive ne demande la transmission à l’autorité
compétente que des effets indésirables imprévus. Le nombre d’effets indésirables déclarés à la DGS dans le
cadre des essais non médicamenteux n’est pas connu, mais il est selon toute vraisemblance beaucoup plus
faible, en relation avec la nature différente des essais qui lui sont transmis et la probable insuffisance du
monitorage réalisé par les promoteurs institutionnels.
La lecture de la presse médicale internationale apprend que certains essais médicamenteux, donc
avec BID, aboutissent à une surmortalité dans le bras "nouveau traitement". En fait, dans pratiquement tous
ces cas, un comité de surveillance, le Data Monitoring and Safety Board en anglais (DMSB), organisé à
l’initiative du promoteur, mais qui en est indépendant, a décidé d’interrompre l’essai sans attendre qu’il soit
terminé. La fonction de ce comité est de contrôler le déroulement des essais et d’en suivre les résultats, qui
lui sont communiqués au fur et à mesure des inclusions (5, 8, 27). Le comité indépendant est habilité à lever
l’insu en cas de besoin et à interrompre l’essai s’il estime que la sécurité des patients est menacée. Ces
comités sont aujourd’hui un élément crucial de sécurité des essais "à risque", par exemple ceux que l’on va
proposer dans des maladies au pronostic très sombre (cancérologie, réanimation, médecine d’urgence,
neurologie, etc. ), les thérapeutiques innovante (thérapie génique) ou encore les dispositifs invasifs…Les
DMSB sont recommandés dans le guide ICH des bonnes pratiques (22), dans les recommandations du MRC
britannique pour la recherche clinique, mais ne figurent ni dans la loi Huriet ni de façon plus surprenante
dans la toute récente directive européenne.
Recommandation 9
Préciser les caractéristiques des essais qui rendent nécessaire la constitution d’un comité de suivi ad hoc indépendant (DMSB).
Prévoir une disposition demandant aux CCPPRB de se prononcer
systémati-quement sur la nécessité de créer un tel comité.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (31/31)
12. L’information des patients/famille à la fin de l’essai ; l’obligation de publication de tout
essai terminé
La communication de ses résultats aux participants d’un essai n’a pas été prévue dans la loi Huriet,
dont l’article 1123-7 précise de façon plutôt restrictive à cet égard que le CCPPRB "rend son avis au
regard…de l’information (des participants) avant et pendant la durée de la recherche". Mais les associations
de malades demandent maintenant avec de plus en plus en plus d’insistance que les résultats d’un essai
soient transmis à son terme aux patients qui y ont participé. Cette préoccupation a été récemment reprise
dans la littérature médicale (28). La Fédération des Centres de lutte contre le cancer prépare avec son
comité de patients des recommandations sur ce sujet. Cette position s’inscrit dans une démarche plus
générale visant à considérer les sujets qui se prêtent à la recherche comme des partenaires de cette
recherche, en conformité avec l’avis # 58 du CCNE (14 ,16). A côté d’ailleurs de cette volonté de
transparence, l’information systématique des résultats d’un essai aurait une grande portée pédagogique,
aussi bien pour les personnes enrôlées dans des essais que pour les investigateurs. Ce souci d’associer
plus étroitement les personnes qui se prêtent à la recherche a également fait l’objet d’une recommandation
du rapport de Claude Huriet d’avril 2001. Par un amendement déposé par le Gouvernement à la loi “ Droits
des malades ” de mars 2002, il est maintenant acquis (article L. 1122-1) qu’ “à l’issue de la recherche, la
personne qui s’y est prêtée est informée des résultats globaux de cette recherche ”. Néanmoins, de
nombreuses questions doivent encore être résolues dans les textes d’accompagnement : informer qui ? Les
patients eux-mêmes, leur famille en cas de décès, qui dans la famille ? Quid du respect du secret médical ?
Quand informer ? À la fin de l’essai ? Au moment de la publication ? Sur quoi ? Notamment en cas d’essais
négatifs, voire de complications…informer comment ? Avec l’article quand ce dernier sera publié ? Par un
résumé, une information disponible sur un site Web dédié ?
S’il apparaît qu’in fine il revient à l’investigateur de transmettre cette information aux sujets de la
recherche, il faudra alors que ce dernier dispose de la conclusion de l’essai auquel il a participé. Le
promoteur devrait fournir à la fin de tout essai un rapport final, transmis aussi bien aux investigateurs ou à
l’investigateur principal qu’au CCPPRB qui l’avait examiné. Cette obligation de transmettre aux investigateurs
et au CCPPRB un résumé au moins des résultats d’un essai n’est aujourd’hui inscrite dans aucun texte
législatif ou réglementaire, pas plus d’ailleurs que dans la directive, qui ne demande que la communication
de la date et la mention de la fin d’un essai. Tout au plus les Guidelines for good clinical practice (E6)
précisent-elles que : «Upon completion of the trial, the investigator, where applicable, should inform the
institution ; the investigator/institution should provide the IRB with a summary of the trial’s outcome, and the
regulatory authorities with any report required “ (22) .
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (32/32)
Cette exigence nouvelle de transparence accrue va probablement beaucoup plus loin. Si l’on
reconnaît que la finalité de la recherche est bien de produire de la connaissance, et non de traiter
individuellement les patients, les résultats de tout essai, de toute étude doivent en être rendu public (29).
Cette exigence est encore plus forte pour la recherche non thérapeutique. En outre, la publication de
résultats négatifs est essentielle, pour éviter que ne soient répétées des études inutiles. En pratique, la
volonté de publication des investigateurs a pu être contrée par des promoteurs industriels peu désireux de
diffuser des informations négatives sur un de leurs produits. Plusieurs grandes revues médicales ont à ce
sujet publié récemment un éditorial commun, rappelant l’indépendance scientifique des investigateurs face
aux pressions possibles de l’industrie pharmaceutique (30). Il a été suggéré qu’une mission supplémentaire
des comités de protection soit de s’assurer de la volonté des investigateurs de publier les résultats de l’essai
qu’ils envisagent, de la possibilité qu’ils auront de le faire, et de vérifier à distance si cet engagement a été
tenu (29). Néanmoins, il est évident que tous les travaux de recherche ne peuvent être publiées.
L’indépendance des revues scientifiques doit être respectée, et leur capacité à refuser tout article dont elles
jugent qu’il n’atteint pas le niveau de qualité scientifique que leurs éditeurs ont eux-mêmes déterminé doit
rester intangible. La publication sur un site dédié d’un résumé de toutes les études terminées est la solution à
ce problème.
Recommandation 10
Préciser dans un texte explicatif les conditions concrètes de l’information a
posteriori des participants ou de leur famille sur les résultats d’un essai
(article L.1122-1).
Rendre obligatoire la transmission d’un résumé étude terminée aux
investigateurs, aux CCPPRB qui l’avait autorisée et à l’autorité compétente.
Une base de données des essais cliniques accessible sur l’internet.
Depuis 2000, la FDA et le NIH nord Américain ont mis à la disposition de tous les partenaires de la
recherche clinique, sur un site Internet (http://www.clinicaltrials.gov/) une base de données recensant la
totalité des essais cliniques thérapeutiques dans les maladies «serious or life-threatening ». Le site contient
aujourd’hui des informations sur 6500 essais, promus non seulement par des institutions publiques (NIH,
autres instances fédérales), mais aussi par l’industrie pharmaceutique. Le site accueille 7200 visiteurs par
jour et 2 millions de pages sont consultées chaque mois ! Les informations disponibles pour chaque essai
sont : l’intitulé, un résumé, la date de début de l’essai, l’état des inclusions ; les critères d’inclusion, les
informations nécessaires pour contacter les le sponsor ou les investigateurs (annexe IX).
Cette situation tranche évidemment avec la totale opacité dans laquelle nous sommes tenus en
France. D Maraninchi déplore dans son rapport à la DGS l’absence de données concernant les essais en
cancérologie et demande l’inscription de tous les essais de cancérologie dans un site hébergé à l’AFSSAPS.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (33/33)
Le succès immédiat du serveur ORPHANET, consacré aux maladies orphelines et géré par l’INSERM et la
DGS (http://www.orpha.net), montre bien l’intérêt d’une telle structure. L’une des motivations avancées en
faveur de la création d’un site Internet est de permettre à des praticiens, voire à des malades, de se
renseigner sur les essais en cours afin d’en stimuler les inclusions. Plus généralement, la consultation d’un
site devrait permettre d’éviter de lancer des essais redondants, ou déjà terminés ou interrompus. C’est dans
de tels sites que pourrait figurer l’information destinée à des participants à la fin d’un essai. La totalité des
essais étant in fine déclarés en France à l’AFSSAPS ou à la DGS, la réalisation de ce site devrait être
possible. Lors de leur audition par le Sénateur Huriet, CH Belorgey et Ph VElla (AFSSAPS) ont déclaré ( 9) :
« Afin d’améliorer l’information des différents acteurs de la recherche biomédicale, l’Agence propose de
diffuser des registres des essais cliniques, notamment des essais relatifs à certaines pathologies graves ou
rares. …Or il peut exister de nombreuses réticences de la part des promoteurs…Une telle pratique
permettrait d’éviter des essais redondants. L’AFSSAPS est la seule structure à même d’établir et gérer une
telle base de données. »
Recommandation 11
Mettre à la disposition du public sur un site Internet un registre où
figureraient au minimum l’intitulé de tous les essais cliniques déclarés, le
nom et les coordonnées de l’investigateur principal, ainsi que leur date de
début et éventuellement d’interruption de l’essai
Si une telle banque de données était accessible sans restriction, c’est par
elle que pourrait être porté à la connaissance des intéressés les résultats de
l’essai une fois terminé
13) un cas particulier : la recherche médicale en situation d’urgence
La recherche biomédicale en situation d’urgence a toujours posé des problèmes insolubles aux
juristes et législateurs. En effet, dans le cas de l’urgence « vraie », tels un arrêt cardiaque, une hémorragie
foudroyante, un poly traumatisme routier, une détresse respiratoire ou un état de choc, non seulement la
victime est par définition inconsciente ou au moins « incompétente », mais son représentant légal, si par
chance il existait, n’est le plus souvent pas joignable sur le champ.
La loi de décembre 1988 s’était révélée à cet égard particulièrement pragmatique. En effet, Claude
Huriet avait été averti des problèmes particuliers de la recherche en réanimation et en médecine d’urgence
par le président de la Société de Réanimation de Langue Française, le professeur Jean-Daniel Tempé. Ce
dernier lui avait remis un texte reflétant la position officielle de la SRLF (31), qui insistait sur les difficultés du
consentement particulières à la réanimation. Ainsi la loi de décembre 1988 avait-elle prévu (article 209-9)
que : «… en cas de recherches biomédicales à mettre en oeuvre dans des situations d'urgence qui ne
permettent pas de recueillir le consentement préalable de la personne qui y sera soumise, le protocole
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (34/34)
présenté à l'avis du comité instauré par l'article L. 1123-1 peut prévoir que le consentement de cette
personne ne sera pas recherché et que seul sera sollicité celui de ses proches s'ils sont présents. L'intéressé
est informé dès que possible et son consentement lui est demandé pour la poursuite éventuelle de cette
recherche ». Signalons ici, incidemment, que la réanimation n’est pas mentionnée dans le texte, mais que le
débat parlementaire de 1988 ne laisse aucun doute sur la similitude des deux situations (voir encarts) dans
l’esprit des rédacteurs de la loi, la réanimation et la médecine d’urgence.
Rapport de Mr Claude Huriet, Sénateur, Commission des Affaires Sociales (Annexe au Procès-verbal
de la séance du 11/10/1988) . Dispositions spécifiques aux malades en situation d'urgence
« Pour les malades en situation d'urgence, par exemple hospitalisés en service
de réanimation, et qui seraient dans l'impossibilité de donner leur consentement,
on peut autoriser à ce que soient pratiquées sur eux des recherches à finalité
thérapeutique, à la condition expresse que le Comité d'Ethique ait été
préalablement consulté. En tout état de cause, on ne pourra pratiquer chez eux
des recherches sans finalité thérapeutique. »
Assemblée Nationale : discussion du projet de Loi sur la protection des personnes. B. Charles
(rapporteur), 12 Déc. 1996
« Le sous-amendement (sur la recherche sans bénéfice direct) ... étend les
dispositions de l’article 209-3 aux malades en situation d’urgence, sur lesquels il
peut être nécessaire d’effectuer des recherches à finalité non thérapeutiques
directes (dans la mesure où celles-ci sont indispensables aux progrès
thérapeutiques dans le domaine de l’urgence et notamment de la réanimation ».
Les dispositions de la loi de 1988, particulièrement libérales, vont être revues lors de la révision de
1994. Les proches ont été remplacés par les membres de la famille. Surtout, la possibilité de procéder à la
recherche sans consentement va être limitée à la recherche avec bénéfice individuel direct, revenant
d’ailleurs à une propositin initiale de Claude Huriet. Il faut dire que de nombreux juristes étaient
particulièrement hostiles à cette disposition (encart)
Dominique Thouvenin. Commentaire législatif, actualités législatives Dalloz, 1989 (Page 48)
« Alors que la personne concernée ne peut exprimer son accord, ce texte (loi du 2012-1988) officialise une règle pour le moins douteuse qui consiste à autoriser
quelqu'un à prendre une décision à la place d'autrui, alors que c'est son propre corps
qui est en jeu »
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (35/35)
« Chaque fois que le recueil du consentement est impossible à obtenir, aucune
recherche ne saurait être possible »
Même avec ces restrictions, la loi française avait donc permis que se poursuive la recherche dans un
domaine particulièrement sensible et important. La directive pourrait cependant conduire à réviser ce statu
quo, puisqu’elle n’autorise aujourd’hui aucune dérogation au consentement, notamment au titre de l’urgence.
Les dispositions actuelles n’ont pas manqué de susciter de fortes réserves dans la communauté médicale,
inquiète de voir menacés des pans entiers de la recherche médicale, et qui s’est exprimée, soit dans des
articles au titre éloquent : « Implications of the EU directive on clinical trials for emegency medicine : many
trials in emergency medicine will not be possible » (32) ou dans la démarche de sociétés savantes
Européennes (33).
Le projet de protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l’homme et la biomédecine, relatif
à la recherche médicale (Comité directeur pour la bioéthique du Conseil de l’Europe), autorise pourtant la
recherche sans consentement en situation d’urgence, sans référence au bénéfice direct, à titre dérogatoire,
et en l’assortissant de conditions particulières :
 une recherche d’une efficacité comparable ne peut être effectuée sur des personnes ne se
trouvant pas dans des situations d’urgence
 la recherche ne peut être entreprise si le projet n’a pas été approuvé spécifiquement pour des
situations d’urgence par l’instance compétente
 les personnes reçoivent toute information pertinente aussitôt que cela devient possible
 le consentement ou l’autorisation quant à la poursuite de la participation doit être obtenu dès que
cela devient raisonnablement possible.
Indiquons enfin ici que cette question de l’ « emergency research » a été l’objet d’intenses débats aux
Etats-Unis, après qu’une « coalition » de sociétés savantes ait publié un manifeste démontrant à quel point
l’interdiction de fait de toute recherche lorsque le consentement était impossible n’était pas éthique (33). La
FDA a finalement autorisé cette recherche, dans des conditions il est vrai particulièrement draconiennes (35),
que nous résumons ici :
1. une situation véritablement urgente, avec risque vital
2. le consentement est impossible
3. rapport risque/bénéfice favorable
4. la recherche est impossible si l’obligation du consentement n’est pas suspendue
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (36/36)
5. définition d’une période de temps au cours de laquelle les efforts seront entrepris pour
contacter un représentant légal (ou la famille) ; documenter ces tentatives
6. accord d’un IRB
7. avant de débuter la recherche, la rencontre des représentants de la « communauté »
concernée ; la réalisation d’une information publique (affiches, annonces radio, télévision…)
8. la communication des résultats de l’étude à cette communauté
9. l’établissement d’un comité de suivi indépendant (DMSB)
10. une procédure pour informer individuellement, le plus rapidement possible, le patient inclus
ou un membre de sa famille
La complexité de cette procédure explique sans doute qu’elle n’a pour l’instant pas été appliquée
très souvent. C’est néanmoins la voie suivie par la firme Baxter pour tester son hémoglobine artificielle en
traumatologie extra-hospitalière.
c) la structuration et le contrôle de la recherche clinique
14. la CNIL et le CCTIRS
La loi du 1er juillet 1994, qui a ajouté un chapitre V bis à la loi de 1978, et son décret d’application (9
mai 1995) ont précisé la procédure à suivre concernant le traitement informatique des données nominatives
dans le cadre de la recherche biomédicale. Ces textes prévoient que les protocoles de recherche comportant
des données nominatives individuelles doivent être soumis successivement à un Comité consultatif
(CCTIRS), placé au Ministère de la recherche, puis à la CNIL. Les missions du CCTIRS sont d’émette un
avis sur “ la méthodologie de la recherche au regard de la loi (du 1er juillet 1994) , la nécessité de recourir à
des données nominatives et la pertinence de celles-ci par rapport à l’objectif de la recherche, préalablement
à la saisine de la CNIL ”.
Une procédure simplifiée a été mise au point avec le SNIP et des organismes publics de recherche,
permettant la soumission groupée de protocoles émanant d’organismes de recherche (INSERM, ANRS) et/
ou correspondant à certaines conditions (Loi Huriet, essais médicamenteux de phases 2 et 3). Continuent
donc de faire l’objet de la procédure “ classique ” certains essais de phases 4 et l’ensemble des recherches
qui n’entrent pas dans le champ de la loi Huriet (notamment en épidémiologie, génétique, pharmacoéconomique, pharmaco-vigilance…).
La commission forte de 14 membres se réunit chaque mois sous la présidence de Madame MJ
Mayaux (INSERM, U292), traite environ 300 dossiers par an, et est soumise à une forte contrainte
puisqu’elle doit rendre ses avis en un mois.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (37/37)
La transposition de la directive européenne de 1995 sur le traitement des données à caractère
personnel (n°95/46/CE du Parlement et du conseil du 24 octobre 1995) a donné lieu à un projet de loi
modifiant notre loi CNIL de 1978. Son article 9 devrait permettre une amélioration de son fonctionnement,
notamment en ce qui concerne les procédures simplifiées et leur champ d’application. En effet, un certain
nombre de remarques concernant le fonctionnement du CCTIRS et émanant d’horizons très divers
(investigateurs, promoteurs institutionnels ou industriels, le SNIP, CCPPRB…) montrent que celui-ci est
encore confronté à de grandes difficultés et n’a peut-être pas encore trouvé pleinement sa place dans le
paysage de la recherche clinique française.
Il est relevé :
 l’absence de moyens affectés à la gestion de ce comité (secrétariat, locaux et personnels dédiés,
etc.) qui rend son fonctionnement assez opaque : pas de rapport d’activité, qui permettrait de
comprendre l’orientation du comité et sa jurisprudence, pas de base de données. Le rapport
d’activité de la CNIL disponible sur son site ne donne que des informations succinctes, ne
permettant pas de cerner le type de protocoles soumis à la CNIL : 1016 demandes d’autorisation
exprimées au titre du chapitre V bis (0,13% de l’ensemble) de 1997 à 2000, et 287 (0.53%) en 2000.
 le positionnement ectopique du comité au Ministère de la recherche, qui peut en partie expliquer
cette indigence, puisque l’ensemble du dispositif consacré à la recherche clinique (loi Huriet) est
situé au Ministère de la santé (DGS), à l’AFSSAPS et dans les DRASS. Cette bizarrerie s’explique
sans doute très simplement par le fait que la loi de juillet 94 a été préparée et signée par François
Fillon, à l’époque ministe de la recherche.
 certains investigateurs ont pu s’étonner que le protocole qu’ils avaient soumis à une instance
concernée par la transmission de données nominatives (la CNIL) subisse en fait une évaluation
scientifique et méthodologique non explicitement prévue par les textes. Ce dernier point est
particulièrement intéressant car il révèle une lacune dans le dispositif d’évaluation et de contrôle de
la recherche clinique dans notre pays. En effet, seuls les protocoles relevant de la loi Huriet font
obligatoirement l’objet d’une évaluation indépendante (cf plus haut). C’est donc bien par un détour
inattendu est sans doute non prévu que certains protocoles subissent une évaluation
méthodologique et scientifique, compte tenu de la composition de la commission : des personnes, dit
la loi, “ compétentes en matière de recherche dans le domaine de la santé, d’épidémiologie, de
génétique, et de biostatistique ”. Par exemple, certains essais observationnels de phase 4 qui ont été
considérés comme hors champ de la loi Huriet, comportent des données nominatives et doivent
donc être examinés par la CNIL avant de pouvoir être débutés. La mission exacte du CCTIRS et son
champ d’intervention méritent certainement d’être précisées.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (38/38)
 Les chapitres V et V bis comportent des modalités de contrôle distinctes. La différence de champ
d’application respectif de chacune de ces dispositions n’apparaît pas toujours clairement aux
investigateurs ou promoteurs, qui souhaitent l’unification des deux filières.
Bien que ses membres travaillent dans des conditions aussi précaires que peu satisfaisantes, le travail
de la commission est généralement déclaré utile et de qualité.
•
•
•
•
Recommandation 12
Repositionner le CCTRIS : à la CNIL ? ou plutôt à la DGS, possiblement au
sein de son comité d’expert
Préciser ou réécrire ses missions
Unifier les dispositions du V bis et du V ter
Faciliter au maximum les procédures simplifiées.
15. Les conditions de fonctionnement des CCPPRB
Les conditions de fonctionnement des comités de protection ont fait l’objet en avril 2001 d’un rapport
d’information du Sénateur Huriet.
Etaient relevés :
 la médiocre, voire l’absence totale de suivi des nominations / démissions des membres des
CCPPRB par les DRASS, dont découle un important absentéismes de leurs membres
essentiellement non-médecins.
 l’opacité de la gestion financière des comités ("fonds de concours"), avec une inégale restitution
des subventions pourtant recueillies
 l’inhomogénéité des comités, d’où résulte une grande diversité dans l’interprétation de la loi et
des avis rendus
 explicable, au moins en partie, par le manque de formation des membres des comités
 l’absence de statut
 la non reconnaissance d’un rôle devenu essentiel des comités, celui de conseil en amont de la
soumission effective des projets.
 L’absence de reconnaissance de la Conférence des CCPPRB, notamment par la tutelle
administrative
D’autres personnalités ou instances ont également signalé certaines difficultés concernant le
fonctionnement des CCPPRB. A l’occasion de la mise en cause d’un protocole de recherche SBID dans les
lipodystrophies du VIH (l’essai ARDA), le Conseil National du Sida et le TRT-5, groupement interassociatif
spécialisé dans le traitement et la recherche dans la pathologie VIH, soulignent l’hétérogénéité des comités,
et relèvent certaines dysfonctions.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (39/39)
Ils proposent :
 la participation aux travaux des comités de membres d’associations de malades
 la création d’une structure de coordination nationale, se joignant ainsi aux propositions du
Sénateur Huriet, ainsi que d’une possibilité d’appel.
 ils souhaitent que les comités soient évalués
Le rapport de Claude Huriet proposait un certain nombre de mesures propres à améliorer cette
situation :
1- doter les CCPPRB d’un statut d’établissement public
2- leur reconnaître le rôle de conseil
3- améliorer leur fonctionnement en
 augmentant le nombre de ses membres à 16 et en supprimant la distinction entre les
titulaires et les suppléants
 assurant le renouvellement effectif des membres absents ou démissionnaires
 organisant la formation des nouveaux membres
 indemnisant certains membres (généralistes, juristes libéraux…)
 rendant obligatoire la transmission des résultats des essais aux comités
La mise en garde de Claude Huriet est importante. Le bon fonctionnement des comités est essentiel
à la sécurité des patients inclus dans les essais. L’exemple Nord-Américain montre les dangers bien réels
que fait courir la déficience de cet élément clé de la procédure, car aucune agence ou Administration
centrale ne peut remplacer l’étape “ locale ”, de proximité. Une attention toute particulière doit être portée au
renforcement de l’action des comités, dans toutes les dimensions listées dans le rapport au Sénat d’avril
2002. Notons cependant que la recommandation de création d’un établissement public n’a pas entraîné une
adhésion générale lors de sa proposition au printemps 2001.
Quel qu’en soit le statut, une structure de coordination des CCPPRB est nécessaire. Il convient
certainement de reconnaître le rôle et de renforcer la Conférence des comités. Ses liens avec la tutelle, qui
doivent respecter leur autonomie, devront cependant être précisés.
Recommandation 13
L’optimisation du fonctionnement et la coordination des comités sont une
priorité, dépendant cependant plus de la réglementation que de la loi
16. L’organisation administrative de la recherche clinique
Le rapport de Claude Huriet dénonçait également :
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (40/40)
 la faible réactivité de la DGS : l’absence de réponse à ses questions, l’absence de dialogue avec
la Conférence des Comités…
 la rareté des informations à destination des membres des comités et des promoteurs,
 l’insuffisance des informations dont dispose l’administration centrale, et notamment l’absence de
base de données sur les essais en cours et les avis rendus
 la mobilisation insuffisante des DRASS.
Il est juste d’indiquer qu’au moment où se situait l’enquête du Sénat, le bureau de la DGS chargé de la
loi Huriet était en pleine réorganisation. Il a depuis été notablement renforcé. Il est cependant notoire que la
DGS n’a jamais eu les moyens en personnel pour mener à bien sa mission tutélaire, et rien ne semble avoir
changé depuis le même constat établi il y a dix ans par l’IGAS.
A la différence de l’AFSSAPS ou de l’INSERM, où siège un comité d’experts (conseil sur les difficultés,
les interprétations de la loi -champ d'application, BID/SBID,…- à destination des investigateurs, des
promoteurs ou des comités, suivi de la loi, force de proposition législative et réglementaire, etc.), il semble
que cette structure n’ait existé à la DGS que de façon intermittente, malgré les recommandations de l’arrêté
de 1994. Il y a pourtant besoin d’une telle structure, placée auprès du DGS.
L’arrêté du 28 avril 1994 en avait listé les missions :
 donner un avis sur toute question relative à la réalisation de recherches biomédicales
 coordonner l’information afin d’harmoniser le fonctionnement des comités
 donner un avis concernant les lieux de recherche sans BID
 donner un avis sur le fonctionnement de ces comités
 examiner les effets indésirables graves …communiqués à la DGS ou à l’AFSSAPS
 proposer toute mesure utile…des demandes d’informations complémentaires ou des mesures de
suspension ou d’interdiction desdites recherches
L’ensemble de ces missions correspond assez bien à celles de l’ “Office of Human Subjects
Research” nord-américain, placé au NIH, Agence du ministère de la santé (36) (annexe X) :
 interprétation de la réglementation et propositions d’évolution
 organisation de la formation des personnels (en ce qui concerne la protection des sujets)
 assistance des comités éthiques (IRBs)
 assistance des investigateurs
 contrôle la base de données centralisée sur les essais et les accidents de la recherche
 conseil au Ministère pour tout ce qui concerne la recherche clinique.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (41/41)
La mission concernant l’examen à la DGS des lettres d’intention mérite sans doute d’être
reconsidérée, cette tâche pouvant être déléguée à une autre instance. Il y a en effet actuellement débat sur
le lieu où l’analyse des dossiers individuels devrait prendre place, nombreux étant ceux qui pensent que ce
n’est dans une Administration Centrale…
Se pose alors la question de savoir où l’analyse finale des quelques centaines de dossiers traités
annuellement par la DGS pourrait-elle être effectuée ? La création d’une Agence de la recherche clinique,
proposée par la conférence des Directeurs Généraux de CHU, la Conférence des présidents de CME de
CHU et la Conférence des Doyens (Gestion Hospitalière, supplt au n° 412, janvier 2002), pourrait être une
solution, complémentaire d’ailleurs de la proposition de Claude Huriet d’avril 2001. Cette solution n’avait pas
été retenue à l’époque par le gouvernement. Une autre proposition, étudiée à la DGS en 1999, était de
rattacher la totalité de ces expertises à l’AFSSAPS, réalisant ainsi un véritable guichet unique pour toute la
recherche clinique, qu’elle concerne ou non les médicaments et les dispositifs.
L’INSERM, organisme public dédié à la recherche médicale, semble pourtant le mieux placé pour
remplir cette tâche, qui entre parfaitement dans le cadre de ses missions statutaires. Cette orientation
correspond aussi à la politique de recentrage sur la recherche clinique menée aujourd’hui par le Pr Ch
Bréchot, son Directeur Général. A l’objection qui a été faite de conflits d’intérêt potentiels (l’INSERM est luimême promoteur et mène des recherches cliniques), il est facile d’opposer qu’un remaniement de
l’organigramme de l’Institut devrait permettre aisément de préserver l’autonomie de cette nouvelle Direction.
Si ce dernier choix était retenu, il conviendrait de scinder le comité d’experts prévu dans l’arrêté de
1994 en deux comités distincts :
 l’un, dont la vocation serait d’étudier les protocoles de recherche ne comportant pas l’étude de
médicaments, serait à l’INSERM le symétrique du comité d’experts de l’AFSSAPS (dit aujourd’hui
« comité Bégaud », du nom de son président)
 l’autre, à la DGS, regroupant des représentants des autres comités permettrait aux services
compétents de l’Administration Centrale de se consacrer à leurs missions régaliennes d’arbitrage,
d’appel, de conseil, de réflexion technique, scientifique et/ou éthique, et de force de proposition
réglementaire et administrative sur la recherche clinique et la protection des personnes.
Recommandation 14
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (42/42)
Reformuler l’arrêté de 1994 qui portait création à la DGS d’un groupe
d’experts sur les recherches biomédicales. En repréciser les missions
Recommandation 15
Décentraliser l’analyse des projetsde recherche non transmis à l’AFSSAPS
Déterminer l’instance qui en sera chargé et lui donner les moyens de le faire
C)
La directive européenne
Le vote de la Directive Européenne en avril 2001 a mis fin à la longue navette débutée en 1997 entre
la Commission de Bruxelles et le parlement de Strasbourg,. Certes, la directive ne concerne que les essais
de médicaments, mais il paraît difficile de n’adapter qu’une partie de la loi Huriet, en laissant en l’état les
dispositions concernant toute la recherche non médicamenteuse (cognitive, épidémiologique, génétique,…).
Les acteurs de la recherche se plaignent aujourd’hui d’une multitude de textes pas toujours nécessairement
coordonnés, il est évident qu’un dédoublement de l’actuel guichet d’accès ne pourrait qu’ajouter à la
confusion.
La directive diffère de la loi de décembre 1988 par certaines dispositions essentielles : la balance
bénéfice/risque au lieu de la distinction BID/SBID, l’absence de toute dérogation au consentement, l’incitation
faite aux états membres de définir le représentant "légal" des patients. Par ailleurs, elle ouvre la porte à la
reconnaissance d’une promotion institutionnelle à côté de la promotion industrielle, ainsi qu’à la suppression
de l’obligation de gratuité à la charge du promoteur.
La balance bénéfice/risque, plus graduée que la distinction BID/SBID, évite aussi bien la
diabolisation de la recherche SBID, sévèrement encadrée dans la loi Huriet, que la justification par le soin de
la recherche avec BID, si facilement absolvante. La directive affirme d’ailleurs à plusieurs reprises que le
bénéfice peut être collectif, et concerner le groupe de patients atteints de la même maladie, notamment les
enfants (art. 4). Mais la suppression de la distinction BID/SBID dans la loi française bouleversera toute son
architecture, qui repose sur cette opposition : les règles du consentement, le régime de responsabilité, les
dispositions particulières du chapitre IV, les lieux agréés sont en effet spécifiques aux recherches SBID.
Le consentement. Il est toujours obligatoire dans la directive, et ne souffre aucune dérogation ; mais
il peut être direct, exprimé par le patient lui-même, ou indirect, et recueilli auprès de son "représentant légal".
Celui-ci doit être défini par chaque état membre dans le droit national. Cette disposition devrait mettre fin à la
dérogation au consentement contenue dans l’article L. 1122.1 de la loi Huriet pour les situations d’urgence,
ce qui ne manquera pas de poser problème. Mais la désignation d’un représentant du patient "incompétent"
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (43/43)
devrait permettre les recherches dans des domaines où elle est aujourd’hui en France impossible ou
clandestine (Alzheimer, réanimation, maladies neurologiques, coma, etc.). Il ne faut pas sous-estimer
cependant les difficultés que ne manquera pas de soulever la notion de représentant légal de patients
incapables de fait, mais non incapables juridiques. Même si la loi de mars 2002 introduit la notion de
personne de confiance, celle-ci ne sera que consultée, ce qui est assez différent de lui permettre de
consentir à la place d’un patient incapable de fait.
En outre, la directive ouvre d’autres perspectives, dans des domaines cependant moins délicats :
 un considérant (#14) introduit le concept de promotion institutionnelle, en prenant acte de ce
qu’il existe une recherche clinique non promue par l’industrie pharmaceutique, et qui devrait
obéir à d’autres règles
 de même, l’article 19 permet aux états membres de prévoir des dérogations à l’obligation de
gratuité à la charge du promoteur, autre revendication de longue date de plusieurs promoteurs
institutionnels (ANRS, INSERM, DRC-AP-HP, EORTC,…)
 La directive renforce le rôle des CCPPR et de l’autorité compétente (AFSSAPS), qui délivre
désormais une autorisation implicite. Pour permettre à l’autorité compétente d’en décider
valablement, celle-ci se voit donner les moyens d’une véritable expertise scientifique, en
énumérant les pièces qui vont désormais remplacer la succincte "lettre d’intention". Il s’agit
d’ailleurs là d’une revendication ancienne de l’AFSSAPS, exprimée notamment lors de son
audition par le Sénateur Huriet (9).
Enfin, ne sont pas explicitement spécifiés dans la directive, mais doivent être clarifiés à l’occasion de
la révision de la loi, l’amélioration du fonctionnement des comités, leur financement, leur coordination, le rôle
respectif des comités et de l’autorité compétente, et notamment le périmètre d’action de la DGS.
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (44/44)
Conclusion
Il n'y a guère débat aujourd'hui sur la nécessité de la recherche médicale, sur la
mission qui incombe aux médecins de faire progresser les connaissances dans le domaine
de la santé et de lutter contre la maladie, la souffrance et la mort. Il est admis de façon aussi
évidente que les personnes malades et les volontaires sains qui se prêtent à la recherche,
dans une motivation complexe faite d'altruisme et d'attente de bénéfice individuel, doivent
être protégés, aussi bien par la conscience morale des investigateurs que par la collectivité.
La loi Huriet-Sérusclat de décembre 1988 répondait bien au double objectif d'organiser la
recherche ET d'assurer la protection de ces personnes.
Il n'est guère surprenant qu'il soit devenu nécessaire, quinze ans plus tard, de faire
évoluer cette loi, à la fois en raison des progrès incessants de la médecine, d'une meilleure
connaissance de ses contraintes et de ses risques, mais aussi d’une demande pressante et
mieux informée des patients et de leurs associations. Le vote de la loi sur les droits des
malades en mars 2002 a été l'occasion de modifier par amendement (art 15 de la loi 2002303) le régime d’autorisation des lieux dans lesquels s’effectue la recherche sans bénéfice
individuel direct, répondant ainsi à une demande exprimée de maints côtés depuis plus de 10
ans. Le même article demande également que les CCPPRB prévoient l’information des
patients après la fin de l’essai. La transposition de la directive européenne du 4 avril 2001
dans notre droit national est l’occasion unique de poursuivre l‘adaptation de la loi Huriet. Il
faut espérer que le gouvernement, l’administration en charge et les parlementaires auront à
cœur de repenser en profondeur l’organisation de la recherche et la protection des patients, à
la lumière de l’expérience acquise en France depuis 1988 et à l’étranger, en résistant à la
tentation d’un simple toilettage a minima des textes actuellement en vigueur.
La réflexion d’envergure qu’il faut initier très vite devra
1. s’efforcer d’harmoniser les nombreux textes concernant la recherche médicale qui
se sont empilés depuis une quinzaine d’années. A côté de la loi Huriet-Sérusclat et
de ses décrets d’application, pivot central, se sont en effet ajoutés des textes
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (45/45)
(nationaux et communautaires) sur la bioéthique, la transmission de données
nominative, la génétique, les dispositifs médicaux, les prélèvements et banques de
tissus divers, la responsabilité, jusque et y compris la dignité de la personne et
l’inviolabilité du corps inscrits dans le code civil
2. reconsidérer les problèmes cruciaux que sont :
a) la notion de bénéfice individuel direct de la recherche et celle de balance
bénéfice / risque
b) la représentation du patient incapable de fait par la “ personne de confiance ”
de la loi de février 2002 ou de toute autre personne ou comité
c) le fonctionnement des CCPPRB, pierre angulaire de la protection des
personnes, et dont le récent rapport Huriet a montré toutes les difficultés
3. repenser le rôle de l’ « autorité compétente », aussi bien dans ses missions que
dans son fonctionnement. La définition de l’évaluation scientifique des projets, le
lieu où elle doit s’exercer (central ou de proximité), les moyens nécessaires à cette
tâche doivent être précisés. Une banque de données centrale doit donner la
visibilité sur la totalité de la recherche clinique française, inexistante aujourd’hui. Il
a aussi manqué jusqu’ici auprès du ministre de la santé un comité chargé de
l’observation et du pilotage de cette recherche, de la réflexion sur les problèmes
éthiques qu’elle pose, de lui procurer conseil et expertise dans les multiples
difficultés et cas particuliers, de faire des propositions d’évolution réglementaire ou
législative
Mission Loi Huriet et Directive Européenne. – Pr. F. Lemaire (46/46)
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Annexes
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