Les saints en plâtre de Shigeru Ban
Fortement endommagée par le tremblement de terre du 22 février
2011, la cathédrale anglicane de Christchurch, en Nouvelle-Zélande,
sera temporairement remplacée par un édifice réalisé avec des
tubes de carton. Le projet a été confié à l’architecte japonais Shigeru
Ban, passionné depuis longtemps par l’utilisation de matériaux de
construction simples, recyclables ou réutilisables, en particulier les tubes
de carton et les conteneurs de transport maritime.
L’architecte japonais, né en 1957, est
par ailleurs impliqué fortement dans
l’architecture d’urgence depuis le
tremblement de terre qui a frappé
Kobe en 1995. Pour cette ville japo-
naise, il avait notamment conçu une
église provisoire en tubes de carton
qui a été utilisée pendant une dé-
cennie. Au milieu des années 1990,
il a également commencé à travail-
ler avec les Nations unies pour éri-
ger des abris pour les réfugiés du
Rwanda, victimes du génocide. Son
agence est intervenue bénévole-
ment dans de nombreux lieux frap-
pés par des catastrophes.
"Cette démarche fait partie de ma
responsabilité sociale. D'habitude,
nous réalisons des bâtiments plutôt
pour des gens privilégiés et ils uti-
lisent leur argent et leur puissance
pour faire des structures monu-
mentales. Mais je pense qu'on de-
vrait plus construire pour le public
(...) comme pour les gens qui ont
tout perdu dans des catastrophes.
Même dans de tels lieux, je veux, en
tant qu'architecte, créer de belles
constructions, émouvoir les gens et
améliorer leur vie. Si je n'étais pas
dans cet état d'esprit, il me serait
impossible de créer des œuvres
d'architecture, et d'apporter, dans
le même temps, une contribution
à la société. La façon dont les archi-
tectes servent la société, en particu-
Christchurch (NZ) - Shigeru Ban (architecte)
lier les minorités, peut jouer un rôle
important dans la détermination de
notre époque», explique t’il.
Les conséquences de ces catas-
trophes sont, selon lui, aggravées
par l'eondrement de bâtiments
construits par les hommes et les
architectes ont une sorte de devoir
moral à cet égard. "Les gens ne sont
pas tués par les tremblements de
terre, mais par l'écroulement des
constructions", dit-il.
Une cathédrale transitionnelle
La silhouette massive de basalt
était l'emblème de Christchurch,
deuxième ville de l'archipel néo-
zélandais. Le tremblement de terre
de magnitude 6,3, qui a fait 185
morts, a irrémédiablement mutilé
la cathédrale de 1864, dont l’avenir
(restauration ou nouvel édice) n’a
pas encore été arrêté. Pour la Nou-
velle Zélande, la reconstruction de
sa deuxième ville, donc certains
quartiers ont été entièrement rasés,
pourrait coûter quelque 12,5 mil-
liards de dollars.
Le projet élaboré par Shigeru Ban
est une structure en forme de tente,
composée de 64 tubes de carton
de 83 cm de diamètre et d’une lon-
gueur comprise entre 18 et 22 m,
étanchéiés avec du polyuréthane
et ignifugés. Les fondations sont
faites de conteneurs. Cette cathé-
drale temporaire pourra accueillir
700 personnes.
Shigeru Ban a armé que l’édice
pourrait durer une dizaine d’années
et qu’il serait possible de le pérenni-
ser si les utilisateurs le souhaitaient.
« C'est un grand bâtiment dans
lequel on a envie d'entrer, aérien et
léger, qui donne un sentiment d'élé-
vation », explique le responsable
du projet, Johnny McFarlane. « La
cathédrale transitionnelle est un
symbole d'espoir pour l'avenir de la
ville, en plus d'être durable et abor-
dable», ajoute t’il.
Tubes et cartons
L'architecte utilise généralement
pour ses bâtiments éphémères des
matériaux recyclés, comme des
conteneurs ou des cartons de bière.
Lestés avec des sacs de sable, ils font
ainsi oce d'abri. Mais son matériau
fétiche est le tube en carton, qui,
dit-il, est toujours immédiatement
disponible à l'inverse du bois ou de
l'acier, au lendemain d'une catas-
trophe.
La nouvelle cathédrale de Christ-
church doit être achevée en avril
2013, 132 ans après la consécration
de sa version originale en pierre. Il
s'agira de la plus grande construc-
tion en carton de Shigeru Ban. Les
assurances et les dons publics ont
permis de réunir 5 millions de dol-
lars NZ (3,1 millions d'euros) pour
cette église atypique dont la base
est en ciment tandis que les tubes
dessinent sa ligne triangulaire et
que des containers aident au main-
tien des murs.
Des vitraux et un toit en polycar-
bonate protègent la structure des
intempéries, de sorte que sa durée
de vie a été estimée à cinquante ans.
Les autorités paroissiales envisagent
de l'utiliser pendant une dizaine
d'années, le temps de construire
une église traditionnelle, mais Shi-
geru Ban espère que l'enthousiasme
des dèles inversera la courbe de ce
destin.
« Si les gens l'aiment, elle sera perma-
nente, j'espère que c'est ce qui arri-
vera », a déclaré l'architecte nippon.
Créations durables
Shigeru Ban arme avoir eu le dé-
sir de devenir architecte à 12 ans.
Diplômé de la prestigieuse Cooper
Union School of architecture de
New York, il a ouvert son propre
cabinet en 1985 après avoir travaillé
pour Arata Isozaki à Tokyo. Il se dit
inspiré par Le Corbusier et l'Amé-
ricain d'origine allemande Ludwig
Mies Van der Rohe (1886-1969)
mais également Alvar Aalto (1898-
1976), découvert à l'occasion d'un
voyage en Finlande. Membre depuis
2010 de l'ordre français des Arts et
des Lettres, Shigeru Ban enseigne
depuis 2011 à l'université de Kyoto
des arts et du design. Il travaille
aujourd'hui sur des projets en Es-
pagne, au Liban ou encore en Inde,
où il prépare la construction d'un
ensemble hôtelier à Goa.
Shigeru Ban développe une archi-
tecture qui tend à harmoniser les
diérents rapports architecto-
niques, spatiaux, sociaux et envi-
ronnementaux dans chacune de
ses réalisations. Il utilise les tubes de
carton (P.T.S) comme structure sans
rompre avec l'histoire de l'archi-
tecture. Dans ses diérentes réali-
sations, on peut même percevoir
certaines réminiscences d'éléments
de l'histoire de l'architecture telles
que l'agora grecque pour la galerie
d'Issey Miyake à Tokyo en 1994 ou
la référence aux modernes pour la
Paper House et la Furniture House.
Mais la référence s'arrête là, le plan
rigide, souvent quadrangulaire, est
totalement libéré dans son éléva-
tion. Le module P.T.S, utilisé à la
fois comme élément structurel et
comme élément mobilier, dissout
la rigidité du plan par des compo-
sitions qui uidient l'espace. L'en-
semble peut ainsi s'ouvrir sur l'envi-
ronnement, y participer comme un
fragment. « L'un de mes bâtiments
préférés est la Farnsworth House
de Mies van der Rohe. C’est une
œuvre révolutionnaire qui par-
venait à une continuité complète
entre l'intérieur et l'extérieur grâce
à une façade entièrement vitrée.
On n'y retrouve cependant jamais
la continuité physique particulière
des espaces domestiques japo-
nais traditionnels, où de multiples
écrans mobiles s'interposent entre
l'intérieur et l'extérieur», explique
l’architecte.
Le choix du projet de M. Ban
illustre la qualité du savoir-faire
acquis par l'architecte japonais
dans l'utilisation de matériaux
recyclés pour la construction, un
travail qui lui a valu d'être qualifié
d'architecte "vert", ce qu'il n'ap-
précie guère, et qui a contribué à
sa renommée mondiale. ✖