Jour de Noël Frère Jean-Christophe Is 52,7-10; Ps 97; He 1,1-6; Jn 1,1-18 Jeudi 25 décembre 2008 Église Saint-Gervais, Paris Noël : La divinité épouse notre humanité Cette nuit, nous avons célébré la naissance du Sauveur. L’Evangile selon saint Luc a été proclamé nous faisant participer à cet événement à la fois si simple _ une mère qui met au monde son fils premier-né _ et si mystérieux car cet enfant est le Fils unique de Dieu. En ce matin, le prologue de l’Evangile selon saint Jean nous invite au même mystère, mais d’une autre façon, intimement complémentaire. Cette nuit, émerveillés avec les anges et les bergers, nous disions : oui, cet enfant est Dieu. Ce matin, nous sommes invités à dire : Dieu s’est fait cet enfant. Notre regard sur cette naissance s’élargit en partant de Dieu lui-même. Dieu existe depuis toujours et le Verbe, qui est Dieu lui-même, est Celui par qui tout a été fait. Il est Vie et source de toute vie, Lumière principe de toute lumière, et il vient nous communiquer cette Vie et cette Lumière qu’il est depuis toujours. En effet, dans le sein de la Vierge Marie, s’est réalisé un étonnant mystère : Dieu le Verbe s’est fait chair. Le Verbe, qui dans l’éternité ne cesse de jaillir du sein du Père, a assumé notre nature humaine. C’est-à-dire qu’il a pris un corps humain, une âme humaine et qu’il a communiqué à cette nature humaine sa propre existence, de sorte que tous deux ne font plus qu’un seul être (cf. Gn 2,24). C’est pourquoi la naissance que nous célébrons est celle de l’Homme-Dieu. Une naissance qui, à la vérité, ressemble étrangement à un mariage. Oui, Noël est jour de noces. La divinité épouse notre humanité. Une alliance nouvelle et éternelle est scellée entre Dieu et les hommes. Mystère des noces, mystérieux échange. Le Fils de Dieu reçoit une nature humaine et à cette nature il transfuse sa vie divine. C’est un peu comme lorsqu’un rameau est greffé sur un arbre de nature différente. Le rameau, sans perdre sa nature originelle, vit de la vie même de l’arbre qui désormais le porte. De même, l’humanité de Jésus, greffée sur l’être même du Fils de Dieu, vit de la vie de Dieu. C’est la sève divine qui irrigue et féconde ce corps, ce cœur, cette âme de Jésus. En Jésus, Dieu et l’homme vivent dorénavant sous le régime de la communauté de biens. Sans confusion, ni séparation. Sans confusion, parce que Jésus n’est pas un hybride, un surhomme ou un demi-Dieu : il est pleinement Dieu et pleinement homme. Sans confusion, parce que la divinité n’a ni détruit ni absorbé l’humanité : le feu de la divinité descendu dans le buisson ardent de l’humanité ne l’a pas consumé mais bien transfiguré (cf. Ex 3). Sans confusion, mais sans séparation non plus, car en Jésus, l’humanité ne se contente pas de coexister avec la divinité : elle est exposée à son rayonnement et c’est bien pour cela que Jésus est «le plus beau des enfants des hommes» (Ps 44). D’autant plus homme qu’il est vraiment Dieu, tant il est vrai que la divinisation accomplit la vocation profonde de l’homme, de tout homme. Faisons maintenant un pas de plus. Ce que le Fils de Dieu est par nature, chaque homme est appelé à le devenir par grâce. Car si le Verbe s’est fait chair, c’est pour nous les hommes et pour notre salut. Si l’humanité de Jésus a bénéficié de cette grâce unique de l’union parfaite à Dieu, c’est pour qu’à notre tour, en nous unissant à l’humanité de Jésus, nous entrions par lui et en lui en communion avec Dieu. «Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le poids du fardeau et je vous procurerai le repos» (Mt 11,28). Oui, venons à Jésus qui veut nous abreuver de l’eau vive. Comme la source qui jaillit met à portée de notre soif l’eau qui circule dans les profondeurs de la terre, Jésus, par son humanité, est au milieu de nous la source qui nous met en contact avec la vie divine. Celui qui vient à Jésus recevra cette vie pleine, dense, riche. Il prend part à sa plénitude et devient participant de la nature divine (2 P 1,4). Il devient fils dans le Fils. «Dieu s’est fait homme, disent les Pères, pour que l’homme devienne Dieu». Comme les bergers, comme les mages, venons adorer l’Enfant-Dieu. Dans la fragilité de notre humanité, Dieu ne s’impose pas, Il s’expose. Il nous donne part à sa divinité. Dieu se fait si proche pour nous diviniser. Mais nous pouvons nous demander en quoi aujourd’hui le divin rejoint notre humanité. Nous ne voyons guère, dans le meilleur des cas, que de l’humain très humain. Mais qu’ont-ils vu les bergers ? «Un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une mangeoire» (Lc 2,12). La faiblesse, la fragilité, l’insignifiance, la nuit. Et pourtant une lumière intérieure les habite et leur permet de reconnaître en cet enfant si ordinaire le Sauveur qui est le Christ Seigneur (Lc 2,11). Cette lumière, c’est la foi. Cette foi est expérience de Dieu dans nos existences. Elle nous permet de voir nos vies pour ce qu’elles sont vraiment : non pas un chaos absurde d’événements banals, mais une histoire, une histoire sainte, celle d’un mystérieux enfantement, d’une nativité. Jour après jour, Dieu tisse en moi cet être de lumière que je serai dans l’éternité. «Dès maintenant nous sommes enfants de Dieu» (1 Jn 3,2), mais c’est encore dans le secret. Notre identité profonde reste encore voilée à nos propres yeux, même si, ici ou là, nous en percevons parfois quelques effets : cette confiance en Dieu par delà les épreuves, cette espérance inexorable qui nous fait tenir malgré tout, ces petits actes d’amour du prochain … Tout cela atteste que le Père est à l’œuvre : aujourd’hui il engendre en moi son Fils (cf. Ps 2,7), aujourd’hui, il façonne en moi l’homme nouveau à l’image et à la ressemblance du Fils Bien-aimé. Oui, frères et sœurs, Dieu est bien présent dans nos vies et nous le savons si peu. En cette fête, il nous le rappelle : «Je suis avec toi tous les jours jusqu’à la fin du monde» (Mt 28,20)1 FMJ – Tous droits réservés. 1 Passages inspirés d’une homélie de Fr. Serge-Thomas Bonino, op, Noël 2005, Toulouse.