du vrai, qui présente son livre à ses amis en leur
disant : " je me suis servi de ce que vous m' avez
appris, et voici ce que j' ai trouvé à mon tour.
Si vous savez quelque chose de mieux, dites-le-moi ;
sinon, profitez avec moi de ce que je vous apporte :
vive, vale ; si quid novisti rectius istis,
candidus imperti ; si non, his utere mecum. "
le doute qui règne aujourd' hui sur les questions
fondamentales de la philosophie et de la religion est
un supplice si grand et si général, que j' aurais pitié
d' un homme qui ne saurait pas se mettre au-dessus du
sentiment de l' imperfection de son oeuvre, et que cette
mauvaise honte empêcherait de faire ce que son coeur
lui dicterait.
Vous ne partagez pas l' erreur de ceux qui divisent en
lambeaux et mutilent à plaisir la connaissance humaine,
et qui se sont fait de l' art une idole à part de
l' humanité. Ce n' est pas vous, ami, qui me direz
dédaigneusement que votre poésie n' a rien à démêler
avec des recherches de métaphysique et d' histoire.
Mais si quelqu' un de vos admirateurs trouvait
étrange cette dédicace, je lui dirais à mon tour
qu' il n' a pas compris votre poésie, et qu' il a pu
s' en enivrer follement sans savoir en nourrir son âme.
Non, cet admirateur de votre génie ne sait pas qui vous
êtes ; il ne sait pas que vous avez avec la philosophie
bien des liens de famille.
Vous êtes, en poésie comme en réalité, le fils de cette
grande génération de la fin du dix-huitième siècle, qui
fit
pIII
la révolution. Je pense souvent à cette sublime scène
où Francklin présenta son petit-fils à Voltaire,
et où le grand philosophe incrédule se leva, ému,
plein d' enthousiasme, et, la main tendue vers le ciel,
bénit le petit-fils de Francklin au nom de Dieu et
de la liberté : god and liberty ! je me
trompe peut-être, mais il me semble que cette alliance
entre Voltaire et Francklin fut aussi une sorte de
réconciliation entre Voltaire et Jean-Jacques :
j' entends entre leurs génies divers, entre les pensées
et les tendances dont ils avaient été les
représentants ; car je découvre en partie
Rousseau sous l' image de Francklin. Cette entrevue me
paraît ainsi une sorte de scène finale du dix-huitième
siècle. Voltaire, si près de sa tombe ; Francklin,
l' imprimeur Francklin, qui venait d' apporter à la
France l' acte de déclaration des droits de l' homme
et du citoyen, promulgué en Amérique après avoir été
pensé en Europe ; et un enfant entre ces deux