La psychothérapie EMDR : une psychothérapie pas

L'EMDR
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La psychothérapie EMDR:
une psychothérapie pas
comme les autres
Introduction
L’objectif de ce premier chapitre est dans un premier temps de poser les
jalons et les bases de ce qu’est la thérapie Eye Movement Desensitization and
Reprocessing , ou EMDR. Entre mythe et réalité, cette approche peut à la fois
nourrir les critiques les plus vives (et parfois les plus incohérentes) et activer
chez d’autres personnes une sorte de culte ridicule, qui conduit certains pra-
ticiens et parfois certains chercheurs à ne pouvoir envisager la psychothé-
rapie dans son ensemble qu’à travers le prisme de la psychothérapie EMDR.
Nous sommes convaincus pour notre part de l’intérêt de cette approche
et de sa véritable contribution à l’évolution des idées dans le champ de la
psychothérapie. En revanche, il nous arrive d’être heurtés par l’idéalisation,
voire la mythifi cation dont elle fait l’objet, et par le manque de recul dont
ceux qui en sont les tenants font preuve.
Dans un second temps, nous adopterons une perspective critique et
contradictoire, nécessaire à toute discipline dont le souhait est de faire
«science». On ne peut s’engager dans l’application d’une psychothérapie
sans connaître son histoire, ses avantages et ses limites. Les psychothérapies
ne peuvent pas être seulement des outils que l’on utilise comme bon nous
semble. Les adopter, c’est de près ou de loin adopter les principes qui les ont
initiés, et de ce fait, cela engage notre responsabilité de psychothérapeute.
Ce qui compte pour le praticien, c’est que cela fonctionne et que le patient
aille mieux. C’est souvent ce que l’on entend chez les professionnels. Aurions-
nous la même largesse vis-à-vis de notre médecin qui quotidiennement
prend soin de notre santé? Certes non! Nous espérons, quand nous allons
le consulter, qu’il soit au fait de ce qu’il fait, du diagnostic qu’il pose et des
traitements qu’il prescrit. Il ne suffi t pas que cela fonctionne pour nous satis-
faire. Il est essentiel pour les patients que nous sommes de connaître les fon-
dements de la démarche du médecin, la justifi cation des traitements qui nous
sont proposés et les risques que, le cas échéant, nous sommes susceptibles de
courir. Le psychothérapeute se doit à une certaine ascèse intellectuelle, il ne
peut et ne doit pas s’y soustraire. Il ne peut laisser ni à Dieu, ni au hasard, les
objets et les forces qu’il convoque et qu’il manipule dans le cadre du proces-
sus psychothérapeutique. C’est pourquoi il est non seulement légitime, mais
1
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fondamental, de se demander ce qui se passe lors d’une prise en charge avec
la psychothérapie EMDR, car il est inconvenant de se contenter des classiques
images d’Épinal qui nous feraient presque croire que les fameux mouvements
oculaires effacent le psychotraumatisme de la mémoire comme le font les
essuie-glaces de notre voiture sur un pare-brise.
Dans ce chapitre, nous traiterons de l’origine de la psychothérapie EMDR
et du hasard de sa découverte. Nous aborderons les modèles qui semblent
« expliquer » cette effi cience qu’il faut lui reconnaître, mais nous insis-
terons aussi sur les limites théoriques et conceptuelles de l’approche. Ces
dernières années, des pistes sérieuses issues de la recherche fondamentale
en psychologie cognitive semblent donner un second souffl e aux travaux
censés expliquer ce qui se passe pendant la psychothérapie EMDR. Nous
présenterons les différents points de vue et nous discuterons les limites de
cette approche. Il se peut d’ailleurs que nos prises de position ne convain-
quent pas certains lecteurs. Tant pis et tant mieux ! Il s’agit pour nous
d’ouvrir le débat et la réfl exion en dehors de toute chapelle ou école de
pensée. Plus qu’une forme psychothérapeutique, l’EMDR est devenue un
objet de recherche passionnant qui pose plus de questions qu’il n’apporte
de réponses. En ce sens, les investigations qui sont menées dans le domaine
pour comprendre ce qui est en jeu dans l’EMDR dépassent son simple péri-
mètre. C’est tout le champ des psychothérapies qui se trouve interpellé et
parfois bousculé par les recherches menées dans le domaine. À vrai dire,
jamais une psychothérapie n’aura à ce point souhaité (alors que souvent,
en France notamment, on se refuse à l’évaluation) mettre à l’épreuve des
faits et des méthodes son effi cacité. Jamais une psychothérapie, n’aura eu
la capacité de fédérer au-delà de la psychologie des disciplines qui jusque-
là s’ignoraient parfois (neurosciences, médecine, philosophie, psychologie,
sciences cognitives…). Jamais une psychothérapie n’aura fédéré autant les
cliniciens et les chercheurs, imposant un aller-retour permanent entre les
deux. La psychothérapie EMDR a quelque chose de particulier, c’est certain!
De la sérendipité
1 à la reconnaissance
de la psychothérapie EMDR
C’est à Francine Shapiro que l’on doit la découverte et le développement de
la psychothérapie EMDR. Comme beaucoup de découvertes, celle de l’EMDR
n’est pas exempte de légendes (judicieusement entretenues d’ailleurs!) qui,
au fi l du temps, se sont amplifi ées, donnant parfois un caractère romanesque
1 . La sérendipité désigne le talent de trouver ce que l’on ne cherche pas, cela
désigne aussi le bénéfi ce inattendu d’une découverte involontaire. En science, le
rôle du hasard est diffi cilement quantifi able. Les chercheurs décrivent générale-
ment leurs résultats comme le fruit d’une déduction logique, masquant ainsi la
part d’aléatoire dans la découverte.
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à la chose. Quoi qu’il en soit, cette découverte (car c’est bien de cela qu’il
s’agit!) a été faite un peu par hasard
2 en 1987. En effet, initialement, rien ne
prédestinait Francine Shapiro à devenir docteur en psychologie et chercheur
au Mental Research Institute de Palo Alto. C’est son cancer qui lui a fait
envisager une autre voie, notamment quand, une fois considérée en rémis-
sion, la peur de la rechute l’a conduite à s’enquérir de nouvelles méthodes
susceptibles de l’aider à aller mieux et à rester en bonne santé. Un jour, alors
qu’elle se promenait dans un parc, elle s’aperçut, en suivant des yeux un vol
d’oiseaux et en opérant des mouvements oculaires latéraux, que les pensées
négatives qu’elle avait à l’esprit quelques minutes auparavant s’étaient trans-
formées et que leur charge émotionnelle était devenue moins intense.
«Je remarquai que certaines pensées dérangeantes
que j’avais développées disparaissaient soudainement,
et lorsque je les évoquai de nouveau, elles ne me
dérangeaient plus autant, elles n’avaient tout simplement
plus la même charge émotionnelle; je remarquai que
lorsque ce type de pensées me venait à l’esprit, mes yeux
commençaient à bouger spontanément d’une certaine
manière et de façon très rapide, la pensée sortait de ma
conscience, et quand je l’y replaçais, elle n’avait plus la
même force […] Je voulus savoir si cela fonctionnerait en
le faisant délibérément, alors je pensai à quelque chose
qui provoquait en moi une petite anxiété et je bougeai
mes yeux de la même manière que précédemment, et la
même chose survint; la pensée disparut, elle aussi. Et
quand je la ramenai à mon esprit, sa charge émotionnelle
n’était plus la même… Je voulus alors savoir si cela
pouvait s’appliquer à d’autres personnes.»
Francine Shapiro (1998)
2 . De ce point de vue, la découverte de la pénicilline par Alexandre Fleming est
un autre exemple, illustre. Rappelons que cette découverte a eu lieu en 1928,
lorsque Fleming laissa une boîte de Pétri où il faisait pousser des staphylocoques
dans son laboratoire et partit deux semaines en vacances. Lorsqu’il revint, il
constata que la culture avait été contaminée par les souches d’un champignon
qui avaient arrêté la croissance des bactéries. Fleming venait de découvrir un
antibiotique ! La pénicilline fut rapidement utilisée, notamment pendant la
Seconde Guerre mondiale, et elle sauva de nombreuses vies, mais c’est long-
temps après qu’on lança les premières études systématiques et qu’on comprit
réellement son mode de fonctionnement. C’est d’ailleurs ce qui se passe avec
l’EMDR, qui soigne le psychotraumatisme depuis plus de vingt-cinq ans sans
que, dans le fond, on comprenne vraiment pourquoi cela fonctionne.
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Si les souvenirs ou les pensées ne disparaissaient pas de sa conscience, c’est
bien leur charge émotionnelle négative qui peu à peu semblait s’atténuer,
jusqu’à disparaître totalement. Shapiro (1989) poursuivit cette expérience par
des mouvements rapides des yeux en pensant simultanément à des souve-
nirs pénibles. Puis elle appliqua la même expérience à des amis et collègues
volontaires. Ceux-ci se centraient sur un aspect de leur vie passée (brimades ou
humiliations qui pouvaient encore les perturber). Simultanément, ils concen-
traient leur attention visuelle sur le mouvement de va-et-vient de droite à
gauche que Francine Shapiro opérait avec ses doigts en prenant soin de «répli-
quer» ce qu’elle-même avait vécu dans ce parc quelque temps auparavant
3 .
Encadré 1.1
Sur les traces de Francine Shapiro: redécouvrez
la psychothérapie EMDR !
Pour marcher dans les pas de Francine Shapiro, suivez à la lettre les quatre
étapes suivantes. Après avoir choisi une cible à traiter, vous expérimenterez
une phase sans mouvements oculaires, puis une phase avec.
Étape 1: identifi cation du souvenir perturbant
Il suffi t, de disposer d’un souvenir ou d’un événement négatif, de préférence
récent, de la vie quotidienne (une dispute récente pas trop violente avec un
ami, une situation de stress, un confl it professionnel sans trop d’incidence,
mais qui laisse une gêne, une appréhension quelconque). Vous pourrez
également faire le choix d’une appréhension du futur du même calibre…
Étape 2: évaluation de la charge émotionnelle
Il s’agit maintenant de positionner l’événement choisi sur une échelle de
0 (aucune perturbation émotionnelle quand j’y pense) à 10 (perturbation
maximale quand j’y pense).
Pour l’exercice, nous vous encourageons à limiter le choix de l’objet à trai-
ter à une intensité qui ne dépasse pas 4 ou 5 sur l’échelle de perturbation
(il s’agit d’éviter les charges trop fortes). Soyez vigilant à ne pas activer avec
cet exercice princeps des associations qui pourraient vous confronter à des
choses trop lourdes ou diffi ciles de votre histoire passée ou présente. Ainsi,
en cas de doute, ne faites pas l’exercice!
Étape 3: pratique sans mouvements oculaires
Concentrez-vous sur cet événement et sur l’endroit où vous sentez la charge
émotionnelle dans le corps. Assis sur une chaise ou dans un fauteuil, regar-
dez le plafond sans rien faire durant quatre minutes.
3 . Cette étude initiale de Shapiro comporte à vrai dire quelques lacunes métho-
dologiques qui limitent la validité des résultats. C’est elle-même, en effet, qui
procéda au traitement et à leur évaluation. Pour autant, la plupart des travaux
qui suivirent n’ont plus souffert de ce biais gênant.
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Au cours des années qui suivirent, d’autres formes de stimulations bila-
térales furent utilisées comme les tapotements ( tapping sur les genoux,
les pieds, les épaules…) ou les sons (dispensés de manière alternée dans
chacune des deux oreilles), les pressions ou encore les vibrations (utilisant
un appareillage qui émet des vibrations dans des pulseurs tenus dans les
mains). Dans tous les cas, les émotions négatives s’en trouvaient peu à
peu remplacées par des émotions positives, des prises de conscience et/ou
de nouvelles sensations corporelles. Ces nouvelles conduites s’accompa-
gnaient en outre d’un nouveau sentiment de soi. Les traumatismes étaient
comme transformés, reconfi gurés en de nouvelles expériences d’apprentis-
sage, faisant presque de la victime traitée une personne capable de poten-
tialiser et de se nourrir de l’expérience douloureuse du trauma. C’est de ce
travail psychothérapeutique de face à face avec le trauma que semblaient
émerger et se développer une recomposition du moi, un nouveau rapport
au monde et un bouleversement des croyances. Cette nouvelle pratique
psychothérapeutique semblait activer un véritable développement post-
traumatique accéléré ( Tedeschi, Calhoun,2004 ). Ce dernier, rappelons-le,
se caractérise par la capacité d’une personne à mobiliser des ressources pour
dépasser l’événement traumatique. Tout se passait comme si l’individu se
transformait en direct, au fur et à mesure des séances, jusqu’à remettre en
question ses propres schémas fondateurs ( Janoff-Bulman,1992 ). Au fond, le
processus curatif, propre à toute psychothérapie (et qu’accélère la psycho-
thérapie EMDR) était remis en route et réactivé, rendant à nouveau possible
la réparation psychique.
À cette étape du processus, le patient pouvait regarder l’événement, ainsi
que lui-même, à partir d’une perspective nouvelle et positive, ce qui jusque-
là lui était impossible!
De tels constats conduisirent à un changement d’appellation. LEye
Movement Desensitization ou EMD, le nom initialement choisi par Franci ne
Normalement, à ce stade, rien ne se passe ! Repositionnez l’événement
choisi sur une échelle de 0 (aucune perturbation émotionnelle quand j’y
pense) à 10 (perturbation maximale quand j’y pense).
Étape 4: pratique avec mouvements oculaires
Concentrez-vous à nouveau sur cet événement et activez la charge émo-
tionnelle. Assis sur une chaise ou dans un fauteuil, regardez les deux coins
opposés de votre plafond et procédez à un mouvement alterné de droite
à gauche à une fréquence d’environ un aller-retour par seconde. Procédez
ainsi durant quatre minutes sans arrêt. Repositionnez l’événement choisi
sur une échelle de 0 (aucune perturbation émotionnelle quand j’y pense) à
10 (perturbation maximale quand j’y pense).
Vous devriez alors, contrairement à l’issue de l’étape 3, observer une baisse
de l’intensité de la charge émotionnelle. Normalement… ça marche!
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