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PANORAMA 1/2002
Jacques Aubret
Toutes les sociétés humaines se définis-
sent par des principes et des règles qui
structurent les modalités d’échanges en
leur sein. Ces principes et règles prennent
des formes variées, ont des zones de vali-
dité plus ou moins étendues et présentent
des différences quant à leur caractère plus
ou moins contraignant. Elles se nomment
lois, chartes, codes, normes, déclarations,
etc. Elles se distinguent également en
fonction des références qui fondent leur
légitimité. Les codes de déontologie en-
trent dans ces catégories. Ce qui les fonde
est à rechercher dans le domaine des va-
leurs morales exprimé par le terme «déon-
tologie».
Un code de déontologie:
pour quoi faire?
Les termes déontologie, morale et éthique
ont des définitions voisines au regard des
étymologies évoquées par les diction-
naires de la langue française. Ces étymo-
logies nous renvoient tantôt à des consi-
dérations sur le caractère prescriptif des
contenus associés à l’usage des mots,
tantôt aux aspects réflexifs portés sur les
principes et règles institués. Ainsi, la
déontologie est définie comme la théorie
des devoirs en morale, et le mot «éthique»
est également défini comme science de la
morale et art de diriger la conduite. Ce-
pendant, dans les usages contemporains
de ces mots, des distinctions apparaissent:
la déontologie désigne spécifiquement ce
qui relève de la morale professionnelle, la
morale renvoie à l’idée de règles de
conduite universelles, et l’éthique désigne
les systèmes des valeurs qui fondent ces
règles de conduite universelles ou particu-
lières quels que soient les ancrages qui
leur sont donnés: religions, philosophies,
idéologies, croyances.
Les considérations sur les valeurs dérivent
directement des conceptions que l’on se
fait de l’homme dans ses rapports avec ses
semblables, et se retrouvent généralement
exprimées dans les chartes internationales
qui énoncent les droits de l’homme:
liberté, égalité devant la loi, refus de
toutes les formes de discrimination so-
ciale, devoir d’assistance à autrui, protec-
tion des faibles contre les forts, protection
de l’enfance, respect de la personne et de
la vie privée, etc. Les codes de déontolo-
gie actualisent ces valeurs dans l’exercice
professionnel. Ils sont le reflet direct des
représentations que les professionnels
acceptent, se donnent ou veulent se don-
ner de leur métier.
Toutes les professions ne disposent pas
d’un code de déontologie. Ces codes ap-
paraissent généralement dans des profes-
sions libérales (professions de la santé,
professions juridiques, psychologie, édu-
cation, etc.). Ils concernent des domaines
d’intervention sur la personne, où les
risques d’atteinte aux valeurs énoncées
ci-dessus sont élevés, où la personne est
en situation de faiblesse parce qu’elle ne
dispose pas des moyens de faire face,
seule, aux problèmes qui lui arrivent, et
pour des métiers de prestige générale-
ment lucratifs.
Fort pouvoir identitaire
L’existence d’un code est généralement
associée à un certain nombre d’obliga-
tions, la première étant d’adhérer à l’ordre
professionnel (ex.: ordre des avocats,
ordre des médecins) qui garantit la vali-
dité du code. Cette obligation est une
condition nécessaire pour exercer la pro-
fession concernée. En outre, elle est le
plus souvent de nature légale. La loi
confère ainsi aux ordres professionnels,
dans des limites définies, une responsabi-
lité de contrôle et de sanction, le cas
échéant. Un code de déontologie a donc
de ce fait un pouvoir identitaire fort, et
constitue, en contrepartie des obligations
qu’il entraîne, un moyen de protection du
groupe et de chacun de ses membres
contre les praticiens et les pratiques non
identifiées qui porteraient atteinte à
l’honneur et au prestige de la profession.
C’est dans les professions de la santé que
l’on trouve les exemples les plus classiques
d’une association entre le droit et l’exis-
tence d’ordres professionnels et de codes
de déontologie. La référence la plus an-
cienne connue serait le «serment d’Hip-
pocrate» (environ 400 av. J.-C.) que doit
prêter tout médecin. La plupart des codes
en vigueur dans les pays d’Europe datent
de la seconde moitié du XXesiècle.
Les codes en psychologie et dans
l’éducation
Le cas des métiers touchant à l’exercice de
la psychologie et à l’éducation est peut-
être un peu différent, en raison de la jeu-
Déontologie, éthique et morale
Que représente pour une profession donnée la référence à un code de déontologie? Pourquoi un code de déontologie
doit-il évoluer? Telles sont les deux questions générales auxquelles nous tenterons de répondre.
Pratiques professionnelles
DOSSIER
«
Les codes sont un moyen de
rendre visible un exercice profes-
sionnel qui présente parfois des
contours flous aux yeux des parents,
des politiques qui mandatent les
conseillers, et des autres profes-
sionnels avec lesquels les
conseillers travaillent.
»
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PANORAMA 1/2002
nesse des disciplines concernées, de la di-
versité des professionnels impliqués et de
la variété des formes d’exercice des mé-
tiers (profession libérale, service public).
Comme le rappelle J.-B. Dupont (1994),
les principales règles énoncées dans les
codes de ces professions touchent plus ou
moins directement aux problèmes posés
par l’évaluation. J. Schlegel (1994) in-
dique que ce sont les États-Unis qui ont
été les premiers, au début du XXesiècle, à
mettre au point des normes relatives aux
tests psychologiques. Il fait remarquer
que les travaux d’envergure datent de
1953, date à laquelle fut éditée la pre-
mière version des Ethical standards of psy-
chologists.
D’autres standards suivront, qui donne-
ront lieu à des traductions françaises,
comme celle de J.-B. Dupont publiée en
1971. Elles inspireront fortement le ca-
ractère des codes de déontologie des psy-
chologues, notamment en France. La
même démarche fut appliquée dans le do-
maine de l’éducation. Citons le Code of
fair testing practices in education élaboré
aux États-Unis en 1988 – où il est ques-
tion de la construction et du choix des
tests, de l’interprétation des scores, de la
recherche de l’équité, de l’information
donnée aux personnes testées – et le Code
of ethics mis au point par un Comité de
l’Association internationale de psycholo-
gie scolaire, dont il constitue aujourd’hui
le code officiel.
Dans le monde de l’entreprise et du tra-
vail, l’Association professionnelle des psy-
chotechniciens diplômés a édité un code
de déontologie dès 1958. Il est aujour-
d’hui tombé dans l’oubli. Mais J. Schlegel
cite en exemple la publication allemande
(traduction française et anglaise dans le
Bulletin de la Commission internationale
des tests de juin 1982) des Principes pour
l’application des examens psychologiques
d’aptitude dans l’industrie et l’administra-
tion.
Dans l’ensemble des tentatives évoquées,
la défense des intérêts des professionnels
joue un rôle moins important que la pro-
tection des usagers. L’orientation profes-
sionnelle, qui participe des trois do-
maines évoqués (la psychologie, le monde
du travail et l’éducation), se situe tout à
fait logiquement dans cette tradition.
Pourquoi les codes changent-ils?
Rappelons que les valeurs morales aux-
quelles se réfèrent la déontologie et
l’éthique ont un caractère universel et
consensuel que les professionnels n’ont
pas l’autorité ou le pouvoir de remettre en
cause. Il est en revanche du devoir des
professionnels de préciser comment se
traduisent, dans des exigences nouvelles
pour eux-mêmes et pour les usagers,
d’une part les changements sociétaux qui
interfèrent sur l’exercice professionnel, et
d’autre part les progrès des disciplines de
base qui fondent leur expertise.
C’est le cas des professionnels de l’orien-
tation. Dans de nombreux pays où se dé-
veloppent des pratiques d’orientation
«tout au long de la vie», le conseiller doit
intervenir auprès d’adultes en transition
professionnelle, dont les demandes n’ont
pas grand-chose en commun avec celles
des lycéens ou des collégiens. Non seule-
ment les publics potentiellement bénéfi-
ciaires des services des conseillers s’élargis-
sent et se diversifient, mais les objectifs
des interventions, eux aussi, changent.
Si pendant longtemps le travail du
conseiller s’est focalisé sur un travail d’ex-
pert-évaluateur, il se transforme progres-
sivement en un travail de formateur dont
l’objectif est d’apprendre aux personnes à
«se mettre en valeur» à leurs propres yeux,
pour se donner en quelque sorte le droit
de faire leurs propres projets et de
construire les moyens qui permettront de
les réaliser. De l’orientation quasi pres-
criptive, on passe à l’accompagnement de
démarches d’auto-orientation. C’est, par
exemple, l’un des objectifs déclarés du bi-
lan de compétences professionnelles et
personnelles à la française. Il s’agit, en
effet, «de permettre à des travailleurs
d’analyser leurs compétences profession-
nelles et personnelles ainsi que leurs apti-
tudes et leurs motivations afin de définir
un projet professionnel et, le cas échéant,
un projet de formation». (Loi du 31 dé-
cembre 1991).
DOSSIER
Jacques Aubret: «Les conseillers ont tout
avantage à faire connaître les valeurs et les
principes qui gouvernent leurs actions.»
«Les codes de déontologie sont le reflet direct des représentations que les
professionnels acceptent, se donnent ou veulent se donner de leur métier.»
«
L’adaptation régulière des codes
traduit la vitalité d’une profession
qui s’interroge régulièrement sur le
sens et les modalités de ses inter-
ventions, et sur les valeurs qui fon-
dent son professionnalisme.
»
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PANORAMA 1/2002
Ces changements affectent également les
demandes d’orientation initiale. L’hori-
zon professionnel représenté par une car-
rière dans un métier que l’on exercera
toute sa vie ne signifie rien dans une so-
ciété à forte mobilité professionnelle im-
posée par les régulations économiques in-
ternationales. Le conseiller s’interroge sur
ce qu’il faut développer chez l’enfant et
l’adolescent comme compétences à
s’adapter à l’incertain, au peu probable, à
l’imprévisible, dont les bases se construi-
sent dès l’école.
Domaines d’application
Le questionnement auquel peut répondre
un code de déontologie en termes de
principes ou de règles à respecter a au
moins quatre domaines d’application
pour ce qui concerne la gestion des chan-
gements affectant l’exercice du métier de
conseiller:
1. la qualification des professionnels
(quels titres, diplômes et expériences
professionnelles exiger pour l’exercice
de la profession?)
2. la validité des outils, méthodes et tech-
niques d’observation, d’entretien et
d’évaluation (quels types de preuves de
valeur sont normalement attendus des
outils que s’approprie le conseiller?)
3. les modalités d’intervention du conseil-
ler (comment intervenir dans un pro-
cessus d’aide à l’orientation pour ne pas
déposséder la personne de sa liberté
d’entreprendre?)
4. les résultats des interventions (les ob-
servations et évaluations effectuées par
le conseiller dans une relation d’aide à
l’orientation peuvent-elles être com-
muniquées à des tiers, dans quelles li-
mites et dans quelles conditions?).
En répondant à ces questions majeures, le
code de déontologie constitue un cadre
de référence indispensable aux conseillers
en orientation et aux personnes qu’ils re-
çoivent. Mais il est aussi un moyen de
rendre visible un exercice professionnel
qui présente parfois des contours flous
aux yeux des parents, aux yeux des poli-
tiques qui mandatent les conseillers, et
aux yeux des autres professionnels avec
lesquels les conseillers sont amenés à tra-
vailler. L’adaptation régulière des codes
peut traduire d’une certaine manière la
vitalité d’une profession qui s’interroge
régulièrement sur le sens et les modalités
de ses interventions, et sur les valeurs qui
fondent son professionnalisme.
Dérives possibles
On doit cependant se garder de certaines
dérives qui peuvent intervenir chaque fois
que l’on codifie des principes ou édicte
des règles. Par exemple, il serait probable-
ment néfaste de transformer un code de
déontologie conçu pour expliciter les va-
leurs d’une profession en système de pro-
tection d’un groupe social souhaitant s’ar-
roger un territoire (ici l’orientation),
comme si les problèmes d’orientation ne
relevaient que de leur seule spécialisation
(dont il faudrait que l’usager paie le prix).
Les problèmes d’orientation sont trop
complexes à résoudre pour qu’il en soit
ainsi. En cela, les codes de déontologie
des conseillers en orientation se rappro-
chent davantage des chartes dites «de
qualité», qui acceptent les défis de la
concurrence, que des codes de déontolo-
gie médicale dont les usagers ne connais-
sent souvent que le nom. S’il en est ainsi,
les conseillers ont tout à gagner à faire re-
connaître, par leurs bénéficiaires, les va-
leurs et les principes qui gouvernent leurs
actions.
Deontologie,
Ethik und Moral
Die drei Begriffe Deontologie, Ethik und
Moral werden im heutigen Sprachgebrauch
unterschiedlich verwendet. Die Deonto-
logie bezeichnet alles, was die Berufsmoral,
also den Pflichtenkatalog für die Ausübung
eines bestimmten Berufs, betrifft. Die Moral
verweist auf allgemeine Verhaltensregeln
und die Ethik bezeichnet die Wertsysteme,
auf denen die allgemeinen oder auch beson-
deren Verhaltensregeln gründen.
Die Kodizes der Deontologie verleihen
diesen Wertsystemen erst mit der Aus-
übung des Berufes Bedeutung. In ihnen
widerspiegeln sich die Vorstellungen,
welche die Berufsleute für ihren eigenen
Beruf akzeptieren, sich selber geben oder
sich selber geben möchten. Sie wirken
demzufolge stark identitätsstiftend.
An-
wälte, Ärzte, Psychologen und Berufsbe-
rater, die sich in Arbeits- und Bildungswelt
engagieren, haben seit den 50er Jahren ihre
Kodizes der Deontologie aufgestellt. Die
Weiterentwicklung dieser Kodizes geschieht
nun nicht etwa, weil sich die Grundwerte
verändern, sondern weil die betroffenen
Berufe präzisieren müssen, wie die sozialen
Veränderungen den Berufsalltag beeinflus-
sen und wie die Weiterentwicklung der
Grunddisziplinen, auf welchen ihre
Expertisen gründen, neue Anforderungen
für sie selbst und die Anwender bedeuten.
Die nachstehenden vier Fragetypen verlan-
gen demzufolge eine Anpassung der Kodi-
zes im oben genannten Sinne:
die Qualifikation der Berufsleute
Angemessenheit der Hilfsmittel,
Methoden und Techniken für
Beobachtung, Beurteilung und Dialog
die Art und Weise, wie der Berater
interveniert
die Resultate der Interventionen
Die kontinuierliche Anpassung der Ko-
dizes kann bis zu einem gewissen Grad die
Lebendigkeit eines Berufes ausdrücken.
Eines Berufes, der sich regelmässig über
Sinn und Art und Weise der Interventio-
nen sowie über die Werte, auf denen seine
Professionalität fusst, hinterfragt. Es ist im
Interesse der Berufsberater und -beraterin-
nen, wenn die Werte und Prinzipien, die
ihr Handeln bestimmen, den Rat-
suchenden bekannt sind. YMR/CR
Pratiques professionnelles
DOSSIER
Jacques Aubret est professeur émérite des uni-
versités à l’INETOP (Institut national d’études
du travail et d’orientation professionnelle) du
CNAM (Conservatoire national des arts et
métiers) à Paris. Il s’est spécialisé dans les
domaines de la psychologie de l’orientation, du
bilan de compétences personnelles et profes-
sionnelles, et de la reconnaissance et validation
des acquis de l’expérience. [email protected]
Bibliographie
Dupont, J.-B. (1971). Normes pour la publi-
cation d’épreuves pédagogiques et psycho-
logiques (APA, 1966). Genève, Librairie
Droz.
Dupont, J.-B. (1994). Compétences requises
pour appliquer des techniques psychologi-
ques, L’orientation scolaire et profession-
nelle, 23, n° 1, p.85 à 98.
Schlegel, J. (1994). L’évaluation dans les
codes de déontologie, L’orientation scolaire
et professionnelle, 23, n° 1, p.99 à 118.
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