Congrès hebdo 5
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN
Lundi 10 novembre 2014 – n° 9364
La controverse sur l’efficacité des
injections articulaires d’acide
hyaluronique est alimentée par
certaines méta-analyses discor-
dantes(1). Certains mauvais ré-
sultats seraient liés à une utilisa-
tion inappropriée des injections
dans les études, mal adaptées
au phénotype arthrosique des
patients (poussée inflammatoire,
souffrance osseuse,…).
Les injections articulaires d’acide
hyaluronique (AH) ont un grand suc-
cès, du fait de leur simplicité d’uti-
lisation et de leur bonne tolérance.
Désignées sous le terme de viscosup-
plémentation, ou visco-induction,
elles sont, avec les infiltrations cor-
tisoniques, le principal traitement
local de l’arthrose.
Le principe
L’AH, principal constituant du
cartilage et du liquide synovial, est
une longue chaîne de sucres (glyco-
saminoglycanes), dont le caractère
très hydrophile lui confère une vis-
co-élasticité à l’origine de propriétés
mécaniques du cartilage (absorption
des chocs) et du liquide synovial (lu-
brification articulaire, protection du
cartilage). Lors de l’arthrose, il y a un
déficit quantitatif et qualitatif en AH
articulaire, y injecter un AH exogène
vise non seulement à rétablir les pro-
priétés mécaniques, mais aussi à in-
duire des effets biologiques, l’AH in-
jecté étant capté par des récepteurs
articulaires spécifiques: action anti-
inflammatoire modérée, anti-oxy-
dante, anabolisante sur le cartilage,
antalgique directe par masquage des
nocicepteurs articulaires et réduc-
tion de la production enzymatique
induite par les cytokines. Des pro-
priétés de visco-induction, c’est-à-
dire de stimulation de la production
d’AH endogène, pourraient expliquer
l’efficacité prolongée de l’AH exogène
injecté, alors qu’il a un temps de rési-
dence articulaire court, rapidement
dégradé après son injection.
D’après la conférence d’enseignement de la
DrVirginie Legré-Boyer, rhumatologue,
Institut de l’appareil locomoteur Nollet,
Paris. Ancienne interne et cheffe de clinique
des hôpitaux, ancienne praticienne hospi-
talière. Attachée en rhumatologie au CHU
Pitié-Salpétrière. Consultante à l’American
Hospital of Paris.
Conflits d’intérêt: Rottapharm (confé-
rencière séminaires, co-investigatrice
essai thérapeutique), Sanofi Genzyme
(conférencière symposiums, séminaires ),
Expanscience (participation aux congrès),
Genevrier, Pierre Fabre (conseil scientifique
ponctuel, participation aux congrès), Lab-
rha (co-investigatrice essai thérapeutique),
Smith Nephew (investigatrice principale
essai thérapeutique), Chemedica (partici-
pation aux congrès)
(1) Rutjes AW et al. Ann Intern Med
2012;157:180-91
(2) McAlindon TE et al. Nat Rev Rheumatol
2012;8:635-6
(3) De Campos GC et al. Clin Orthop Relat
Res 2013;471:613-20
(4) Jordan KM et al. Ann Rheum Dis
2003;62:1145-55
(5) American College of Rheumatology
2012 recommendations. Arthritis Care Res
2012;64:465-74
(6) American Academy of Orthopaedic Sur-
geons (AAOS). Treatment of Osteoarthritis
of the Knee: Evidence-Based Guideline. 2nd
ed. Rosemont, IL: AAOS; 2013. www.aaos.
org/ oakcpg
(7) Osteoarthritis: the care and mana-
gement of osteoarthritis in adults. NICE
clinical guideline 59. London: NICE; 2014.
www.nice.org.uk/nicemedia/pdf/cg59nice-
guideline.pdf.
(8) OARSI recommendations. Osteoarthritis
Cartil 18;2010:476-99
Arthrose symptomatique
La viscosupplémentation a toujours sa place
L’injection intra-articulaire, réa-
lisée par un spécialiste, nécessite
une bonne technique, puisqu’elle
conditionne non seulement son
efficacité, mais aussi sa tolérance
(locale, lire encadré). Elle est parfois
délicate sur une articulation sèche
et peut bénéficier de certaines as-
tuces. Hors genou –hanche, épaule
en particulier–, le recours à un
guidage radiologique ou échogra-
phique est préconisé. En cas d’épan-
chement articulaire avant l’injec-
tion, il faut traiter la synovite en
priorité: repos, glaçage articulaire,
AINS, et si nécessaire ponction-in-
filtration de corticoïdes. L’injection
d’AH sera différée d’une à quatre
semaines.
Plus de douze dérivés d’AH sont
commercialisés en France, sous sta-
tut de dispositifs –sauf le Hyalgan
qui a conservé un statut de médica-
ment, avec une AMM dans la gonar-
throse. On peut en distinguer deux
types: linéaires, ayant un poids
moléculaire (PM) faible, et réticulés
(regroupement tridimensionnel des
chaînes par des ponts), avec un PM
plus élevé et probablement une dé-
gradation plus lente donc un temps
de résidence articulaire plus long,
sont souvent proposés en mono-in-
jections.
Des présentations minidosées
d’AH (1ml), moins onéreuses, sont
disponibles pour les petites articula-
tions. Plus récemment des prépara-
tions d’AH combinés à des adjuvants
(mannitol, sorbitol, chondroïtine
sulfate), réticulés ou non, sont pro-
posées. L’adjonction de ces subs-
tances vise à prolonger le temps de
résidence articulaire de l’AH, mais
ceci n’est pas prouvé. L’impact cli-
nique des divers caractères des AH
n’est pas clair, ne permettant pas
d’orienter le choix vers tel ou tel pro-
duit.
En France, la viscosupplémen-
tation consiste en 1 à 3injections, à
1-4semaines d’intervalle. Les doses
varient selon les produits utilisés
et l’articulation injectée. Pour la
gonarthrose, on effectue habituel-
lement soit une série de 3injections
(à 1semaine d’intervalle), soit une
injection monodose. En dehors du
genou, rien n’est bien codifié. L’inté-
rêt pour les mono-injections se dé-
veloppe. Il s’agit souvent de dérivés
d’AH réticulés, ayant en principe un
temps de résidence articulaire plus
long.
Technique
La viscosupplémentation a une
efficacité modérée (20%) mais signi-
ficative par rapport au placebo, sur la
douleur et la fonction, avec un taux
important de patients répondeurs
(60-70% dans la gonarthrose). Elle
permet une épargne en antalgiques
opiacés et en AINS, avec un meilleur
rapport bénéfices-risques, et pourrait
retarder l’heure de la prothèse. L’effet
chondroprotecteur reste à confirmer.
L’efficacité clinique est retardée
de 2 à 4semaines par rapport aux
infiltrations cortisoniques, mais
se prolonge pendant 6 voire 12mois
(versus 1 à 3 semaines pour des corti-
coïdes). La co-injection systématique
des deux n’est pas justifiée, n’ayant
pas apporté de bénéfice net dans une
étude récente(3) et obligeant à res-
pecter un délai de 6à 24 semaines (se-
lon les produits) avant toute arthro-
plastie, pour ne pas augmenter le
risque septique sur prothèse.
Indications
La viscosupplémentation est
classiquement proposée dans l’ar-
throse, à condition qu’elle soit symp-
tomatique, qu’il y ait échec et/ou
intolérance au traitement médical
–non pharmacologiques (conseils de
réduction pondérale, d’activité phy-
sique, d’épargne et de stabilisation
articulaire, orthèses), antalgiques, et
AINS. Un remboursement forfaitaire
est actuellement possible en France
dans ce cadre, dans la gonarthrose
seulement –et non dans les autres ar-
ticulations– à raison d’un traitement
par an et par genou, à condition que
l’AH soit prescrit et administré par un
spécialiste: rhumatologue, médecin
physique et rééducateur, ou chirur-
gien orthopédique. Elle n’est pas in-
diquée à titre préventif, en l’absence
d’effet chondroprotecteur prouvé
avec les schémas actuels. Elle est ré-
servée à l’arthrose symptomatique.
Le renouvellement de la cure an-
nuelle n’est indiqué que si l’arthrose
est à nouveau symptomatique.
Chez le sportif, l’innocuité de l’AH,
reconnu comme non dopant, en fait
un traitement d’appoint intéressant,
à réaliser si possible en intersaison.
À noter: la présence d’une chon-
drocalcinose radiologique (extrê-
mement fréquente chez le sujet âgé),
n’est pas une contre-indication, dans
la mesure où le patient n’est pas en
poussée de pseudogoutte.
Marche arrière des recomman-
dations internationales
L’AH faisait jusqu’alors partie
intégrante des recommandations in-
ternationales pour la prise en charge
de la gonarthrose, de la coxarthrose
et la rhizarthrose, parmi lesquelles
les recommandations européennes
de l’EULAR (4), qui reconnaissent une
efficacité symptomatique réelle bien
que modérée des injections d’AH.
Une position qu’elles ont toute-
fois récemment remise en question
dans la gonarthrose. Ainsi, pour le
collège des rhumatologues améri-
cains (ACR), depuis 2012, les injec-
tions ne sont pas recommandées de
façon générale dans la gonarthrose
mais conditionnellement, en cas
d’échec du traitement médical, en
particulier chez des patients âgés de
plus de 75ans (5). Il en est de même
pour la coxarthrose. Les associations
de chirurgiens orthopédistes améri-
cains (AAOS) et britanniques (NICE)
ne recommandent clairement pas
l’utilisation de l’AH dans la gonar-
throse (6,7). L’OARSI le recommande
de façon incertaine (8).
Stade d’évolution et site
Il n’y a donc pas de profil de
réponse bien identifié de la visco-
supplémentation. La meilleure
indication paraît être l’arthrose
modérée en l’absence de poussée
inflammatoire, c’est-à-dire sans
épanchement important. Cepen-
dant, certaines études ont observé
une efficacité dans les gonar-
throses très évoluées, où les injec-
tions d’AH peuvent constituer une
solution d’attente avant le rempla-
cement prothétique. En revanche,
les coxarthroses évoluées et des-
tructrices rapides ne répondent
pas à la viscosupplémentation, et
restent du ressort de la chirurgie
prothétique.
Selon l’articulation concernée, la
réponse aux injections peut varier.
Pour le genou, l’indication idéale
semble être l’arthrose fémorotibiale
modérée sans épanchement. La
localisation fémoropatellaire a été
peu évaluée, son efficacité semble
moindre. Dans la coxarthrose, les ré-
sultats sont globalement décevants,
au terme d’études randomisées com-
portant peut-être un nombre insuffi-
sant d’injections. Dans l’omarthrose,
avec ou sans rupture de coiffe, et dans
l’arthrose de cheville, les résultats
sont encourageants, mais pas avec
rupture de coiffe isolée ni capsulite.
Quant aux petites articulations,
l’efficacité de la viscosupplémenta-
tion est modeste (rhizarthrose), voire
non probante dans l’hallux rigidus en
mono-injection.
À retenir
Les injections articulaires d’AH
conservent une place indiscutable
dans le traitement de fond de l’ar-
throse symptomatique, surtout si
elle est modérée et sans épanche-
ment. L’apport est particulièrement
appréciable chez les sujets jeunes ou
âgés fragiles (polypathologiques et
polymédicamentés), en alternative à
la chirurgie.
Il s’agit d’un traitement d’utilisa-
tion simple et bien toléré, à condition
de posséder une bonne technique
d’injection. L’efficacité est certes
modérée, mais avec un taux impor-
tant de patients répondeurs. La vis-
cosupplémentation permet ainsi
une épargne en antalgiques opiacés
et en AINS, avec un bien meilleur rap-
port bénéfice-risque, et susceptible
de retarder l’heure de la prothèse au
genou. Des travaux restent à réaliser
pour déterminer notamment les fac-
teurs prédictifs de réponse au traite-
ment et le meilleur schéma thérapeu-
tique selon l’articulation.
Efficacité
Tolérance
Une revue récente de la littéra-
ture conclut à une innocuité de
la viscosupplémentation (2). Sa
tolérance générale est excellente,
et satisafaisante localement, mar-
quée par des réactions habituel-
lement mineures, que l’on peut
limiter avec une bonne technique
d’injection.
La prudence reste cependant de
règle: tout épanchement d’allure
inflammatoire suivant une
injection nécessite une ponction
articulaire avec vérification systé-
matique de l’absence de sepsis qui,
bien qu’exceptionnel avec cette
technique, doit rester présent à
l’esprit et justifie une prévention
par une parfaite asepsie, et une
information du patient sur les
signes évocateurs d’infection.
L’effet indésirable principal
consiste en des réactions doulou-
reuses ou inflammatoires locales
transitoires, dont la fréquence est
faible (2 à 6% au genou), et qui ne
semblent pas grever l’efficacité du
traitement.
Plus rarement, de spectaculaires
réactions inflammatoires aiguës,
d’allure pseudoseptique, peuvent
se manifester (1-2%). Elles sont
assez imprévisibles, ont surtout
été décrites avec l’hylane GF-20,
mais peuvent aussi survenir avec
des AH linéaires. Leur apparition
précoce, 1 à 24heures après l’in-
jection, est un élément rassurant
en faveur d’une réaction non sep-
tique, mais au moindre doute, une
ponction articulaire avec analyse
bactériologique doit être réalisée.
Quelques cas de crises aiguës de
chondrocalcinose ont été publiés
au décours d’injections d’AH.
D’exceptionnels cas de réaction
granulomateuse locale ont été
décrits, avec l’hylane seulement.
V. LEGRÉ-BOYER
Technique habituelle d’injection d’un AH sur genou sec
Introduction d’une aiguille de 21 gauge par la voie latéropatellaire externe
(1-2 cm en dessous et en aval du bord supérolatéral de la rotule, genou en
extension ou en légère flexion, quadriceps relâché). Une subluxation laté-
rale de la rotule, imprimée préalablement par la main opposée, facilite
la sensation de passage de la capsule. Tentative d’aspiration du liquide
synovial. Puis injection de 2 à 6 ml d’AH sans résistance et sans douleur.
Retrait de l’aiguille et mobilisation du genou en flexion-extension
Injection radioguidée d’un AH
dans la hanche.
Mise en place de l’aiguille par voie
antéro-externe sous radioscopie.
Injection d’une petite quantité
de PDC iodé. Lorsque l’arthro-
gramme est obtenu, tentative
d’aspiration de liquide synovial.
Puis injection de 2 à 4 ml d’AH
V. LEGRÉ-BOYER
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