Note d'intention – Nicole Aubry – Janvier 2014
Shakespeare, encore. Encore Le Songe d’une nuit d’été ! Tant de jeunes auteurs
de théâtre attendent d’être montés…
Cette pensée m’a traversé l’esprit un quart de seconde à l’annonce du projet.
Un quart de seconde. L’aventure est si particulière que toute réflexion de cet
ordre a immédiatement cédé la place à une évidence : ce projet a du sens, il
faut qu’il aboutisse.
La rencontre de deux mondes, celui des athéniens et celui des êtres de la forêt,
ne se fait pas ici de manière conventionnelle. C’est une réalité. Ces êtres
existent en France, dans le département de la Guyane, et beaucoup d’entre
nous l’ignorent. Des hommes et des femmes qui vivent dans la forêt équatoriale,
en osmose avec elle, selon une tradition gardée intacte, les Bushinengués,
littéralement « les hommes de la forêt ». Ils vivent comme leurs ancêtres pour qui
ces régions impénétrables furent un refuge au moment où ils décidèrent de
reconquérir leur liberté et leur autonomie en se libérant de l’esclavage.
Aujourd’hui ces hommes et ces femmes prennent la parole et apportent avec
eux sur la scène un peu de leur forêt quotidienne qui dépasse l’imagination, si
fertile soit-elle, d’un metteur en scène ou d’un scénographe talentueux.
Ces élèves comédiens formés à L’École Théâtre Kokolampoe, riches de leur
histoire et de leur culture de tradition orale, incarnent dans notre Songe les
« invisibles » agissants, malins, puissants, espiègles. Des jeunes acteurs issus de
l’ENSATT de Lyon viennent compléter l’équipe pour constituer le groupe des
athéniens. Mais nous veillons bien sûr à éviter un dualisme simpliste en brouillant
légèrement les cartes. Les élèves du TEK de Saint Laurent du Maroni
s’exprimeront dans leur langue, le saramaka, une langue qui nous est
totalement inconnue. Très naturellement une transposition s’opère : s’ils restent
invisibles pour les athéniens comme le veut la pièce, ils deviennent de surcroît
incompréhensibles pour le spectateur qui est ainsi mis devant le fait qu’à
l’écoute seule, quelque chose d’essentiel lui échappe.
Et nous voilà au cœur du sujet car la question qui est posée est bien celle de ce
qui échappe à notre compréhension et à notre contrôle. La question du libre
arbitre, de la conscience et de la liberté de l’individu. Vivons-nous en pleine
conscience ou dans un profond sommeil peuplé de songes ? Par qui, par quoi,
sont déterminés nos actes, nos sentiments, nos pensées ? Qui agit lorsque nous
agissons, qu’est-ce qui nous meut, nous guide, nous dirige ?
Les pistes qui ouvrent vers une compréhension sont multiples et ne s’excluent pas
les unes les autres. Au-delà d’une réponse de type analytique qui accorde une
place de choix à l’inconscient (dont les esprits de la forêt seraient une
représentation symbolique), au-delà de toute considération d’ordre politique ou