e cannabis est une plante utilisée pour ses vertus médicinales depuis l’Antiquité, mais ses propriétés
psychotropes ont longtemps représenté son principal attrait. L’utilisation du cannabis dans des patho-
logies douloureuses graves comme le sida et le cancer, d’une part, et la découverte récente des récepteurs
cannabinoïdes CB1 et CB2, d’autre part, ont relancé l’intérêt de cette substance et de ses dérivés à visée
thérapeutique. La nouvelle classe médicamenteuse représentée par les cannabinoïdes pourrait avoir des
usages multiples, à visée non seulement antalgique mais également anti-inflammatoire par un impact
sur la réponse immunitaire, voire antitumorale par une action sur l’apoptose, notamment des cellules
nerveuses.
DOULEUR
L
e cannabis et ses dérivés synthétiques :
des traitements antalgiques
et anti-inflammatoires d’avenir ?
Effets antalgiques
des cannabinoïdes
Chez l’homme comme chez l’animal,
l’analgésie est un des effets des cannabi-
noïdes les mieux connus. Les récepteurs
CB1 sont impliqués dans l’analgésie
induite par les cannabinoïdes, puisqu’un
antagoniste sélectif des CB1 peut bloquer
ces effets. Les cannabinoïdes potentiali-
sent également les effets antalgiques des
morphiniques par une activation des
récepteurs morphiniques kappa spinaux.
Par ailleurs, un dérivé des cannabinoïdes,
l’anandamide, exerce des effets antal-
giques puissants qui ne semblent pas liés
à l’activation des récepteurs CB1. Ce pro-
duit exerce des effets biphasiques, hyper-
algésiques aux faibles doses, antalgiques
aux plus fortes doses. La modulation de la
libération de cytokines pro- ou anti-
inflammatoires pourrait également parti-
ciper à l’action antinociceptive des can-
nabinomimétiques.
Le cannabis : une plante
ancienne aux multiples usages
Le cannabis est une herbacée dont les
pieds femelles émettent de la résine conte-
nant les substances psychoactives. Les
plants provenant de cultures en pays chaud
sont les plus riches en substances actives ;
ceux cultivés en Europe sont des plantes à
fibres et contiennent très peu de substances
psychotropes. La résine récupérée sur les
inflorescences femelles et pressée en bloc
constitue la préparation la plus riche en
composés pharmacologiques (haschich),
mais des extraits liquides ou des suspen-
sions de résine dans l’huile végétale sont
également riches en produit.
Action pharmacologique des
cannabinoïdes
Les cannabinoïdes sont des substances
psychoactives qui produisent de multiples
effets chez de nombreuses espèces. Ils se
lient à des récepteurs spécifiques mis en
évidence et clonés récemment : les récep-
teurs CB1 et CB2. Ce sont des récepteurs
à segments transmembranaires couplés à
des protéines G. Les récepteurs CB1 sont
exprimés abondamment dans le système
nerveux central, et à un moindre degré à
la périphérie, tandis que les récepteurs
CB2 sont exclusivement exprimés à la sur-
face des cellules immunitaires. La modu-
lation de la libération de différents neuro-
médiateurs lors de la stimulation des
récepteurs CB1 serait à l’origine des effets
des cannabinoïdes sur les fonctions supé-
rieures. L’activation des récepteurs CB2
portés par les macrophages circulants ren-
drait compte des effets anti-inflamma-
toires des cannabinoïdes. On distingue
trois familles de ligands cannabinoïdes :
les ligands naturels, dont le plus actif est
le 9-tetra-hydro-cannabinol, les ligands
endogènes (l’anandamide), qui ont une
demi-vie très courte, et les ligands syn-
thétiques, qui dérivent du 9-tetra-hydro-
cannabinol (9-THC).
La Lettre du Rhumatologue - n° 279 - février 2002
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DOULEUR
La Lettre du Rhumatologue - n° 279 - février 2002
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Effets des cannabinoïdes sur
le comportement alimentaire
On sait que la marijuana augmente la
consommation alimentaire chez l’homme,
notamment par l’augmentation du désir de
nourritures sucrées. Ces études, confir-
mées chez l’animal, montrent que l’on peut
moduler la consommation alimentaire
quotidienne par des agonistes ou antago-
nistes sélectifs des cannabinoïdes. Cette
action orexigène est utilisée et autorisée en
thérapeutique dans certains pays dans des
maladies cachectisantes graves comme le
sida ou le cancer. À l’inverse, on peut envi-
sager le développement de substances ano-
rexigènes par antagonisme des cannabi-
noïdes dans l’obésité et divers troubles des
conduites alimentaires.
Effets des cannabinoïdes
sur le système immunitaire
et l’inflammation
L’effet original de ces substances antal-
giques est l’action modulatrice immuni-
taire des cannabinoïdes. En effet, les
cannabinoïdes peuvent induire une proli-
fération ou un arrêt de la croissance cellu-
laire. À faible dose, on peut observer un
effet sur la prolifération des lymphocytes
B, médié par les récepteurs CB2, et à forte
dose une mort cellulaire. Cet effet pro-
apoptotique pourrait être utilisé comme
drogue antitumorale, notamment dans des
tumeurs neurologiques (gliomes...). La
plupart des études montrent que le 9-THC
exerce un effet immunosuppresseur : inhi-
bition de la fonction des macrophages et
des lymphocytes, inhibition de la résis-
tance aux agents infectieux et inhibition de
la production de diverses cytokines.
Effets sur la cognition
et la mémoire : limiter
les effets du vieillissement ?
Les effets bien connus des cannabinoïdes
sur la mémoire et la cognition sont liés aux
effets psychodysleptiques de ces compo-
sés. Chez l’animal, le blocage des récep-
teurs CB1 pourrait améliorer les processus
cognitifs, notamment les altérations obser-
vées lors du vieillissement, ce qui n’a pas
été confirmé chez l’homme. Les endocan-
nabinoïdes interagissent avec le système
d’acquisition et de stockage de l’informa-
tion, notamment en réduisant les concen-
trations d’acétylcholine, voire de dopa-
mine dans des zones cérébrales comme
l’hippocampe et le cortex frontal. Les can-
nabinoïdes ont également un rôle sur
l’anxiété et l’état émotionnel, cet effet
étant fonction du terrain et des expériences
antérieures du patient.
Y a-t-il une dépendance
et une accoutumance
aux cannabinoïdes ?
On observe rarement des symptômes phy-
siques de sevrage chez l’homme à l’arrêt
de la consommation de cannabinoïdes : ce
sont parfois des malaises, des troubles du
sommeil, une anxiété, des nausées, des
troubles intestinaux... chez des grands
fumeurs de marijuana après un arrêt com-
plet. Il existe, en revanche, une accoutu-
mance aux effets des cannabinoïdes qui se
développe rapidement et peut persister
longtemps après l’arrêt de l’administration
de ces drogues, à la différence de l’admi-
nistration d’opiacés. Les études animales
ont par ailleurs montré une accoutumance
croisée aux effets antalgiques des opiacés
et des cannabinoïdes.
Usage thérapeutique
des cannabinoïdes :
des médicaments ubiquitaires ?
Il existe de nombreux usages thérapeu-
tiques potentiels pour les cannabinoïdes.
Seuls le 9-THC (dronabinol, aux États-
Unis) et un dérivé synthétique, la nabi-
lone (Grande-Bretagne), sont commer-
cialisés en préparation orale, pour
supprimer les effets émétiques des trai-
tements anticancéreux. Ils sont également
prescrits pour stimuler l’appétit de
patients cachectiques, cancéreux ou
atteints du sida. La douleur est une indi-
cation possible, éventuellement dans les
migraines accompagnées de vomisse-
ments ou de nausées. On envisage égale-
ment d’utiliser ces molécules dans l’hy-
pertension oculaire et les contractions
utérines, intestinales ou bronchiques.
Mais l’usage thérapeutique est limité par
le fait que les effets psychotropes inter-
viennent assez précocement et en restrei-
gnent l’utilisation. On travaille donc sur
la mise au point de composés actifs qui
seraient dénués d’effets psychotropes. En
revanche, ces effets psychotropes ont per-
mis d’envisager l’emploi de certains déri-
vés cannabinoïdes dans le traitement des
dépendances aux drogues toxicomano-
gènes, lors de troubles du comportement
alimentaire, voire dans les psychoses. Les
études restent encore préliminaires sur
ces sujets ; elles demandent à être confir-
mées par des projets cliniques, mais lais-
sent entrevoir de nombreuses possibili-
tés, avec notamment des perspectives
originales. !
S. Perrot, service de rhumatologie A,
et Centre de traitement de la douleur,
hôpital Cochin-Tarnier, Paris.
Pour en savoir plus...
"Ashton CH. Pharmacology and effects of
cannabis : a brief review. Br J Psychiatry
2001 ; 178 : 101-6.
"Dyer O. Cannabis trial launched in patients
with MS. Br Med J 2001 ; 322 : 192.
"Fox A, Kesingland A, Gentry C et al. The
role of central and peripheral cannabinoid
receptors in the antihyperalgesic activity of
cannabinoids in a model of neuropathic pain.
Pain 2001 ; 92 : 91-100.
"Pertwee RG. Cannabinoid receptors and
pain. Neurobiol 2001 ; 63 : 569-611.
"Williamson EM, Evans FJ. Cannabinoids
in clinical practice. Drugs 2000 ; 60 : 1303-
14.
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